Interview de M. Laurent Fabius, secrétaire national du PS, au "Nouvel Observateur" le 20 janvier 2005 et à "Europe1" le 25 janvier, sur ses choix personnels et ceux de son parti, sur le référendum sur la Constitution européenne, et la question de l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne.

Prononcé le

Média : Europe 1 - Le Nouvel Observateur

Texte intégral

Dans le Nouvel Observateur

Depuis le 1er décembre et la nette défaite du non lors du référendum interne du PS sur la Constitution européenne, vous ne vous êtes pratiquement pas exprimé en public. Pourquoi ce long silence ? Etait-ce la marque d'une incompréhension ? La manifestation d'un dépit ? Ou la simple préparation d'une nouvelle offensive ?
Les militants socialistes se sont prononcés après débat. J'ai plaidé, comme beaucoup d'autres, en faveur du non, nos arguments ont convaincu un peu plus de 40 % de mes camarades, une majorité s'est dégagée en faveur du oui. Il faut prendre acte de ce vote qui fixe désormais la position officielle du PS sur la constitution européenne. Voilà !
Pourquoi avez-vous échoué ?
Une première raison a certainement joué : il est difficile d'expliquer qu'on s'oppose à un texte concernant l'Europe précisément parce qu'on est un fervent partisan de la construction européenne. C'est pourtant le fond de ma conviction : ce que j'ai combattu, c'est le fait qu'on soit en train de renoncer à " l'Europe puissance " au profit d'une " Europe diluée " et finalement affaiblie. Avec le risque d'avoir au bout du compte plus d'Européens et moins d'Europe. En tous cas, pas assez d'Europe sociale.
Les militants socialistes ont-ils été trompés ?
Non, ce serait injuste de dire cela. Ils se sont déterminés librement. Mais beaucoup ont eu - et c'est probablement une deuxième raison du résultat - peur des conséquences d'un vote négatif, en Europe et surtout au sein du PS. Le non a été présenté comme l'annonce du chaos. Cet argument a aussi joué.
Avez-vous vécu cette défaite comme un désaveu personnel ?
J'aurais préféré, bien sûr, convaincre davantage. Mais ce débat dépasse les personnes qui l'ont porté. Dans l'ensemble, la discussion a été de qualité et beaucoup me savent gré, ils me le disent, de l'avoir nourri en allant avec sérénité au fond des choses. J'ajouterai une observation en forme de clin d'oeil : quand je vois la liste impressionnante des personnalités qui se sont engagées pour le oui, je me dis que, dans ces conditions, le résultat est honorable. En tous cas, je ne regrette rien puisque ce sont mes convictions.
Aucune déception ? Même à l'égard de vos amis qui ne vous ont pas suivi ?
L'amitié ne signifie pas l'alignement. Et certains qui ne m'ont pas accompagné sur la Constitution européenne me rejoignent sur la question turque, sur l'opposition frontale au Gouvernement ou sur l'orientation du projet socialiste.
Jacques Chirac vient d'annoncer que le référendum national sur la Constitution européenne aurait lieu avant l'été, sans doute en juin. Quelle place pouvez-vous prendre dans la campagne, sans vous renier ni fouler aux pieds le vote des militants socialistes ?
Je serai loyal à l'égard de mon organisation et je garderai mes convictions personnelles.
Concrètement, chacun agira donc comme bon lui semble : le PS d'un côté et certains socialistes de l'autre ?
Non, ce serait une caricature de présenter les choses ainsi. Le PS a une position et il mènera une campagne, et non pas deux. Mais il n'est demandé à personne de renoncer à ce qu'il croit juste et vrai.
Vous désavouez donc votre camarade Jean-Luc Mélenchon quand il invoque sa conscience pour continuer à faire campagne contre la Constitution européenne ?
Pourquoi voudriez-vous qu'il n'ait pas, lui aussi, le sens des responsabilités ?
Cet impératif de cohérence va-t-il vous conduire à voter la révision constitutionnelle qu'implique nécessairement le référendum voulu par Jacques Chirac ?
C'est un autre problème, qui n'a d'ailleurs pas été tranché par les militants. D'un côté, une évidence s'impose : pour adopter une constitution européenne, il faut au préalable modifier la Constitution française ; le Parlement est donc saisi d'une proposition de révision.
