Déclaration de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, sur la continuité du service public en cas de grève dans les transports en commun, Paris le 3 novembre 2004.

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Circonstance : Audition à l'Assemblée Nationale par la Commission des Affaires Économiques sur la continuité du Service Public à Paris le 3 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
C'est un grand honneur pour moi de pouvoir m'exprimer aujourd'hui sur la continuité du service public devant votre Commission élargie aux membres des commissions des affaires sociales et des lois. C'est un sujet important pour l'ensemble des Français.
Permettez-moi de procéder en trois temps pour mon intervention, avec tout d'abord un rappel de mes engagements devant l'Assemblée le 9 décembre dernier. Ce premier rappel, outre son mérite de reposer le débat, vous permettra, je l'espère, de mesurer le chemin parcouru en moins un an.
Je procèderai ensuite à une synthèse des intenses et fructueuses concertations que j'ai pu mener au mois de septembre avec l'ensemble des parties concernées. Enfin, je vous proposerai la suite que j'entends donner pour poursuivre sur la voie du progrès.
Je vous rappelle que notre démarche a débuté en septembre 2003 avec un tour d'Europe des expériences.
Ces visites d'études ont été réalisées dans cinq pays ; à chaque fois, dix syndicats sur les quinze représentés à la SNCF et à la RATP ont participé à ces déplacements. Ils ont permis de rencontrer les organisations syndicales des entreprises de transport, les directions de ces entreprises et les autorités publiques de tutelle. Le constat, trop brièvement résumé, est le suivant :
- dans les pays du Nord, le droit de grève est particulièrement réglementé, et la qualité du dialogue et les dispositifs de prévention rendent les conflits relativement exceptionnels. Ces conflits une fois déclenchés sont parfois durs et peuvent amener à des situations de blocage paralysant l'économie du pays
- dans les pays du Sud, la loi a fixé le principe d'un service minimum dans les transports avec deux variantes : soit un système de régulation " à chaud ", avec une administration fixant le service qui doit être assuré en cas d'échec de la prévention, soit comme en Italie un service garanti que le législateur a fixé
" à froid ", avec ensuite des accords contractuels validés par une autorité indépendante.
Vous le savez, et les récentes grèves en Italie mais aussi en Autriche et en Belgique nous l'ont encore démontré, il n'existe pas de système modèle que nous pourrions calquer . Notre histoire sociale, l'organisation de notre système de transport, les attentes de nos citoyens, la spécificité de nos organisations syndicales ; tous ces paramètres sont à prendre en compte pour constituer un système mûri, concerté et partagé, un système à la française, un système équilibré entre la prévention des conflits et la continuité du service public.
A l'issue de ce Tour d'Europe, je vous ai présenté ma démarche. Elle comportait deux axes de travail :
- L'un sur la prévention des conflits
- L'autre sur la continuité du service public en période de conflits
En ce qui concerne la prévention des conflits j'ai réuni dès le 18 mars 2004 les
présidents des entreprises en charge d'un service public de transport terrestre régulier de voyageurs. La présidente de la RATP - Mme IDRAC- et le président de la SNCF - M.GALLOIS - ont participé à cette réunion, de même que le président de l'UTP (l'Union des Transports Publics) ainsi que les trois grandes entreprises de transport urbain (Keolis, Connex, Transdev).
En présence des autorités organisatrices (le GART, Groupement des Autorités Responsables de Transport), des représentants des usagers, tous réunis à la même table, je leur ai demandé d'engager rapidement des discussions avec les partenaires sociaux en vue de conclure sous 6 mois des accords collectifs de prévention des conflits du travail inspirés de l'alarme sociale de la RATP
En ce qui concerne le deuxième axe de travail, la continuité du service public, je vous avais fait part de ma " totale conviction qu'avant toute décision, un travail de fond juridique, social et technique, (devait) être préalablement accompli par un petit groupe d'experts... "
Je vous avais indiqué que le groupe " devrait rendre ses conclusions définitives au plus tard l'été prochain. ",
J'installais le 12 février la commission sur la continuité du service public dans les
transports de voyageurs. Placée sous la présidence de M Dieudonné MANDELKERN, président de section honoraire au Conseil d'État, elle était composée de 9 personnalités indépendantes , juristes universitaires et dirigeants ou anciens dirigeants d'entreprises de transport .
Sa mission était double:
- examiner les conditions juridiques de mise en place de la continuité du service public dans le secteur des transports en période de crise,
étudier les modalités techniques les plus pertinentes pour assurer cette continuité dans chaque mode de transport, en maintenant prioritaire un haut niveau de sécurité pour le personnel et les usagers.
