Texte intégral
Permettez-moi d'abord au nom de Noëlle Lenoir et de Pierre-André Wiltzer et par pensée de Renaud Muselier, de vous dire, de tout coeur, à quel point nous vous souhaitons pour cette nouvelle année les meilleurs voeux possibles. Permettez-moi aussi de vous dire combien j'ai été touché par l'évocation que vous avez faite de cette tragédie de Charm El Cheikh. Ce moment où l'on mesure à quel point l'attente, l'inquiétude, le besoin de réponse se fait jour et l'exigence de notre diplomatie d'être bien sûr dans ces moments, aux côtés de nos compatriotes. J'ai été également très sensible à la mention que vous avez faite de Jean Hélène. Nous avons tous vécu de très près cette tragédie. Nous connaissions tous Jean Hélène. Je partageais avec lui, comme beaucoup d'entre vous, la même passion de l'Afrique et je crois pouvoir dire qu'il est un grand exemple pour ceux qui sont fidèles justement à cette conviction et à cette exigence africaines.
Je suis tout particulièrement heureux de vous adresser mes voeux en ce début d'année, car vous êtes les témoins privilégiés de l'action diplomatique française et vos analyses, bien évidemment, sont une source de réflexion au quotidien pour chacun d'entre nous.
Vous êtes des observateurs rigoureux, exigeants, et quels que soient vos jugements, vos critiques, ils sont toujours stimulants. Au cours de l'année, nous voulons ici, au Quai d'Orsay, rester bien sûr disponibles, à l'écoute, soucieux de faciliter la tâche d'information qui est la vôtre et qui est si importante dans le monde de plus en plus imprévisible qui est le nôtre.
Car nous avons, vous les journalistes et nous les diplomates, une même exigence qui est d'expliquer le monde à un public soucieux de décrypter les évolutions de notre temps. Notre destin se joue bien sûr à l'intérieur de nos frontières, mais chacun le voit bien, il dépend tout autant du changement en cours sur la scène internationale qu'il nous fait mieux comprendre pour espérer cerner notre avenir.
Au-delà de cet effort commun pour comprendre, analyser le monde qui nous entoure, la diplomatie, c'est, bien sûr, agir. Nous le faisons avec le vif sentiment de l'honneur qui nous incombe dès lors qu'il s'agit de représenter ou de défendre les intérêts de nos compatriotes. Nous le faisons également avec l'exigence et l'humilité qui s'imposent face à un monde de plus en plus complexe.
C'est aussi dans la défense de la liberté de la presse que nous nous retrouvons. Vous y attachez à juste titre un prix fort ; de notre côté, nous nous mobilisons, chaque fois que nécessaire, pour vous permettre d'exercer votre métier. Vous me permettrez, avec vous, de me réjouir du retour à Paris il y a deux jours de Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau. Sur tous les fronts de la liberté de la presse, nous devons rester vigilants. Permettez-moi de former en ce début d'année le voeu que vous puissiez, partout dans le monde, "travailler en paix" pour informer nos compatriotes.
En ce début d'année, quatre priorités nous sollicitent plus particulièrement.
La première c'est de raffermir notre sécurité. Pour cela, nous devons renforcer la mobilisation de nos moyens face au terrorisme, agir, dans l'unité de la communauté internationale, contre ce péril sans équivalent qu'est la prolifération. Mais une approche purement sécuritaire ne peut suffire : il faut traiter le mal à la racine en luttant contre tous les fléaux qui le nourrissent. L'urgence exige de donner priorité au traitement des crises qui toutes sont liées, nous le voyons.
A cet égard, l'année qui s'ouvre promet d'être décisive : pour l'Afghanistan, où des élections marqueront l'aboutissement du processus politique engagé voici deux ans ; pour l'Irak, où le prochain retour à la souveraineté doit permettre à la communauté internationale de reprendre toute sa place ; pour le Proche-Orient également, où la pause relative et précaire que l'on constate dans les violences ne doit pas conduire à la démobilisation des énergies mais appelle au contraire une mise en oeuvre du cadre de règlement adopté entre les parties.
Dans tous les cas, la France plaide pour une action internationale plus vigoureuse. Le constat de l'interdépendance des crises invite à aller plus loin : il faut élaborer des stratégies globales associant le souci de sécurité et de stabilité, la réforme intérieure des Etats, le développement économique et la reconnaissance des identités. Et il faut faire tout cela ensemble.
L'urgence ne doit pas nous empêcher de voir loin. Pour faire face aux menaces et réguler un monde qui risque d'échapper à tout contrôle, nous avons besoin d'un nouvel ordre fondé sur des principes et des règles applicables à tous. A cet effet, il faut rassembler la communauté internationale dans une démarche de responsabilité collective qui rendra son action efficace car pleinement légitime.
Méfions-nous, par ailleurs, de jugements hâtifs sur une situation internationale que nous serions tenter de photographier au jour le jour pour juger du succès ou de l'échec d'une politique. Nous sommes dans un monde où nous devons, en permanence, garder la mémoire, la perspective exigeante du long terme. Car il s'agit bien de bâtir un nouvel ordre international. Ceci ne peut se faire que dans la durée, ceci demande des choix et méfions-nous de ces victoires à la Pyrrhus qui s'avèrent parfois de fâcheux compromis. Il faut être exigeant, il faut travailler avec constance. Tout ceci demande vigilance et détermination.
Dans l'immédiat, nous devons améliorer les instruments qui existent : développer un cadre commun et des outils préventifs. Mais nous n'échapperons pas à la nécessité de reconstruire l'architecture internationale en améliorant en particulier la représentativité du Conseil de sécurité, en créant une gouvernance économique mondiale et de nouveaux mécanismes de surveillance, comme en matière de prolifération et de Droits de l'Homme. Autant de dossiers qui nécessitent une concertation internationale accrue. Il faut à présent accélérer le rythme.
