Texte intégral
Monsieur le Ministre,
Permettez- moi de vous exprimer notre déception après la lecture de votre texte qui est assez proche de celui de décembre que nous avions fortement contesté. On peut se demander à quoi ont servi les discussions ...
Vous avez parlé, Monsieur le Ministre, du nécessaire développement du dialogue social. II y a des progrès à faire, y compris au plan national. II y a des progrès à faire pour prendre en compte l'intérêt général, ce que ne fait pas votre texte.
Nous sommes aujourd'hui regardés et attendus par les salariés de la fonction publique, aussi bien par ceux qui mènent des actions importantes, dans l'hospitalière, aux finances, que par ceux qui se préparent à une action unitaire le 16 mars dans l'éducation nationale, contre le gel de l'emploi public et le développement de la précarité, signe des temps que cette unité que nous n'avons plus connu depuis des années. A la protection judiciaire de la jeunesse les choses ne vont guère mieux puisqu'il y aura grève le 9 mars tandis que nos collègues de l'enseignement agricole public sont engagés dans des actions depuis la rentrée pour un plan de rattrapage en termes de créations d'emploi et de résorption de la précarité, que la recherche est à nouveau en émoi et que se développent des actions dans le 1er et le second degré.
C'est donc dans ce contexte que s'ouvrent officiellement ces discussions, ce qui nous donne une responsabilité particulière. C'est aussi dans un contexte marqué par des déclarations publiques du Ministre de l'Éducation Nationale et de la Recherche contre toute réduction du temps de travail dans son ministère et notamment pour les enseignants, tandis que d'autres ministres, plus discrets semble-t-il, n'en pensent pas moins. A cela, il faut ajouter de récentes déclarations gouvernementales sur les dépenses publiques sur la baisse des impôts qui nous font nous poser la question de savoir si le gouvernement dans son ensemble veut des 35 heures dans la fonction publique et surtout, s'il compte s'appliquer à lui-même la démarche qui a été celle qu'il a demandé au privé d'appliquer, soit les 35 heures avec créations d'emplois. Quand on examine ce qui s'est passé depuis 2 ans dans le privé, on s'aperçoit que 20 % des salariés ont obtenu les 35 heures, soit une baisse de 10 % du temps de travail avec la création de 8 % d'emplois supplémentaires. Dans le service public audio-visuel, la même démarche vient d'être adoptée et, à l'hospitalière, les salariés vont obtenir des engagements de création d'emplois, d'ailleurs repris dans votre projet de texte.
A ce stade et après lecture de votre texte, nous vous posons une série de questions sur la nature des engagements que vous allez prendre en matière de réduction du temps de travail et sur les conditions de la mise en uvre de cette réduction. Et tout d'abord : est ce que ce ne sont pas ceux qui ne veulent pas d'accord qui seraient en voie de gagner ?
Quelques remarques sur le texte
Dans le préambule, le paragraphe sur l'évolution des " besoins quantitatifs et qualitatifs " des services publics, fait, certes, explicitement référence à une réduction de la précarité à dégager prioritairement, mais il fait l'impasse totale sur la nécessité de tirer toutes les conséquences en matière de créations nettes d'emplois.
C'est pourtant ainsi, Monsieur le Ministre, que vous aviez bien voulu aborder la question lors de nos précédentes rencontres.
Sur le champ d'application des 35 heures, il y a peu d' amélioration. La référence aux 1600 heures pour le décompte annuel demeure. Vous le savez, nous la contestons et nous avons souhaité qu'il n'y soit pas fait référence car, ainsi libellé, cela est surtout un instrument qui peut avoir pour conséquence, la non prise en compte de l'histoire des métiers, des missions et de la façon dont elle a été prise en compte du point de vue de la durée du travail et des congés. Nous vous avons fait observer que cette démarche avait pour conséquence de tenir à l'écart une grande partie des agents des 35 heures et tout particulièrement ceux dont les missions d'éducation et de formation s'exercent auprès de la jeunesse. On a vu dans le privé quelle était la fonction de décompte annuel et les nombreux conflits que cela générait.
Le paragraphe qui suit, bien que précisant que ce décompte peut être réduit, n'apporte aucune des garanties que nous souhaitons. Nous apprécions que le texte précise que la durée du travail est définie de façon hebdomadaire mais pour nous, cette définition de cycle de travail doit être la règle et ce n'est que par exception que les autres variantes de cycle doivent être examinées, pour tenir compte de situations spécifiques que nous connaissons déjà. C'est pourquoi nous demandons la disparition de la référence au cycle annuel.
La formulation sur les astreintes reste très imprécise et a l'inconvénient de renvoyer aux négociations à venir dans les services et les ministères sa prise en compte dans la durée du temps de travail.
En matière de précarité, si vous reconnaissez l'insuffisance des dispositifs actuels, si vous annoncez une discussion sur l'emploi précaire, votre texte est très en retrait par rapport aux hypothèses que vous aviez émises sur l'élargissement des ayant droits, les transformations de crédits en emploi, les procédures de réemploi, la résorption de la précarité.
