Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur le budget 2005 de son ministère et notamment sur l'effort budgétaire en faveur de l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 15 novembre 2004.

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Circonstance : Débat budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2005 du ministère de la Coopération, à l'Assemblée nationale le 15 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je suis très heureux d'être parmi vous ce jour, pour vous donner quelques éléments complémentaires sur ce que sont mes missions, en tant que ministre délégué à la Coopération, au Développement et à la Francophonie auprès de Michel Barnier et en accord avec lui.
Si l'on se place dans la perspective de la Loi organique sur les lois de finances (LOLF), le champ de compétence du ministre de la Coopération et du Développement sera, pour le Parlement, encore davantage clarifié, puisque parmi les quatre programmes budgétaires qui regrouperont l'activité de l'ensemble du ministère, deux concerneront plus particulièrement l'action de coopération :
- celui intitulé solidarité à l'égard des pays en développement, qui est intégré à la mission conjointe avec le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie sur l'aide publique au développement et qu'il est proposé de doter d'un peu moins de 2 milliards d'euros dans ce projet de budget,
- et celui intitulé rayonnement culturel et scientifique, qui fait partie de la mission Action extérieure de l'Etat du ministère des Affaires étrangères et qui sera doté de 346 millions d'euros dans ce projet de budget.
Contrairement aux apparences, la distinction entre ces deux programmes n'est pas tant de compétence sectorielle que géographique : une action de même type, selon qu'elle sera réalisée dans un pays inclus dans le périmètre de l'Aide publique au Développement ou non, prendra place dans l'un ou l'autre des programmes. Je voudrais donc répondre que la coopération culturelle ou la Francophonie ne sont pas négligées, mais un accent est mis sur les régions où cette coopération sera valorisée dans l'aide au développement, c'est à dire dans les pays pauvres ou émergents.
Pour autant, au-delà des deux programmes de la LOLF que je viens d'évoquer, le ministre de la Coopération sera concerné par d'autres programmes du ministère des Affaires étrangères. Par exemple, nous avons fait le choix de placer les dotations à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger au sein du programme "Français à l'étranger et étrangers en France". Ceci qui devrait répondre en partie aux préoccupations et au souci légitime que l'objectif d'aide à nos compatriotes soit bien pris en considération. Je rappelle que cette dotation augmente en fait de 3 millions grâce à une mesure exceptionnelle qui permettra de financer la réforme des emplois. Nous sommes bien conscients que c'est là un enjeu essentiel, les écoles sont le ciment de nos communautés et le symbole des liens amicaux qui nous unissent aux pays où nous sommes présents. Ceux qui les ont lâchement attaquées en Côte d'Ivoire le savaient bien également.
Je souhaite d'ailleurs renforcer ce remarquable outil que sont les établissements scolaires français pour en faire un puissant vecteur d'influence et de développement. C'était un point important de ma communication en Conseil des ministres sur ce sujet il y a quelques jours.
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mes propos se concentreront sur le premier de ces programmes, qui concerne l'Aide publique au développement. En effet, comme vient de le dire Michel Barnier, celle-ci constitue la première priorité du budget des Affaires étrangères. Ainsi, le programme consacré au rayonnement culturel et scientifique connaîtra une stabilité entre 2004 et 2005, alors que celui qui est consacré à la solidarité à l'égard des pays en développement connaîtra une augmentation de près de 9% entre 2004 et 2005.
Ceci reflète l'engagement qu'a pris le président de la République de consacrer à l'aide au développement 0,5 % de notre richesse nationale en 2007 et 0,7 % en 2012. Nous sommes en bonne voie car en 2001, elle n'était plus qu'à 0,32 % du PIB et nous prévoyons 0,42 % en 2004 et 0,44 % en 2005.
Dans le détail, cette augmentation de l'aide française gérée par le ministère résulte en grande part de la décision de contribuer chaque année au Fonds Sida à hauteur de 150 millions d'euros et de la montée en puissance des décaissements du Fonds européen de développement - auquel nous contribuons pour un quart -, dont la dotation passe de 565 à 628 millions d'euros.
Vous le voyez, l'augmentation de notre aide est bien réelle sur le plan multilatéral comme bilatéral.
Nous poursuivons plusieurs objectifs dans la lutte contre le Sida : il s'agit tout d'abord d'adapter notre législation de manière à ce que les pays du Sud accèdent aux médicaments génériques. Il s'agit ensuite que le Fonds mondial finance prioritairement les médicaments génériques. Il s'agit enfin que l'Institut de recherche pour le développement et que l'Agence nationale de recherche sur le Sida poursuivent leurs essais thérapeutiques afin de valider des combinaisons génériques. Les engagements du président de la République seront ainsi tenus.
