Texte intégral
Chers camarades, notre débat est fondamental parce qu'à mes yeux, il a trois dimensions. Car de notre vote peut dépendre la position de la France, mais aussi l'avenir de l'Europe et l'identité de notre Parti. Et de tels enjeux valent que nos adhérents se prononcent.
D'ailleurs, ce débat sur l'Europe, nous ne l'avons pas eu vraiment depuis longtemps. Et donc c'est normal qu'il soit parfois passionné. Il est nécessaire et, peu à peu, nous voyons bien sur quoi porte le vrai sujet de désaccord. Et Jean-Luc a eu la franchise de conclure avec un point central de désaccord. Mais je ne veux pas faire ici l'inventaire de toutes les raisons qui m'incitent à dire oui à ce traité. Beaucoup des arguments ont été largement évoqués. Mais ils sont insuffisants si on n'inscrit pas le choix que nous avons à faire dans sa dimension historique.
Pour notre pays d'abord. La France traverse, et nous le savons depuis plusieurs années, une grave crise de confiance. Elle vit dans le sentiment que l'avenir de notre pays n'est pas synonyme me progrès, que son modèle social s'étiole, que son tissu social, son modèle républicain se déchirent. Alors, chers camarades, imputer ce déclin à l'Europe relève d'une conception que le Parti socialiste a toujours combattue. Est c'est vrai, cela a été rappelé par François Hollande : l'Union ne nous a jamais empêché de faire une politique de gauche en France, y compris dans la période où nous étions au pouvoir après 1997. Le volontarisme des socialistes a toujours été de convaincre notre peuple qu'il a en lui la force et la capacité de faire face aux nouvelles donnes européennes et mondiales. Et c'est ce discours qui nous a permis de fonder le grand marché, qui nous a permis de réussir l'euro et qui nous a permis de porter toutes les politiques communautaires.
Désigner pêle-mêle le traité constitutionnel de Bruxelles, les nouveaux où futurs adhérents de l'Union, la Turquie la cause de nos maux nationaux et européens ne revient à rien d'autre que d'abdiquer nos propres responsabilités politiques et aussi à alimenter (et cela a été évoqué ici aussi bien par les partisans du oui que par les partisans du non), à alimenter les peurs et aussi la tentation du repli de nos concitoyens, et pas seulement dans les classes populaires.
Ce repli national serait un grave contresens au moment justement où de nouvelles puissances continentales sont en train d'émerger, où les rapports de force économiques et politiques mondiaux sont en train de profondément changer. Répondre à ces bouleversements en prenant le risque d'un blocage serait s'enfoncer dans l'impasse. A chaque fois que la France s'est mise de côté, l'Europe s'est figée. Et c'est vrai que la responsabilité des Français, du Parti socialiste, premier parti de France en la matière, n'est pas négligeable.
Alors, mes chers camarades, c'est pourtant maintenant qu'il faut désembourber le char, c'est maintenant qu'il faut réorienter l'Europe. Et nous savons tous que l'Union à 25 où même à 30 ne pourra pas aller bien au-delà d'un espace de paix (mais c'est déjà beaucoup), de démocratie et de droits fondamentaux (c'est déjà beaucoup), d'un grand marché et d'échanges commerciaux (c'est déjà beaucoup). Mais les visions et les intérêts politiques sont trop divergents pour aller à 30 plus loin et faire cette Europe intégrée, cette Europe fédérale et cette Europe puissance que nous appelons de nos voeux. C'est cela qui est en jeu. Et nous nous rejoignons aussi sur ce point, malgré le désaccord entre les partisans du oui et les partisans du non.
C'est pour cela que la question centrale, à mes yeux, et y compris sur la question de l'élargissement et des frontières, problème qui n'est pas tranché, et c'est vrai que sur la Turquie la question est difficile. Mais cela ne peut être à mon avis que par la mise en place d'une avant-garde, d'une Europe intégrée, d'une Europe fédérale dans une Europe confédérale que l'on peut répondre à la question qui nous est posée.
Alors, est-ce que ce traité permet d'avancer plus vite ? Jean-Luc, ce n'est pas au traité de Rome qu'ont été évoquées les coopérations renforcées, seulement au traité d'Amsterdam, précisées au traité de Nice et facilitées avec ce projet de traité. C'est là que je crois que nous pouvons bâtir la nouvelle Europe que nous appelons de nos voeux. C'est de permettre à des groupes de pays d'avancer plus loin, mais aussi plus vite que les autres, grâce à ces coopérations renforcées. Et, mes chers camarades, croit-on que c'est en claquant la porte devant nos partenaires les mieux disposés que nous les convaincrons d'y travailler avec nous ?
