Déclaration de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, sur le rôle des SAFER en matière de politique foncière agricole, sur la préparation du projet de loi d'orientation agricole, sur la gestion de l'espace rural face au développement constant de l'urbanisme, sur le maintien de l'activité agricole, Versailles le 25 novembre 2004.

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Circonstance : Congrès de la Fédération nationale des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) : " Paysages, quel avenir ? Pour une gestion ménagère de nos espaces ruraux " à Versailles le 25 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de la FNSAFER, cher André THEVENOT,
Mesdames, Messieurs les élus,
Monsieur le Président de l'APCA,
Monsieur le Président de Jeunes Agriculteurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voudrais, en commençant, remercier André THEVENOT pour ses propos énergiques et son implication dans le débat en cours sur notre modèle agricole.
C'est avec un grand plaisir que je viens clore ce Congrès de la fédération nationale des Sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER).
Certes, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président, c'est la première fois qu'il m'est donné de m'exprimer à l'occasion de votre congrès et je m'en réjouis profondément, tant est forte ma conviction que les questions foncières se trouvent au coeur de la modernisation de notre agriculture. Mais j'avais déjà eu l'occasion, il y a tout juste un an, de participer à vos travaux dans le cadre du colloque sur la gestion du foncier rural.
Je veux d'abord rectifier un point. Vous m'avez fait, Monsieur le Président, un certain nombre de propositions en matière de politique foncière, suggérant que je les intègre dans " mon projet ". Ce n'est pas mon projet de loi. Ce qui compte c'est que ce projet soit le nôtre, à nous tous qui vivons de l'agriculture et croyons à son rôle éminent dans notre société et notre économie. Ce projet est celui de tous ceux qui vivent de nos campagnes et les font vivre.
Comme représentants des SAFER, vous êtes, pour certains, associés aux débats régionaux. Vous comprenez donc que je me réjouisse de constater, dans chacun de mes déplacements - à commencer par celui qui m'a conduit sur vos terres franc-comtoises - la vitalité de ces débats, le bouillonnement des initiatives, l'implication de l'ensemble des professionnels. Je m'en réjouis car cela prouve que nous avançons dans la bonne direction, que nous posons les vraies questions, que nous ouvrons un espace où débattre en vérité.
C'est tout le sens du projet de loi d'orientation agricole que le Président de la République m'a demandé de préparer.
La genèse du projet de loi d'orientation agricole
La réforme de la politique agricole commune et la nouvelle donne du commerce international renforcent, vous le savez, l'exigence de compétitivité de notre agriculture.
Nous devrons aussi revoir nos outils de régulation des marchés pour faire face aux crises et favoriser un fonctionnement harmonieux de nos filières entre l'amont et l'aval.
Le monde agricole, tout le monde s'accorde là-dessus, a connu de profonds changements.
Dans le même temps, les conditions de vie des Français ont considérablement évolué.
Le risque d'un fossé entre les conditions de vie de la majorité de la population et celles du monde rural est donc bien réel.
Ce fait n'est pas nouveau. Georges POMPIDOU, en son temps, avait des mots très justes pour décrire cette fracture :
" L'évolution des moeurs, l'évolution du niveau de vie font que les jeunes agriculteurs d'aujourd'hui, à plus forte raison ceux de demain, n'envisagent pas de vivre dans les conditions difficiles qui étaient celles de leurs parents ou de leurs grands- parents ".
Or, l'évolution des conditions de vie et de travail permet aujourd'hui de dresser la cartographie des nouvelles fractures sociales.
Voici la conclusion la plus frappante de ces analyses : si les campagnes périurbaines connaissent la plus forte croissance démographique du territoire ce n'est pas, comme on l'entend trop souvent, en raison de la multiplication des résidences secondaires. Non.
Si les campagnes périurbaines voient leur population croître fortement, c'est aussi en raison de l'afflux des populations les plus modestes, ne trouvant à se loger ni en centre-ville ni en banlieue et auxquelles les zones périurbaines offrent un refuge. L'inquiétant est que, cette inversion des courants migratoires, s'accompagne d'un fort sentiment de relégation, voire d'abandon, que l'on ne peut laisser sans réponse.
