Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, à la chaîne Euronews Bruxelles le 11 février 2005, sur la campagne du référendum pour la Constitution européenne, le Pacte de stabilité monétaire, les relations transatlantiques et la politique étrangère commune.

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Média : Euronews Bruxelles - Télévision

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Q - Monsieur le Premier ministre, bonsoir. Tout d'abord, la Constitution européenne. Bientôt, l'Espagne va voter. Est-ce que vous attendez de l'Espagne un bon signal pour les électeurs français ?
R - "Oui, nous attendons un message positif de l'Espagne. Nous considérons que, vraiment, l'Union européenne est face à un choix historique. Nous avons une nouvelle géographie, 25 pays aujourd'hui, nous avons fait l'élargissement. Il faut maintenant une nouvelle organisation. Une organisation qui donne plus de poids à la responsabilité politique, avec une présidence, avec des vraies responsabilités de la Commission devant le Parlement, des vraies responsabilités au Parlement, une vraie démocratie, avec un vrai pouvoir politique. Nous souhaitons vraiment que les Espagnols puissent être les premiers à ouvrir cette route du "oui" qui est la route de l'avenir."
Q - Est-ce que vous ne craignez pas que, en France, par contre, le pourcentage soit en train de se réduire par rapport à une première phase où il y avait beaucoup plus d'enthousiasme, surtout après que la question sociale soit devenue un des arguments pour ceux qui s'opposent à la Constitution européenne ?
R - "Je reste confiant. Il faut que le "non" existe pour que le "oui" gagne. Le "non" porte des inquiétudes, l'inquiétude de l'emploi, l'inquiétude de la diversité culturelle, de l'identité nationale, de la mondialisation, du modèle anglo-saxon. Et nous devons répondre. On doit dire ce que l'euro apporte aujourd'hui à l'Union européenne parce que, autrement, dans le désordre international, on aurait des dévaluations dans tous les pays. Aujourd'hui, un pays comme la France fait 2/3 de son commerce à l'intérieur de la zone euro. Donc, quand il y a un dollar faible qui nous fait de la concurrence que nous considérons quelque peu illégitime, cette concurrence-là ne porte que sur 1/3 de notre commerce. Nous sommes protégés aux 2/3 de notre commerce. Quand je vois la diversité culturelle, aujourd'hui, il faut la défendre, et nous avons besoin de l'Europe, car autrement, nous allons être dans une société avec un seul modèle, le modèle anglo-saxon. Nous sommes pour la diversité."
Q - Est-ce que vous ne pensez pas qu'une des réponses positive qui pourrait être donnée aux partisans du "non" pourrait être, par exemple, une flexibilisation du Pacte de stabilité ?
R - "Non, je ne crois pas. Je pense que le Pacte de stabilité est un peu un pacte de colocataires. Quand on est dans un immeuble, il faut bien que l'on ait un règlement intérieur. Eh bien, le Pacte de stabilité, c'est le règlement intérieur de ceux qui partagent la monnaie. Alors que, lorsqu'un pays a des difficultés, on puisse tenir compte de la période de croissance - parce que ce n'est pas la même chose de faire des dépenses quand on a 4 % de croissance ou quand on est en croissance négative -, le cycle économique compte ; il y a des périodes où c'est plus facile de faire des économies que d'autres. Il y a les pays qui font des réformes ; la France est engagée dans une politique de réformes très importantes : nous avons fait une réforme de l'assurance maladie pour maîtriser nos budgets de santé, nous faisons une réforme importante en faveur des personnes handicapées, des personnes âgées, nous avons mené la politique pour faire la réforme des retraites, nous avons mené une politique de décentralisation, nous avons fait beaucoup de réformes. Je souhaite que, dans le Pacte de stabilité, on tienne compte de l'action qui est menée par les gouvernements. Mais il faut que les critères restent ce qu'ils sont. Ce sont des critères de bonne gestion. C'est un élément de la confiance."
Q - Quand même, il y a beaucoup de pro-Européens qui disent que, de toute façon "non" à la Constitution telle qu'elle est parce qu'elle est n'est pas suffisamment sociale...
