Texte intégral
Pierre Weill (journaliste) : L'Assemblée nationale a achevé la semaine dernière l'examen en première lecture de la Charte sur l'environnement. Elle sera adoptée aujourd'hui par l'Assemblée nationale. Jacques CHIRAC y tient beaucoup, il veut qu'elle fasse partie de la Constitution.
Invité de "Question directe" ce matin, Serge Lepeltier, le ministre de l'Écologie et du Développement durable. C'est plutôt rare, cette Charte sur l'environnement sera votée aujourd'hui par beaucoup de députés de la majorité, mais aussi par des socialistes. Laurent FABIUS a dit qu'il votera pour ; Dominique VOYNET, ancienne élue Vert, dit que si elle était députée, elle voterait en faveur de cette Charte. Et pourtant, on vous reproche une certaine frilosité dans ce texte. Par exemple, vous écrivez : "Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement." "Contribuer", seulement, ce n'est pas le célèbre principe "pollueur égale payeur" ; pourquoi ?
Serge LEPELTIER : Parce que ce principe de réparation va en fait beaucoup plus loin que le principe pollueur-payeur. Ce qu'il faut comprendre dans le principe pollueur-payeur, c'est que, en fait, en quelque sorte, on paie pour polluer. Alors que, dans le cas du principe de réparation, quand on a pollué, on doit réparer, donc on doit dépolluer. Et si on parle de contribution, c'est pour que tout le monde participe. Aujourd'hui, on sait qu'avec le principe pollueur-payeur, de nombreuses [personnes], qui n'ont pas les moyens en quelque sorte, ne paient d'aucune façon. Donc il faut faire en sorte que chacune et chacun qui nuit à l'environnement, répare les dégâts qu'il commet, et c'est ce qu'il y a dans cette charte de l'environnement.
Pierre WEILL : Il y a le fameux article 5, le célèbre principe de précaution, qui a fait couler beaucoup d'encre. C'est la disposition la plus innovante, mais aussi la plus contestée ; elle a même été contestée dans les rangs de l'UMP. Je résume : si on craint un dommage pour l'environnement, les autorités publiques appliquent le principe de précaution, c'est-à-dire qu'elles prennent des mesures pour éviter les dommages et évaluer les risques encourus. Beaucoup d'élus craignent une paralysie de l'innovation, de la recherche, il y a eu beaucoup de contestations. Est-ce que cela ne montre pas que, en France, c'est quand même très difficile de réformer et que l'on se heurte très vite à des intérêts particuliers, à des lobbies ?
Serge LEPELTIER : En matière d'environnement, rien n'est jamais simple. Tous les pas qui ont été faits ont été des pas difficiles. Et ce texte, qui a été longuement discuté, qui a suscité vraiment l'intérêt des parlementaires, si c'est le cas, c'est parce qu'il n'est justement pas anodin. Et dans ce principe de précaution, quelle est l'idée ? L'idée, c'est que, maintenant, dans chaque acte de la vie, dans chaque acte des institutions, des entreprises, il faudra voir si on risque de nuire à l'environnement. C'est, en fait, placer l'environnement au niveau des droits de l'Homme, au niveau des droits sociaux ; c'est en faire, en quelque sorte, un nouveau droit de l'Homme, et ça, c'est complètement essentiel pour l'avenir.
Pierre WEILL : Cela veut dire que n'importe quel citoyen français pourra l'invoquer devant une juridiction, puisque cela va faire partie de la Constitution ?
Serge LEPELTIER : Il faudra surtout que, dans chaque acte, nous essayions de voir quelles peuvent être les conséquences sur l'environnement. Dans le passé, on inventait quelquefois des produits. Je vais prendre l'exemple de l'amiante. L'amiante était un produit qui, au départ, était un produit extraordinaire, isolant, qui a été utilisé dans le bâtiment. On ne s'est pas posé la question de savoir si, vingt ans ou trente ans après, il y aurait des morts. Eh bien, aujourd'hui, avec cette Charte de l'environnement, lorsqu'on inventera un nouveau produit, on se posera la question si, dans vingt ans ou trente ans, il y a des morts avec ce produit.