Dans la construction de ce nouvel ordre, le monde a besoin d'une Europe active, d'une Europe forte. A cet égard, l'élargissement qui interviendra cette année change la nature de l'Union. C'est un défi pour la cohésion et le fonctionnement de l'Europe, mais aussi une occasion de répondre aux attentes profondes de nos peuples. Ceux-ci espèrent une croissance plus solide, un véritable espace de sécurité et de justice, une politique étrangère permettant de porter plus loin nos ambitions. Dans quelques mois, les élections européennes leur donneront l'occasion de faire entendre leur voix. Dans cette perspective, nous devons donc accélérer la préparation de l'avenir.
Autant de défis qui invitent à se doter d'une Constitution définissant le cadre de cette ambition et permettant à l'Union de fonctionner efficacement. Le Sommet de Bruxelles, nous l'avons dit, a été un rendez-vous manqué. A nous tous de nous mobiliser pour nous remettre au travail et trouver les accords satisfaisants. La France n'entend pas ménager sa peine, pour, dans les mois qui viennent, rechercher des solutions à la hauteur des enjeux avec le souci de maintenir un niveau élevé d'ambition. Et nous aurons tout à l'heure, à Berlin, avec M. Fischer et mon collègue Cimoszewicz, l'occasion d'évoquer dans le cadre du Triangle de Weimar, bien sûr, ces perspectives. Ces défis invitent également à approfondir l'intégration entre tous les Etats qui, dans le cadre de nos institutions communes, ont la volonté d'aller plus vite et plus loin, en particulier dans les domaines de la gouvernance économique, de la politique étrangère ou encore de la politique de défense. Les traités, à cet égard, nous offrent des marges de flexibilité nécessaires, dans le respect de la cohésion et de la solidarité communautaires. Il faut, bien sûr, utiliser ces marges de manoeuvre.
A l'évidence, la construction d'une Europe qui soit un véritable acteur sur la scène internationale va de l'intérêt même de l'Alliance atlantique et des Etats-Unis, qui ne peuvent répondre seuls aux enjeux de sécurité et ont besoin d'un partenaire crédible, responsable. Aussi les progrès de l'Europe doivent-ils être mis à profit pour renforcer le potentiel de complémentarité qui existe entre les deux rives de l'Atlantique. Le partenariat euro-atlantique doit trouver un nouvel élan à travers des objectifs rénovés et des méthodes de travail mieux adaptées. L'année qui s'ouvre nous offrira de multiples occasions de concertation, dont le sommet de l'Otan à Istanbul. Il importe de les saisir. Notre coopération avec les Etats-Unis est étroite et confiante sur de très nombreux sujets, à commencer par celui de la lutte contre le terrorisme. La collaboration manifestée ces derniers jours à propos des mesures de sécurité prises en matière de transport aérien vient d'illustrer, de manière exemplaire, la qualité de ce dialogue.
Mesdames et Messieurs, Chers amis, tout change autour de nous. C'est bien pourquoi votre regard nous est indispensable : les défis sont nombreux, l'urgence et l'interdépendance s'imposent chaque jour. Le besoin de sécurité est partout, mais il est tributaire de notre capacité à satisfaire à l'exigence de justice, de dialogue et d'unité qui pèse sur la communauté internationale. C'est un long travail, qui exige patience et détermination.
La diplomatie française s'est attelée à ce chantier tout au long de l'année 2003. Beaucoup reste à faire en 2004 et au-delà. Je vous invite à nous accompagner sur ce chemin souvent difficile mais toujours passionnant. Avec curiosité - je sais que vous n'en manquez pas - avec lucidité aussi, et avec la volonté de donner à tous ceux qui vous lisent ou vous écoutent davantage de confiance dans l'avenir. Car, si les temps sont rudes, ils sont aussi porteurs de formidables promesses que nous devons saisir et faire fructifier dans l'intérêt de tous.
Je vous remercie.
Q - Est-ce que vous pouvez préciser pour nous la position de la France sur une présence éventuelle de l'OTAN en Irak ?
R - La vie internationale est compliquée et il faut faire les choses dans l'ordre, c'est-à-dire au rythme où se posent les questions. Cette question de l'OTAN n'est pas aujourd'hui posée sur la scène internationale que je sache. Cela est un sujet de réflexion que l'on évoque entre diplomates, c'est bien naturel, mais je crois qu'il est bien trop tôt pour formaliser aujourd'hui une position des uns et des autres. Donc, nous en restons au travail qui est le nôtre dans les instances qui sont actuellement mobilisées mais je crois qu'il est totalement prématuré de s'exprimer sur ce point.
Q - Avec bonheur, vous avez dit qu'un effort commun nous réunissait, diplomates et journalistes pour nous efforcer de décrypter le monde. J'aimerais savoir quels pourraient être les efforts de la diplomatie française accordés aux efforts des diplomaties européennes, pour tenter difficilement désembourber le problème israélo-palestinien, vaste question eut dit le général de Gaulle ?
