Texte intégral
Demain, les ministres des Finances de l'Union européenne se retrouvent pour évoquer les leçons à tirer des décisions qu'ils ont prises il y a quinze jours : le Conseil des ministres de l'Union a décidé de ne pas envisager de sanctions contre la France et l'Allemagne, qui se sont clairement engagées à ramener leur déficit à moins de 3 % du PIB d'ici à 2005, conformément aux prescriptions du Pacte de stabilité. Faut-il y voir une crise européenne comme cela a été dit après la réunion de l'Ecofin ? Certains faits peuvent le laisser à penser : des discussions qui durent toute une nuit, une décision obtenue par vote et non par consensus, enfin des déclarations enflammées et critiques sur la disparition du Pacte de stabilité et de croissance.
Même s'il y avait eu crise, on pourrait se rassurer en rappelant que c'est de crises que s'est nourrie l'histoire de la construction européenne et que les crises ont, chaque fois, permis de progresser. Mais je ne cherche pas à rassurer avec des formules : je comprends les inquiétudes qui sont apparues à la suite de la réunion des ministres des Finances. Pourtant, je les crois excessives. Il y a crise véritable quand il y a désaccord, sur le fond. Or le fond dans cette affaire, c'est la politique économique. Y a-t-il désaccord sur la politique économique ? Sommes-nous sur le point de renoncer à la discipline budgétaire et à la coordination économique ? Non, bien au contraire.
Et c'est là le paradoxe de cette " crise " annoncée. Quand survient-elle ? A un moment où tous les Européens, plus que cela n'a été le cas depuis bien des années, sont en phase sur la politique économique : la politique de réformes et la politique budgétaire.
Nous sommes d'accord sur la philosophie générale des réformes économiques, et nous sommes les uns et les autres en train de mettre en oeuvre effectivement ces réformes. La France et l'Allemagne étaient sans doute en retard sur d'autres pays. Elles sont aujourd'hui en train de combler leur déficit de réformes. Le gouvernement français a fait adopter la réforme des retraites, il a mis un terme aux politiques malthusiennes sur le marché du travail, il encourage l'initiative, il s'apprête à réformer pour le sauver le système d'assurance-maladie. Ces réformes sont bonnes pour la France : elles concourent à la fois à une meilleure efficacité de l'économie, au renforcement de la croissance future, et finalement à une plus grande " soutenabilité " des finances publiques. N'est-ce pas l'objectif ultime du Pacte ?
Nous sommes d'accord aussi sur l'ajustement budgétaire : il faut revenir vers l'équilibre des finances publiques pour faire face aux conséquences financières du vieillissement démographique. Pour cela, tous les pays qui ne sont pas encore à l'équilibre doivent réduire leur déficit structurel régulièrement, d'au moins 0,5 point de PIB par an. La France et l'Allemagne font-elles exception, s'opposent-elles à cette orientation ? Nullement. Nos deux pays ont construit leurs projets de loi de Finances pour 2004 en respectant cette orientation et tous les deux visent un retour sous les 3 % en 2005 et une diminution ultérieure.
Il reste, c'est vrai, que l'objectif initial était de revenir sous les 3 % dès 2004. Mais cet objectif était devenu irréaliste et nous le savions tous. Non par renoncement, ou parce que nous aurions changé de politique, mais du fait d'une panne de croissance que la Commission a pu qualifier d'" abrupte et imprévue ". Aussi, cette même Commission avait décidé, avec sagesse, de ne plus recommander le respect purement mécanique, littéral du Pacte. Afin de ne pas obérer toute chance de reprise, la Commission repoussait l'objectif à 2005. Les deux pays en étant d'accord, avec d'ailleurs le soutien d'une grande majorité d'Etats membres, il ne restait qu'à préciser le " cheminement " vers cet objectif 2005.
C'est là qu'il y a eu désaccord. Pour résumer, la France et l'Allemagne voulaient faire porter l'effort de réduction de manière à peu près égale sur les deux années, 2004 et 2005. Pourquoi ? Afin d'accompagner et d'amplifier la reprise qui se dessine, ce qui n'aurait pas été possible si, comme le souhaitait la Commission, l'essentiel de l'effort avait été fait dès 2004. Tout était donc question d'appréciation et de dosage de l'effort. Finalement les divergences ont porté sur des montants sans doute inférieurs à la marge d'incertitude sur la mesure des déficits !