Me plaçant dans la perspective de 2006 et 2007, je voudrais vous donner quelques pistes sur ce que nous pourrions vous présenter lors des budgets futurs. L'engagement présidentiel en matière d'aide publique au développement représente en effet des montants importants : cela revient à passer de 5 milliards d'euros en 2001 à 9 milliards d'euros en 2007. L'effort budgétaire à venir sera d'autant plus important que les allègements de dettes, qui représentent aujourd'hui 25 % à 30 % de notre aide, vont avoir tendance à diminuer en 2007, voire peut-être dès 2006.
Je tiens à souligner qu'il est parfaitement fondé d'inclure les abandons de créances dans le calcul de l'Aide publique au développement, les pays dont la dette est ainsi allégée pouvant investir les sommes économisées dans des politiques de développement. Le Cameroun, pour ne citer que ce pays, se verra ainsi dispensé de rembourser 100 millions par an : n'est-ce pas une aide réelle ? Je tiens, par ailleurs, à rassurer Madame Bousquet : les créances militaires, qui sont toujours clairement identifiées, ne sont jamais comptabilisées dans les dettes susceptibles d'être allégées.
Il faudra dès lors que l'Etat dote davantage l'ensemble des lignes budgétaires qui, dans les différents ministères, concourent à l'APD. D'ores et déjà, nous comptons obtenir des autorisations de programme en projet de loi de finances rectificatif 2004 pour le Fonds de solidarité prioritaire, de manière à préparer davantage de projets qui seront décaissés en 2006 et 2007.
En matière de dotations aux organisations internationales, notre participation reste constante par rapport à 2004. Néanmoins, nous espérons obtenir une dotation complémentaire en projet de loi de finances rectificatif 2004, ce qui nous permettrait d'augmenter substantiellement notre contribution au Programme des Nations unies pour le Développement. J'espère ainsi rassurer les nombreux intervenants sur cette question.
D'autres lignes progressent sensiblement. Ainsi, les crédits alloués aux ONG et aux collectivités territoriales dans le cadre de la coopération décentralisée augmenteront de 10 %.
De même, nous prévoyons une augmentation des bourses pour les étudiants étrangers en France, en particulier des bourses d'excellence. Ceci me semble en effet essentiel pour notre politique d'attractivité du territoire français et de promotion à long terme de la langue française.
Et enfin, nous prévoyons 3,2 millions d'euros pour 2005 pour le Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique soit le double du chiffre de 2003.
Mais nous nous refusons à avoir une vision purement chiffrée de notre aide au développement. Le plus important est évidemment de discuter des politiques que les chiffres sous-tendent.
Le gouvernement a donc décidé de se mettre en ordre de bataille pour être plus efficace dans son action en faveur du développement. Qu'entendons-nous par efficacité en ce domaine ? D'une part des résultats, c'est-à-dire faire en sorte que les pays aidés se développent ; d'autre part de l'influence, et en premier objectif veiller à ce que les thèses françaises imprègnent les organisations multilatérales.
A cette fin, un certain nombre de mesures ont été décidées lors du Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID), qui s'est tenu le 20 juillet dernier sous la présidence du Premier ministre. Je retiens cinq points principaux :
En premier lieu, le ministre chargé de la Coopération est désigné comme chef de file de l'Aide publique au développement française. C'est lui qui désormais coordonnera sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères, l'action de tous les acteurs publics concernés, jusqu'ici dispersés, et rendra compte au Premier ministre et au président de la République. Le caractère interministériel de cette mission est une innovation importante dans la vie publique française.
Il est notamment chargé de présider une conférence d'orientation stratégique et de programmation rassemblant tous les ministères concernés par ce sujet. Je tiendrai la première réunion de cette conférence dès demain.
En second lieu, le CICID a décidé que notre aide sera plus sélective et plus concentrée. Elle sera également mieux orientée vers les Objectifs du Millénaire qui visent à réduire la pauvreté dans le monde de moitié d'ici 2015.
M. Pierre Morange, député en mission auprès du Premier ministre, travaille d'ailleurs avec moi sur ces questions, notamment sur les objectifs en matière de santé.
A titre d'exemple très concret, nous travaillons au renouvellement et à l'extension de l'excellent projet à Kollo au Niger, illustration de ce que nous pouvons réussir dans un dispositif associant deux pays du Sud - la Tunisie et le Niger -, avec notre soutien. Je tiens à confirmer que ce projet sera poursuivi, même si c'est désormais l'Agence française de développement qui devrait le suivre, dans le cadre de la réforme des attributions respectives du ministère et de l'Agence.