R - C'est certainement un grand enjeu aujourd'hui. Nous avons tous participé aux efforts au cours des derniers mois pour relancer la Feuille de route. D'abord la définir et vous savez le rôle qui a été celui de l'Europe dans la définition de cette Feuille de route et après pour essayer de la faire avancer. Nous nous sommes réjouis de l'engagement américain à partir du Sommet d'Aqaba pour essayer d'avancer et nous voyons tous aujourd'hui, malheureusement, l'impasse qui est celle du Proche-Orient. Notre conviction, c'est que nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Nous ne pouvons pas rester de longs mois sans reprendre l'initiative, car nous savons tous que dans cette région, dans cette partie du monde, malheureusement, ce seraient alors la violence et le terrorisme qui reprendraient leur droit. Nous avons vu cette violence diminuer au cours des derniers mois. Je crois que nous devons faire en sorte que la communauté régionale se mobilise et j'ai été très frappé, non pas surpris, mais marqué, par la force avec laquelle cette mobilisation s'était exprimée durant ma visite dans les différents Etats du Golfe. J'ai constaté que c'est leur première préoccupation. C'est véritablement un sujet qui aujourd'hui mobilise pleinement la région, parce que nous savons tous qu'il n'y aura pas de paix, de stabilité dans cette région, tant qu'une issue n'aura pas été trouvée à cette douloureuse question. Nous savons tous aussi que la vraie solution réside dans le chemin qui a été défini par la Feuille de route et nous sommes convaincus que de ce point de vue, les Accords de Genève marquent un élément supplémentaire dans l'éclaircissement de l'horizon. Je crois donc qu'il faut continuer et persévérer dans cette voie et que toutes les solutions qui peuvent être ici et là envisagées, unilatérales ou autres, ne sont pas susceptibles de répondre véritablement aux attentes. Nous sommes attachés à l'objectif défini par la communauté internationale et auxquels se sont ralliés tous les pays, qui est celui de la création d'un Etat palestinien, dans les frontières de 1967, vivant en paix à côté de l'Etat d'Israël. Je crois que si la communauté internationale s'éloignait de cet objectif, elle ferait une immense erreur. Alors à partir de là, il faut enclencher des mécanismes qui permettent cette rentrée dans la Feuille de route. On a bien vu, c'est le problème, comment rentrer dans cette Feuille de route et étape après étape, avancer vers la création de cet Etat palestinien qui était prévu pour 2005. Notre conviction, c'est qu'il faut des mécanismes, des éléments qui permettent d'assurer la confiance. Nous savons tous que jusqu'à maintenant, c'est cette logique des préalables qui l'a emporté. D'un côté, on veut évidemment que la violence s'arrête du côté palestinien, que le terrorisme prenne fin immédiatement, de l'autre côté, c'est le retrait des territoires et l'arrêt de la colonisation, c'est l'arrêt de la construction du mur. Nous pensons qu'il est important de privilégier l'avancée et le mouvement pour faire en sorte que peu à peu se bâtisse la confiance. La confiance, ce n'est pas quelque chose qui se construit en un jour. La confiance, cela demande régulièrement mais de façon constante, d'avancer. Je crois donc qu'il ne faut pas nous placer dans la situation - et c'est le risque, et c'est ce qui s'est passé au cours des derniers mois - où nous placerions les terroristes, ceux qui sont les défenseurs de la violence, en position d'arbitres, en position d'être ceux qui dictent leur loi sur le Processus de paix, parce qu'évidemment, à chaque étape, il suffit pour eux d'agir, pour contrarier toutes les perspectives de paix. Il faut être plus fort que ceux-là mêmes qui posent les bombes et qui veulent à tout prix empêcher ce processus d'avancer. Nous avons suggéré un certain nombre de pistes. Nous avions évoqué l'idée d'une conférence internationale. Nous avons évoqué aussi l'idée d'un déploiement des forces sur le terrain. Tout ceci a un but central, c'est de marquer l'engagement résolu et irréversible de la communauté régionale et internationale. Nous pensons que l'élargissement du comité de supervision et en particulier aux Européens, est un élément important de la mobilisation de tous les grands acteurs et en particulier, bien sûr, du Quartet qui rassemble l'ensemble des énergies de la communauté internationale. Nous sommes dans un processus de consultation, de réflexion avec nos partenaires européens. Nous évoquons ces questions avec en particulier nos amis anglais et allemands. Nous aurons l'occasion de développer un certain nombre de ces réflexions au cours des prochaines semaines avec, je l'espère, la possibilité de reprendre l'initiative. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas, pour nous Français, ou je l'espère, nous Européens, de reprendre l'initiative contre quiconque. Nous savons tous que la paix dans cette région ne peut se faire qu'ensemble et en particulier, bien évidemment, en pleine solidarité, confiance et consultation, concertation, avec nos amis américains. Mais je crois que la clef, c'est vraiment de ne pas se satisfaire d'une situation qui resterait à l'égal de ce qu'elle est, c'est-à-dire une impasse. Profitons de la formation d'un nouveau gouvernement palestinien. Profitons de la possibilité qui nous est donnée d'essayer de rapprocher les points de vue au cours des prochains mois. Ne laissons pas, une fois de plus, le temps faire seul son affaire. La volonté des Hommes dans cette région est incontournable. Et j'exprime une idée qui est en même temps une conviction de la diplomatie française : comment vouloir progresser dans une partie de cette région et en particulier à Bagdad, si nous négligeons ce qui se passe à Jérusalem. Ma conviction c'est que le Moyen-Orient forme, à bien des égards, un tout, que les choses sont liées, qu'il y a de très fortes interdépendances, que le sentiment de justice ou d'injustice est évidemment un élément que nous devons prendre en compte. Or la justice ne se divise pas. La justice doit s'appliquer à tous.
