Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "RMC Info" le 8 novembre 2004, sur la crise entre la France et la Côte-d'Ivoire et sur sa condamnation de la profanation des cimetières.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin- La Côte-d'Ivoire. Selon vous, la France défend-elle l'Etat de droit en Côte-d'Ivoire ?
R - Oui, mais on peut penser aussi qu'elle n'est pas absolument neutre. Et c'est le reproche que lui fait le gouvernement ivoirien : d'avoir des faiblesses pour les rebelles du nord qui, vous le savez, sont, d'une part, d'origine immigrée pour beaucoup, et sont musulmans. Alors que le sud gouvernemental est chrétien. Et on retrouve là, la fracture que l'on voit pratiquement, la fêlure, qui sépare dans le monde deux civilisations.
Q - Mais quand les partisans de Gbagbo crient : "La France est devant un nouveau Vietnam !", comment réagissez-vous ?
R - Ce qui est grave, ce ne sont pas les manifestants qui l'ont dit, c'est...
Q - Oui, c'est le numéro 2...
R - ...c'est le président Koulibali, le président de l'Assemblée nationale. Alors nous sommes là dans des mondes très émotifs, très violents dans leur expression, et quelquefois même dans leurs actions, encore que l'on a pu noter quand même que dans cette fureur générale et juvénile, il n'y a pas eu d'actes meurtriers de la part des manifestants. Il y a eu des pillages, il y a eu des vols...
Q - Mettons-nous à la place des Français qui sont installés là-bas, ils travaillent là-bas, qui font vivre les Ivoiriens et qui se retrouvent sans rien du jour au lendemain !
R - Non, mais je suis tout à fait convaincu de la douleur qu'ils ressentent et de l'injustice dont ils sont les victimes. Mais cela est lié aussi, peut-être, à la réaction militaire française qui... Bon, c'est certain que la mort des soldats français était un événement...
Q - Il ne fallait pas détruire ...
R - ...très grave. Mais sans enquête préalable, il me paraît quand même peu responsable de la part du chef de l'Etat d'avoir détruit, non pas l'avion bombardier mais l'aviation - certes quelques avions et des hélicoptères. Mais c'est ce qui donnait un relatif avantage au gouvernement de Gbagbo sur les rebelles. Donc, en supprimant délibérément l'ensemble des moyens aériens, on privait l'armée ivoirienne de son atout principal en quelque sorte.
Q - Vous auriez été chef d'Etat, vous n'auriez pas donné cet ordre ?
R - J'aurais été tenté de le donner mais je pense qu'à la réflexion, je ne l'aurais pas donné car c'est probablement cette décision qui a provoqué la fureur de masses qui ne demandaient qu'à s'enflammer et à trouver un bouc émissaire à la situation qui dure depuis maintenant quelques années.
Q - Mais vous seriez président de la République, que feriez-vous ? Vous donneriez l'ordre aux soldats français, de quitter le pays ?
R - Non, bien sûr que non. On sait que quand les opérations militaires sont engagées ou que des soldats sont en situation de danger, il y a des risques de perte de vies humaines en morts et en blessés. Et c'est, je crois, la grandeur du service que rend l'armée, c'est de remplir ce rôle sans se laisser aller à des réactions justement naturelles mais brutales, et ayant des conséquences quelquefois incommensurables.
Q - L'armée française est là-bas avec l'aval de l'ONU, il faut quand même le rappeler.
R - Oui, bien sûr, c'est évident.
Q - Je passe à Arafat, parce qu'il y a beaucoup de sujets d'actualité : devions-nous l'accueillir ?
R - Je pense qu'il était dans la tradition de la France d'accueillir un homme très malade. Nous avons un corps médical de très haut niveau, et nous sommes dans une situation justement un petit peu détachée des événements au Proche-Orient, c'est-à-dire, en Palestine et en Israël. Et par conséquent, nous étions sans doute les mieux placés pour accueillir cet homme malade et hors de combat en quelque sorte.
Q - L'élection de G. Bush : vous l'aviez plus ou moins prévue. Pourtant...
R - Oui.
Q - ...vous n'êtes pas favorable à sa politique en Irak ?
R - J'ai tout à fait combattu la politique américaine. Parce que je pense qu'elle n'est pas spécifiquement la politique de Bush. Et je voudrais rappeler que c'est Clinton qui a décrété l'embargo assassin des enfants d'Irak, par la misère et par la faim, et que c'est lui qui a fait bombarder la Serbie. Par conséquent, il y a là une position de politique étrangère américaine qui me paraît échapper en partie à la division des partis démocrate et républicain. Si les Américains sont en Irak, ce sont certainement pour d'autres raisons que celles qui sont affichées, à savoir la recherche des armes de destruction massive, ou même le renversement de S. Hussein. Je pense que les Etats-Unis d'Amérique, pour des raisons géopolitiques essentielles, veulent être présents, à n'importe quel prix, au Moyen-Orient, c'est-à-dire sur la source principale de ravitaillement en pétrole du monde, et que par conséquent, les événements les favorisent relativement, justifient leur présence militaire massive.
Q - Regardons ce qui se passe en France maintenant. Les profanations de tombes : sont concernés des cimetières chrétiens, des tombes musulmanes, des cimetières juifs. Condamnez-vous, franchement, toutes ces profanations ?!
R - Mais c'est bien évident ! Quelles qu'elles soient et quelles qu'en soient les victimes ! Je ne suis pas absolument sûr que cette opération ne soit pas manipulée, secrètement, car j'ai moi-même, le Front national, nous avons été victimes d'une manuvre de ce style avec l'affaire de Carpentras. Par conséquent, je me méfie beaucoup des choses qui se passent dans les cimetières et qui revêtent le caractère de provocation politique, comme celle-là. Cela étant, je pense que les gens qui font ces actes détestables mériteraient d'être fouettés, n'est-ce pas... !
Q - "Fouettés" ?
R - Oui, fouettés ! Je pense que cela relève beaucoup plus du coup de pied au cul que de la prison à vie, qui est maintenant ce que...
Q - C'est la charia cela !
R - Oui...Ma foi, cela ne me choque pas. Vous savez, j'ai donné quelques fessées à mes enfants, je pense qu'elles en donnent aussi aux leurs, avec mesure et amour. Je crois que c'est une bonne façon d'éduquer les gens et des les remettre dans le droit chemin. Je crois que faire encourir la prison à vie à des gens qui commettent des actes contraires à la morale et au sentiment élémentaire de solidarité des vies humaines et des morts, cela mérite... C'est cela, ce sont des réactions...Ou elles sont puériles et méritent la fessée ou elles sont politiques et il faudrait à ce moment-là chercher quels sont les gens qui sont derrière ces opérations-là !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 novembre 2004)