A ma demande, la Commission a consacré quatre mois à des auditions et rencontres de l'ensemble des partenaires sociaux du secteur (confédérations syndicales et principales entreprises) et de représentants des voyageurs. La Commission m'a remis son rapport le 21 juillet et a présenté ses conclusions à la presse l'après-midi même. Je ne reviendrai pas en détail sur ses préconisations, qui sont j'insiste, les préconisations de la Commission et n'engagent donc pas, en tant que telles, le Gouvernement.
Après avoir dressé un état des lieux de la conflictualité actuelle, la Commission a souligné la difficulté à concilier non pas deux mais trois principes fondamentaux : le droit de grève, la continuité du service public, mais aussi la libre administration des collectivités territoriales .
La commission a proposé plusieurs outils:
- 1er outil : réduire le recours à la grève : ce sont les dispositifs d'amélioration de la prévention des conflits, avec renforcement du dialogue et allongement du délai de préavis à 10 jours
- 2ème outil : quand cette grève n'aura pu être évitée, prévoir ses conséquences afin que les entreprises puissent concevoir et assurer le meilleur service possible pour les usagers ; ceci inclut notamment la très contestée "déclaration individuelle de grève ", la définition de " priorités de service " par les entreprises, et la garantie aux usagers d'un " droit d'information préalable et gratuite " sur le service qui sera assuré en cas de grève
- 3ème outil : la Commission a esquissé les grandes lignes d'une garantie de service - en soulignant les fortes difficultés constitutionnelles et techniques de la réquisition
- 4ème outil : enfin, elle a souligné l'intérêt d'une " Autorité Administrative Indépendante " dotée de pouvoirs lui permettant d'assurer un rôle de garant de la bonne application de l'ensemble des mesures qui seront adoptées.
J'ajoute qu'en plus de ces préconisations, la Commission était je cite " convaincue qu'un engagement collectif et contractuel autour de ces mesures peut conduire à une amélioration significative de la continuité du service.".
Comme je m'y étais engagé, j'ai mené dans la foulée une concertation me permettant de faire réagir les invités sur les propositions du rapport Mandelkern et d'échanger sur les termes et le contenu de la future réforme.
J'ai mené, avec François GOULARD, 22 rendez-vous concentrés sur le mois de septembre , autour de 5 types d'interlocuteurs : les organisations syndicales, les associations d'usagers, les autorités organisatrices, les dirigeants d'entreprises et des parlementaires.
Que m'ont dit ces interlocuteurs ?
Les organisations syndicales à l'égard des principales mesures du rapport Mandelkern ont montré un consensus à l'égard du renforcement des dispositifs de prévention des conflits.,.
Concernant la prévisibilité et l'information des voyageurs en amont de la grève, les organisations syndicales sont favorables à des dispositions obligeant les entreprises à mieux informer les usagers avant et pendant la grève. Elles sont en revanche unanimement hostiles à la mesure consistant à demander aux salariés de se déclarer grévistes ou non 48 heures avant le début du conflit. Cette proposition apparaît bien comme celle cristallisant le plus fort rejet de la part des organisations syndicales. La définition par les autorités organisatrices, sur habilitation législative, de besoins essentiels devant être satisfaits en temps de grève éventuellement par voie de réquisition, suscite également une forte hostilité. Cette proposition est vécue comme une attaque à l'égard du droit de grève .
En revanche la priorisation du service réalisable en temps de grève par les autorités organisatrices, grâce à une affectation optimale des agents non grévistes, est beaucoup plus consensuelle.
Concernant la création d'une autorité indépendante, beaucoup d'organisations syndicales concèdent un certain intérêt si cela peut faciliter le dialogue social.
Enfin, l'ensemble des organisations syndicales m'ont déclaré que le passage en force
comprenant le recours à une loi limitant le droit de grève, serait vécu comme un casus belli par la base. Cette position est commune à toutes les organisations syndicales, même les plus modérées d'entre elles. Le recours à la loi limitant le droit de grève est rejeté même si j'ai perçu une certaine ouverture lorsque j'ai évoqué une loi de liberté couronnant les accords contractés.
Les trois associations d'usagers reçues (la Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports, l'Union Nationale des Associations Familiales, la Fédération des Usagers des Transport) ont toutes exprimé une position de réelle modération et de soutien à la démarche que j'avais engagée. Elles se sont toutes déclarées hostiles au recours à une loi limitant le droit de grève, soit parce qu'elles craignent des réactions sociales très dures pénalisant les usagers , soit qu'elles considèrent que le recours à l'accord d'entreprise est la meilleure méthode .