R - "Moi, je pense que le texte européen est un des textes qui a la dimension sociale la plus forte depuis que je suis les questions européennes. J'ai été député européen pendant un certain temps et j'ai vu beaucoup de textes européens. Aujourd'hui, je vois le texte européen reconnaître le dialogue social, je vois que l'on tient compte des syndicats dans la prise de décision, je vois qu'il y a une vision sociale fondée sur le dialogue social. Cela n'existait pas auparavant. Cela ne veut pas dire que c'est suffisant, mais cela veut dire que c'est un progrès. Je crois que l'Europe de la concurrence, l'Europe ultra-libérale n'est pas l'Europe du Traité. L'Europe que nous sommes en train de construire, c'est l'Europe du XXIème siècle, ce n'est pas l'Europe du XXème siècle. L'Europe du XXème siècle s'est faite pour la paix à l'intérieur de nos frontières. Aujourd'hui, il faut faire la paix à l'extérieur de nos frontières. Et le Traité, est un Traité de responsabilisation des acteurs. C'est un Traité politique fondé sur les valeurs. Je considère qu'elles sont proches des valeurs de l'humanisme français. Mais c'est vrai aussi des valeurs des droits de l'Homme que tous les pays de l'Union portent ensemble."
Q - Est-ce que vous ne pensez pas que la politique étrangère commune, telle qu'elle est prévue par l'actuel Traité, la Constitution qui devrait être votée, n'est pas suffisamment cohérente ?
R - "Nous venons de loin en matière de politique étrangère. Nous avons connu des désaccords importants dans l'Union européenne. Mais nous avons aussi des accords importants. Et c'est vrai qu'il y a la question de l'Irak où l'Europe a été divisée. Je crois qu'il faut nous rapprocher progressivement, et avec les Anglais, et avec le Allemands, et avec les Espagnols, avec les Italiens et avec les nouveaux pays de l'Union, nous devons faire des efforts pour nous rapprocher. Et il y a des points de divergence, mais il y a des grands points d'accord."
Q - Est-ce que vous pensez qu'une détente dans les relations transatlantiques pourrait aider d'une façon ou d'une autre les pays européens à se rapprocher entre eux après la fracture irakienne de 2002-2003 ?
R - "Je pense que les relations transatlantiques sont très importantes et la visite du Président Bush, dans quelques jours à Bruxelles, sera très importante pour cela. Je pense aussi que le voyage de C. Rice était important pour une meilleure compréhension des politiques des uns et des autres. Les États -Unis, pour un Français, c'est un pays ami, c'est un pays allié, nous leurs devons, comme une grande partie des Européens, notre liberté. Nous avons, vis-à-vis du peuple américain, une énorme gratitude. Cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout. Nous souhaitons que les résolutions de l'ONU soient appliquées et, bien sûr, en Irak."
Q - Que pensez-vous des pays européens qui se sont ralliés aux États-Unis par contre ? C'est une sensibilité différente !
R - "C'est une sensibilité différente, que je comprends. Quand on a été dans le Pacte de Varsovie, quand on a connu le Mur de Berlin, quand on a vécu dans les systèmes communistes dans lesquels ces pays ont vécu, pour eux, l'Occident est un espoir. Et l'Occident, c'était le monde de la liberté, que ce soit New York, Paris et Londres. C'était l'Occident, c'était l'Europe, c'était l'OTAN, c'était tout ce qui n'était pas le communisme. Donc, je comprends bien que, dans cette culture, la protection des États-Unis était très importante. Donc, je ne leur reproche pas cette attitude. Ce que je dis, c'est que progressivement, l'Europe doit apparaître, pour eux comme pour nous, comme le pôle d'équilibre du monde qui apportera la paix sur la planète."
Q - Il y a quand même la perception, chez les Européens, que par rapport, par exemple, aux années 1980, maintenant, il y a une concurrence, à nouveau, entre les États membres de l'Union européenne ...
R - "Non, il n'y a pas de concurrence. Il y a, évidemment, des diversités, mais l'Europe, c'est l'union dans la diversité. Avec l'Allemagne, nous avons un accord très important, nous Français. Mais cela ne veut pas dire que nous sommes d'accord sur tout et qu'il n'y a pas entre deux universités ou entre deux entreprises une concurrence. C'est vrai avec les britanniques, c'est vrai avec les Polonais, c'est vrai avec les pays de l'Europe du Nord. Ce qui est très important, c'est que nous construisions un espace qui compte dans le monde, qui ait des règles démocratiques de fonctionnement et qu'il n'y ait pas de relations difficiles entre petits et grands pays. L'Europe s'est construite au départ à six ; il y avait trois petits pays, trois grands pays. La dimension ne fait pas, dans l'Europe, la force. La force, c'est l'union. Nous avons besoin de notre Nation et de notre Union. C'est cela, le projet européen."
Q - Merci beaucoup.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 16 février 2005)