Je mesure, à chacun de mes déplacements, les évolutions sociales et économiques qui marquent nos campagnes : évolution de la place du conjoint dans l'exploitation, diversification des formes d'agriculture et d'exploitations, développement de la pluriactivité.
Je suis également, comme vous tous, sensible à l'évolution des attentes de la société à l'égard des agriculteurs en matière de qualité de l'alimentation, de respect de l'environnement ou encore de bien-être animal.
Vous avez, sur tous ces plans, parcouru un chemin considérable dont nos concitoyens n'ont sans doute pas encore pleinement pris la mesure.
Une triple ambition pour l'agriculture :
A travers ce projet de loi, il s'agit pour nous de poursuivre une triple ambition : économique, sociale et environnementale.
· Une ambition économique :
Le premier objectif de cette loi est de renforcer la compétitivité de notre agriculture.
Cela suppose à la fois d'alléger les charges, d'appuyer le développement des filières de qualité - par exemple les AOC - d'encourager les exportations, enfin d'accompagner le progrès technique et l'innovation.
Une nécessité absolue dans ce domaine est de mettre en place les outils qui permettront de faire face aux risques propres aux activités agricoles, qu'il s'agisse des risques climatiques, des risques sanitaires ou des risques liés à la formation des prix.
C'est tout l'enjeu de l'assurance-récolte dont j'ai fait une priorité. J'ai inscrit 10 M d'euros au budget 2005 afin de voir les conditions d'amorçage de ce dispositif et je travaille activement avec l'ensemble des professionnels pour définir la formule optimale.
· Une ambition sociale :
En matière sociale, nous nous donnerons les moyens de tendre vers une parité de conditions de vie, de travail et de niveau de revenu avec le reste du pays.
Comme l'a affirmé le Président de la République, plus qu'une exigence économique et sociale, c'est une question d'équité. C'est aussi une question de respect pour la contribution des agriculteurs à la puissance économique de notre pays, à son équilibre social et au développement harmonieux de notre territoire.
· Une ambition environnementale :
La promotion d'une agriculture écologiquement responsable n'est pas un choix, mais une nécessité.
Je sais les efforts qui ont été engagés, depuis des années, pour faire de ce credo une réalité.
Mais, nous en sommes tous bien conscients, le respect de l'environnement, ce n'est pas quelque chose qui s'improvise. C'est un engagement à long terme, un véritable investissement. Voilà notre feuille de route pour les mois à venir.
Pour une approche globale de la question foncière :
Pour revenir aux questions foncières qui nous occupent cet après-midi, nous sommes face à une triple équation : promouvoir l'activité agricole ; réguler le développement de l'urbanisme ; préserver l'environnement.
Car l'espace foncier, pour le dire d'un mot, joue trois rôles, d'importance inégale : économique, patrimonial et social.
Un rôle économique évident, dans la mesure où l'accès au foncier reste la condition essentielle de l'accès au métier et de la viabilité des exploitations. C'est bien pour cela que les sujets de l'installation des jeunes et du foncier sont si étroitement liés, comme vous l'avez rappelé, Monsieur le Président.
Un rôle patrimonial, parce qu'avant même d'être un patrimoine professionnel, il est aussi un patrimoine personnel. Un rôle social, enfin, en raison des attentes collectives de la société à son égard.
Les facteurs d'évolution pour l'espace foncier rural :
Vous analysez dans votre livre blanc, Monsieur le Président, les facteurs d'évolution en matière d'espace foncier rural. Je souhaite revenir sur quelques-uns de ces changements.
· La montée en puissance des attentes collectives
Un premier changement tient à la montée en puissance des attentes collectives, en termes de protection de l'environnement.
· Le développement résidentiel
Le deuxième facteur d'évolution tient au développement résidentiel d'une partie considérable de l'espace rural : désormais 40% des exploitations sont concernées par cette périurbanisation - avec toutes les conséquences que cela implique sur le prix des terres et l'exacerbation de la concurrence entre les différents usages du sol.
· La réforme de la politique agricole commune
De plus, en instaurant le découplage des aides, l'accord de Luxembourg introduit une nouvelle donne : la relation entre l'agriculture, activité économique, et son support naturel qu'est l'espace, se pose ainsi aujourd'hui en termes neufs.