S'agissant des entreprises de transport, j'ai indiqué à l'Union des Transports Publics (UTP) mon regret de ne pas les avoir déjà vus s'engager dans la concertation au sujet de la prévention des conflits. Les présidents de la SNCF et de la RATP considèrent que la voie de l'accord négocié est certainement la meilleure.
Enfin, concernant les autorités organisatrices, l'Association des Départements de France a refusé de venir débattre du sujet, le président de l'Association des Maires de France a exprimé la position officielle de son association en annonçant qu'il était hostile au recours à une loi réglementant et limitant le droit de grève mais pourrait être favorable à des dispositions législatives favorisant les accords d'entreprises dans ce domaine. Le président de l'Association des Régions de France s'est refusé à toute position officielle sur le sujet et a manifesté la plus grande prudence et une réelle hostilité à des mesures limitant le droit de grève dans les transports. Enfin, le président du GART s'est déclaré favorable à la définition des besoins essentiels en matière de transports publics par les autorités organisatrices.
Je ne commenterai pas la position des parlementaires que vous connaissez au moins aussi bien que moi. Si la satisfaction des attentes de l'opinion publique concernant une réforme de la continuité du service public fait consensus, la méthode pour y parvenir fait néanmoins débat au sein des groupes. Mais nous échangerons sur le sujet dans quelques minutes.
Enfin, parallèlement à cette démarche, vous savez qu'un certain nombre d'enquêtes qualitatives et quantitatives ont été diligentées auprès des français - usagers ou non.
Cette batterie d'enquêtes m'a permis de mieux comprendre l'opinion réelle des français sur ce sujet.
Pour faire court, j'ai découvert un rapport 70/30.
Dans les 30, il y a les 15% de français totalement hostiles à toute réglementation sur ce sujet, et les 15% de français qui veulent à tout prix régler le problème par la loi, quoi qu'il en coûte au droit de grève.
En revanche, j'ai découvert avec intérêt que 70% des Français souhaitent résoudre le problème par une démarche contractuelle et équilibrée. J'ai aussi découvert l'extrême attention de la population à toutes les mesures qui peuvent être prises en matière d'information et d'organisation en période de conflit.
Après le temps des constats - qui ont débuté par un tour d'Europe, initiative unique, et un débat devant votre Assemblée-, après le temps des préconisations -vous y avez contribué, et je vous en remercie, la Commission Mandelkern a également produit un précieux travail sur ce sujet-, après le temps des concertations et incitations - et je m'y suis personnellement et ambitieusement engagé avec l'ensemble des acteurs, et de façon amplifiée ces derniers mois-, le temps des premiers résultats est maintenant venu.
Nous sommes aujourd'hui, vous le savez, à une période charnière, avec l'avancée réelle que constitue l'accord SNCF, accord majoritaire s'ajoutant au dispositif RATP déjà existant.
Permettez-moi un retour sur l'accord signé à la SNCF la semaine passée Personne ne croyait qu'il pourrait voir le jour. Il a pourtant été signé par des organisations syndicales représentant 80 % des personnels, dont la CGT ; laquelle CGT ne s'est jamais engagée sur ce type d'accord jusqu'à présent.
Pourquoi cette signature et cette amélioration dans le dialogue social ? Certes, la signature de l'accord par la CGT est un signe très clair d'ouverture de la centrale ; mais cette évolution n'est évidemment pas uniquement endogène, elle est due à l'évolution du contexte extérieur que le Gouvernement réussi à instaurer.
Je vous le dis, il existe des espaces de consensus, et nous en avons trouvé. Tout le travail de dialogue, d'écoute et de détente du climat social que François Goulard et moi avons mené a permis de créer les conditions de cette avancée fondamentale
pour la prévention des conflits.
Vous le savez, et c'est une philosophie personnelle, pour toute avancée dans le domaine social, et en particulier lorsque l'on aborde le sujet ô combien explosif du droit de grève, l'accord entre les parties me parait toujours préférable,. Je ne peux vous affirmer à ce stade si la loi sera indispensable ou non, mais une chose est sûre, elle renverrait nécessairement à des accords qui sont donc eux nécessaires. Ce qui est consenti est toujours mieux appliqué ; si nous parvenons à des accords sur l'ensemble des sujets et des secteurs - et j'insiste sur le fait que ces accords doivent recouvrir les trois étapes clés (prévention, prévisibilité, et continuité des services publics en temps de grève )les Français auront gagné une vraie amélioration de leur vie quotidienne..
C'est mon obsession d'améliorer la situation des usagers en défendant le service public et en respectant le droit de grève.
