Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à RTL le 7 novembre 2003, sur le plan d'aide aux personnes âgées, notamment la mise en place d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale et la Caisse nationale pour l'autonomie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie Bonjour F. Fillon.
- " Bonjour. "
On ne peut pas dire que l'accueil soit enthousiaste ce matin au plan d'aide aux personnes âgées que J.-P. Raffarin a présenté hier à Matignon, vous étiez d'ailleurs à ses côtés. Les syndicats sont critiques, le MEDEF est distant, les représentants des maisons de retraite jugent l'effort insuffisant, et même la presse - je ne sais pas si vous avez eu le temps de la lire ce matin, F. Fillon ?
- " Non. "
Personne n'est très content. Est-ce que vous êtes déçu, surpris, agacé par cet accueil plutôt frais ?
- " Non, je ne suis ni déçu, ni agacé. Vous savez c'est une affaire très très difficile. Les associations le reconnaissent elles-mêmes. Cela fait vingt ans qu'on a pris du retard s'agissant de la question de la prise en compte du vieillissement. On ne peut pas, en un tour de main, rattraper vingt ans de retard. Le plan que nous mettons en place est le plus ambitieux qu'on pouvait imaginer. D'ailleurs c'est le plus ambitieux finalement, s'agissant de cette question, depuis que la Sécurité sociale existe. Je pense que certains aspects de ce plan ont encore échappé aux commentateurs. "
Lesquels ?
- " Le plus important, c'est que... "
Quels aspects du plan ?
- " ... Nous créons au fond une nouvelle branche... "
Attendez. Quels aspects du plan ?
- " Celui-là : une nouvelle branche de la Sécurité sociale. Ca a été un long débat. Est-ce qu'il faut simplement rajouter ici un peu de financement pour faire quelques places de maisons retraite supplémentaires, ou est-ce qu'il faut mettre en place une architecture qui crée des nouveaux droits pour les personnes âgées et pour les handicapés ? Donc avec la Caisse nationale pour l'autonomie que nous mettons en place, c'est une nouvelle branche de la Sécurité sociale. C'est donc une évolution du système hérité depuis 1945. "
Sans entrer dans la technique, le Premier ministre a dit hier que cette nouvelle branche ne gérerait pas "le risque". Il l'a plutôt présentée comme le "réceptacle" des cotisations que vous allez prélever.
- " Oui, parce qu'il s'agit de ne pas reproduire dans cette nouvelle branche, ce que nous reprochons actuellement au fonctionnement de la Sécurité sociale elle-même. Et donc l'idée, c'est que cette caisse assure la solidarité nationale, et l'égalité des droits sur le territoire, mais elle est gérée par les départements, de manière à ce que l'effet de proximité, qu'on recherche dans la décentralisation, soit assuré. Deuxièmement, c'est un plan sur quatre ans. Quand j'entends dire qu'il faut 40 000 places alors qu'on n'en offre que 10 000, c'est les quatre premières années naturellement ! Le plan va continuer à se dérouler. Mais à tous ceux qui critiquent la modestie des objectifs sur quatre ans, je dis : est-ce que, sincèrement, on pouvait faire plus que 9 milliards d'euros ? Est-ce qu'il fallait supprimer deux jours fériés pour aller plus vite dans le rattrapage du retard ? Je crois qu'il faut être raisonnable. C'est le rôle des associations naturellement de réclamer plus, mais dans le contexte économique actuel, compte-tenu du retard accumulé, c'est vraiment un plan qui est historique. "
Parlons un peu de technique si vous voulez bien : la durée légale annuelle du travail est actuellement de 1 600 heures. Donc elle va être modifiée.
- " Elle va passer à 1 607 heures. "
Par la loi ?
- " Par la loi, bien sûr. Il n'y a pas d'autre solution que la loi. "
Et ensuite, il faut négocier des conventions collectives derrière ?
- " Non, la loi s'imposera à toutes les conventions collectives. Et, contrairement à la manière dont les choses sont présentées depuis quelques heures, c'est bien le lundi de Pentecôte qui sera la règle, sauf si dans les entreprises, les partenaires sociaux... "
Attendez. Le lundi de Pentecôte qui sera la règle de quoi ?
- " Qui sera la règle en terme de jour férié supprimé. C'est-à-dire que le lundi de Pentecôte sera un jour travaillé, ce sera la règle au plan national. "
Ce ne sera plus un jour férié.
- " Ca ne sera plus un jour férié. Mais si dans une entreprise, ou dans une branche, les partenaires sociaux souhaitent choisir un autre jour pour cette journée de solidarité, ils pourront le faire. Mais c'est quand même bien le lundi de Pentecôte qui sera la règle. "
La contribution de l'Etat : 0,3 % représente quel volume ?
- " La contribution, je n'ai pas le calcul en tête, mais la contribution de l'Etat c'est la même que celle des entreprises. C'est-à-dire que c'est 0,3... "
Oui mais quel volume ? Ca va coûter combien à l'Etat ? Puisque vous avez vous-même fait des réductions budgétaires.
- " Ca va coûter à l'Etat autant qu'il a de personnels. C'est tout à fait proportionnel. "
Ce n'est plus chiffré aujourd'hui.