Personne ne peut imaginer ici que la réforme du pacte de stabilité et de croissance se fera sans les socio-démocrates allemands, que la défense européenne se fera sans les travaillistes anglais, qu'un traité social sera conçu sans que les socialistes scandinaves aient leur mot à dire. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles ils étaient contre le vote à la majorité qualifiée sur les questions sociales, parce qu'ils n'avaient pas envie que l'Europe majoritairement conservatrice mette en cause les acquis sociaux des socio-démocrates dans l'Europe du Nord.
Je crois qu'il faut que nous sortions d'un mythe que trop souvent la France a porté, notamment la France gaulliste, où l'Europe serait la France en grand et où nous pourrions imposer nos vues à tous,
Chers camarades, le dire, tel que je le fais, n'est pas abdiquée pour autant notre ambition socialiste. C'est au contraire travailler à des alliances solides, durables, qui nous permettent de mettre en uvre notre projet politique pour l'Europe. Du Parti social-démocrate allemand au Parti socialiste ouvrier espagnol, beaucoup de nos partenaires socialistes ou socio-démocrates sont disposés à cette convergence, tant aussi eux, ils débattent, contrairement à ce que vous dites parfois certains. Eux aussi débattent de la nécessaire réorientation de l'Europe pour en faire une Europe qui porte l'idéal socialiste et social-démocrate.
Alors, chers camarades, si nous voulons vraiment avancer avec eux, faut-il encore leur parler, les connaître mieux que nous ne le faisons, et aussi ne pas les décourager en leur faisant la leçon, en nous présentant comme les dépositaires de la ligne pure (et cela ne date pas d'aujourd'hui), quand tant d'autres se complairaient dans la compromission.
Et je terminerai par la question de l'identité du Parti socialiste. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait comme elle a été présentée tout à l'heure. C'est le dernier thème de notre débat. La question de l'identité, ce n'est pas de dire que l'identité est intrinsèquement socialiste, même si je considère que l'internationalisme fait partie de l'identité socialiste. Mais c'est surtout de rappeler le double choix que nous avons fait, il y a plus de vingt ans. Nous sommes sortis de l'idéologie de la rupture et nous l'avons dit dans nos congrès. Et en même temps, nous avons fait, à partir de 1983, le choix d'ancrer notre perspective de transformation sociale dans l'Europe. Et nous avons donc décidé, pas seulement au congrès de l'Arche, mais aussi au congrès de Dijon, d'assumer pleinement notre réformisme de gauche à l'échelle nationale et européenne.
Alors, l'électrochoc que certains proposent aujourd'hui serait pour moi une forme de retour en arrière, parce qu'il reviendrait à transférer sur l'Europe cette stratégie de la rupture que nous avons abandonnée en France. Et alors, nous nous retrouverions dans un paradoxe politique considérable, parce que c'est quand même bien le courant socialiste qui a gagné la bataille avec François Mitterrand depuis Épinay. Ce serait revenir en arrière et revenir à la remorque de ceux qui, à gauche, notamment les communistes mais pas seulement eux, ont toujours combattu l'Europe en nous coupant des partis socio-démocrates et des syndicats européens. C'est ça, la question de l'identité que je voulais évoquer devant vous. Parce que la question, c'est : avec qui alors pourrions-nous bâtir une réorientation progressiste de l'Europe ? Comment ferions-nous pour établir un rapport de force face à la majorité conservatrice de l'Union ? Quelles avancées réelles (je dis bien réelles et concrètes) porterait-on pour le monde du travail qui a tendance à se détourner de l'Europe ?
Je conclus, chers camarades. Notre pays a besoin de vérité. Il a depuis trop longtemps entendu des discours flamboyants qui se terminent par des lendemains qui déchantent. Le courage n'est pas de se draper dans la superbe de notre exception politique, il n'est pas de provoquer des crises salutaires dont on ne dit pas concrètement comment on serait capable de sortir. Il est au contraire d'assumer sans fard ce que nous sommes : des réformistes de gauche qui veulent concilier le souhaitable et le possible et qui font au pouvoir ce qu'ils disent dans l'opposition.
