Interviews de Mme Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées, dans "Le Journal du Dimanche" du 14 décembre 2003 et sur le site "www.forum.gouv.fr" le 16 décembre 2003, sur le projet de loi instaurant un droit à la compensation du handicap, la clôture de l'année européenne des personnes handicapées et le budget 2004 consacré aux personnes handicapées.

Prononcé le

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Modérateur : Bonjour, nous sommes très heureux de recevoir Marie-Thérèse Boisseau, Secrétaire d'Etat aux Personnes Handicapées.
Bonjour à tout le monde, je suis très heureuse de répondre à vos questions.
Sam : Comment se met en place en France l'année européenne du Handicap ?
Se met en place ? En fait, elle se termine. La clôture de l'année européenne a eu lieu à Rome le 5 décembre et à Paris le 15 à L'Unesco en présence du Premier Ministre. Le premier bilan de cette année apparaît très positif : 7 forums dans diverses grandes villes de France sur le thème " Tous ensemble : apprendre, travailler, se cultiver.. ensemble ". Ces forums ont réuni plusieurs centaines de participants très actifs. Parallèlement, 700 actions menées par des individuels, des associations, des collectivités locales ont été labellisées voire financées. L'ensemble de ces manifestations a contribué nettement à faire évoluer les mentalités dans notre pays. Il s'agit maintenant de ne pas laisser retomber le soufflé et que l'année 2004 constitue une nouvelle étape pour l'intégration des personnes handicapées. L'élément marquant de cette année sera le vote d'une nouvelle loi sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées.
Henry : Quel est le budget dont vous disposez au sein de votre Secrétariat et vous semble-t-il correspondre aux actions que vous souhaitez mener ?
Dans un contexte de rigueur budgétaire, les budgets concernant les personnes handicapées ont été préservées en 2003 et en 2004 selon le voeu du Président de la République qui en a fait un de ses trois chantiers prioritaires. Ils s'élèvent globalement chacun à 6 milliards. Auxquels il faut ajouter le budget des collectivités locales, de l'ordre de 3 milliards. Ces budgets m'ont permis de doubler le nombre de nouvelles places en CAT (Centre d'aide par le travail) et en MAS (Maison d'accueil spécialisé) en 2003 et en 2004. Parallèlement ils m'ont permis de commencer à développer les services d'éducation spécialisée et de soin à domicile (SESSAD). Il faut ajouter le doublement des postes d'auxiliaires de vie en 18 mois. Il convient de signaler aussi le quintuplement des postes d'auxiliaires de vie scolaire pour enfants handicapés dès la rentrée 2003 dont le financement est assuré par le budget de l'Education nationale.
Gus : Quelles sont les mesures selon vous les plus urgentes à prendre ?
C'est une très vaste question. Nous avons un retard de plusieurs décennies en matière d'intégration des personnes handicapées. J'ai conscience que les besoins sont immenses et les priorités nombreuses. Je citerais l'accessibilité avant tout de tous à tout. Tous, c'est à dire tout type de handicap (moteur, sensoriel, mental et psychique) à toutes les activités de la cité. Pour cela, il faut déjà que la cité soit accessible, je parle des logements, des lieux publics, des transports, de la voirie etc. Je pense aussi à l'accessibilité à l'école pour tous les enfants handicapés sous une forme ou sous une autre et à l'intégration professionnelle pour un plus grand nombre de personnes handicapées, et à la possibilité pour chacun de choisir son mode de vie, soit en établissement, soit à domicile avec les aides nécessaires.
Elma : Avez vous rencontrer vos homologues européens à l'occasion de cette année européenne du Handicap et quelles méthodes vous ont particulièrement intéressées pour poursuivre votre action politique en la matière ? merci beaucoup madame
Merci Madame de votre question.