- " Si, bien sûr c'est chiffré, je n'ai pas le chiffre en tête mais c'est proportionnel au nombre de salariés et de fonctionnaires. "
Ca bien sûr c'est proportionnel, mais donc il y a un total mais on ne le connaît pas encore.
- " Mais si le total on le connaît parfaitement, c'est deux milliards. "
Le total pour l'Etat ?
- " Je n'ai pas le détail en tête. "
Je vous pose la question parce que vous avez économisé quelques centaines de millions d'euros...
- " Monsieur Aphatie, je ne suis pas comptable ! Je n'ai pas le détail en tête. "
Vous avez économisé quelques centaines de millions d'euros en supprimant l'ASS, et donc maintenant l'Etat a une nouvelle dépense.
- " Deux erreurs, Monsieur Aphatie : on n'a pas supprimé l'ASS. Non seulement on ne l'a pas supprimée, mais en plus on n'a fait aucune économie parce que, comme il y aura des transferts de l'ASS vers le RMI, et que l'Etat s'est engagé de la manière la plus solennelle qui soit à compenser ces transferts, il n'y a aucune économie dans cette opération ! "
Le diable est dans les détails, mais les commerces, notamment les commerces de tourisme, les restaurants par exemple, qui ouvrent déjà 365 jours par an, est-ce qu'ils seront exonérés de la taxe ?
- " Il y a une question difficile avec la restauration, en raison de la durée d'ouverture, et donc c'est un sujet qui sera traité dans la loi. "
Logiquement, ils devraient être exonérés ou pas ?
- " Logiquement, la solidarité doit s'adresser à tout le monde... "
Donc, même ceux qui ouvrent 365 jours par an ?
- "... Mais il y a des problèmes techniques qui mériteront d'être résolus, c'est pour ça qu'on commence d'ailleurs une concertation qui va prendre un certain temps sur ces sujets. "
On a entendu dans le journal de 18 heures d'H. Béroud hier, S. Casas, patron de la Feria de Nîmes dire : "voilà. Vous nous avez tué la Feria". C'était le lundi de Pentecôte. Vous, on vous voit quelquefois dans les enceintes taurines. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- " J'aime beaucoup S. Casas, mais, honnêtement, mettre d'un côté la Feria de Nîmes, et de l'autre côté la question de la solidarité avec les personnes âgées, et l'effort de travail que nous demandons aux Français pour essayer d'apporter une meilleure vie à des gens qui sont en situation de dépendance, je trouve qu'il y a quelque chose qui est indécent ! "
On a beaucoup lu et entendu que cette affaire vous avait plutôt brouillé avec le Premier ministre. Les services de Matignon ont dit avec insistance qu'ils cherchaient qui avait fait "fuiter" le projet gouvernemental la semaine dernière. Il y avait même ce titre de Libération : "Matignon a trouvé : c'est Fillon qui a "cafté". Vous êtes toujours fâché avec le Premier ministre ?
- " D'abord, mes relations avec le Premier ministre et moi-même ne regardent que le Premier ministre et moi-même. "
Ah ! Elles concernent un peu les citoyens tout de même.
- " Ceci étant, puisqu'on en parle. Je peux vous dire qu'elles sont franches, je peux vous dire qu'elles sont durables, je peux vous dire qu'elles sont empreintes d'une amitié qui est ancienne, mais qu'elles sont surtout empreintes de respect. Parce que J.-P. Raffarin fait l'objet de toutes les critiques aujourd'hui. La vérité, c'est qu'il fait un travail extrêmement difficile. Il essaie de remettre dans le sens du vent un bateau qui a été gouverné depuis des années par la démagogie, avec des usages de tranquillisants massifs. C'est une tâche extrêmement difficile, et il a tout mon soutien. "
Vous êtes loyal avec lui.
- " Je suis loyal avec lui. "
Vous n'avez pas envie de le remplacer ?
- " Et je ne me laisse pas impressionner par des péripéties médiocres mises en oeuvre par des gens médiocres ! "
Page 30 de l'Express - ce sera la dernière question - on lit ceci, présenté non pas comme une rumeur - je cite l'hebdomadaire - mais comme une information qui parcourt aujourd'hui la classe politique : "le chef de l'Etat a des problèmes d'audition. Et un collaborateur de l'Elysée avance même que l'oreille gauche du président serait discrètement appareillée". Est-ce que vous confirmez F. Fillon ?
- " Je suis totalement incapable de vous confirmer cette information. "
Vous ne l'avez pas entendue...
- " Ce qui m'étonne beaucoup, parce qu'au Conseil des ministres, on s'exprime sans micro autour de la table. Je n'ai jamais vu le président de la République manquer un détail des débats. "
Pour vous, ces questions-là sont tabou ? Les questions de l'état de santé du Président de la République ?
- " Ecoutez ! je me souviens que J. Chirac, il y a très longtemps, avait l'habitude de faire répéter plusieurs fois les phrases, notamment de ceux qui voulaient le mettre en situation difficile. Mais j'ai remarqué qu'au Conseil des ministres, il ne le faisait pas, ce qui montre bien que cette question ne doit pas exister. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 7 novembre 2003)