Pierre WEILL : Certains, dans l'opposition, disent que Cette charte de l'environnement, je cite, c'est un "coup politique de Jacques CHIRAC", et, finalement, cela va faire beaucoup de bruits lorsque ce sera voté, mais que l'application reste quand même assez aléatoire...
Serge LEPELTIER : C'est d'abord une vision supérieure du chef de l'Etat, qui a bien compris aujourd'hui quels étaient les enjeux de ce début de XXIème siècle. Lorsqu'il est allé à Johannesburg, qu'il a dit "La maison brûle, et nous regardons ailleurs", cela a frappé le monde entier parce que, aujourd'hui, l'objectif de l'environnement doit être notre premier objectif. On sait que, en matière de réchauffement climatique, par exemple, l'évolution est extraordinairement rapide et que nous aurons, dans les années qui viennent, des tempêtes, des cyclones, des conséquences incalculables. On sait que, en matière de biodiversité, les conséquences sont aujourd'hui très très importantes. Imaginez que si nous continuons l'exploitation des forêts tropicales comme nous les exploitons aujourd'hui, d'ici trente ans, il n'y aura plus de forêt tropicale. Or, dans ces forêts humides, c'est là que nous trouvons toute la pharmacopée du monde. Donc il y a là des enjeux considérables que Jacques CHIRAC a compris et qu'il met au niveau qui doit être le sien, c'est-à-dire au niveau international premier, parce qu'on ne saurait traiter l'environnement en dehors d'une union des pays, à la fois au niveau européen et au niveau international. Je crois que le chef de l'Etat a, comme rôle, de fixer le cap, et là, il le fixe.
Pierre WEILL : Météo France lance aujourd'hui une nouvelle carte de vigilance qui intègre, pour la première fois, le risque de grande chaleur, et cela pour se mobiliser et pour ne pas renouveler l'échec qu'on a vécu l'année dernière au moment de la canicule en France. Vous travaillez, dans votre ministère, avec des spécialistes de l'environnement. Est-ce que l'on risque une nouvelle canicule l'été prochain ?
Serge LEPELTIER : Il faut d'abord savoir que la canicule de 2003 était dans les modèles de prévision qui étudient ce réchauffement climatique, et je dirais que, à deux ou trois ans près, on savait qu'il y aurait une canicule à ce moment-là. Et ces mêmes modèles, qu'est-ce qu'ils disent sur le XXIème siècle ? Ils disent qu'il y aura trente étés, au cours du XXIème siècle, plus chauds que l'été 2003. Cela veut dire : à peu près un été sur trois. C'est donc tout à fait considérable, il faut intégrer cette nouvelle donne, et le plan Canicule, naturellement, le prévoit.
Pierre WEILL : Ce que vous dites c'est que, finalement, c'est un très grave échec qui s'est passé l'année dernière, puisqu'on prévoyait une canicule, et pourtant, les pouvoirs publics n'ont pas été préparés et n'ont pas su faire face ?
Serge LEPELTIER : On ne prévoyait pas la canicule cette année-là ; c'est naturellement statistiquement dans ces années-là qu'on savait qu'il y aurait des éléments très chauds. Mais n'oubliez pas qu'on ne l'avait jamais vécu, et dans les sociétés, ce qui est important, c'est de voir ce qui a déjà été vécu et ce qui ne l'a pas été. Là, on ne pouvait pas en imaginer les conséquences puisqu'on n'avait pas connu un été aussi chaud.
Pierre WEILL : Vous avez dit récemment que la situation hydrologique de la France est fragile en cas de sécheresse et qu'un plan d'action est prêt pour lutter contre les effets possibles d'une sécheresse. On risque de manquer d'eau en France ?
Serge LEPELTIER : Oui. Actuellement, les nappes phréatiques n'ont pas été renouvelées comme elles auraient dû l'être au cours de cet hiver, et elles ne sont pas suffisamment élevées. Or, si nous regardons l'été 2003 de l'année dernière, il y a eu une canicule, mais les conséquences de la sécheresse n'ont pas été aussi catastrophiques qu'elles auraient pu l'être parce que les nappes phréatiques, au début de l'été, étaient suffisamment importantes. Or, au début de cet été 2004, elles sont basses, donc si nous connaissons, en 2004, un été aussi chaud qu'en 2003, les conséquences risquent d'être catastrophiques.