S'appuyant sur cette négociation positive qui vient de s'achever et sur cet accord, je souhaite poursuivre ces négociations, dans les semaines qui viennent.
Je perçois déjà d'autre signes très clairs de progrès :
- à la RATP, la présidente vient de présenter à son conseil d'administration vendredi dernier ses orientations pour sa nouvelle mandature. Mme IDRAC a inscrit dans ses priorités d'actions " le dialogue social et le management décentralisé pour garantir la continuité du service ". Les résultats de la démarche de prévention des conflits, la qualité du dialogue social au bon niveau, et le sens des responsabilités de tous les partenaires internes me rendent confiant quant aux capacités de la RATP de franchir de nouvelles étapes . D'abord, renforcer l'alarme sociale pour réduire la conflictualité ; ensuite, lorsque malgré tout, des perturbations sont inévitables, mettre en place des dispositifs de prévisibilité et de continuité à la hauteur des espérances de l'ensemble des usagers. Ses objectifs portent sur une information donnée 24 heures auparavant aux voyageurs sur le niveau de perturbation, une information en temps réel et gratuite sur l'état précis et détaillé du trafic par tous les moyens modernes de communication. Sur la continuité en période de conflit, la RATP fera avant la fin de l'année des propositions sur la garantie d'un niveau de service.
- à la SNCF, une nouvelle phase de négociation doit avoir lieu à présent sur l'aspect prévisibilité, en parallèle de la mise en place au sein de l'ensemble des établissements du dispositif sur la prévention signé la semaine passée
- au niveau global des transports terrestres de voyageurs, toutes les fédérations syndicales ont affirmé, par communiqué la semaine passée, leur disponibilité pour améliorer le dialogue social et régler les conflits. Un projet d'accord de branche sur la prévention des conflits sera présenté par l'UTP aux organisations syndicales le 7 décembre prochain.
Je tiens personnellement à ce que cette méthode et ce rythme soient maintenus pour les prochaines semaines , et m'engage devant vous sur les avancées à obtenir dans les trois domaines et selon un calendrier que je vous précise :
- pour la prévention : comme je vous l'ai dit, un accord de branche sera présenté par l'UTP le 7 décembre prochain et discuté avec les organisations syndicales. Ce secteur des transports en région est vaste puisqu'il concerne 170 entreprises. Compte-tenu de la variété des réseaux dans ce secteur, les discussions devront s'effectuer à un rythme réaliste et prendront lesquelques mois nécessaires
- pour la prévisibilité et l'information des voyageurs dans les périodes de conflit : la RATP s'est engagée à entamer avant la fin de l'année les discussions poussées sur ce point. Un nouveau tour de négociation devra également débuter à la SNCF dés le premier trimestre 2005
- pour la continuité du service en temps de grève : je souhaite que les discussions entre les autorités organisatrices et les entreprises s'engagent dés novembre.
- Il s'agit en effet pour les autorités organisatrices de définir les priorités du trafic à assurer en temps de grève, qu'il s'agisse de liaisons ou d'horaires (aux heures de pointe par exemple), et pour les entreprises de satisfaire cette priorité à partir d'une utilisation optimale des personnels non grévistes. De plus, la RATP me fera avant la fin de l'année des propositions sur la garantie d'un niveau de service en période de conflit que l'entreprise pourra annoncer aux usagers.
Enfin, je mettrai en place une autorité indépendante. Le décret de sa création sera publié à la fin du premier trimestre 2005 . Cette autorité aura un rôle de garant de la bonne application des accords et engagements de chacun, ainsi qu'une mission d'observation des pratiques et de leurs résultats.
Fort de la première étape franchie la semaine passée, ma détermination est donc totale pour persévérer dans cette voie d'un droit de grève plus respectueux des usagers.
Je recevrai avant la fin du mois la présidente de la RATP, le président de la SNCF, le président de l'UTP et les représentants des autorités organisatrices pour leur faire part du contenu et du calendrier que je viens de vous révéler.
Vous le voyez, les prochaines étapes et les résultats à obtenir sont parfaitement identifiés. La méthode qui a très bien réussi jusqu'à maintenant doit impérativement être conservée ; cette voie de la pédagogie, de la négociation et de la signature d'accords est bien celle à laquelle sont attachés les français puisqu'une très grande majorité d'entre eux sont en faveur de la mise en place d'une continuité du service public par la voie contractuelle.
Continuons à donner sa chance à l'accord. La loi ne doit en effet venir qu'en cas d'échec de ces accords.
Je vous remercie de votre attention. Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions, et j'écouterai avec attention toutes vos réflexions et propositions.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 5 novembre 2004)