Vous parlez de la " réduction " de l'emploi précaire mais vous n'affichez pas l'intention de ne plus y recourir. La crédibilité de cette réduction est d'ailleurs compromise en raison de la baisse des postes aux concours réservés pour 2000 dans l'éducation nationale, de même, nous vous l'avions dit, qu'en raison de la limitation des recrutements de titulaires dans le primaire, de la forte baisse des concours internes dans le second degré, du recours massif à des précaires très précaires dans le second degré, la formation continue el l'enseignement supérieur, dans l'enseignement agricole, pour les personnels ATOS, de même enfin, que par la décision du Ministre de l'Éducation Nationale, de recruter, en contradiction avec la loi, 2000 emplois jeunes ouvriers.
Cela est d'ailleurs cohérent avec l'insuffisance du texte en matière d'emploi et de recrutement. Le texte ne s'engage même pas à compenser les départs à la retraite par une augmentation des recrutements. Il est muet sur les créations d'emploi pour résorber la précarité par transformation de crédits, il reste très allusif sur la transformation des AS en emplois et, naturellement, il fait l'impasse sur les conséquences à tirer du passage aux 35 H.
CS silence volontaire et entêté auquel le gouvernement semble vouloir se tenir met en lumière plusieurs contradictions. Au plan politique d'abord, il dit au privé : " Passez aux 35 heures avec créations d'emplois " ; il prévoit les aides nécessaires pour cela, et dans son secteur de responsabilité direct, il dit gel de l'emploi public. II place nos services publics et les agents dans une contradiction, d'autant qu'il ne faut pas oublier que l'essentiel des fonctionnaires, notamment d'état, mais aussi dans l'hospitalière et dans une partie de la territoriale, sont au service des personnes : comment réduire le temps de travail sans aucune compensation en création d'emplois, sans réduire la qualité des services aux usagers ?
La question des gains de production ne se pose pas de la même Façon que lorsqu'il s'agit de produire des marchandises. Certes, dans certains secteurs l'introduction des technologies nouvelles change l'organisation du travail, peut faire disparaître certaines tâches. mais cela devrait être l'occasion de libérer de l'espace pour améliorer le service aux usagers.
Et les agents vivent ces choix comme leur mise en cause, l'expression d'une crise de mise en confiance, ce qui provoque chez eux une grande méfiance, un très grand scepticisme. En effet, pour eux, ce refus de créer des emplois ne peut être qu'entendu de deux façons : les 35 heures sont le prétexte pour nous faire travailler plus. On laisse ainsi entendre que nous ne travaillons pas et c'est la durable image des fonctionnaires qui ne feraient rien qui est ainsi légitimée. Et comme les pouvoirs publics n'en sont pas à une contradiction près, ils sont très vite contraints par les événements naturels de reconnaître l'efficacité des agents de l'équipement, des agents EDF, des personnels de l'éducation quand les arbres entravent nos routes, quand nos lignes sont par terre, quand les toits de nos écoles se sont écroulés et qu'il faut trouver des solutions pour assurer la continuité des services... On devient parfait pour servir l'intérêt général.
Passons sur le fait que dans ces circonstances où il y a encore 3 millions de chômeurs, les fonctions publiques ne se seraient chargés de contribuer à l'emploi que sous l'angle des remplacements des seuls départs à la retraite. II faut avoir une autre ambition, d'autant que réduire la durée du travail de 10 cela pourrait donner au moins l'équivalent de ce que crée le privé et 6% de l'emploi public, cela représente 300 000 emplois, créations qui pourraient être programmées. II faut évaluer le coût réel, compte tenu de l'affaiblissement à terme du GVT , de l'économie réalisée en matière d'indemnisation du chômage. Il ne doit plus rester qu'un coût supplémentaire marginal autour de 1 % de la masse salariale.
Qu'on ne vienne pas nous dire que cet effort est insurmontable alors que la croissance se développe, que l'amélioration des services publics est aussi source de croissance à terme.
C'est cette logique qui doit l'emporter et non celle qui théorise la nécessaire réduction des dépenses publiques. Que l'État ait le souci de mieux gérer les deniers publics , c'est normal et il y a des évolutions nécessaires dans tous les secteurs mais, à coup sûr, cette logique poussée au bout, cela se traduira par moins de services publics et plus de services à la charge des ménages qui n'auront plus qu'un recours, celui d'en appeler au privé qui se développera alors sur les carences de nos services. Est ce cela que l'on veut ? Est ce choix de société là ? 11 faudra bien aussi introduire de la cohérence. Pour notre part, nous sommes cohérents. Nous défendons l'idée qu'il faut améliorer les services publics dans tous les secteurs, que les voies peuvent être diverses et adaptées aux missions, qu'il est possible de saisir l'opportunité de cette avancée sociale que peut constituer le passage aux 35 h pour redynamiser les fonctionnaires, les associer à ces évolutions nécessaires. Tout le monde, les usagers, les agents, les pouvoirs publics, la société peuvent en tirer le plus grand des bénéfices.
En conclusion, nous ne pouvons considérer le texte aujourd'hui comme une base acceptable pour la discussion. Nous vous confirmons notre volonté de contribuer à une négociation positive. En retour, nous attendons que le Ministère ne reste pas bloqué sur des positions qui sont totalement en retrait par rapport aux derniers mois de discussion, a fortiori, il est très éloigné des attentes des agents et des nécessités de développement des Services Publics.
Nous sommes prêts à discuter d'un nouveau texte.
(Source http://www.fsu.fr, le 9 décembre 2002)