Cela montre que nous avons encore des progrès à faire. Mais je ne veux pas être négatif sur cet épisode. Au fond, que voulions-nous ? Le respect d'une discipline budgétaire commune : tous les pays s'y sont engagés. Que les engagements des Etats ne soient pas de pure convenance et qu'il y ait un vrai débat entre partenaires pour favoriser la coordination des politiques économiques ? Ce débat de politique économique a vraiment eu lieu. Il a conduit à la confirmation, politique et solennelle, de l'engagement commun à la discipline budgétaire.
Pour la France et l'Allemagne, la feuille de route est connue. Il s'agit de poursuivre les réformes, de revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB d'ici à 2005 ; et, pour tenir cet objectif, les gouvernements ont aussi une obligation de moyens : réaliser un effort structurel d'au moins 0,5 point de PIB par an. Les marchés ont d'ailleurs accueilli avec calme nos décisions et notre engagement à aller vers des finances publiques plus saines, sans affaiblir la croissance dont l'Europe a tant besoin à court terme. L'euro est resté fort, et nous sommes même amenés à surveiller de près les évolutions du change pour qu'elles n'affectent pas la reprise en Europe. Difficile de croire que l'euro ait pu être affaibli par les choix opérés par les ministres des Finances.
C'est pourquoi le débat sur la mort du Pacte de stabilité et de croissance me paraît fallacieux. Le Pacte a certes évolué. Hier, c'était, pour le grand public, essentiellement une affaire de procédures. Aujourd'hui, notre coordination doit s'appuyer aussi sur un engagement politique renouvelé, d'autant plus crédible qu'il colle à la réalité de la conjoncture et prend en compte les réformes structurelles engagées. Ce n'est pas une mauvaise évolution !
Reconnaissons aussi que le débat sur l'application du Pacte à la France et à l'Allemagne s'est exacerbé parce qu'il a, indûment à mon sens, été présenté comme un affrontement institutionnel entre le Conseil et la Commission. Le Conseil aurait désavoué la Commission ! Mais cela n'est tout simplement pas possible, parce qu'en matière de politique économique le traité est très clair : la responsabilité de la mise en oeuvre du Pacte est confiée au Conseil. Le dernier mot, dans ces matières " sensibles " et qui touchent aux droits des Parlements nationaux, revient au politique. Qui pourrait le critiquer ? Et qui pourrait admettre que les Etats abdiquent leur compétence ? Avec tout l'attachement que j'ai pour la construction de l'Europe, pas moi.
La coordination des politiques économiques et budgétaires, c'est évidemment le rôle du Conseil et, au sein de la zone euro, de l'Eurogroupe. La Constitution européenne en cours d'élaboration nous donne la possibilité de renforcer l'Eurogroupe, qui doit être de plus en plus le lieu privilégié où s'articulent politiques nationales et européennes, où se noue un vrai dialogue entre les autorités budgétaires et la BCE. Profitons de cette occasion !
Enfin, s'il est vrai que nos procédures ont montré leurs limites, il sera bien temps, à froid, de les perfectionner. Nous avons appris, à nos dépens, quelles étaient les faiblesses du Pacte. En particulier, il ne fournit pas d'incitation suffisante à la vertu quand une conjoncture favorable donne l'illusion, pour qui veut y croire, de la facilité budgétaire. A contrario, une fois l'illusion dissipée, quand l'activité se dérobe, le Pacte devient punitif en prônant des politiques restrictives, même à l'encontre de pays qui se montrent " coopératifs ". C'est donc à une meilleure gestion des phases de bonne conjoncture qu'il nous faudra réfléchir collectivement. Nous devrons aussi nous pencher sur la qualité de la dépense. Les discussions menées l'an dernier avaient déjà conduit à améliorer le Pacte sur plusieurs points essentiels. Nous voyons aujourd'hui qu'il faudra sans doute aller plus loin.