Pierre WEILL : Et qu'est-ce que vous allez proposer ?
Serge LEPELTIER : Nous avons naturellement anticipé ; les préfets, dans les départements, sont prêts à prendre les mesures qui s'imposent en matière notamment d'économie d'eau.
Pierre WEILL : Qui sera visé ?
Serge LEPELTIER : Les industriels, les agriculteurs, mais nous tous également dans notre comportement de tous les jours.
Pierre WEILL : Par exemple ? Qu'est-ce qu'il faudra faire ? Moins de douches ?
Serge LEPELTIER : Il faut faire des économies, il faut notamment, surtout, moins de bains ; il faut savoir que nous consommons beaucoup plus d'eau lorsque nous prenons des bains que lorsque nous prenons des douches. Il faudra moins arroser... Donc il y a tout un ensemble de mesures qui seront prises.
Pierre WEILL : Conséquence de ce qui s'est passé ce week-end en Arabie Saoudite, cette attaque dans un site pétrolier : les prix du pétrole montent encore. Est-ce qu'il n'y a pas urgence, maintenant, à s'intéresser aux énergies renouvelables ? Une conférence s'ouvre aujourd'hui à Bonn, en Allemagne, pour la promotion des énergies renouvelables. Alors est-ce que l'on peut compter sur les éoliennes, le solaire, les piles à combustible pour remplacer un jour le pétrole ?
Serge LEPELTIER : Ceci montre l'enjeu écologique d'aujourd'hui ; l'enjeu essentiel, en particulier pour la France, est de sortir de cette société du tout-pétrole. Le pétrole, à la fois pollue, il participe au réchauffement climatique, il pose des problèmes économiques - on le voit avec la montée des cours du pétrole - et puis il pose des problèmes géostratégiques, puisque les réserves du pétrole sont quasiment dans une seule partie du monde. Il faut donc sortir de cette société du tout-pétrole. Comment ? D'abord, en faisant des économies. On a complètement oublié les économies dont nous parlions pendant les années 70. Il faut développer des énergies renouvelables, la première d'entre elles étant l'éolien, mais aussi le solaire ; nous ne faisons pas suffisamment d'efforts en solaire. Si je prends quelque chose de très simple aujourd'hui : le chauffe-eau solaire est totalement maîtrisé techniquement, pourquoi ne pas le développer ? Nous allons prendre des mesures là-dessus.
Pierre WEILL : Lesquelles ?
Serge LEPELTIER : Nous allons sortir le plan Climat d'ici l'été, et il y a des mesures qui vont inciter à l'achat de chauffe-eau solaires. Mais vous avez aussi les biocarburants. Je suis un avocat des biocarburants. Les biocarburants peuvent être intégrés dans les carburants habituels et, par-là même, à la fois nous favorisons l'indépendance énergétique de notre pays et nous créons de l'emploi. Donc il y a là tout un ensemble de mesures, et naturellement, je serai à Bonn cette semaine pour défendre ces idées.
Pierre WEILL : Dernière question : votre opinion sur ce projet de transfert des vols de l'aéroport de Roissy vers Orly après l'effondrement du terminal E de l'aéroport Charles-de-Gaulle 2. On parle de nouvelles nuisances sonores dans ce secteur d'Orly où de nombreux maires se disent prêts à manifester, et même envahir les pistes. Vous êtes favorables à ce transfert de vols ?
Serge LEPELTIER : Nous sommes face à une catastrophe exceptionnelle où des solutions, des solutions provisoires, transitoires, doivent être prises. C'est au ministre des Transports de prendre ces mesures, et si elles sont envisagées et si le ministre des Transports les décide, naturellement je les soutiendrai.
Pierre WEILL : Pourtant, vous êtes ministre de l'Ecologie, mais le fait que les habitants de ce secteur d'Orly craignent de graves nuisances, vous prenez cela en compte ?
Serge LEPELTIER : On comprend bien que ce soit une difficulté pour les populations concernées, mais il faut aussi répondre à une urgence, d'une part. D'autre part, dans le cadre du plan Bruit décidé par mon ministère, nous avons des mesures qui, progressivement, peuvent pallier aux difficultés du bruit, même s'il faut aller plus loin et ce n'est pas suffisant.