Q - Dans beaucoup d'entreprises françaises, il est fait abusivement usage de la langue anglais, sans parler des réseaux informatiques ou Internet. Par ailleurs, il y a des commerces qui eux donnent des modes d'emplois en langue anglaise, uniquement en occultant la langue française. Par ailleurs, certaines chaînes de télévision privées, abusent, audimat oblige, de titres d'émissions en langue anglaise. Vous qui êtes en charge de la Francophonie, et je sais que vous défendez la francophonie avec l'aide du président Abdou Diouf qui est le Secrétaire général de la Francophonie et avec l'aide de M. Pierre-André Wiltzer, ne pensez-vous pas qu'il faudrait légiférer pour que la défense de notre langue soit mieux prise en compte et même, cela permettrait la défense de la langue anglaise, puisqu'il est abusivement dans une langue qui n'est pas la sienne ?
R - Je crois que votre voeu a été exaucé puisqu'il y a une loi en particulier la loi Toubon qui prévoit justement ce respect du bon emploi, du bon usage de la langue française. Mais l'espace de la Francophonie se doit d'être un espace bien sûr vigilant mais aussi ambitieux qui vise à regrouper l'ensemble des énergies de ceux qui pensent que l'identité, et l'identité passe bien sûr aussi par la langue, mérite une mobilisation. Donc vigilance d'un côté, mais aussi détermination et ambition à faire vivre notre langue, c'est-à-dire à montrer qu'elle est capable de véhiculer des idées, une pensée, une vision. Et je crois que de ce point de vue, la mobilisation de notre gouvernement est particulièrement forte.
Q - La Pologne semble s'arc-bouter sur ses positions malgré les efforts de relance de la coopération notamment dans le cadre du Triangle de Weimar. Quelles sont vos propositions pour défaire ce noeud que représente le système de vote dans l'Union européenne ?
R - Il faut toujours du temps pour permettre aux esprits d'évoluer et il est important que l'ensemble des Européens puisse bénéficier de ce temps et le mettent à profit pour justement essayer d'avancer dans une direction qui soit à la fois exigeante et ambitieuse. J'ai eu, ici même il y a quelques jours, des entretiens avec mon collègue polonais et nous allons nous retrouver tout à l'heure, dans le cadre du Triangle de Weimar comme vous l'avez dit. Je crois que la présentation que vous faites ne correspond pas à la réalité. Je crois qu'il y a de la part de l'ensemble des parties aujourd'hui en Europe, une volonté d'avancer. La tâche n'est pas simple, il y a un besoin d'explication et de clarification, nous devons pouvoir défendre et illustrer les raisons qui nous conduisent les uns et les autres aux positions qui sont les nôtres. Vous évoquez en particulier le système de vote à la double majorité, il y a de ce point de vue, de la part de l'Allemagne, de la part de la France, de la part d'autres pays, une conviction très forte : c'est que l'Europe est une union d'Etats et une union de peuples et que le principe de démocratie est un principe qui doit fortement exister et être défendu dans le cadre de cette Europe. Et ce système-là permet justement cette double clef, cette double représentation. Je crois que la présentation qui a pu être faite où l'exigence de certains de privilégier une stratégie confortant une minorité de blocage, n'est pas à la mesure des enjeux de l'Europe. L'Europe c'est une ambition, une exigence qui vise justement à lui permettre de s'affirmer, d'affirmer son identité, sa présence, sa capacité. Et je crois que si nous arrivons à nous entendre sur cette ambition, nous n'aurons pas de mal à nous mettre d'accord sur les quelques éléments qui restent et qui sont essentiels à notre sens pour permettre à l'Europe d'être plus efficace, plus transparente et en même temps plus démocratique. Je fais confiance à la concertation qui va se développer. Vous connaissez tous le calendrier de cette année. Je crois qu'un certain nombre des obstacles permettront justement, une fois levés, de faire évoluer les esprits et j'ai confiance. Nous serons capables de relever ce grand défi pour l'Europe.
Q - Pouvez-vous préciser votre réponse concernant l'Irak ? Est-ce que la France élimine totalement la possibilité d'envoyer les troupes en Irak si les conditions sont acceptables, soit les troupes de soldats, soit les "peacekeepers" (soldats de la paix), soit les entraîneurs de la police ?
R - La question posée concerne l'Irak, la position de la France et l'hypothèse d'envoi de troupes dans cette région. La France a toujours dit clairement ce qu'il en était. Pour nous, il y a bien au coeur de la question irakienne, la question du vide politique actuel et la nécessité d'une stratégie politique commune pour permettre justement à l'Irak de retrouver sa souveraineté et donc d'avancer. Et nous pensons que le meilleur gage de la lutte contre l'insécurité, la violence, le terrorisme, c'est de créer cette dynamique politique qui permettra à l'ensemble des Irakiens de se retrouver à travers un gouvernement représentatif, le plus représentatif possible. Dans ce contexte, vous le voyez bien, cette question de l'envoi de troupes aujourd'hui n'est pas d'actualité. Nous aurons l'occasion, dès lors que le gouvernement sera formé en Irak, de préciser la position qui est la nôtre, dans le cadre du dialogue que nous aurons avec ces autorités irakiennes. Nous verrons quelles sont leurs demandes en matière de sécurité, comment elles voient la sécurisation de leur territoire, comment à ce moment-là elles considéreront que la communauté internationale peut répondre à leur besoin, comment tout ceci pourra s'harmoniser avec une force internationale des Nations unies. En fonction des demandes qui seront faites, bien évidemment nous examinerons les choses. Mais vous le savez, nous travaillons d'ores et déjà à la possibilité de répondre dans le domaine de la sécurité, en particulier par la création d'une école de gendarmerie, par la formation de la police. Il y a donc de nombreux domaines de coopération possible où la France peut apporter sa contribution face à cette crise irakienne, face aux difficultés que nous rencontrons en Irak. Nous sommes mobilisés pour apporter notre réponse et nous souhaitons, bien évidemment, continuer ce dialogue que nous avons engagé avec le Conseil du gouvernement irakien lorsqu'il est venu à Paris. Nous allons le continuer tout au long des prochains mois. Vous savez que nous avons été sollicités pour apporter aussi une contribution dans le domaine constitutionnel. Dans ce domaine aussi, nous sommes disponibles pour apporter le soutien et la contribution de la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2004)
Je suis tout particulièrement heureux de vous adresser mes voeux en ce début d'année, car vous êtes les témoins privilégiés de l'action diplomatique française et vos analyses, bien évidemment, sont une source de réflexion au quotidien pour chacun d'entre nous.