Mais, d'un autre côté, lorsqu'on examine le texte de révision qui nous est soumis aujourd'hui par le président de la République et par le Gouvernement, on constate que s'y mêlent d'autres aspects, notamment la question turque, l'invention du référendum obligatoire... dans dix ans, et le rejet de tout contrôle approfondi du Parlement sur les affaires européennes : je ne suis pas d'accord.
Qu'est-ce qui vous choque essentiellement ?
Le " référendum différé obligatoire " est typique de la méthode Chirac. On refuse d'affronter un problème, on prétend qu'on est sensible aux souhaits des Français, mais on refile le mistigri aux successeurs. Sur la Turquie comme sur le reste, lorsque Jacques Chirac dit " je vous ai compris ", il faut souvent lire " je vous ai menti ".
Que demandez-vous ?
La vérité. Il n'est pas vrai qu'on va négocier pendant 10 ou 15 ans l'adhésion de la Turquie et qu'ensuite il sera possible de lui dire non. Comme le souligne justement Robert Badinter, c'est un leurre. Et ce mensonge se double d'une absurdité.
Si par exemple la Macédoine demande demain son adhésion à l'Union européenne, il faudra, selon ce projet de révision, consulter les Français par référendum ! Je conseille d'avance à ceux qui organiseront le scrutin de choisir un dimanche particulièrement pluvieux.
Pour la révision constitutionnelle, vous direz donc non ?
Je ne veux pas donner le sentiment de revenir par la bande sur le débat précédent, je pencherai donc plutôt pour l'abstention. Pas question d'approuver un tel trompe-l'oeil.
Durant la campagne référendaire, condamnerez-vous avec la même vigueur tous ceux qui à droite ou à gauche veulent lier le débat sur la Constitution européenne et celui sur l'adhésion de la Turquie ?
Ce sont deux questions à la fois distinctes et difficiles à dissocier. Les règles que l'on fixe pour l'Union européenne, c'est-à-dire la Constitution, ne peuvent en effet pas faire totalement abstraction de la composition de cette Union. Pour moi, la Turquie devrait être un partenaire privilégié de l'Europe, comme l'Ukraine ou les pays du Maghreb. C'est ce que j'appelle le " troisième cercle ".
Je ne comprends pas la position de ceux qui martèlent que ces deux questions sont séparées, mais qui les relient dans un même texte de révision constitutionnelle. La contradiction saute aux yeux.
Pensez-vous que le non puisse l'emporter, lors du référendum national ?
Les motifs d'une réponse référendaire sont multiples. Il y a le texte et le contexte. Combien de Français auront vraiment lu le projet au moment de voter ? Et quel sera le contexte ? La parole est à nos concitoyens.
Dans cette affaire, vous serez plus observateur qu'acteur !
Je ne veux pas insister davantage sur ce sujet. Permettez-moi en revanche d'aborder deux autres aspects, décisifs pour le quotidien des Français. D'abord, la gestion par les autorités européennes de l'euro et de sa parité par rapport au dollar et aux monnaies d'Asie. Devant la surévaluation de l'euro, ruineuse pour notre économie, la Banque Centrale Européenne reste inerte : c'est un non sens. On voudrait aggraver la démotivation des salariés et les délocalisations d'entreprises qu'on ne s'y prendrait pas autrement.
Outre la question du rôle de la Banque centrale européenne, c'est toute la question de l'orientation de la politique économique au sein de l'Union qui est posée. La BCE est obnubilée par un risque inflationniste qui n'existe pas. Il faudrait au contraire être offensif, baisser les taux d'intérêt, mobiliser davantage de financements pour la recherche et l'industrie, injecter du pouvoir d'achat là où il fait défaut, coordonner les réformes indispensables : rien de tout cela n'est fait, et la croissance européenne se traîne.
Deuxième exemple : la directive dite Bolkenstein qui va arriver en discussion au Parlement européen, après avoir reçu le soutien de la Commission et l'accord du gouvernement Raffarin. Schématiquement, elle prévoit que pour les services - c'est-à-dire l'essentiel de notre économie - les règles sociales et les normes de protection des consommateurs seront désormais celles du pays d'origine du prestataire et non plus celles du pays où il travaille. Cela, alors que nous serons bientôt 27 et que chacun connaît l'hétérogénéité de l'Union. Si on approuve cette directive, on favorise massivement le dumping social et on réduit la sécurité des consommateurs.
On risque de casser ce qui reste de nos services publics. Ces deux sujets méritent une forte mobilisation.
Au-delà de ces critiques ponctuelles, n'en revenez-vous pas toujours aux responsabilités de Jacques Chirac !