Troisième point décidé par le CICID : des documents de référence seront établis par pays et par secteur.
Dans chaque pays, notre aide fera l'objet d'une discussion avec les autorités du pays d'accueil, et un document-cadre de partenariat sera réalisé en toute transparence, sous l'autorité de nos ambassadeurs.
De même, dans chaque secteur, une stratégie d'ensemble est en cours d'élaboration. Pour ne prendre qu'un exemple, celui du secteur productif, j'ai personnellement veillé à ce que l'action de la France s'oriente en faveur des petites entreprises, qui ont pu dans le passé être négligées par rapport aux grandes multinationales.
Quatrièmement, les rôles de chacun dans la mise en oeuvre de l'aide sont clarifiés : au ministère des Affaires étrangères la définition des stratégies et des grandes orientations ; à l'Agence française de développement la mise en oeuvre de ces orientations sur le terrain. C'est une évolution importante de notre organisation, qui va fortement mobiliser nos équipes.
Enfin, point important pour la relation entre le Parlement et le gouvernement, un document de politique transversale sera présenté annuellement en annexe à la future mission interministérielle sur l'aide au développement prévue par la Loi organique sur les lois de finances. Ce document sera préparé sous la coordination du ministre chargé de la Coopération. Son objectif est de clarifier notre politique d'aide au développement, à la fois dans ses orientations stratégiques et dans ses chiffres. Il se substituera en effet à l'actuel "jaune budgétaire" sur le même sujet, dont je conviens qu'il est peu lisible.
Pour conclure, Mesdames et Messieurs les Députés, au-delà de l'aide apportée par le budget, il faudra également trouver des sources innovantes de financement. Je reviens du Brésil, où j'ai pu largement discuter de la proposition du président de la République concernant l'instauration de taxes internationales. Celle-ci avait été discutée lors d'une réunion organisée le 20 septembre par le président Lula du Brésil, à laquelle participait le président Jacques Chirac, quelques jours après la publication d'un rapport sur le sujet rédigé par M. Landau.
Ce rapport évoque de nombreuses pistes pour améliorer le financement du développement, comme par exemple mieux mobiliser les fondations privées. Un autre exemple serait de mieux mobiliser l'épargne des migrants. Nous y travaillons et nous avons nommé un ambassadeur au co-développement.
Comme le souligne ce rapport, il est à la fois techniquement possible et économiquement rationnel de mettre en place des taxes internationales. De nombreuses pistes sont possibles, qu'il s'agisse des transports aériens ou maritimes, des transactions financières ou des dépenses d'armement. Dans tous les cas, ce qui est important, c'est que ces taxes soient mises en place dans un cadre démocratique, à travers un vote de chaque parlement national, plutôt que par le biais d'instances supranationales qui n'auraient pas la légitimité indispensable. Sachant que les dépenses d'armement sont évaluées à 900 milliards de dollars et l'aide publique au développement à 50 milliards de dollars, il n'y aurait rien de scandaleux à trouver par le biais d'une taxe le moyen de porter cette aide à 100 milliards.
Comme vous le voyez, Mesdames et Messieurs les Députés, l'aide aux pays en développement et la coopération constituent bien des tâches essentielles de l'action de notre gouvernement et un point central de notre action extérieure. J'émets le voeu que, grâce à ses représentants, l'opinion publique française soit mieux sensibilisée à une politique dont la France est l'un des chefs de file incontestés dans le monde.
S'agissant enfin de la Francophonie, je souligne que l'on ne peut s'en tenir, pour apprécier l'action conduite, aux 50 millions de son budget, car les contributions indirectes aux écoles et à l'audiovisuel représentent quelque 600 millions par an. Sans doute les institutions de la Francophonie devraient-elles évoluer. Je proposerai donc la tenue d'une réunion à ce sujet aux parlementaires intéressés, et je ne doute pas que le prochain Sommet de Ouagadougou sera l'occasion de débattre d'une réforme éventuelle. Mais chacun comprendra que l'on ne puisse bouleverser en quelques jours ce que plusieurs dizaines d'Etats ont bâti patiemment. La Francophonie ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France, alors qu'elle attire ailleurs de plus en plus d'Etats et de peuples soucieux de soutenir une autre conception de la mondialisation. Nous devons nous efforcer, tous ensemble, de mettre en lumière la plus-value dont elle est dans le traitement des grandes questions politiques, économiques et culturelles. Là encore, votre rôle est essentiel pour convaincre et mobiliser nos concitoyens.
Je me tiens d'ailleurs à votre disposition pour étudier les propositions que vous pourriez faire.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2004)