Discours de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur les propositions de son parti en matière culturelle pour l'Europe, Paris le 7 juin 2004.

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Circonstance : Campagne éléctorale sur le thème de la culture pour les élections européennes 2004 à la Maison de l'Amérique latine le 7 juin

Texte intégral

Je vais être bref eu égard à l'heure et puis je considère que l'appel à voter le 13 juin ayan été prononcé par Ettore Scola, je peux maintenant aller plus vite sur les considérations politiques de notre réunion...
Je veux remercier ici les ministres qui nous ont fait l'amitié de venir, les anciens, les actuels et comme les futurs..., je veux saluer tous les artistes et créateurs qui sont dans cette salle et ils sont nombreux, je veux remercier Laure Adler d'avoir accompagné tous nos travaux depuis le début de notre matinée et souligner le rôle irremplaçable de Jack Lang pour des initiatives de cette ampleur.
Je veux simplement vous dire, répondant à l'interpellation de beaucoup que la culture est un enjeu politique majeur dans l'Europe que nous voulons. Il faut inscrire la culture dans le débat politique de nos élections européennes, c'est la raison pour laquelle nous avons pris cette initiative
Vous nous direz " votre slogan parle de l'Europe sociale ", merci d'avoir compris que dans l'Europe sociale, la culture y était chez elle et qu'il n'a pas de différence entre une Europe de l'égalité et une Europe de la culture
L'Europe de la culture a précédé, et je remercie Jacques Le Goff de l'avoir souligné, l'Europe politique. Les arts ont ignoré les frontières, les royaumes, les empires, les nations et ont forgé une communauté d'émotion et de création en Europe L'Europe ancienne est ainsi notre signe le plus évident de vitalité.
Si bien que, malgré les guerres, les conflits, la culture a su unir les Européens et leurs donner une identité un socle de valeurs et même un territoire bien avant cette Europe des vingt-cinq
Je veux aussi dire qu'en écoutant Monsieur Kemal -et j'aurais souhaité que sa voix puisse porter au-delà même de cette réunion- pour convaincre ceux qui doutent encore que la Turquie soit en Europe, et il y en a...
Je veux dire que l'Europe doit à la culture l'essentiel non tant de son patrimoine mais de son identité. Et pourtant l'Europe s'est organisée au lendemain de la guerre par frilosité peut-être, par prudence, par calcul peut-être en ignorant cette dimension de la culture, elle s'est structurée autour de l'économie.
Le traité de Rome de 1957 ne mentionnait dans aucun de ses articles le mot culture.
Il a fallu attendre le début des années 80 et la gauche en France - et pas seulement en France- à l'initiative de François Mitterrand et de Jack Lang soutenus par jacques Delors à la Commission européenne pour qu'enfin des initiatives soient prises sur le plan culturel en Europe.
Il a fallu attendre 1984 pour que soit réuni le premier conseil des ministres européen de la culture et 1984 toujours pour nommer un commissaire européen à la culture
Il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que soit lancée l'idée d'une ville, capitale européenne de la culture. Il a fallu attendre la fin des années 80 et le début des années 90 pour que l'on considère que la télévision et l'audio visuel pouvaient avoir droit de citer en Europe et c'est à cette époque qu'a été prise la directive " télévision sans frontières ". Et je n'oublie pas les initiatives heureuses qui ont permis la création d'ARTE.
C'est le traité de Maastricht, par ailleurs tellement décrié, c'est sous la pression de François Mitterrand et d'autres chefs de gouvernement qui a prévu, et c'était une révolution, que chaque état pouvait définir librement sa politique culturelle et que les biens de culture ne sont pas des marchandises comme les autres.
Ainsi est née dans notre droit européen cette idée d'abord neutre, d'abord faible qui est devenue maintenant notre référence commune, celle de l'exception culturelle qui nous a permis dans la fameuse négociation Lamy de pouvoir non seulement résister mais empêcher ce qui aurait été la fin de notre identité culturelle.
Quels sont maintenant les défis que nous avons à relever ? Ce sont les défis de la marchandisation, de la mondialisation et de la banalisation.
C'est le même défi d'ailleurs, c'est la marchandisation qui veut que le lien culturel n'ait pas de spécificité propre, c'est la mondialisation qui autorise sa pleine diffusion à travers les nouvelles technologies et c'est la banalisation c'est-à-dire l'uniformisation qui menace.
Nous, nous considérons, socialistes hommes et femmes de gauche, que la liberté de création, que la liberté des publics sont menacées par la concentration, par le bouleversement des modes de financement, par l'uniformisation des produits culturels, par le découragement des créateurs et par le repli identitaire qui en est souvent la conséquence.