Pierre WEILL : Lesquelles, par exemple ?
Serge LEPELTIER : Tout simplement, des financements pour arriver à mieux isoler les bâtiments.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juin 2004)
Invité de "Question directe" ce matin, Serge Lepeltier, le ministre de l'Écologie et du Développement durable. C'est plutôt rare, cette Charte sur l'environnement sera votée aujourd'hui par beaucoup de députés de la majorité, mais aussi par des socialistes. Laurent FABIUS a dit qu'il votera pour ; Dominique VOYNET, ancienne élue Vert, dit que si elle était députée, elle voterait en faveur de cette Charte. Et pourtant, on vous reproche une certaine frilosité dans ce texte. Par exemple, vous écrivez : "Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement." "Contribuer", seulement, ce n'est pas le célèbre principe "pollueur égale payeur" ; pourquoi ?
Serge LEPELTIER : Parce que ce principe de réparation va en fait beaucoup plus loin que le principe pollueur-payeur. Ce qu'il faut comprendre dans le principe pollueur-payeur, c'est que, en fait, en quelque sorte, on paie pour polluer. Alors que, dans le cas du principe de réparation, quand on a pollué, on doit réparer, donc on doit dépolluer. Et si on parle de contribution, c'est pour que tout le monde participe. Aujourd'hui, on sait qu'avec le principe pollueur-payeur, de nombreuses [personnes], qui n'ont pas les moyens en quelque sorte, ne paient d'aucune façon. Donc il faut faire en sorte que chacune et chacun qui nuit à l'environnement, répare les dégâts qu'il commet, et c'est ce qu'il y a dans cette charte de l'environnement.
Pierre WEILL : Il y a le fameux article 5, le célèbre principe de précaution, qui a fait couler beaucoup d'encre. C'est la disposition la plus innovante, mais aussi la plus contestée ; elle a même été contestée dans les rangs de l'UMP. Je résume : si on craint un dommage pour l'environnement, les autorités publiques appliquent le principe de précaution, c'est-à-dire qu'elles prennent des mesures pour éviter les dommages et évaluer les risques encourus. Beaucoup d'élus craignent une paralysie de l'innovation, de la recherche, il y a eu beaucoup de contestations. Est-ce que cela ne montre pas que, en France, c'est quand même très difficile de réformer et que l'on se heurte très vite à des intérêts particuliers, à des lobbies ?
Serge LEPELTIER : En matière d'environnement, rien n'est jamais simple. Tous les pas qui ont été faits ont été des pas difficiles. Et ce texte, qui a été longuement discuté, qui a suscité vraiment l'intérêt des parlementaires, si c'est le cas, c'est parce qu'il n'est justement pas anodin. Et dans ce principe de précaution, quelle est l'idée ? L'idée, c'est que, maintenant, dans chaque acte de la vie, dans chaque acte des institutions, des entreprises, il faudra voir si on risque de nuire à l'environnement. C'est, en fait, placer l'environnement au niveau des droits de l'Homme, au niveau des droits sociaux ; c'est en faire, en quelque sorte, un nouveau droit de l'Homme, et ça, c'est complètement essentiel pour l'avenir.
Pierre WEILL : Cela veut dire que n'importe quel citoyen français pourra l'invoquer devant une juridiction, puisque cela va faire partie de la Constitution ?
Serge LEPELTIER : Il faudra surtout que, dans chaque acte, nous essayions de voir quelles peuvent être les conséquences sur l'environnement. Dans le passé, on inventait quelquefois des produits. Je vais prendre l'exemple de l'amiante. L'amiante était un produit qui, au départ, était un produit extraordinaire, isolant, qui a été utilisé dans le bâtiment. On ne s'est pas posé la question de savoir si, vingt ans ou trente ans après, il y aurait des morts. Eh bien, aujourd'hui, avec cette Charte de l'environnement, lorsqu'on inventera un nouveau produit, on se posera la question si, dans vingt ans ou trente ans, il y a des morts avec ce produit.
Pierre WEILL : Certains, dans l'opposition, disent que Cette charte de l'environnement, je cite, c'est un "coup politique de Jacques CHIRAC", et, finalement, cela va faire beaucoup de bruits lorsque ce sera voté, mais que l'application reste quand même assez aléatoire...