Pour l'heure, l'enjeu premier est de consolider la reprise qui se dessine. Ne laissons pas les débats sur les procédures - dont je ne méconnais nullement l'importance - occulter notre message : l'Europe, silencieusement, douloureusement parfois, change et se réforme. Elle n'est pas résignée au déclin. Elle croit en ses valeurs. Par l'initiative de croissance qui vise à développer l'innovation et les grands travaux, par la réduction des déficits, par la libération des énergies, elle prépare l'avenir.
FRANCIS MER est ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
FRANCIS MER
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2003)
Même s'il y avait eu crise, on pourrait se rassurer en rappelant que c'est de crises que s'est nourrie l'histoire de la construction européenne et que les crises ont, chaque fois, permis de progresser. Mais je ne cherche pas à rassurer avec des formules : je comprends les inquiétudes qui sont apparues à la suite de la réunion des ministres des Finances. Pourtant, je les crois excessives. Il y a crise véritable quand il y a désaccord, sur le fond. Or le fond dans cette affaire, c'est la politique économique. Y a-t-il désaccord sur la politique économique ? Sommes-nous sur le point de renoncer à la discipline budgétaire et à la coordination économique ? Non, bien au contraire.
Et c'est là le paradoxe de cette " crise " annoncée. Quand survient-elle ? A un moment où tous les Européens, plus que cela n'a été le cas depuis bien des années, sont en phase sur la politique économique : la politique de réformes et la politique budgétaire.
Nous sommes d'accord sur la philosophie générale des réformes économiques, et nous sommes les uns et les autres en train de mettre en oeuvre effectivement ces réformes. La France et l'Allemagne étaient sans doute en retard sur d'autres pays. Elles sont aujourd'hui en train de combler leur déficit de réformes. Le gouvernement français a fait adopter la réforme des retraites, il a mis un terme aux politiques malthusiennes sur le marché du travail, il encourage l'initiative, il s'apprête à réformer pour le sauver le système d'assurance-maladie. Ces réformes sont bonnes pour la France : elles concourent à la fois à une meilleure efficacité de l'économie, au renforcement de la croissance future, et finalement à une plus grande " soutenabilité " des finances publiques. N'est-ce pas l'objectif ultime du Pacte ?
Nous sommes d'accord aussi sur l'ajustement budgétaire : il faut revenir vers l'équilibre des finances publiques pour faire face aux conséquences financières du vieillissement démographique. Pour cela, tous les pays qui ne sont pas encore à l'équilibre doivent réduire leur déficit structurel régulièrement, d'au moins 0,5 point de PIB par an. La France et l'Allemagne font-elles exception, s'opposent-elles à cette orientation ? Nullement. Nos deux pays ont construit leurs projets de loi de Finances pour 2004 en respectant cette orientation et tous les deux visent un retour sous les 3 % en 2005 et une diminution ultérieure.
Il reste, c'est vrai, que l'objectif initial était de revenir sous les 3 % dès 2004. Mais cet objectif était devenu irréaliste et nous le savions tous. Non par renoncement, ou parce que nous aurions changé de politique, mais du fait d'une panne de croissance que la Commission a pu qualifier d'" abrupte et imprévue ". Aussi, cette même Commission avait décidé, avec sagesse, de ne plus recommander le respect purement mécanique, littéral du Pacte. Afin de ne pas obérer toute chance de reprise, la Commission repoussait l'objectif à 2005. Les deux pays en étant d'accord, avec d'ailleurs le soutien d'une grande majorité d'Etats membres, il ne restait qu'à préciser le " cheminement " vers cet objectif 2005.
C'est là qu'il y a eu désaccord. Pour résumer, la France et l'Allemagne voulaient faire porter l'effort de réduction de manière à peu près égale sur les deux années, 2004 et 2005. Pourquoi ? Afin d'accompagner et d'amplifier la reprise qui se dessine, ce qui n'aurait pas été possible si, comme le souhaitait la Commission, l'essentiel de l'effort avait été fait dès 2004. Tout était donc question d'appréciation et de dosage de l'effort. Finalement les divergences ont porté sur des montants sans doute inférieurs à la marge d'incertitude sur la mesure des déficits !