C'est sans doute, chers camarades, plus difficile à expliquer et à réaliser qu'un vibrant électrochoc. Mais c'est à mes yeux une voie plus crédible pour que la France retrouve foi en l'Europe et que l'Europe retrouve confiance en la France. C'est, pour préparer 2007, la responsabilité du Parti socialiste.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 octobre 2004)
D'ailleurs, ce débat sur l'Europe, nous ne l'avons pas eu vraiment depuis longtemps. Et donc c'est normal qu'il soit parfois passionné. Il est nécessaire et, peu à peu, nous voyons bien sur quoi porte le vrai sujet de désaccord. Et Jean-Luc a eu la franchise de conclure avec un point central de désaccord. Mais je ne veux pas faire ici l'inventaire de toutes les raisons qui m'incitent à dire oui à ce traité. Beaucoup des arguments ont été largement évoqués. Mais ils sont insuffisants si on n'inscrit pas le choix que nous avons à faire dans sa dimension historique.
Pour notre pays d'abord. La France traverse, et nous le savons depuis plusieurs années, une grave crise de confiance. Elle vit dans le sentiment que l'avenir de notre pays n'est pas synonyme me progrès, que son modèle social s'étiole, que son tissu social, son modèle républicain se déchirent. Alors, chers camarades, imputer ce déclin à l'Europe relève d'une conception que le Parti socialiste a toujours combattue. Est c'est vrai, cela a été rappelé par François Hollande : l'Union ne nous a jamais empêché de faire une politique de gauche en France, y compris dans la période où nous étions au pouvoir après 1997. Le volontarisme des socialistes a toujours été de convaincre notre peuple qu'il a en lui la force et la capacité de faire face aux nouvelles donnes européennes et mondiales. Et c'est ce discours qui nous a permis de fonder le grand marché, qui nous a permis de réussir l'euro et qui nous a permis de porter toutes les politiques communautaires.
Désigner pêle-mêle le traité constitutionnel de Bruxelles, les nouveaux où futurs adhérents de l'Union, la Turquie la cause de nos maux nationaux et européens ne revient à rien d'autre que d'abdiquer nos propres responsabilités politiques et aussi à alimenter (et cela a été évoqué ici aussi bien par les partisans du oui que par les partisans du non), à alimenter les peurs et aussi la tentation du repli de nos concitoyens, et pas seulement dans les classes populaires.
Ce repli national serait un grave contresens au moment justement où de nouvelles puissances continentales sont en train d'émerger, où les rapports de force économiques et politiques mondiaux sont en train de profondément changer. Répondre à ces bouleversements en prenant le risque d'un blocage serait s'enfoncer dans l'impasse. A chaque fois que la France s'est mise de côté, l'Europe s'est figée. Et c'est vrai que la responsabilité des Français, du Parti socialiste, premier parti de France en la matière, n'est pas négligeable.
Alors, mes chers camarades, c'est pourtant maintenant qu'il faut désembourber le char, c'est maintenant qu'il faut réorienter l'Europe. Et nous savons tous que l'Union à 25 où même à 30 ne pourra pas aller bien au-delà d'un espace de paix (mais c'est déjà beaucoup), de démocratie et de droits fondamentaux (c'est déjà beaucoup), d'un grand marché et d'échanges commerciaux (c'est déjà beaucoup). Mais les visions et les intérêts politiques sont trop divergents pour aller à 30 plus loin et faire cette Europe intégrée, cette Europe fédérale et cette Europe puissance que nous appelons de nos voeux. C'est cela qui est en jeu. Et nous nous rejoignons aussi sur ce point, malgré le désaccord entre les partisans du oui et les partisans du non.
C'est pour cela que la question centrale, à mes yeux, et y compris sur la question de l'élargissement et des frontières, problème qui n'est pas tranché, et c'est vrai que sur la Turquie la question est difficile. Mais cela ne peut être à mon avis que par la mise en place d'une avant-garde, d'une Europe intégrée, d'une Europe fédérale dans une Europe confédérale que l'on peut répondre à la question qui nous est posée.
Alors, est-ce que ce traité permet d'avancer plus vite ? Jean-Luc, ce n'est pas au traité de Rome qu'ont été évoquées les coopérations renforcées, seulement au traité d'Amsterdam, précisées au traité de Nice et facilitées avec ce projet de traité. C'est là que je crois que nous pouvons bâtir la nouvelle Europe que nous appelons de nos voeux. C'est de permettre à des groupes de pays d'avancer plus loin, mais aussi plus vite que les autres, grâce à ces coopérations renforcées. Et, mes chers camarades, croit-on que c'est en claquant la porte devant nos partenaires les mieux disposés que nous les convaincrons d'y travailler avec nous ?