Serge LEPELTIER : C'est d'abord une vision supérieure du chef de l'Etat, qui a bien compris aujourd'hui quels étaient les enjeux de ce début de XXIème siècle. Lorsqu'il est allé à Johannesburg, qu'il a dit "La maison brûle, et nous regardons ailleurs", cela a frappé le monde entier parce que, aujourd'hui, l'objectif de l'environnement doit être notre premier objectif. On sait que, en matière de réchauffement climatique, par exemple, l'évolution est extraordinairement rapide et que nous aurons, dans les années qui viennent, des tempêtes, des cyclones, des conséquences incalculables. On sait que, en matière de biodiversité, les conséquences sont aujourd'hui très très importantes. Imaginez que si nous continuons l'exploitation des forêts tropicales comme nous les exploitons aujourd'hui, d'ici trente ans, il n'y aura plus de forêt tropicale. Or, dans ces forêts humides, c'est là que nous trouvons toute la pharmacopée du monde. Donc il y a là des enjeux considérables que Jacques CHIRAC a compris et qu'il met au niveau qui doit être le sien, c'est-à-dire au niveau international premier, parce qu'on ne saurait traiter l'environnement en dehors d'une union des pays, à la fois au niveau européen et au niveau international. Je crois que le chef de l'Etat a, comme rôle, de fixer le cap, et là, il le fixe.
Pierre WEILL : Météo France lance aujourd'hui une nouvelle carte de vigilance qui intègre, pour la première fois, le risque de grande chaleur, et cela pour se mobiliser et pour ne pas renouveler l'échec qu'on a vécu l'année dernière au moment de la canicule en France. Vous travaillez, dans votre ministère, avec des spécialistes de l'environnement. Est-ce que l'on risque une nouvelle canicule l'été prochain ?
Serge LEPELTIER : Il faut d'abord savoir que la canicule de 2003 était dans les modèles de prévision qui étudient ce réchauffement climatique, et je dirais que, à deux ou trois ans près, on savait qu'il y aurait une canicule à ce moment-là. Et ces mêmes modèles, qu'est-ce qu'ils disent sur le XXIème siècle ? Ils disent qu'il y aura trente étés, au cours du XXIème siècle, plus chauds que l'été 2003. Cela veut dire : à peu près un été sur trois. C'est donc tout à fait considérable, il faut intégrer cette nouvelle donne, et le plan Canicule, naturellement, le prévoit.
Pierre WEILL : Ce que vous dites c'est que, finalement, c'est un très grave échec qui s'est passé l'année dernière, puisqu'on prévoyait une canicule, et pourtant, les pouvoirs publics n'ont pas été préparés et n'ont pas su faire face ?
Serge LEPELTIER : On ne prévoyait pas la canicule cette année-là ; c'est naturellement statistiquement dans ces années-là qu'on savait qu'il y aurait des éléments très chauds. Mais n'oubliez pas qu'on ne l'avait jamais vécu, et dans les sociétés, ce qui est important, c'est de voir ce qui a déjà été vécu et ce qui ne l'a pas été. Là, on ne pouvait pas en imaginer les conséquences puisqu'on n'avait pas connu un été aussi chaud.
Pierre WEILL : Vous avez dit récemment que la situation hydrologique de la France est fragile en cas de sécheresse et qu'un plan d'action est prêt pour lutter contre les effets possibles d'une sécheresse. On risque de manquer d'eau en France ?
Serge LEPELTIER : Oui. Actuellement, les nappes phréatiques n'ont pas été renouvelées comme elles auraient dû l'être au cours de cet hiver, et elles ne sont pas suffisamment élevées. Or, si nous regardons l'été 2003 de l'année dernière, il y a eu une canicule, mais les conséquences de la sécheresse n'ont pas été aussi catastrophiques qu'elles auraient pu l'être parce que les nappes phréatiques, au début de l'été, étaient suffisamment importantes. Or, au début de cet été 2004, elles sont basses, donc si nous connaissons, en 2004, un été aussi chaud qu'en 2003, les conséquences risquent d'être catastrophiques.
Pierre WEILL : Et qu'est-ce que vous allez proposer ?
Serge LEPELTIER : Nous avons naturellement anticipé ; les préfets, dans les départements, sont prêts à prendre les mesures qui s'imposent en matière notamment d'économie d'eau.