Cela montre que nous avons encore des progrès à faire. Mais je ne veux pas être négatif sur cet épisode. Au fond, que voulions-nous ? Le respect d'une discipline budgétaire commune : tous les pays s'y sont engagés. Que les engagements des Etats ne soient pas de pure convenance et qu'il y ait un vrai débat entre partenaires pour favoriser la coordination des politiques économiques ? Ce débat de politique économique a vraiment eu lieu. Il a conduit à la confirmation, politique et solennelle, de l'engagement commun à la discipline budgétaire.
Pour la France et l'Allemagne, la feuille de route est connue. Il s'agit de poursuivre les réformes, de revenir à un déficit inférieur à 3 % du PIB d'ici à 2005 ; et, pour tenir cet objectif, les gouvernements ont aussi une obligation de moyens : réaliser un effort structurel d'au moins 0,5 point de PIB par an. Les marchés ont d'ailleurs accueilli avec calme nos décisions et notre engagement à aller vers des finances publiques plus saines, sans affaiblir la croissance dont l'Europe a tant besoin à court terme. L'euro est resté fort, et nous sommes même amenés à surveiller de près les évolutions du change pour qu'elles n'affectent pas la reprise en Europe. Difficile de croire que l'euro ait pu être affaibli par les choix opérés par les ministres des Finances.
C'est pourquoi le débat sur la mort du Pacte de stabilité et de croissance me paraît fallacieux. Le Pacte a certes évolué. Hier, c'était, pour le grand public, essentiellement une affaire de procédures. Aujourd'hui, notre coordination doit s'appuyer aussi sur un engagement politique renouvelé, d'autant plus crédible qu'il colle à la réalité de la conjoncture et prend en compte les réformes structurelles engagées. Ce n'est pas une mauvaise évolution !
Reconnaissons aussi que le débat sur l'application du Pacte à la France et à l'Allemagne s'est exacerbé parce qu'il a, indûment à mon sens, été présenté comme un affrontement institutionnel entre le Conseil et la Commission. Le Conseil aurait désavoué la Commission ! Mais cela n'est tout simplement pas possible, parce qu'en matière de politique économique le traité est très clair : la responsabilité de la mise en oeuvre du Pacte est confiée au Conseil. Le dernier mot, dans ces matières " sensibles " et qui touchent aux droits des Parlements nationaux, revient au politique. Qui pourrait le critiquer ? Et qui pourrait admettre que les Etats abdiquent leur compétence ? Avec tout l'attachement que j'ai pour la construction de l'Europe, pas moi.
La coordination des politiques économiques et budgétaires, c'est évidemment le rôle du Conseil et, au sein de la zone euro, de l'Eurogroupe. La Constitution européenne en cours d'élaboration nous donne la possibilité de renforcer l'Eurogroupe, qui doit être de plus en plus le lieu privilégié où s'articulent politiques nationales et européennes, où se noue un vrai dialogue entre les autorités budgétaires et la BCE. Profitons de cette occasion !
Enfin, s'il est vrai que nos procédures ont montré leurs limites, il sera bien temps, à froid, de les perfectionner. Nous avons appris, à nos dépens, quelles étaient les faiblesses du Pacte. En particulier, il ne fournit pas d'incitation suffisante à la vertu quand une conjoncture favorable donne l'illusion, pour qui veut y croire, de la facilité budgétaire. A contrario, une fois l'illusion dissipée, quand l'activité se dérobe, le Pacte devient punitif en prônant des politiques restrictives, même à l'encontre de pays qui se montrent " coopératifs ". C'est donc à une meilleure gestion des phases de bonne conjoncture qu'il nous faudra réfléchir collectivement. Nous devrons aussi nous pencher sur la qualité de la dépense. Les discussions menées l'an dernier avaient déjà conduit à améliorer le Pacte sur plusieurs points essentiels. Nous voyons aujourd'hui qu'il faudra sans doute aller plus loin.
Pour l'heure, l'enjeu premier est de consolider la reprise qui se dessine. Ne laissons pas les débats sur les procédures - dont je ne méconnais nullement l'importance - occulter notre message : l'Europe, silencieusement, douloureusement parfois, change et se réforme. Elle n'est pas résignée au déclin. Elle croit en ses valeurs. Par l'initiative de croissance qui vise à développer l'innovation et les grands travaux, par la réduction des déficits, par la libération des énergies, elle prépare l'avenir.
FRANCIS MER est ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.
FRANCIS MER
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2003)