Vous êtes des observateurs rigoureux, exigeants, et quels que soient vos jugements, vos critiques, ils sont toujours stimulants. Au cours de l'année, nous voulons ici, au Quai d'Orsay, rester bien sûr disponibles, à l'écoute, soucieux de faciliter la tâche d'information qui est la vôtre et qui est si importante dans le monde de plus en plus imprévisible qui est le nôtre.
Car nous avons, vous les journalistes et nous les diplomates, une même exigence qui est d'expliquer le monde à un public soucieux de décrypter les évolutions de notre temps. Notre destin se joue bien sûr à l'intérieur de nos frontières, mais chacun le voit bien, il dépend tout autant du changement en cours sur la scène internationale qu'il nous fait mieux comprendre pour espérer cerner notre avenir.
Au-delà de cet effort commun pour comprendre, analyser le monde qui nous entoure, la diplomatie, c'est, bien sûr, agir. Nous le faisons avec le vif sentiment de l'honneur qui nous incombe dès lors qu'il s'agit de représenter ou de défendre les intérêts de nos compatriotes. Nous le faisons également avec l'exigence et l'humilité qui s'imposent face à un monde de plus en plus complexe.
C'est aussi dans la défense de la liberté de la presse que nous nous retrouvons. Vous y attachez à juste titre un prix fort ; de notre côté, nous nous mobilisons, chaque fois que nécessaire, pour vous permettre d'exercer votre métier. Vous me permettrez, avec vous, de me réjouir du retour à Paris il y a deux jours de Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau. Sur tous les fronts de la liberté de la presse, nous devons rester vigilants. Permettez-moi de former en ce début d'année le voeu que vous puissiez, partout dans le monde, "travailler en paix" pour informer nos compatriotes.
En ce début d'année, quatre priorités nous sollicitent plus particulièrement.
La première c'est de raffermir notre sécurité. Pour cela, nous devons renforcer la mobilisation de nos moyens face au terrorisme, agir, dans l'unité de la communauté internationale, contre ce péril sans équivalent qu'est la prolifération. Mais une approche purement sécuritaire ne peut suffire : il faut traiter le mal à la racine en luttant contre tous les fléaux qui le nourrissent. L'urgence exige de donner priorité au traitement des crises qui toutes sont liées, nous le voyons.
A cet égard, l'année qui s'ouvre promet d'être décisive : pour l'Afghanistan, où des élections marqueront l'aboutissement du processus politique engagé voici deux ans ; pour l'Irak, où le prochain retour à la souveraineté doit permettre à la communauté internationale de reprendre toute sa place ; pour le Proche-Orient également, où la pause relative et précaire que l'on constate dans les violences ne doit pas conduire à la démobilisation des énergies mais appelle au contraire une mise en oeuvre du cadre de règlement adopté entre les parties.
Dans tous les cas, la France plaide pour une action internationale plus vigoureuse. Le constat de l'interdépendance des crises invite à aller plus loin : il faut élaborer des stratégies globales associant le souci de sécurité et de stabilité, la réforme intérieure des Etats, le développement économique et la reconnaissance des identités. Et il faut faire tout cela ensemble.
L'urgence ne doit pas nous empêcher de voir loin. Pour faire face aux menaces et réguler un monde qui risque d'échapper à tout contrôle, nous avons besoin d'un nouvel ordre fondé sur des principes et des règles applicables à tous. A cet effet, il faut rassembler la communauté internationale dans une démarche de responsabilité collective qui rendra son action efficace car pleinement légitime.
Méfions-nous, par ailleurs, de jugements hâtifs sur une situation internationale que nous serions tenter de photographier au jour le jour pour juger du succès ou de l'échec d'une politique. Nous sommes dans un monde où nous devons, en permanence, garder la mémoire, la perspective exigeante du long terme. Car il s'agit bien de bâtir un nouvel ordre international. Ceci ne peut se faire que dans la durée, ceci demande des choix et méfions-nous de ces victoires à la Pyrrhus qui s'avèrent parfois de fâcheux compromis. Il faut être exigeant, il faut travailler avec constance. Tout ceci demande vigilance et détermination.
Dans l'immédiat, nous devons améliorer les instruments qui existent : développer un cadre commun et des outils préventifs. Mais nous n'échapperons pas à la nécessité de reconstruire l'architecture internationale en améliorant en particulier la représentativité du Conseil de sécurité, en créant une gouvernance économique mondiale et de nouveaux mécanismes de surveillance, comme en matière de prolifération et de Droits de l'Homme. Autant de dossiers qui nécessitent une concertation internationale accrue. Il faut à présent accélérer le rythme.
