Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les priorités actuelles de l'Union européenne et l'influence de la France en Europe, à Paris le 26 août 2004.

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Circonstance : Ouverture de la Douzième conférence des ambassadeurs, à Paris le 26 août 2004

Texte intégral

Je suis très heureuse de m'exprimer devant vous, pour la première fois, en tant que ministre déléguée aux Affaires européennes. Mes déplacements m'ont déjà permis de faire la connaissance de plusieurs d'entre vous. Les occasions de mieux nous connaître seront plus nombreuses encore à l'avenir : j'ai l'intention, dans les mois qui viennent, d'être très présente dans les pays de l'Union, les pays candidats mais également les "nouveaux voisins", avec lesquels il nous faut davantage parler d'Europe.
Avant d'aborder le thème de cette conférence, la stratégie d'influence de la France, je voudrais évoquer avec vous quelques-uns unes des grandes priorités de l'Union dans les mois qui viennent.
La ratification du traité constitutionnel, tout d'abord. Elle n'est pas acquise. Nous savons tous combien les référendums peuvent être facilement détournés de leur objet, aussi bien en France que chez nos voisins européens. C'est la raison pour laquelle nous allons engager, dès la signature du traité, un débat ambitieux, pluraliste et ouvert pour que les Français puissent comprendre les enjeux véritables de cette Constitution. Vous-mêmes avez un rôle à jouer dans les pays de l'Union, mais aussi dans les pays tiers, pour expliquer et illustrer la portée de cette Constitution. Une cellule a été mise en place, au Quai d'Orsay, pour animer le dialogue sur l'Europe et la Constitution. Elle se tient à votre disposition pour vous transmettre les informations et le matériel dont vous aurez besoin.
L'une des réformes introduites par cette Constitution vous concerne particulièrement : il s'agit de l'institution d'un ministre des Affaires étrangères et d'un service diplomatique européens. C'est un thème majeur pour l'influence française.
A Bruxelles, les travaux sur ce sujet vont commencer. Il importe que cette réflexion ne soit pas l'exclusive du Secrétariat général du Conseil et de la Commission, mais que nous y soyons étroitement associés, le plus en amont possible. Ce qui signifie que nous devons dès à présent réfléchir par nous-mêmes, pour être en mesure d'orienter les débats à venir. Vous avez déjà été consultés sur les tâches qui pourraient être mises en commun au sein des délégations de l'Union. Mais nous devons nous poser beaucoup d'autres questions, sur le degré d'intégration souhaitable de ce service diplomatique, sur son périmètre d'action, sur notre capacité à mener une politique active de détachement de nos diplomates, ou encore sur les modalités de représentation de l'Union auprès des organisations internationales. Vos contributions à cette réflexion seront indispensables.
L'entrée en vigueur du traité constitutionnel est une condition nécessaire à la réussite de l'élargissement de l'Union. La Constitution, en réduisant la taille de la Commission et en modifiant les règles de vote au Conseil, introduira les réformes dont l'Union a besoin. Pour l'heure, je pense que l'Union doit se donner le temps d'assimiler l'élargissement historique qu'elle vient de connaître.
Avant d'accueillir de nouveaux membres, au-delà de la Roumanie et de la Bulgarie attendus en 2007, il nous faut apprendre à fonctionner à vingt-cinq. Les clivages nés du conflit irakien se sont aujourd'hui fortement estompés. L'amère expérience irakienne, et le sentiment de certains des pays d'Europe centrale et orientale d'avoir été instrumentalisés, y ont sans doute contribué. Mais la conférence inter-gouvernementale a confirmé des tensions, au sein de l'Union, traduites notamment par la coalition des petits et moyens pays inquiets de l'influence des grands Etats. Il existe aussi, pourquoi ne pas le dire, une certaine méfiance à l'égard du modèle franco-allemand, parfois perçu comme hégémonique et hermétique aux préoccupations des plus petits Etats. Il y a là des appréhensions et des malentendus que nous devons lever.
Le rôle de nos ambassades dans l'Union, singulièrement dans les nouveaux Etats membres, sera essentiel à cet égard. Nous devons entretenir un dialogue régulier avec ces pays, respectueux des spécificités de chacun d'entre eux. C'est ce dialogue qui nous permettra d'enrichir et de diversifier nos alliances, comme l'a montré par exemple le soutien hongrois et polonais à certaines de nos positions à l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) sur le volet agricole.
La réussite de l'élargissement dans la durée dépendra également de notre capacité à être solidaires des nouveaux membres, y compris en termes financiers. C'est l'un des enjeux des nouvelles perspectives financières pour 2007-2013. L'exercice sera difficile : nous voulons que l'Union se donne les moyens de ses politiques prioritaires, je pense notamment à la stratégie de compétitivité. En même temps, la politique de cohésion doit être assez ambitieuse pour accompagner la modernisation des nouveaux membres. Dans le cadre d'un budget contraint, ceci impliquera d'inévitables sacrifices de la part de ceux des Quinze qui étaient, jusqu'à présent, les principaux bénéficiaires des fonds structurels.