C'est qu'elles sont considérables ! Il se trouve à la tête de l'Etat depuis bientôt dix ans. Et de nouveau en campagne. Humainement, c'est sans doute un homme sympathique mais telle n'est pas la question : son bilan est médiocre.
J'avais réclamé il y a plus d'un an, à l'approche des échéances régionales, une opposition frontale. Elle s'impose. Tout comme envers Nicolas Sarkozy et sa stratégie de la fausse différence, ce vaste panneau dans lequel beaucoup tombent avec naïveté. D'autant plus que la droite vient de remettre en route la machine à promesses, selon la juste expression de François Hollande. Sur les plans de l'emploi, du pouvoir d'achat, du logement, de la santé, des services publics, de la recherche, ce n'est plus un bilan, c'est un fiasco. Il faut le dire. Sans circonlocutions inutiles. Cette droite aura aggravé la fracture sociale. Et elle n'aura pas préparé l'avenir.
C'est la notion même d' " intérêt général " qui est perdue de vue, et c'est le trait commun du marasme actuel.
Cette opposition frontale ne va-t-elle pas vous conduire à gauchir le projet du PS pour la présidentielle de 2007 ?
Etre ferme dans ses convictions ne signifie pas être irresponsable. Je sais que les marges de manuvre ne seront pas énormes. Mais, avant d'élaborer nos propositions précises, il faut d'abord bien poser notre diagnostic sur la société française. Pour moi, il y a aujourd'hui " deux France ", et l'une d'entre elles est en train de " décrocher " sur tous les plans, au point de conduire - notamment beaucoup de jeunes - à penser que l'avenir ne peut plus offrir de progrès : c'est extrêmement grave. Nous devons refuser cette destruction de millions de destins. Nous devons recréer l'espoir et pour cela, réinstaller au coeur même de notre projet l'objectif du progrès et de la solidarité. Il n'est pas vrai que le recul soit inévitable. La matrice de notre projet doit être là : le progrès et la solidarité.
Avec toutes leurs dimensions : éducatives et culturelles, sociales, scientifiques, économiques, démocratiques, générationnelles, environnementales, internationales,... Cela demandera d'autant plus de courage et de volonté que l'ardoise laissée par la droite sera lourde.
Etes-vous toujours candidat à la candidature pour l'élection présidentielle de 2007 ?
Préparons d'abord notre projet. Ensuite, nous trancherons en 2006.
Votre échec lors du référendum interne ne change rien ?
Pourquoi voudriez-vous tout mélanger ?
Votre détermination est-elle intacte ?
J'ai mes défauts et, lorsqu'ils ne sont pas suffisants, on m'en invente même quelque uns. Mais on ne m'a jamais encore reproché un manque de détermination.
Même pas un brin de lassitude ?
La vie politique est tout sauf un long fleuve tranquille. Il peut se produire quelque tangage. L'essentiel est de tenir le cap. Je suis déterminé parce que je crois que la France a un besoin vital de progrès et de solidarité. C'est le sens que la gauche doit donner à son combat pour 2007.
Le quinquennat modifie-t-il la donne de la compétition présidentielle ?
Il accélère évidemment le temps politique. Est-ce une bonne chose ? Pas forcément. Peut-on en rester là ? Certainement non, car la conformité quasi-automatique des majorités présidentielle et parlementaire renforce, de fait, la main du chef de l'Etat. Pour faire respirer notre démocratie, le renforcement des pouvoirs du Parlement devient, dés lors, une urgence. Les principaux changements institutionnels nécessaires vers davantage de démocratie devront être soumis à référendum, et cela dès la première année du futur quinquennat.
Le profil des candidats crédibles à la présidence de la République est-il également modifié ?
Je crois comprendre que plusieurs pré candidats ont tendance à dessiner un profil du candidat idéal proche de celui qu'on leur prête ou de celui qu'ils s'imaginent avoir. Je préfère une approche plus objective : le prochain quinquennat sera celui des temps difficiles, il faudra pouvoir barrer à gauche, par gros temps, et en mettant le cap sur le progrès. Le veut-on ou non ? Pour moi, là sera le choix.

(Source http://www.Psinfo.net, le 27 janvier 2005)
sur Europe 1
Q- Avec vous, la vérité sur l'Europe, sur les impôts et sur le climat. Cet après-midi, l'Assemblée nationale débat pour réviser la Constitution française, préalable à l'adoption de la Constitution européenne par référendum. Votre position est attendue. Un, prendrez la parole ? Deux, lors du vote, quel est votre choix ?
