Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur la politique de la recherche, et le rôle de l'Etat dans la promotion et la mobilisation de la recherche suite à la consultation nationale sur les objectifs de la recherche, à Paris le 10 janvier 1995.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Mise en place du Comité d'orientation stratégique de la recherche, Paris le 10 janvier 1995

Texte intégral

Mesdames, Messieurs
L'avenir et le rayonnement d'un pays, la souveraineté d'une nation se mesurent à l'excellence des recherches qui y sont menées.
Quels sont les objectifs de la recherche ?
- développer les connaissances scientifiques sur lesquelles tout repose,
- innover, améliorer la compétitivité des entreprises, favoriser la création d'emploi,
- comprendre les grands problèmes auxquels notre société est confrontée, et répondre ainsi aux attentes de la population.
Le niveau scientifique d'une nation se définit par l'équilibre quelle parvient à trouver entre ces différents objectifs.
La faiblesse relative de la recherche en entreprise donne, dans notre pays, une importance accrue aux pouvoirs publics par rapport à ce qui s'observe dans les autres grands pays étrangers. Le Gouvernement se devait donc de s'interroger sur son rôle. C'est pourquoi le ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche a engagé une consultation nationale sans précédent sur la recherche. Rien de tel n'avait été fait depuis douze ans.
Cette consultation a permis de mettre en évidence quelques caractéristiques importantes et communes à toutes les formes de recherche :
- la croissance des coûts, qui donne toute son importance à la continuité des actions ;
- la réduction des constantes de temps, qui caractérise toutes choses aujourd'hui et la recherche parmi elles ;
- la spécialisation croissante des connaissances, qui rend les appréhensions globales plus difficiles ; aussi restreint que soit le Gouvernement que je dirige, 17 ministres sont concernés par le budget civil de recherche et développement ;
- l'importance de la communication, entre chercheurs bien sûr, mais également avec le public qui doit savoir dans quelles directions la science travaille, quels risques peuvent s'ensuivre, comment ses attentes seront satisfaites.
La promotion et la mobilisation de la recherche sont donc un devoir d'État. Il revient au Gouvernement d'adopter une politique de la recherche et de la technologie définie avec clarté conçue en étroite concertation et régulièrement débattue devant le parlement. La légitimité de l'État n'est pas à démontrer dans ce domaine. Il faut toutefois déterminer les modalités de son action. Comment concilier le contrôle qui doit s'exercer et la liberté qui définit et fait vivre la recherche?
Il serait vain de diriger la découverte en recherche fondamentale, ou même l'innovation. En revanche, une certaine planification des moyens consacrés aux grands équipements, à la recherche appliquée ou aux transferts de technologie est plus facilement concevable.
La recherche se gère dans la continuité, dans la cohérence, dans le souci de l'équilibre. L'État doit savoir déléguer, sans pour autant abandonner son pouvoir d'orientation. Les inflexions durables dans ce domaine ne résultent pas de décisions précipitées. Elles se fondent sur des acquis.
La stratégie a pour objet de fixer un cadre concerté. L'importance du sujet nous conduit à récuser les choix arbitraires et les effets "de mode", privés de l'avenir que donne seule la véritable logique scientifique. Nulle décision gouvernementale ne peut être durable et efficace sans une adhésion forte des esprits, sans un débat clair et approfondi. Cela vaut également pour la politique de la recherche.
Il est temps d'installer le dispositif de réflexion stratégique qui nous fait défaut. Permanent, impliquant les divers secteurs d'activité, comme l'ensemble du Budget civil de recherche-développement, nous avons voulu qu'il fût apte à épouser la dynamique propre de la recherche.
Je souhaite qu'au sein du comité d'orientation stratégique, vous formiez, mesdames et messieurs, le coeur de ce dispositif. Le gouvernement a choisi une instance d'analyse et de synthèse restreinte, légitimée par ses compétences, pour l'informer et le conseiller dans l'élaboration de la stratégie nationale de recherche.
Votre tâche est difficile. Peu nombreux, vous devrez pourtant promouvoir une vision globale en matière de recherche et de technologie et prendre tous les facteurs d'analyse en compte. Vous avez accepté cette mission. Je vous en remercie. La diversité de vos fonctions vous aidera à atteindre cet objectif.
Je vous demanderai, cela ne vous surprendra pas, de faire preuve de rigueur et de souplesse tout à la fois.
Rigueur dans une analyse aussi large que possible des sujets concernés par la recherche. La stratégie de recherche dépasse les seuls domaines de la recherche et de la technologie et s'étend à l'innovation en entreprise.
Souplesse pour prévoir, si faire se peut, l'imprévisible. Nous devrons nous adapter à des demandes nouvelles ou à des percées scientifiques inattendues. Il faut donc ménager des degrés de liberté. La communauté scientifique sait que ses succès naissent de la liberté d'entreprendre. Elle se défie, à juste titre, de toute entrave.
Vous aiderez le Gouvernement à définir un outil qui favorise la cohérence de son action au sein de nombreuses politiques sectorielles dans les domaines de la santé, de l'environnement, de la ville, des transports, de l'espace et des télécommunications ou encore de l'énergie et de l'agriculture. Cette stratégie doit, enfin, permettre de faire collaborer recherche militaire et recherche civile.
Le gouvernement compte sur vous pour l'éclairer sur toute question d'intérêt stratégique qui touche à la recherche ou à la politique scientifique. Inversement, il examinera attentivement tout avis que vous aurez l'initiative d'émettre sur ces sujets.
Vous disposerez pour vos travaux du soutien de l'administration du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi du concours de toutes les instances susceptibles d'apporter leur contribution, telles que l'Institut de France, le Commissariat Général du Plan ou encore les comités de prospective réunis par les ministères.
Grâce à votre concours, une étape importante est franchie dans l'application des conclusions de la consultation nationale sur la recherche. Le travail interministériel se poursuit en ce moment, afin que d'autres mesures concrètes voient le jour. Parallèlement, une meilleure organisation du CNRS renforcera la recherche universitaire.
Grâce à vous, la politique de recherche de la France sera digne de ses traditions et de ses aspirations.