Il nous faut dans le même temps imaginer une politique de voisinage digne de ce nom. C'est un défi pour l'Union qui n'a jamais réussi à offrir une alternative crédible à l'adhésion. Les propositions de la Commission pour les "nouveaux voisins" vont dans le bon sens, mais elles ne sont pas suffisamment ambitieuses.
A l'origine, l'initiative "nouveaux voisins" traduisait la volonté de développer une relation de partenariat avec ces pays, sur la base d'engagements réciproques, y compris dans le domaine politique. Mais ceci suppose que nous soyons en mesure de proposer à nos partenaires des avantages concrets et nouveaux. Ce n'est pas toujours le cas. Je pense en particulier à nos partenaires méditerranéens au sein du processus de Barcelone, qui fêtera l'an prochain son 10ème anniversaire : ces pays perçoivent mal ce que la politique de voisinage ajoute aux accords d'association dont ils sont déjà bénéficiaires. Nous devons associer plus étroitement les "nouveaux voisins" aux grands programmes européens, développer à leur égard une logique comparable à celle des fonds structurels au sein de l'Union, comme l'a proposé Michel Barnier, et les faire bénéficier de l'expérience fructueuse des jumelages administratifs qui ont contribué au succès de l'élargissement.
Avec la Constitution, la création d'un ministre européen des Affaires étrangères et des coopérations structurées en matière de défense, l'Union devrait se donner les moyens de peser plus efficacement sur les affaires du monde, d'être le véritable acteur global que nous appelons de nos voeux.
D'ores et déjà, la défense européenne progresse, l'Union joue un rôle de premier plan à l'OMC et dans les enceintes où se décident les politiques de développement ou d'environnement. Aucune action diplomatique crédible ne peut être conçue et mise en oeuvre en faisant abstraction du cadre européen.
D'où l'importance du thème choisi cette année pour la Conférence des ambassadeurs : la stratégie d'influence de la France en Europe et dans le monde. Pour ce qui est de l'Europe, et sans vouloir empiéter sur les débats que nous allons avoir, je m'en tiendrai à quelques remarques de caractère général.
L'influence n'est pas un objectif en soi. Elle ne se résume pas à la présence de Français à des postes de responsabilité. Elle n'a de sens que si elle est au service d'un projet et d'une ambition. C'est bien l'enjeu qui nous occupe aujourd'hui : comment mieux expliquer et faire partager, dans une Union élargie, notre conception d'une Europe respectueuse des équilibres économiques, mais aussi sociaux et culturels ?
Si l'on s'en tenait à la présence de nos compatriotes dans les institutions européennes, le jugement resterait très positif, contrairement à une idée qui tend à se répandre. Les Français sont bien, certains de nos partenaires disent même trop, représentés dans les postes de responsabilité. Ils comptent ainsi le nombre le plus important de directeurs généraux, de directeurs et d'administrateurs à la Commission. Ils occupent des fonctions clés à la Banque centrale européenne, au secrétariat général du Conseil ou à l'Etat major de l'Union européenne. Au Parlement européen, les Français président désormais cinq commissions, contre deux dans la précédente mandature.
Chacun a cependant, confusément, le sentiment que l'élargissement et l'évolution de l'Union font peser une menace sur notre influence. Certains rapports parlementaires, comme le rapport Floch, ont relevé des signes préoccupants.
Notre action doit porter sur tous les volets d'une stratégie d'influence en Europe. Nous y travaillons avec Michel Barnier et le gouvernement dans son ensemble. Les propositions que vous serez amenés à formuler pendant cette conférence vont contribuer à notre réflexion.
Dans ce cadre, il nous faut être attentifs à ce qui se passe en amont du processus de décision, là où se déroule la bataille des idées et des concepts. Ceux qui font l'opinion, à Bruxelles et dans les capitales européennes, ne sont pas toujours au contact de nos idées ou en ont une perception dépassée, voire déformée. Nos centres de recherche, nos organes de presse, quelle que soit leur qualité, n'ont pas une audience suffisante hors de nos frontières nationales. Il y a là un travail très complexe et très patient à mener, dans lequel nos ambassadeurs ont une part à prendre à travers leurs contacts quotidiens avec les milieux politiques, économiques et la société civile.
Nous devons aussi, et je conclurai mes propos sur ce point, faire preuve d'exemplarité. Nos conceptions de l'Europe seront mieux comprises et acceptées si nous donnons de la France l'image d'un pays qui accepte les disciplines communautaires et s'y conforme. Je pense au respect des règles budgétaires, à la transposition des directives communautaires ou des normes en matière d'environnement. Je pense aussi à l'assiduité de nos ministres et de nos parlementaires à Bruxelles et Strasbourg.
C'est à ce prix que nous pourrons préserver et renforcer, dans une Union à vingt-cinq, notre influence morale et politique et continuer à porter un projet ambitieux pour l'Europe.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 août 2004)