R- Mon choix est l'abstention, je vais vous expliquer dans un instant pourquoi, et je ne pense pas prendre la parole dans l'hémicycle.
Q- D. Strauss-Kahn disait ici qu'aucun député socialiste ne peut s'abstenir, alors que le PS, dans son ensemble et sa majorité, a choisi le "oui"...
R- Revenons sur ce dont il s'agit. Le PS, dans sa majorité, a choisi de voter, au mois de juin, pour la Constitution européenne. J'ai une position personnelle différente, mais la position est celle que je viens de vous dire. Là, ce que l'on nous soumet est autre chose. Pour avoir une Constitution européenne, il faut réviser la Constitution française. C'est donc ce dont nous allons discuter à partir de cet après-midi...
Q- C'est-à-dire qu'il y a des étapes logiques ?
R- Voilà, li y a des étapes logiques. Et quand je regarde le texte - parce que moi, je me prononce par rapport au texte -, il y a deux grandes séries de dispositions dans ce texte, qui est très court, qui me posent un très gros problème et qui font que je ne le voterai pas. Quelles sont ces deux dispositions ? La première, c'est l'instauration de ce que j'appelle un "référendum différé obligatoire", et la deuxième, c'est l'absence de vrai contrôle du Parlement. Je reviens sur la première : c'est la question turque qui est posée. M. Chirac a une difficulté par rapport à la question turque. Lui est pour, il sait que beaucoup de Français sont contre - c'est mon cas en particulier - et donc il a inventé une procédure, qui fait que dans dix ans, on va nous dire qu'il y aura un référendum sur la question turque. Je pense que la question turque, ou bien elle est sans importance et, dans ce cas-là, il n'y a pas besoin de référendum, ou bien elle est importante et il faut la trancher maintenant. Mais dire que l'on va le faire dans dix ans, c'est tout à fait hypocrite.
Q- Pour répondre en partie à ce que vous dites, d'abord le traité va donner plus de pouvoirs aux Parlements nationaux - tous les constitutionnalistes le disent et le répètent, et donc au Sénat et à l'Assemblée - mais si vous revenez au pouvoir, est-ce que vous arrêtez immédiatement toute négociation avec la Turquie ?
R- Sur ça, vous pouvez me demander ma position personnelle...
Q- Oui...
R- Moi, je suis défavorable au fait que la Turquie entre de plain pied dans l'Union. Je pense qu'il faut plutôt avoir un partenariat privilégié avec elle et donc je ne serai pas favorable à cette entrée, c'est clair. Mais ça, c'est ma position en tant que L. Fabius...
Q- Mais si vous arrivez au pouvoir, vous dites personnellement et vous conseillez autour de vous d'arrêter toute négociation ?
R- Partenariat privilégié, mais pas d'inclusion directe. Et maintenant, la question de la Turquie s'étend à d'autres, parce que j'entendais ce matin et qu'on nous dit que ce que l'on a fait pour la Turquie, on va le faire aussi pour l'Ukraine. Et la question qui est derrière, c'est qu'est-ce que l'on veut comme Europe ? Est-ce que c'est - ce que je souhaite - une Europe puissance ? Ou est-ce que c'est simplement une Europe espace, qui va être diluée ?
Q- Mais êtes-vous contre le recours au référendum à tout moment et en toute circonstance ?
R- Non, pas du tout. Je suis contre le référendum obligatoire, parce que cela a une autre conséquence : s'il faut un référendum obligatoire pour toute adhésion, cela veut dire que quand la Macédoine ou l'Albanie viendront demander leur adhésion à l'Europe - géographiquement, elles ont la possibilité de le faire -, il faudra consulter les Français par référendum. On aura quoi ? On aura 10 % de votants. C'est la conclusion du texte que l'on veut nous faire voter : référendum obligatoire, cela veut dire que l'on utilise un leurre par rapport à la Turquie et cela veut dire que l'on oblige à voter pour des pays pour lesquels on n'arrivera pas à mobiliser l'opinion. Je dis donc que cette disposition me paraît mauvaise et dangereuse. Et c'est la raison pour laquelle je ne veux pas prolonger un débat que nous avons déjà eu au sein du parti : donc je ne voterai pas contre, mais je m'abstiendrai.
Q- D'après vous, l'intérêt de la France est-il de dire "non" au référendum de juin ?
R- C'est une autre question.
Q- L'intérêt de la France...
