Tribune de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 29 novembre 2003, sur l'élargissement de l'union européenne et l'adoption d'une Constitution européenne, intitulé "Se préparer aux rendez-vous à venir".

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Le traité européen qui devrait voir le jour à Rome avant la fin de l'année, ne sera pas un nouveau Traité de Rome mais bel et bien une constitution. La portée politique de ce texte l'emportera de loin sur sa nature juridique, puisqu'il s'agit de doter l'Union des moyens de fonctionner à 25 et d'assumer ses responsabilités dans les nouveaux domaines de la sécurité, de la défense, de la politique étrangère et de la politique économique.
L'élargissement à dix nouveaux Etats-membres avait été décidé entre 1998 et 2000. Il est devenu officiel le 16 avril dernier avec la signature du Traité d'Athènes qui sera ratifié par le Parlement cette semaine. En mai prochain, l'Europe comprendra donc dix nouveaux Etats-membres. Avant même la fin des négociations d'adhésion, les gouvernements avaient voulu prévenir les risques de dysfonctionnement d'institutions héritées pour une large part des années 60, au temps de l'Europe des Six. Les gouvernements ont choisi la bonne méthode pour réformer les institutions de l'Europe : ils ont fait précéder la conférence intergouvernementale (CIG) ouverte à Rome, le 4 octobre, d'une convention qui a réuni les Etats, les parlements, et les représentants des citoyens.
La convention a réussi à proposer un texte équilibré, produit de deux logiques, l'intergouvernementale et la communautaire. Ainsi la commission demeure cet organe collégial chargé de dégager l'intérêt général de l'Union ; le conseil où siège chaque Etat-membre reste l'organe de décision grâce au principe de la double majorité, des Etats et des peuples ; enfin la convention a proposé la création d'un poste de président de l'Union dont le mandat de 2 ans assurerait à la fois la visibilité extérieure de l'Union et une relative continuité dans les priorités politiques de l'Europe. Désormais, la parole est aux ministres et aux diplomates qui préparent la décision des chefs d'état. Puissent-ils ne pas remettre à plat ce projet, ce serait courir le risque d'une très grave marche arrière que l'on ne peut pas imaginer.
L'espérance politique pourrait-elle s'éteindre dans des querelles diplomatiques ? Elle demanderait plusieurs décennies avant de renaître Les gouvernements ne doivent pas prendre le risque de dénaturer le projet de Constitution. Au contraire, au-delà des aspects techniques et institutionnels, l'adoption de la première constitution européenne donnera à la construction européenne un nouveau souffle. Encore faut-il, bien sûr, que s'engage au mieux la troisième phase. Chacune des nations composantes de l'union aura, en effet, à ratifier cette Constitution, une fois celle-ci adoptée par la CIG. Des voix se font déjà entendre pour exprimer des préférences quant au mode de ratification. Beaucoup insistent sur l'intérêt d'une consultation populaire par référendum. Mais, il faudrait s'assurer qu'une véritable trêve partisane est possible. Si la majorité en France doit éviter d'user de ce référendum pour faire approuver sa politique, la gauche doit se garder de profiter de cette consultation pour exploiter tous les mécontentements.
Imaginons active cette trêve partisane, il reste encore à susciter une véritable adhésion populaire. Le peut-on à partir de mécanismes institutionnels, certes clarifiés, mais tout de même éloignés du quotidien de la vie des peuples ? Les véritables choix européens ont été faits à partir d'une question concrète, comme ce fut le cas pour l'Euro. Comment les gouvernements de l'Union pourraient-ils consulter leur peuple sur la Constitution sans en même temps accompagner déjà cette Constitution de quelques projets significatifs de nature à éclairer le pourquoi de ce texte ? Quelques projets significatifs, quelques initiatives de croissance dans le domaine des infrastructures, mais surtout dans celui de la recherche, donneraient tout son sens à cet effort de réorganisation de l'Europe.
Une autre condition porte sur les contours de l'Union européenne. Il faut clairement dissocier le choix de la constitution, faite pour les 25 pays, et celui d'une ouverture éventuelle à d'autres nations comme la Turquie, voire la Russie. Il n'est pas venu le moment de se poser de telles questions. L'Union européenne peut manifestement imaginer des modes originaux d'associations de ses peuples. Il s'agit d'éviter de créer un véritable trouble dans les populations en préconisant un élargissement à marche forcée et sans tenir compte d'un certain nombre de problèmes majeurs qui rendraient beaucoup plus difficile l'intégration de ces nouvelles nations.
Alors, si ces trois conditions sont remplies, il faudrait donner à la consultation populaire française une dimension plus solennelle, en la reliant à la consultation de tous les autres états de l'Union qui disposent de ce mode de ratification. Une consultation populaire le même jour dans la majorité des pays de l'Union, initierait une campagne à la dimension de l'Europe : une campagne beaucoup plus attractive, et a priori centrée sur le projet européen lui-même. On voit bien aussi la force du symbole d'un vote intervenant le même jour et renforçant ainsi le sentiment d'appartenance des citoyens de chaque état à une citoyenneté commune européenne.
Le choix en faveur du référendum, si souhaitable soit-il, exige ainsi la levée des obstacles qui se dressent sur la route. Comme il n'est pas d'actualité, nous avons encore le temps d'éliminer ces obstacles l'un après l'autre. Si toutefois nous n'étions pas arrivés au but, au moment du choix, il ne faut pas écarter le recours à une procédure parlementaire. La démocratie représentative reste, dans la tradition historique européenne et française, une démocratie de plein exercice.
L'enjeu est tel qu'il faut laisser ouvertes les deux voies d'adoption de la future Constitution européenne dont une consultation populaire, souhait qui ne peut être que partagée ; alors, il faut d'ores et déjà en créer les conditions. Et il n'est pas trop tôt pour en prendre pleinement conscience et s'y préparer.

(source http://www.ump.assemblee-nationale.fr, le 11 décembre 2003)