· La diversité des territoires ruraux
Selon les territoires, les enjeux et les préoccupations des Français, le contexte agricole ne sont pas les mêmes. Ce constat s'était imposé lors de votre colloque l'année dernière avec la mise en évidence, dans la dernière étude prospective de la DATAR, par Nicolas JACQUET des trois visages des campagnes françaises : les campagnes des villes, où es conflits d'usage peuvent être importants, les campagnes les plus fragiles où la solidarité nationale doit s'exercer, les nouvelles campagnes, enfin, où les dynamiques de projet doivent être soutenues.
Trois convictions à partager
Tout le monde, dans le débat actuel, s'accorde pour poser trois questions :
1. Avec quels outils d'intervention mettre en oeuvre une politique foncière globale de l'espace rural ? 2. Faut-il réguler les structures foncières des exploitations agricoles ? 3. Quels outils pour agir sur la relation entre propriétaires et exploitants ?
Je souhaite, pour ma part, partager avec vous trois convictions.
Ma première conviction, c'est que nous avons besoin d'une politique globale de l'espace foncier rural. Nous disposons aujourd'hui de multiples outils de gestion de l'espace rural : aménagement foncier, préemption, politique des structures agricoles, planification de l'urbanisme, zonages et procédures environnementales, etc.
Mais je suis frappé de voir combien nous manquons d'une vision partagée et globale, en termes d'objectifs, de perspectives, de priorités, sur laquelle fonder la mise en oeuvre cohérente de ces outils.
Ma deuxième conviction, c'est que l'agriculture doit rester fondée sur l'acte de production agricole. L'accès au foncier restera donc essentiel pour l'accès au métier et la compétitivité des exploitations. Une politique des structures agricoles reste donc nécessaire même s'il est indispensable de la refonder dans ses objectifs et de la moderniser dans ses outils.
Ma troisième conviction, c'est que les réponses sont plus complexes que l'unanimité du constat pourrait le laisser penser.
Les débats sur le volet périurbain du projet de loi de développement des territoires ruraux ont témoigné de cette difficulté. Comment donner une cohérence à des outils répondant à des logiques différentes ? Comment réguler la destination des terres quand les prix sont si différents selon les usages qui en sont faits ?
Dans ce domaine, nous pourrons tirer des enseignements du groupe de prospective sur les conflits d'usage dans les espaces ruraux et périurbains mis en place par le Commissaire Général au Plan, groupe auquel certains d'entre vous participent.
D'ores et déjà, on voit très clairement que le choix des outils est aussi un choix de société : qu'il s'agisse des rôles respectifs du pouvoir réglementaire et de la concertation ou du pouvoir d'initiative des acteurs locaux ou encore de la façon dont les usagers seront représentés.
Le rôle des SAFER à l'avenir
· Une expérience et une expertise à valoriser
Vous avez très certainement, M. le Président, une expérience et une expertise à valoriser. Depuis quarante ans, comme vous le rappeliez à l'instant, vous avez à la fois contribué au maintien d'une agriculture dynamique et durable et de votre capacité et su faire évoluer vos missions et vos domaines d'intervention.
Ainsi, comme vous l'avez souligné, vous avez aujourd'hui trois missions :
1. Accompagner une agriculture dynamique et compétitive
2. Participer au développement avec les collectivités locales
3. Contribuer à la protection de l'environnement
Ces trois missions font de vous aujourd'hui un des rares lieux où les enjeux de l'espace foncier rural peuvent être abordés de façon globale. C'est très important.
Un positionnement et des modes de fonctionnement à faire évoluer
L'avenir des SAFER passe, je crois, par la clarification de vos missions dans ces trois domaines. Cela supposera d'en tirer les conséquences dans vos modes d'intervention et de fonctionnement.
J'ai bien noté que les SAFER, fidèles à leur tradition, étaient prêtes au changement et que vous aviez déjà des propositions concrètes à ce sujet.
Avant de conclure, je voudrais vous dire quelques mots concernant quatre sujets sur lesquels vous m'avez interpellé, M. le Président.
Sur le fonds agricole
Ce fonds est une piste ouverte dans le cadre du débat sur la modernisation agricole. Il y a là un vrai sujet, notamment dans le cas des sociétés personnelles qui y verraient le moyen de séparer les biens personnels des biens professionnels. Le débat est ouvert à ce sujet, car nous savons bien que les conséquences pour les jeunes seraient importantes.