R- Ecoutez, j'ai pris une position personnelle que vous connaissez. Le Parti socialiste a maintenant une position majoritaire que vous connaissez aussi. Je ne vais pas aller sur les tribunes pour faire une campagne. Ce serait déloyal vis-à-vis de mon propre parti. Maintenant, on connaît ma conviction personnelle.
Q- Vous vous abstiendrez pour la révision de la Constitution. Est-ce que vous vous abstiendrez lors du référendum national sur l'Europe ?
R- Non, dans l'isoloir, je voterai selon conscience, que j'ai déjà exprimée.
Q- Il y a la conscience du citoyen, mais vous êtes plus que citoyen, vous êtes le numéro deux du Parti socialiste...
R- Oui, mais en même temps, il a toujours été dit - et c'est tout à fait normal - que l'on ne peut pas obliger quelqu'un à voter contre sa conscience. Simplement, on me demande - et je le fais volontiers - de ne pas faire campagne contre la position de mon parti, et c'est normal.
Q- Donc le citoyen Fabius, qui est en même temps numéro deux du PS, pourrait voter "non", c'est-à-dire contre le vote de son parti ?
R- Bien sûr, mais c'est à titre personnel. Je ne vais pas faire campagne.
Q- Vos amis, comme on dit les "Fabusiens" du Parlement européen - on peut donner les noms - se sont abstenus à Strasbourg sur le traité constitutionnel. Est-ce qu'ils annoncent votre abstention ou votre "non" ?
R- Je vous ai donné ma position. Mais faisons bien attention, parce que tout cela est très complexe. Il y a d'un côté la révision constitutionnelle en France et puis de l'autre, il y a la Constitution européenne. Et aujourd'hui, on parle de la révision constitutionnelle en France...
Q- Dimanche, F. Hollande va réunir à Paris les cadres du PS, venus de toute la France, pour les mobiliser en faveur du "oui" au
référendum...
R- Non, ce n'est pas l'objet de la réunion. C'est une réunion de tous les secrétaires de section, je m'y exprimerai aussi et tous les dirigeants du parti. Et c'est surtout pour donner la feuille de route pour les mois qui viennent. Pour parler sans doute un petit peu de l'Europe, mais surtout du projet socialiste que nous allons élaborer cette année.
Q- Mais alors, vous, samedi, vous réunissez les "Fabiusiens" à Pantin. Est-ce qu'il y a deux partis dans le parti ? Le "parti du samedi" et le "parti du dimanche" ?
R- Certainement pas. Je crois que cette formule, vous avez dû la concocter, elle est jolie ! Mais je vous réponds : non, il n'y a pas deux partis socialistes. Il y a des sensibilités au sein du Parti socialiste. Elles existent depuis très longtemps. Il est tout à fait normal que ces sensibilités puissent se réunir, s'exprimer. Mais il n'y a qu'un Parti socialiste, de même qu'il n'y aura qu'une campagne officielle du Parti socialiste.
Q- Vous avez laissé entendre, dans une intéressante interview au Nouvel Observateur, que vous serez candidat à la candidature en 2006... Est-ce une hypothèse ou une décision ?
R- N'abordons pas cela maintenant. Revenons à l'Europe, parce que l'on va avoir, indépendamment de cette histoire de Constitution, au moins deux grandes questions qui vont se poser tout de suite. D'abord, une question permanente : c'est le rapport entre l'euro et le dollar. Actuellement, le dollar est très bas, ce qui pose d'énormes problèmes à tous nos salariés, à tous nos chefs d'entreprises. Et je demande encore une fois que la Banque centrale européenne intervienne, alors qu'elle est complètement inerte. Et puis l'autre question, qui est assez compliquée mais qui va devenir une question forte des semaines qui viennent, c'est la directive sur les services des pays d'origine, que l'on appelle "directive Bolkestein" du nom du commissaire... En deux mots, de quoi s'agit-il ? Désormais, si l'on suit cette directive - et le Gouvernement français, quoi qu'il dise, a déjà donné son accord -, cela veut dire que quand il y a une prestation de service - un médecin, un artisan, l'éducation ou que sais-je encore -, ce n'est pas la loi français qui va s'appliquer en France à des ressortissants d'un autre pays d'Europe, c'est la loi de leur pays d'origine. C'est-à-dire que, par exemple, si un artisan hongrois vient travailler en France, c'est, en dehors du Smic, la loi hongroise qui s'appliquera, sous le contrôle de la Hongrie. Vous voyez le pataquès que cela peut être...