Ce qui est en cause, au moment où nous parlons, à l'occasion d'une élection pourtant décisive et que l'on veut rendre indifférente aux peuples, ce dont nous parlons c'est rien de moins que la liberté pour tous d'accéder à la culture, ce dont nous parlons c'est de l'égalité, en Europe, pour accéder aux biens nous paraissent les plus légitimes et c'est enfin de la démocratie qu'il s'agit. Alors oui nous voulons mettre la politique culturelle au coeur de l'Europe mais elle reste à inventer.
Il s'agit de protéger, sûrement de réguler, mais aussi d'avoir une politique plus dynamique de création et de stimulation de l'initiative culturelle Si nous n'apparaissons que comme des protecteurs, des empêcheurs, des résistants, nous ne pouvons pas donner à l'Europe de la culture, celle que nous voulons, la force d'entraînement. On ne convaincra aucune jeunesse qu'il suffira d'une disposition législative dans un droit de la culture, il faut là avoir une ambition d'une autre portée
Je suis dans une élection, il faut faire des propositions. Je vais donc vous livrer les dix propositions qu'avec le secteur de la culture, Anne Hidalgo, et nos candidats, nous portons dans cette campagne. Nous pourrions en faire d'avantage, nous pourrions en faire moins mais il nous a apparu essentiel de structurer
Trois idées les animent
D'abord il faut introduire la culture dans le droit européen.
1/ Ce qui nous conduit, premièrement, à faire reconnaître de manière définitive dans le droit c'est-à-dire dans la future constitution européenne, la légalité des aides à vocation culturelle et la légitimité des services publics et notamment le service public audiovisuel, Jérôme Clément l'évoquait.
2/ Préserver la législation sur les droits d'auteur en Europe et poursuivre son adaptation au nouvel environnement technologique et numérique. Nous ne défendons pas là encore des droits, nous défendons la création, la création en Europe. Il faut ériger ces reconnaissances à l'échelle de nos textes européens.
3/ Nous voulons introduire le principe de la lutte anti-concentration au niveau européen et permettre en matière de cinéma, d'audiovisuel, d'édition, qu'une véritable offensive de l'Europe par rapport à de véritables concentrations également nationales et je pense à ce qui se passe en Italie. Il ne faut pas croire que ce qui se passe en Italie n'est qu'en Italie..., le laboratoire de Berlusconi diffuse ses produits bien au-delà de l'Italie Nous voyons en France dans un certain nombre de secteurs des concentrations ou des mélanges de genre qui peuvent là aussi effrayer.
La deuxième grande idée, au-delà de l'introduction de la culture dans le droit européen, c'est de donner à la culture le soutien effectif de l'Europe
4/ La proposition qui paraîtra évidente mais méritera aussi une volonté politique farouche, c'est de consacrer 1 % du budget européen -comme nous l'avons fait dans un certain nombre de pays- à la culture
Il faut que ces dépenses culturelles soient affectées prioritairement au spectacle vivant, à la création, à l'éducation à la culture et pas simplement aux industries culturelles.
Pour cela il faut d'abord un budget européen plus conséquent qu'il n'est aujourd'hui. Le budget européen lui-même n'est que de 1 % de la richesse européenne et les libéraux voudraient encore le réduire considérant que les dépenses publiques, qu'elles soient à l'échelle de l'Europe ou à l'échelle des nations, sont toujours dangereuses, inutiles, inquiétantes pour le marché. Nous, nous disons il faut un budget européen important et dans ce budget il faut une place pour la culture
5/ Autre proposition, nous voulons créer un fonds de soutien européen à l'industrie du cinéma et plus largement aux industries culturelles. Nous l'avons fait, de manière encore insuffisante, dans un certain nombre de pays. Il faut le faire là encore à l'échelle de l'Europe. Doter ce fond des moyens pour permettre une production européenne, pour permettre le développement des industries culturelles européennes, des programmes européens. Là encore, il ne s'agit pas simplement d'une intervention banale, il s'agit de le faire à partir de critères qui paraîtront à la communauté culturelle comme les plus représentatifs de la culture en Europe.
6/ Notre sixième proposition est tombée dans le domaine public des idées en matière culturelle, il s'agit de l'harmonisation de la fiscalité sur les biens culturels mais faudrait-il là encore que l'on préfère aller dans ce sens plutôt que de donner préférence - comme en France - à la baisse de la TVA sur la restauration...
Troisième idée qui structure nos propositions, c'est de créer des politiques culturelles à l'échelle de l'Europe, de nouveaux instruments de l'action culturelle.