Personne ne peut imaginer ici que la réforme du pacte de stabilité et de croissance se fera sans les socio-démocrates allemands, que la défense européenne se fera sans les travaillistes anglais, qu'un traité social sera conçu sans que les socialistes scandinaves aient leur mot à dire. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles ils étaient contre le vote à la majorité qualifiée sur les questions sociales, parce qu'ils n'avaient pas envie que l'Europe majoritairement conservatrice mette en cause les acquis sociaux des socio-démocrates dans l'Europe du Nord.
Je crois qu'il faut que nous sortions d'un mythe que trop souvent la France a porté, notamment la France gaulliste, où l'Europe serait la France en grand et où nous pourrions imposer nos vues à tous,
Chers camarades, le dire, tel que je le fais, n'est pas abdiquée pour autant notre ambition socialiste. C'est au contraire travailler à des alliances solides, durables, qui nous permettent de mettre en uvre notre projet politique pour l'Europe. Du Parti social-démocrate allemand au Parti socialiste ouvrier espagnol, beaucoup de nos partenaires socialistes ou socio-démocrates sont disposés à cette convergence, tant aussi eux, ils débattent, contrairement à ce que vous dites parfois certains. Eux aussi débattent de la nécessaire réorientation de l'Europe pour en faire une Europe qui porte l'idéal socialiste et social-démocrate.
Alors, chers camarades, si nous voulons vraiment avancer avec eux, faut-il encore leur parler, les connaître mieux que nous ne le faisons, et aussi ne pas les décourager en leur faisant la leçon, en nous présentant comme les dépositaires de la ligne pure (et cela ne date pas d'aujourd'hui), quand tant d'autres se complairaient dans la compromission.
Et je terminerai par la question de l'identité du Parti socialiste. Ce n'est d'ailleurs pas tout à fait comme elle a été présentée tout à l'heure. C'est le dernier thème de notre débat. La question de l'identité, ce n'est pas de dire que l'identité est intrinsèquement socialiste, même si je considère que l'internationalisme fait partie de l'identité socialiste. Mais c'est surtout de rappeler le double choix que nous avons fait, il y a plus de vingt ans. Nous sommes sortis de l'idéologie de la rupture et nous l'avons dit dans nos congrès. Et en même temps, nous avons fait, à partir de 1983, le choix d'ancrer notre perspective de transformation sociale dans l'Europe. Et nous avons donc décidé, pas seulement au congrès de l'Arche, mais aussi au congrès de Dijon, d'assumer pleinement notre réformisme de gauche à l'échelle nationale et européenne.
Alors, l'électrochoc que certains proposent aujourd'hui serait pour moi une forme de retour en arrière, parce qu'il reviendrait à transférer sur l'Europe cette stratégie de la rupture que nous avons abandonnée en France. Et alors, nous nous retrouverions dans un paradoxe politique considérable, parce que c'est quand même bien le courant socialiste qui a gagné la bataille avec François Mitterrand depuis Épinay. Ce serait revenir en arrière et revenir à la remorque de ceux qui, à gauche, notamment les communistes mais pas seulement eux, ont toujours combattu l'Europe en nous coupant des partis socio-démocrates et des syndicats européens. C'est ça, la question de l'identité que je voulais évoquer devant vous. Parce que la question, c'est : avec qui alors pourrions-nous bâtir une réorientation progressiste de l'Europe ? Comment ferions-nous pour établir un rapport de force face à la majorité conservatrice de l'Union ? Quelles avancées réelles (je dis bien réelles et concrètes) porterait-on pour le monde du travail qui a tendance à se détourner de l'Europe ?
Je conclus, chers camarades. Notre pays a besoin de vérité. Il a depuis trop longtemps entendu des discours flamboyants qui se terminent par des lendemains qui déchantent. Le courage n'est pas de se draper dans la superbe de notre exception politique, il n'est pas de provoquer des crises salutaires dont on ne dit pas concrètement comment on serait capable de sortir. Il est au contraire d'assumer sans fard ce que nous sommes : des réformistes de gauche qui veulent concilier le souhaitable et le possible et qui font au pouvoir ce qu'ils disent dans l'opposition.
C'est sans doute, chers camarades, plus difficile à expliquer et à réaliser qu'un vibrant électrochoc. Mais c'est à mes yeux une voie plus crédible pour que la France retrouve foi en l'Europe et que l'Europe retrouve confiance en la France. C'est, pour préparer 2007, la responsabilité du Parti socialiste.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 octobre 2004)