Sur la cohérence entre la politique des SAFER et celle des collectivités
Vous évoquiez, Monsieur le Président, le partenariat entre les SAFER et les collectivités locales. Il va de soi que nous devons nous donner les moyens d'une cohérence aussi étroite que possible entre la politique foncière menée par les SAFER et celle que mènent les collectivités locales, notamment à travers les Etablissements publics fonciers (EPF). Quant aux modalités de cette synergie, elles seront justement abordées, de manière globale, dans la loi d'orientation.
Droits à paiement unique et action des SAFER
J'en viens maintenant à la mise en place des droits à paiement unique sur l'action des SAFER. Comme vous le savez, le CSO du 18 mai dernier a défini les grandes orientations pour la gestion de ces droits. Sur des sujets aussi complexes j'ai préféré attendre de pouvoir diffuser une information complète et cohérente. J'ai également voulu donner la priorité à l'information sur la conditionnalité dont la mise en place intervient, vous le savez, dès la 1er janvier 2005. Pour toutes ces raisons, beaucoup ont manifesté de fortes attentes en matière d'information sur les droits à paiement unique.
Le 9 novembre dernier, j'ai annoncé la reprise des réunions du groupe de suivi du CSO sur le mise en place des droits. La première aura lieu dans quelques jours, le 1er décembre.
Un des sujets qui vous touchent concerne les droits des attributaires SAFER et les modalités selon lesquelles les SAFER pourront exercer leur droit de préemption dans ce nouveau contexte. Soyez assurés que je fais tout pour que les droits suivent au plus près le foncier. Bien entendu, les modalités précises - notamment en ce qui concerne les prélèvements - tiendront compte de la spécificité des opérations menées par les SAFER. En outre, je m'engage à ce que, pendant la période transitoire, les attributaires SAFER privés de droits à paiement bénéficient de droits issus de la réserve, si nécessaire. Les attributaires SAFER ne seront pas lésés. Concernant l'exercice même de votre droit de préemption, j'ai fait en sorte que des instructions, élaborées en concertation avec votre fédération, soient adressées aux commissaires du gouvernement.
Quelques mots sur les paysages
Je ne voudrais pas terminer mon intervention sans évoquer les paysages, troisième dimension de l'espace foncier, dont vous avez souhaité faire le thème central de votre congrès. Nous savons tous combien les paysages - élément clef de l'attractivité de notre pays - sont façonnés par l'agriculture et la forêt. Ce capital précieux est actuellement menacé par des dynamiques contradictoires : la banalisation, d'un côté, de l'autre, l'érosion, en raison des avancées du front urbain.
La France a pris une part active dans l'élaboration par le Conseil de l'Europe de la Convention Européenne du Paysage signée le 20 octobre 2000 à Florence. Le texte de cette convention vient d'être adopté par l'Assemblée Nationale le 12 octobre 2004 et transmis au Sénat pour ratification. Cette convention, qui concerne tous les paysages, quotidiens ou exceptionnels, ruraux ou urbains, demande que, dans chaque territoire, les projets de développement fixent des objectifs de qualité paysagère au service du bien-être des habitants. Dans cette perspective, toutes les actions de sensibilisation sur ce thème doivent être encouragées. C'est, je crois, le sens que vous voulez donner à votre projet de manifeste.
Conclusion
Le Gouvernement s'est fixé comme objectif de mettre en uvre la loi d'orientation agricole courant 2006. J'entends présenter le projet de loi en Conseil des ministres au cours du 2ème trimestre 2005. J'ai donc demandé à la Commission nationale d'orientation de me remettre son avis sur le résultat des débats régionaux avant Noël.
Mesdames, Messieurs,
Voilà les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous.
Les mois à venir seront riches d'évolutions déterminantes pour l'avenir de notre agriculture, l'avenir de ceux qui en vivent et de ceux qu'elle fait vivre.
Je sais que vous serez à nos côtés pour accompagner ces évolutions. De votre côté, soyez assurés de mon écoute attentive et de mon soutien sans faille. Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 29 novembre 2004)