J'essaie à la fois d'approfondir la politique française en matière de handicap et de la rendre plus lisible et, également, de l'enrichir d'autres expériences européennes. C'est ainsi que je me suis rendue en Suède où j'ai particulièrement apprécié les efforts faits en matière d'accessibilité de la ville et du maintien à domicile des personnes très lourdement handicapées; en Italie, où l'intégration scolaire est particulièrement intéressante même si elle n'est pas totalement transposable dans notre pays; en Espagne où le Ministre des Affaires sociales, M.Zaplana, m'a exposé un modèle très intéressant de transmission du patrimoine en faveur des personnes handicapées J'ai pu également m'entretenir au niveau du Conseil de l'Europe avec d'autres responsables politiques européens et avec Madame Anna Diamantopoulou, Commissaire Européen aux Affaires Sociales. Nous avons décidé de proposer un guide des bonnes pratiques des chefs d'entreprise qui embauchent des personnes handicapées à l'échelle européenne.
ALI : C'est bien joli, ces chiffres, mais concrètement? Quand aura-t-on une ville accessible? Des transports accessibles? Des aides même avec une invalidité moindre?
Dans la Loi de 2004 Monsieur, des normes d'accessibilité plus sévères seront prescrites : toute construction neuve devra être accessible; toute rénovation dans un bâtiment ancien devra respecter les normes d'accessibilité, et dans des décrets d'application, une date butoir sera annoncée. De même, une charte d'accessibilité a été signée avec La SNCF et RFF avec un objectif très précis de davantage de places pour fauteuils roulants dans les trains et l'accessibilité des gares et des quais. Et ceci sous quelques années. Dans la Loi, sera également précisée la nécessité de la chaîne de l'accessibilité, collectivité locales, transports, et civisme des usagers.. L'allocation adulte handicapé (AAH) sera maintenue avec des incitations financières supplémentaires pour ceux qui travailleront et la compensation du handicap chaque fois que nécessaire.
Fab : Avant même de prendre en charge la gouvernance de ce Secrétariat, étiez - vous déjà impliquée dans le combat auprès des personnes handicapées ?
En tant que députée, j'ai rencontré de nombreuses personnes handicapées et j'étais en contact permanent avec les établissements de ma circonscription (IME, CAT, foyers occupationnels, foyers d'hébergement, MAS et foyers d'accueil médicalisé). En 2001, j'avais déposé une proposition de Loi visant à permettre aux personnes handicapées en fauteuil roulant qui travaillaient de partir à la retraite à 55 ans.
prune : Votre cheval de bataille a l'air d'être l'accessibilité et c'est très bien mais quid de la réinsertion sociale des handicapés suite à un accident?
La réinsertion sociale des personnes handicapées est mon objectif final, l'accessibilité n'étant qu'un moyen. Je plaide pour que les établissements qu'ils soient pour enfants ou pour adultes s'inscrivent le plus possible dans la vie de la cité afin que les personnes handicapées puissent participer au mieux à toutes les activités culturelles, sportives, artistiques ou associatives en tant que spectateurs mais aussi tant que faire se peut comme acteurs. L'insertion sociale des personnes handicapées passent aussi par une activité professionnelle même à temps très partiel quand le handicap est trop lourd.
Afred : Pensez vous que le PM Raffarin vous assiste dans votre action ?
Le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin suit comme le Président de la République de très près toutes les initiatives prises par mon ministère. C'est ainsi qu'il était présent hier à la clôture de l'année européenne des personnes handicapées où il a exprimé très clairement la volonté du gouvernement de favoriser au mieux l'intégration des personnes handicapées. Il a annoncé que la nouvelle loi qui part ces jours-ci au Conseil d'Etat sera bien présentée au conseil des Ministres fin janvier et discutée dans la foulée dès le mois de février en première lecture au Sénat. Enfin, je sais gré au Premier ministre d'avoir protégé en 2003 et en 2004 les budgets me concernant et de m'avoir permis d'accélérer la création de nouvelles places en établissement et de services à domicile.
Dominique Burger : Connaissez vous le métier d'ergonome ? Il faudrait le développer pour aider le maintien dans l'emploi mais aussi l'accessibilité d'une manière générale.
L'intégration des personnes handicapées dans notre société dépend d'une bonne loi, de la générosité de nos concitoyens et, bien évidemment, selon le type et le degré du handicap, d'un accompagnement médico-social très diversifié et très pointu. C'est pourquoi dans l'avant-projet de loi seront reconnues un certain nombre d'activités para-médicales. Parmi ces métiers : orthoprothèsiste, occulariste, orthopédiste-orthoptistesiste .
