Interview de M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" du 15 décembre 2004, sur le lancement d'une mission parlementaire sur la famille et les droits de l'enfant et sur les attentes et les nouvelles revendications de la société à l'endroit de la famille.

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Texte intégral

Q. Vous avez lancé la création d'une mission parlementaire sur la famille et les droits de l'enfant. Pourquoi ?
R. La société évolue. On peut s'en féliciter ou le regretter, mais c'est ainsi. Les mères porteuses, la procréation médicalement assistée, la contraception, le Pacs, les familles monoparentales : tous ces termes définissent des situations dont certaines peuvent choquer, certes, mais qui sont des réalités. La monoparentalité, par exemple, est devenue un fait de société : un enfant sur sept vit avec un seul parent. Alors qu'il y avait en 1975 environ 775 000 familles monoparentales, on en compte aujourd'hui 1,5 million. Les députés doivent réfléchir sereinement à ces évolutions.
Q. L'annonce de cette mission a semé le trouble parmi les parlementaires. Des associations, de défense des homosexuels notamment, y ont aussitôt vu une porte ouverte à leur cause...
R. Je reçois très régulièrement des représentants d'associations. Je les écoute, j'essaie de les comprendre, même si je ne partage pas leur combat. C'est vrai que les progrès scientifiques, comme la contraception ou la procréation médicalement assistée, ont modifié profondément le concept de la procréation, qui ne repose plus uniquement sur la nature, ou la seule union physique. De ce fait, sont nées des revendications comme celles des couples homosexuels qui désirent des enfants. Je me suis alors demandé quelle attitude nous devions avoir vis-à-vis de ces nouvelles revendications. Est-il possible de faire comme si l'on ne voyait rien ? Ce serait plus commode, sans doute, mais pas très courageux. Quand les députés prennent le temps de se préoccuper des problèmes de société en amont, on évite les débats trop passionnels et cela facilite la réflexion et l'adoption de lois équilibrées.
Q. Sera-t-il possible, justement, d'éviter un débat passionnel ? Le sujet ne risque-t-il pas de diviser les députés au sein même de la majorité ?
R. Ma réflexion ne s'inscrit pas dans un rapport droite - gauche : des questions comme celles des mères porteuses ou de l'adoption par un couple homosexuel dépassent largement ces clivages. Chaque député aura, le moment venu, à se déterminer en son âme et conscience. Mon rôle, en tant que président de l'Assemblée nationale, est de favoriser la réflexion de tous pour éclairer les choix de chacun. Je crois qu'il était temps de réfléchir ensemble, majorité et opposition confondues, à ces évolutions de notre société, avant que la passion ne domine trop la raison. Regardez ce que nous avons fait avec la laïcité ou la fin de vie. Quand j'ai lancé ces deux missions, on m'a aussi accusé d'aborder des sujets qui pouvaient semer la division dans les rangs des députés, notamment dans la majorité. Nous avons pourtant abouti à des textes votés à la quasi-unanimité. J'ai par ailleurs pris soin de baptiser la mission "famille et droit des enfants", car je souhaite que l'on aborde toujours ces questions en pensant avant tout à la protection des enfants.
Q. La création d'un véritable statut du beau-parent, comme le réclament certaines associations, pourrait-elle, par exemple, rentrer dans ce cadre ?
R. Pourquoi pas ? Les beaux-parents peuvent jouer un rôle dans la vie de l'enfant. Interrogeons-nous sur leur place, posons-nous toutes ces questions. Je ne me prononcerai pas maintenant sur mes idées personnelles - même si j'ai beaucoup de réticences sur certaines formes d'adoption. Je refuse d'imposer aux autres mes certitudes. Je veux que les députés fassent d'abord l'inventaire des questions sans passion.
Q. Faudra-t-il, selon vous, légiférer ?
R. Pas forcément. L'important, aujourd'hui, c'est d'abord que le législateur prenne du recul. Ensuite, les députés diront s'ils veulent, ou pas, fermer telles ou telles portes, ou au contraire les ouvrir. Je rêve d'un document qui ferait l'état de la réflexion existante sur ces questions. En tout cas, je ne veux pas que l'on se retrouve dans la même situation que pour le Pacs, où nous avons pris position avant tout en fonction d'une opposition droite - gauche. Sincèrement, je le regrette. Je crois que nous n'avions pas suffisamment réfléchi en amont.
(Source http://www.u-m-p.org, le 16 décembre 2004)