Dans la construction de ce nouvel ordre, le monde a besoin d'une Europe active, d'une Europe forte. A cet égard, l'élargissement qui interviendra cette année change la nature de l'Union. C'est un défi pour la cohésion et le fonctionnement de l'Europe, mais aussi une occasion de répondre aux attentes profondes de nos peuples. Ceux-ci espèrent une croissance plus solide, un véritable espace de sécurité et de justice, une politique étrangère permettant de porter plus loin nos ambitions. Dans quelques mois, les élections européennes leur donneront l'occasion de faire entendre leur voix. Dans cette perspective, nous devons donc accélérer la préparation de l'avenir.
Autant de défis qui invitent à se doter d'une Constitution définissant le cadre de cette ambition et permettant à l'Union de fonctionner efficacement. Le Sommet de Bruxelles, nous l'avons dit, a été un rendez-vous manqué. A nous tous de nous mobiliser pour nous remettre au travail et trouver les accords satisfaisants. La France n'entend pas ménager sa peine, pour, dans les mois qui viennent, rechercher des solutions à la hauteur des enjeux avec le souci de maintenir un niveau élevé d'ambition. Et nous aurons tout à l'heure, à Berlin, avec M. Fischer et mon collègue Cimoszewicz, l'occasion d'évoquer dans le cadre du Triangle de Weimar, bien sûr, ces perspectives. Ces défis invitent également à approfondir l'intégration entre tous les Etats qui, dans le cadre de nos institutions communes, ont la volonté d'aller plus vite et plus loin, en particulier dans les domaines de la gouvernance économique, de la politique étrangère ou encore de la politique de défense. Les traités, à cet égard, nous offrent des marges de flexibilité nécessaires, dans le respect de la cohésion et de la solidarité communautaires. Il faut, bien sûr, utiliser ces marges de manoeuvre.
A l'évidence, la construction d'une Europe qui soit un véritable acteur sur la scène internationale va de l'intérêt même de l'Alliance atlantique et des Etats-Unis, qui ne peuvent répondre seuls aux enjeux de sécurité et ont besoin d'un partenaire crédible, responsable. Aussi les progrès de l'Europe doivent-ils être mis à profit pour renforcer le potentiel de complémentarité qui existe entre les deux rives de l'Atlantique. Le partenariat euro-atlantique doit trouver un nouvel élan à travers des objectifs rénovés et des méthodes de travail mieux adaptées. L'année qui s'ouvre nous offrira de multiples occasions de concertation, dont le sommet de l'Otan à Istanbul. Il importe de les saisir. Notre coopération avec les Etats-Unis est étroite et confiante sur de très nombreux sujets, à commencer par celui de la lutte contre le terrorisme. La collaboration manifestée ces derniers jours à propos des mesures de sécurité prises en matière de transport aérien vient d'illustrer, de manière exemplaire, la qualité de ce dialogue.
Mesdames et Messieurs, Chers amis, tout change autour de nous. C'est bien pourquoi votre regard nous est indispensable : les défis sont nombreux, l'urgence et l'interdépendance s'imposent chaque jour. Le besoin de sécurité est partout, mais il est tributaire de notre capacité à satisfaire à l'exigence de justice, de dialogue et d'unité qui pèse sur la communauté internationale. C'est un long travail, qui exige patience et détermination.
La diplomatie française s'est attelée à ce chantier tout au long de l'année 2003. Beaucoup reste à faire en 2004 et au-delà. Je vous invite à nous accompagner sur ce chemin souvent difficile mais toujours passionnant. Avec curiosité - je sais que vous n'en manquez pas - avec lucidité aussi, et avec la volonté de donner à tous ceux qui vous lisent ou vous écoutent davantage de confiance dans l'avenir. Car, si les temps sont rudes, ils sont aussi porteurs de formidables promesses que nous devons saisir et faire fructifier dans l'intérêt de tous.
Je vous remercie.
Q - Est-ce que vous pouvez préciser pour nous la position de la France sur une présence éventuelle de l'OTAN en Irak ?
R - La vie internationale est compliquée et il faut faire les choses dans l'ordre, c'est-à-dire au rythme où se posent les questions. Cette question de l'OTAN n'est pas aujourd'hui posée sur la scène internationale que je sache. Cela est un sujet de réflexion que l'on évoque entre diplomates, c'est bien naturel, mais je crois qu'il est bien trop tôt pour formaliser aujourd'hui une position des uns et des autres. Donc, nous en restons au travail qui est le nôtre dans les instances qui sont actuellement mobilisées mais je crois qu'il est totalement prématuré de s'exprimer sur ce point.
Q - Avec bonheur, vous avez dit qu'un effort commun nous réunissait, diplomates et journalistes pour nous efforcer de décrypter le monde. J'aimerais savoir quels pourraient être les efforts de la diplomatie française accordés aux efforts des diplomaties européennes, pour tenter difficilement désembourber le problème israélo-palestinien, vaste question eut dit le général de Gaulle ?