Q- Le président de la République a dit qu'il était contre et deux ministres ont dit ici, P. Devedjian et R. Dutreil, qu'il fallait écarter, combattre cette directive...
R- J'apprends cela avec plaisir. Seulement, le Gouvernement - et le président de la République doit être informé de ce que fait son Gouvernement quand même -, au mois de novembre dernier, a dit "oui". Et il veut simplement exclure telle ou telle profession de cela, alors que ma position et, je le pense, celle de tout le Parti socialiste français, sera de dire "non" : il ne s'agit pas de procéder par telle ou telle exclusion. Il s'agit de dire clairement que l'on est opposé à cette directive, parce qu'elle va casser le droit social en France et parce qu'elle a une autre conséquence : si c'est ça que l'on fait, cela veut dire que beaucoup d'entreprises françaises vont demander à avoir leur siège social dans les pays dont je parle, pour pouvoir avoir un régime social plus bas.
Q- Donc la France doit dire "non" ?
R- Absolument.
Q- Selon Le Parisien et les Echos, les Français se plaignent de payer en 2004 trop de taxes et trop d'impôts. Vous qui avez baissé de 5 % toutes les tranches de l'impôt sur le revenu, est-ce que vous êtes favorable à la baisse prévue en 2006 de l'impôt sur le revenu ?
R- Mais elle n'aura pas lieu ! Parce que l'on est dans une situation financière qui est difficile et parce que lors même que le Gouvernement décide des baisses d'impôts nationaux, il fait augmenter les impôts locaux...
Q- Mais il y a des présidents de région qui sont maintenant socialistes ! On ne peut pas dire que c'est encore les impôts pris par l'Etat, alors que c'est la Une politique des nouveaux élus !
R- Non. Si vous dites : je transfère à la région X ou Y telle compétence, quand je suis l'Etat, mais que nous ne lui transférez pas les ressources, comment voulez-vous que fasse le président de région ? Il est obligé, lui, d'augmenter ses impôts régionaux. La réalité est qu'en 2004, le poids des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire les impôts et les cotisations sociales, aura probablement été le plus élevé depuis beaucoup d'années.
Q- Donc si on peut baisser les impôts, il faut le faire ?
R- Je pense donc que lorsque M. Chirac dit qu'il va baisser les impôts, c'est comme le reste : on promet tout, on finance rien.
Q- Il ne faut pas être démenti dans la journée : vos successeurs à Bercy, H. Gaymard et J.-F. Copé, devraient annoncer aujourd'hui que grâce à une croissance plus musclée que prévue, les recettes fiscales s'améliorent et qu'elles vont servir à réduire d'autant de déficits publics...
R- C'est très intéressant ce que vous dites, parce que quand on dit que le déficit va diminuer - on s'en réjouit - parce que les recettes sont plus fortes, cela veut dire, en termes concrets, que les impôts n'auront jamais été aussi élevés !
Q- Mais est-ce que l'on peut réduire à la fois le déficit et baisser les impôts ?
R- C'est très compliqué...
Q- Mais on le peut ?
R- Je crois que la priorité, c'est surtout de faire repartir la machine économique. Dans le vaste monde, on va avoir une croissance, en 2005, de l'ordre de 4 %. En France, on aura du mal à atteindre 2 %. Et donc le chômage ne va pas se réduire. C'est ce qui explique la morosité des gens.
Q- Une question à la fois personnelle et politique : un de vos fils, Thomas Fabius, a 23 ans et est très dégourdi ! Il crée son entreprise...
R- Au moins, qu'il y ait un dégourdi dans la famille !
Q- Il paraît d'ailleurs que son papa lui demande de ne pas faire de politique, parce qu'il paraît que c'est trop dur. Donc, Thomas Fabius, à 23 ans, crée son entreprise et il veut donner l'envie d'entreprendre. Seulement, il l'a dit à L'Express qu'il est hostile aux charges patronales et surtout aux 35 heures pour les PME. Vous n'allez pas réussir à convaincre votre fils ?
R- Si vous voulez interroger Thomas sur ses idées politiques, vous le ferez. Mais en tout cas, puisqu'il se lance dans l'entreprise, bonne chance !
Q- Mais sur les 35 heures, vous ne l'avez pas convaincu ?
R- C'est un autre débat !
Q- Quand vous ne voulez pas répondre, c'est toujours un "autre
débat" ! Bonne journée !
(Source : premier-ministre, Service d'Information du gouvernement, le 26 janvier 2005)