7/ Nous proposons un plan d'action européen d'envergure pour assurer la promotion intra-européenne'est-à-dire la circulation des hommes. Beaucoup l'ont dit là encore : il faut que des hommes circulent en Europe, il faut que toutes les disciplines artistiques soient reconnues de la même manière, il faut que la culture européenne soit connue de tous. Il faut aussi que nos frontières nationales soient levées par rapport à tout ce qui est création dans nos propres pays
8/ Nous proposons également qu'ARTE devienne une véritable chaîne européenne, comment comprendre qu'ARTE reste une chaîne franco-allemande alors qu'elle pourrait être ouverte à l'ensemble de la culture. Je ne parle pas encore de France culture qui pourrait devenir Europe-Culture, Laure Adler en serait la protagoniste, pas encore la directrice... Cette chaîne européenne ne ferait pas que répondre à la demande mais créerait également l'offre elle-même représentative de nos cultures
9/ C'est de participer à l'éducation à la culture dans toute l'Europe : un manuel européen d'histoire de l'Europe, une grande collection de cinquante chefs d'oeuvre connus de tous, premier bagage pour l'ensemble des jeunes.
J'ai aussi été sensible à ce que l'on a dit sur les langues : partager une culture des langues, les plus courantes bien sûr en primaire, mais aussi garder notre diversité linguistique qui est aussi notre force. Le risque d'une Europe banale, uniforme marchande, c'est la fin de tout ce qui fait aussi notre histoire commune. J'ai entendu ce matin cette belle expression de " jardin des langues " qu'à l'évidence nous devons cultiver.
10/ Notre dernière proposition, c'est le lancement d'événements européens, de réseaux d'institutions culturelles comme il a été fait pour les théâtres de l'Europe. Il faut le faire pour les musées d'Europe, les opéras de l'Europe, bref tout ce qui est institutions culturelles mises en réseau pour bâtir ensemble une même conception de la culture et de la création. Dans ce même cadre, réhabilitons les grands chemins transversaux, ceux qui ont fait l'histoire de l'Europe, soyons capables aussi de faire travailler nos universités en relation partageons notre histoire
Je conclus, au-delà de ces dix propositions, souvent sont opposées des valeurs qui sont souvent proches :
Nation et Europe, par exemple. Nous considérons qu'aujourd'hui les nations européennes qui demeureront, comme l'Europe, partagent le même modèle de civilisation et si nous acceptons de faire l'Europe au-delà de nos nations, si nous acceptons de rester dans nos nations, c'est parce que nous partageons nous, européens, socialistes européens, les mêmes valeurs, le même sentiment que ce modèle de civilisation ne sera promu et défendu que si nous sommes ensemble ce qui nous permet à la fois d'être européen et d'être fiers de nos nations
On oppose souvent culture et économie, pour nous l'économie peut menacer, sûrement, la culture si elle n'est pas régulée, si elle n'est pas maîtrisée. La politique économique n'est pas faite que d'agrégat, elle est faite de choix idéologiques mais en même temps la culture participe au développement économique. C'est une chance même la culture pour l'économie, il ne faut pas attendre certaines grèves de festivals pour s'en rendre compte. C'est une chance pour la croissance économique, une chance pour l'emploi, pour l'innovation, pour la technologie, pour la formation, pour le développement du capital humain comme disent les économistes. C'est un formidable levier, la culture. C'est d'un point de vue économique que nous devrions faire le pari et l'investissement de la culture.
Culture et social, j'en ai dit un mot. Les inégalités culturelles recouvrent les inégalités sociales. Pour nous l'Europe sociale c'est l'Europe de la culture, parce que nous voulons plus de démocratie, plus de solidarité. Nous voulons faire en Europe un espace d'humanité et nous en sommes loin même si nous sommes devenu et heureusement un espace de paix.
Voilà pourquoi culture et Europe qui sont le même ensemble.
Voilà pourquoi nous voulons aujourd'hui vous présenter nos propositions en matière de culture, nous le ferons aussi sur la recherche, sur l'université, sur la jeunesse parce que c'est le même processus.
Nous construisons ensemble un imaginaire collectif sûrement, une conscience universelle à l'évidence mais je le dis pour conclure, l'Europe a ceci de particulier c'est qu'elle ne se fait pas pour elle-même, elle ne se fait pas pour les Européens, l'Europe se fait pour l'ensemble du monde.
Ce qui fait que nous sommes européens n'est pas simplement un fait culturel, une identité. C'est une compréhension que nous sommes aujourd'hui dans la maîtrise du monde et que l'Europe a son rôle à jouer.
Dans cette démarche l'Europe ne défend pas sa culture mais tout simplement la culture.


(source http://www.europesocialiste.org, le 10 juin 2004)