Pierre WEILL : Qui sera visé ?
Serge LEPELTIER : Les industriels, les agriculteurs, mais nous tous également dans notre comportement de tous les jours.
Pierre WEILL : Par exemple ? Qu'est-ce qu'il faudra faire ? Moins de douches ?
Serge LEPELTIER : Il faut faire des économies, il faut notamment, surtout, moins de bains ; il faut savoir que nous consommons beaucoup plus d'eau lorsque nous prenons des bains que lorsque nous prenons des douches. Il faudra moins arroser... Donc il y a tout un ensemble de mesures qui seront prises.
Pierre WEILL : Conséquence de ce qui s'est passé ce week-end en Arabie Saoudite, cette attaque dans un site pétrolier : les prix du pétrole montent encore. Est-ce qu'il n'y a pas urgence, maintenant, à s'intéresser aux énergies renouvelables ? Une conférence s'ouvre aujourd'hui à Bonn, en Allemagne, pour la promotion des énergies renouvelables. Alors est-ce que l'on peut compter sur les éoliennes, le solaire, les piles à combustible pour remplacer un jour le pétrole ?
Serge LEPELTIER : Ceci montre l'enjeu écologique d'aujourd'hui ; l'enjeu essentiel, en particulier pour la France, est de sortir de cette société du tout-pétrole. Le pétrole, à la fois pollue, il participe au réchauffement climatique, il pose des problèmes économiques - on le voit avec la montée des cours du pétrole - et puis il pose des problèmes géostratégiques, puisque les réserves du pétrole sont quasiment dans une seule partie du monde. Il faut donc sortir de cette société du tout-pétrole. Comment ? D'abord, en faisant des économies. On a complètement oublié les économies dont nous parlions pendant les années 70. Il faut développer des énergies renouvelables, la première d'entre elles étant l'éolien, mais aussi le solaire ; nous ne faisons pas suffisamment d'efforts en solaire. Si je prends quelque chose de très simple aujourd'hui : le chauffe-eau solaire est totalement maîtrisé techniquement, pourquoi ne pas le développer ? Nous allons prendre des mesures là-dessus.
Pierre WEILL : Lesquelles ?
Serge LEPELTIER : Nous allons sortir le plan Climat d'ici l'été, et il y a des mesures qui vont inciter à l'achat de chauffe-eau solaires. Mais vous avez aussi les biocarburants. Je suis un avocat des biocarburants. Les biocarburants peuvent être intégrés dans les carburants habituels et, par-là même, à la fois nous favorisons l'indépendance énergétique de notre pays et nous créons de l'emploi. Donc il y a là tout un ensemble de mesures, et naturellement, je serai à Bonn cette semaine pour défendre ces idées.
Pierre WEILL : Dernière question : votre opinion sur ce projet de transfert des vols de l'aéroport de Roissy vers Orly après l'effondrement du terminal E de l'aéroport Charles-de-Gaulle 2. On parle de nouvelles nuisances sonores dans ce secteur d'Orly où de nombreux maires se disent prêts à manifester, et même envahir les pistes. Vous êtes favorables à ce transfert de vols ?
Serge LEPELTIER : Nous sommes face à une catastrophe exceptionnelle où des solutions, des solutions provisoires, transitoires, doivent être prises. C'est au ministre des Transports de prendre ces mesures, et si elles sont envisagées et si le ministre des Transports les décide, naturellement je les soutiendrai.
Pierre WEILL : Pourtant, vous êtes ministre de l'Ecologie, mais le fait que les habitants de ce secteur d'Orly craignent de graves nuisances, vous prenez cela en compte ?
Serge LEPELTIER : On comprend bien que ce soit une difficulté pour les populations concernées, mais il faut aussi répondre à une urgence, d'une part. D'autre part, dans le cadre du plan Bruit décidé par mon ministère, nous avons des mesures qui, progressivement, peuvent pallier aux difficultés du bruit, même s'il faut aller plus loin et ce n'est pas suffisant.
Pierre WEILL : Lesquelles, par exemple ?
Serge LEPELTIER : Tout simplement, des financements pour arriver à mieux isoler les bâtiments.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 1er juin 2004)