R - C'est certainement un grand enjeu aujourd'hui. Nous avons tous participé aux efforts au cours des derniers mois pour relancer la Feuille de route. D'abord la définir et vous savez le rôle qui a été celui de l'Europe dans la définition de cette Feuille de route et après pour essayer de la faire avancer. Nous nous sommes réjouis de l'engagement américain à partir du Sommet d'Aqaba pour essayer d'avancer et nous voyons tous aujourd'hui, malheureusement, l'impasse qui est celle du Proche-Orient. Notre conviction, c'est que nous ne pouvons pas nous satisfaire de cette situation. Nous ne pouvons pas rester de longs mois sans reprendre l'initiative, car nous savons tous que dans cette région, dans cette partie du monde, malheureusement, ce seraient alors la violence et le terrorisme qui reprendraient leur droit. Nous avons vu cette violence diminuer au cours des derniers mois. Je crois que nous devons faire en sorte que la communauté régionale se mobilise et j'ai été très frappé, non pas surpris, mais marqué, par la force avec laquelle cette mobilisation s'était exprimée durant ma visite dans les différents Etats du Golfe. J'ai constaté que c'est leur première préoccupation. C'est véritablement un sujet qui aujourd'hui mobilise pleinement la région, parce que nous savons tous qu'il n'y aura pas de paix, de stabilité dans cette région, tant qu'une issue n'aura pas été trouvée à cette douloureuse question. Nous savons tous aussi que la vraie solution réside dans le chemin qui a été défini par la Feuille de route et nous sommes convaincus que de ce point de vue, les Accords de Genève marquent un élément supplémentaire dans l'éclaircissement de l'horizon. Je crois donc qu'il faut continuer et persévérer dans cette voie et que toutes les solutions qui peuvent être ici et là envisagées, unilatérales ou autres, ne sont pas susceptibles de répondre véritablement aux attentes. Nous sommes attachés à l'objectif défini par la communauté internationale et auxquels se sont ralliés tous les pays, qui est celui de la création d'un Etat palestinien, dans les frontières de 1967, vivant en paix à côté de l'Etat d'Israël. Je crois que si la communauté internationale s'éloignait de cet objectif, elle ferait une immense erreur. Alors à partir de là, il faut enclencher des mécanismes qui permettent cette rentrée dans la Feuille de route. On a bien vu, c'est le problème, comment rentrer dans cette Feuille de route et étape après étape, avancer vers la création de cet Etat palestinien qui était prévu pour 2005. Notre conviction, c'est qu'il faut des mécanismes, des éléments qui permettent d'assurer la confiance. Nous savons tous que jusqu'à maintenant, c'est cette logique des préalables qui l'a emporté. D'un côté, on veut évidemment que la violence s'arrête du côté palestinien, que le terrorisme prenne fin immédiatement, de l'autre côté, c'est le retrait des territoires et l'arrêt de la colonisation, c'est l'arrêt de la construction du mur. Nous pensons qu'il est important de privilégier l'avancée et le mouvement pour faire en sorte que peu à peu se bâtisse la confiance. La confiance, ce n'est pas quelque chose qui se construit en un jour. La confiance, cela demande régulièrement mais de façon constante, d'avancer. Je crois donc qu'il ne faut pas nous placer dans la situation - et c'est le risque, et c'est ce qui s'est passé au cours des derniers mois - où nous placerions les terroristes, ceux qui sont les défenseurs de la violence, en position d'arbitres, en position d'être ceux qui dictent leur loi sur le Processus de paix, parce qu'évidemment, à chaque étape, il suffit pour eux d'agir, pour contrarier toutes les perspectives de paix. Il faut être plus fort que ceux-là mêmes qui posent les bombes et qui veulent à tout prix empêcher ce processus d'avancer. Nous avons suggéré un certain nombre de pistes. Nous avions évoqué l'idée d'une conférence internationale. Nous avons évoqué aussi l'idée d'un déploiement des forces sur le terrain. Tout ceci a un but central, c'est de marquer l'engagement résolu et irréversible de la communauté régionale et internationale. Nous pensons que l'élargissement du comité de supervision et en particulier aux Européens, est un élément important de la mobilisation de tous les grands acteurs et en particulier, bien sûr, du Quartet qui rassemble l'ensemble des énergies de la communauté internationale. Nous sommes dans un processus de consultation, de réflexion avec nos partenaires européens. Nous évoquons ces questions avec en particulier nos amis anglais et allemands. Nous aurons l'occasion de développer un certain nombre de ces réflexions au cours des prochaines semaines avec, je l'espère, la possibilité de reprendre l'initiative. Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas, pour nous Français, ou je l'espère, nous Européens, de reprendre l'initiative contre quiconque. Nous savons tous que la paix dans cette région ne peut se faire qu'ensemble et en particulier, bien évidemment, en pleine solidarité, confiance et consultation, concertation, avec nos amis américains. Mais je crois que la clef, c'est vraiment de ne pas se satisfaire d'une situation qui resterait à l'égal de ce qu'elle est, c'est-à-dire une impasse. Profitons de la formation d'un nouveau gouvernement palestinien. Profitons de la possibilité qui nous est donnée d'essayer de rapprocher les points de vue au cours des prochains mois. Ne laissons pas, une fois de plus, le temps faire seul son affaire. La volonté des Hommes dans cette région est incontournable. Et j'exprime une idée qui est en même temps une conviction de la diplomatie française : comment vouloir progresser dans une partie de cette région et en particulier à Bagdad, si nous négligeons ce qui se passe à Jérusalem. Ma conviction c'est que le Moyen-Orient forme, à bien des égards, un tout, que les choses sont liées, qu'il y a de très fortes interdépendances, que le sentiment de justice ou d'injustice est évidemment un élément que nous devons prendre en compte. Or la justice ne se divise pas. La justice doit s'appliquer à tous.
Q - Dans beaucoup d'entreprises françaises, il est fait abusivement usage de la langue anglais, sans parler des réseaux informatiques ou Internet. Par ailleurs, il y a des commerces qui eux donnent des modes d'emplois en langue anglaise, uniquement en occultant la langue française. Par ailleurs, certaines chaînes de télévision privées, abusent, audimat oblige, de titres d'émissions en langue anglaise. Vous qui êtes en charge de la Francophonie, et je sais que vous défendez la francophonie avec l'aide du président Abdou Diouf qui est le Secrétaire général de la Francophonie et avec l'aide de M. Pierre-André Wiltzer, ne pensez-vous pas qu'il faudrait légiférer pour que la défense de notre langue soit mieux prise en compte et même, cela permettrait la défense de la langue anglaise, puisqu'il est abusivement dans une langue qui n'est pas la sienne ?