Aenir31 : Quelles sont les nouvelles mesures pour favoriser l'intégration sociale et scolaire des enfants handicapés en milieu ordinaire ?`
L'intégration scolaire est une de mes priorités que je partage avec le ministre de l'Education Nationale. Nous souhaitons que davantage d'enfants handicapés puissent bénéficier d'une meilleure scolarité, de préférence en milieu ordinaire. Dès la rentrée 2003, le ministre de l'Education nationale a créé 5000 postes supplémentaires d'auxiliaires de vie scolaire. Il a par ailleurs doublé le nombre d'unités pédagogiques d'intégration (UPI) en collège et, dès l'année prochaine une formation spécialisée sera dispensée aux futurs enseignants dans les IUFM concernant le handicap. Parallèlement aux efforts de l'Education nationale, je renforce
progressivement les SESSAD pour que les enfants puissent à la fois bénéficier de l'aide de l'Education Nationale et d'un accompagnement médico-social quand ils en ont besoin. Un certain nombre d'enfants se trouvant en établissement doit pouvoir suivre une scolarité en milieu ordinaire laissant ainsi la place à des enfants plus lourdement handicapés qui sont aujourd'hui totalement à la charge de leurs parents et ne bénéficient d'aucun enseignement.
Vanille : pourquoi les parents sont toujours mis de cote lorsqu'il s'agit de l'avenir de leurs enfants (cdes-ccpe etc) ???
Toujours est un grand mot mais il est vrai que les parents ne sont pas toujours suffisamment associés aux décisions qui engagent l'avenir de leurs enfants. Dans la loi de 2004, sera créée dans chaque département, une maison du handicap où toute famille sera accueillie, écoutée, informée, conseillée et où une équipe pluridisciplinaire regroupant la CDES et la COTOREP, ainsi que le site de la vie autonome statuera sur le handicap et prendra les décisions nécessaires à sa compensation. A tout niveau les parents seront associés.
Jed : Pensez vous que le handicap demeure toujours un tabou au sein de la société et comment y remédier ?
Au cours de cette année européenne j'ai fait de très nombreux déplacements sur le terrain et j'ai rencontré le meilleur et le pire. Il est certain qu'un certain nombre de nos concitoyens ont peur du handicap, ont tendance à l'ignorer de ce fait parce qu'ils le méconnaissent. C'est particulièrement net au niveau des entreprises puisque 37 % d'entre elles refusent d'embaucher des personnes handicapées, mais dans le même temps 87 % des chefs d'entreprise qui ont accepté cette aventure en sont fiers et heureux ainsi d'ailleurs que leurs salariés. J'ose espérer que les très nombreuses manifestations de 2003, que les multiples explications de la loi de 2004 aideront à mieux faire connaître les problématiques du handicap et donc à faire évoluer les mentalités dans le sens d'une plus grande ouverture. N'oublions jamais que le handicap est à la porte de chaque famille sous forme d'un accouchement difficile, d'un accident de la route ou d'un problème de santé.
Pauline : Que pensent les associations de votre action politique ? Et êtes vous régulièrement en discussion avec elles ?
Cette question, il vaudrait mieux la poser aux associations elles-mêmes ! Tout ce que je peux vous dire c'est que depuis le début, j'ai le souci du dialogue, de la concertation, consciente que je suis que le défi du handicap est un beau mais difficile défi que nous ne relèverons que tous ensemble. Je reçois presque quotidiennement au ministère des individuels, des familles, des associations et des partenaires sociaux. Je suis de près les travaux du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) et de ses groupes de travail ainsi que du comité d'entente. J'ai également demandé aux préfets d'organiser des consultations sur le terrain au printemps dernier avec tous les protagonistes du handicap, et la synthèse de leurs travaux nous a beaucoup servi pour l'élaboration de la loi.
Modérateur : Merci beaucoup le mot de la fin ?
J'ai conscience de n'avoir pas eu le temps de répondre à toutes vos questions. Elles étaient très nombreuses et très variées et j'ai choisi pour ce premier échange d'aborder les sujets les plus généraux. Vous pouvez consulter le site www.handicap.gouv.fr et également consulter la synthèse du forum sur le handicap sur www.forum.gouv.fr
Merci à tous pour la qualité de vos questions et la richesse des échanges.
(source http://www.forum.gouv.fr, le 18 décembre 2003)