R - Je crois que votre voeu a été exaucé puisqu'il y a une loi en particulier la loi Toubon qui prévoit justement ce respect du bon emploi, du bon usage de la langue française. Mais l'espace de la Francophonie se doit d'être un espace bien sûr vigilant mais aussi ambitieux qui vise à regrouper l'ensemble des énergies de ceux qui pensent que l'identité, et l'identité passe bien sûr aussi par la langue, mérite une mobilisation. Donc vigilance d'un côté, mais aussi détermination et ambition à faire vivre notre langue, c'est-à-dire à montrer qu'elle est capable de véhiculer des idées, une pensée, une vision. Et je crois que de ce point de vue, la mobilisation de notre gouvernement est particulièrement forte.
Q - La Pologne semble s'arc-bouter sur ses positions malgré les efforts de relance de la coopération notamment dans le cadre du Triangle de Weimar. Quelles sont vos propositions pour défaire ce noeud que représente le système de vote dans l'Union européenne ?
R - Il faut toujours du temps pour permettre aux esprits d'évoluer et il est important que l'ensemble des Européens puisse bénéficier de ce temps et le mettent à profit pour justement essayer d'avancer dans une direction qui soit à la fois exigeante et ambitieuse. J'ai eu, ici même il y a quelques jours, des entretiens avec mon collègue polonais et nous allons nous retrouver tout à l'heure, dans le cadre du Triangle de Weimar comme vous l'avez dit. Je crois que la présentation que vous faites ne correspond pas à la réalité. Je crois qu'il y a de la part de l'ensemble des parties aujourd'hui en Europe, une volonté d'avancer. La tâche n'est pas simple, il y a un besoin d'explication et de clarification, nous devons pouvoir défendre et illustrer les raisons qui nous conduisent les uns et les autres aux positions qui sont les nôtres. Vous évoquez en particulier le système de vote à la double majorité, il y a de ce point de vue, de la part de l'Allemagne, de la part de la France, de la part d'autres pays, une conviction très forte : c'est que l'Europe est une union d'Etats et une union de peuples et que le principe de démocratie est un principe qui doit fortement exister et être défendu dans le cadre de cette Europe. Et ce système-là permet justement cette double clef, cette double représentation. Je crois que la présentation qui a pu être faite où l'exigence de certains de privilégier une stratégie confortant une minorité de blocage, n'est pas à la mesure des enjeux de l'Europe. L'Europe c'est une ambition, une exigence qui vise justement à lui permettre de s'affirmer, d'affirmer son identité, sa présence, sa capacité. Et je crois que si nous arrivons à nous entendre sur cette ambition, nous n'aurons pas de mal à nous mettre d'accord sur les quelques éléments qui restent et qui sont essentiels à notre sens pour permettre à l'Europe d'être plus efficace, plus transparente et en même temps plus démocratique. Je fais confiance à la concertation qui va se développer. Vous connaissez tous le calendrier de cette année. Je crois qu'un certain nombre des obstacles permettront justement, une fois levés, de faire évoluer les esprits et j'ai confiance. Nous serons capables de relever ce grand défi pour l'Europe.
Q - Pouvez-vous préciser votre réponse concernant l'Irak ? Est-ce que la France élimine totalement la possibilité d'envoyer les troupes en Irak si les conditions sont acceptables, soit les troupes de soldats, soit les "peacekeepers" (soldats de la paix), soit les entraîneurs de la police ?
R - La question posée concerne l'Irak, la position de la France et l'hypothèse d'envoi de troupes dans cette région. La France a toujours dit clairement ce qu'il en était. Pour nous, il y a bien au coeur de la question irakienne, la question du vide politique actuel et la nécessité d'une stratégie politique commune pour permettre justement à l'Irak de retrouver sa souveraineté et donc d'avancer. Et nous pensons que le meilleur gage de la lutte contre l'insécurité, la violence, le terrorisme, c'est de créer cette dynamique politique qui permettra à l'ensemble des Irakiens de se retrouver à travers un gouvernement représentatif, le plus représentatif possible. Dans ce contexte, vous le voyez bien, cette question de l'envoi de troupes aujourd'hui n'est pas d'actualité. Nous aurons l'occasion, dès lors que le gouvernement sera formé en Irak, de préciser la position qui est la nôtre, dans le cadre du dialogue que nous aurons avec ces autorités irakiennes. Nous verrons quelles sont leurs demandes en matière de sécurité, comment elles voient la sécurisation de leur territoire, comment à ce moment-là elles considéreront que la communauté internationale peut répondre à leur besoin, comment tout ceci pourra s'harmoniser avec une force internationale des Nations unies. En fonction des demandes qui seront faites, bien évidemment nous examinerons les choses. Mais vous le savez, nous travaillons d'ores et déjà à la possibilité de répondre dans le domaine de la sécurité, en particulier par la création d'une école de gendarmerie, par la formation de la police. Il y a donc de nombreux domaines de coopération possible où la France peut apporter sa contribution face à cette crise irakienne, face aux difficultés que nous rencontrons en Irak. Nous sommes mobilisés pour apporter notre réponse et nous souhaitons, bien évidemment, continuer ce dialogue que nous avons engagé avec le Conseil du gouvernement irakien lorsqu'il est venu à Paris. Nous allons le continuer tout au long des prochains mois. Vous savez que nous avons été sollicités pour apporter aussi une contribution dans le domaine constitutionnel. Dans ce domaine aussi, nous sommes disponibles pour apporter le soutien et la contribution de la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 janvier 2004)