Texte intégral
Q - Dominique de Villepin, bonsoir.
R - Bonsoir.
Q - Avant d'en venir aux dossiers eux-mêmes, un mot de cadrage si vous voulez bien, sur votre ambition dans les fonctions que vous venez de prendre, et que votre prédécesseur a fortement marquées, quels sont vos objectifs et surtout vos priorités ?
R - Alors il y a deux grandes priorités. La première, c'est de poursuivre l'action engagée et l'inscrire dans la durée, cela veut dire sur la délinquance par exemple, s'attaquer à certains noyaux durs de cette délinquance. Je pense aux violences aux personnes, qui n'ont pas cessé d'augmenter depuis 20 ans. Je pense aux violences urbaines qui pourrissent la vie des Français. Je pense à des grands dossiers comme l'immigration clandestine. Beaucoup a été fait, nous devons maintenant passer à de nouvelles étapes. Je pense bien sûr au terrorisme, qui est la première des priorités puisque nous devons garantir à nos compatriotes, la sécurité de ce point. Le deuxième champ au-delà de cette volonté d'agir dans la durée, c'est d'approfondir un certain nombre de grandes questions qui, dans le fond, deviennent de plus en plus palpables, de plus en plus complexes et qui méritent donc un effort particulier, et c'est pour cela que j'ai ouvert un si grand chantier. Je prends l'exemple ainsi de la modernisation de nos moyens de lutte contre le terrorisme. Je crois que dans ce domaine, il faut essayer véritablement d'avoir les derniers dispositifs, à la fois dans le domaine du renseignement, à la fois dans le domaine technologique. Je pense au démantèlement des réseaux de trafic de drogue parce qu'on retrouve la drogue au carrefour de tout le crime organisé, et en agissant sur la drogue, en agissant sur les circuits de financement, on peut être plus efficace contre la délinquance. Je pense à la cyber-criminalité. C'est une grosse préoccupation pour les Français tout ce qui touche à la pédophilie, à la pédo-pornographie. Nous devons être efficaces dans ce dossier. Je pense à la sécurité des mineurs. Nous, nous voyons les mineurs aujourd'hui sont de plus en plus les victimes, les premières victimes de certaines violences. Il y a donc des protections, des garanties à trouver. Il faut le faire, c'est évident, en coopération avec les autres ministères concernés, au premier chef l'éducation. Je pense à toutes les discriminations, racisme, antisémitisme, xénophobie, et on voit une multiplication d'actes dans ce domaine, dans notre pays. Et je pense aussi à la promotion et à l'égalité des chances, parce que c'est un grand chantier que je veux développer dans mon ministère, compte tenu du nombre des personnels policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, il faut donner l'exemple, donner l'exemple de la République. Ma conviction, c'est que l'un des premiers risques aujourd'hui auquel nous sommes confrontés, c'est celui du communautarisme, c'est celui du repli sur soi, et face au communautarisme, nous avons un antidote, nous le connaissons, que la République tienne ses promesses pour tous.
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Q - Alors vous avez participé hier, en Angleterre, à un sommet des cinq grands de l'Union européenne sur le terrorisme. Est-ce que la menace d'Al-Qaïda de frapper l'Europe a été plus précisément cernée, et jaugée, au cours de cette rencontre ?
R - Alors de ce point de vue, il y a eu au cours des derniers jours, un certain nombre de messages qui ont été rappelés venant d'Al-Qaïda, qui n'étaient pas nouveaux, qui relayaient des messages anciens. Donc je crois qu'il faut garder la mesure
Q - Il n'y a aucun ultimatum, aucune date de réponse pour l'Europe.
R - Oui, mais qui était la reprise de messages anciens déjà connus et dont il reste d'ailleurs à apprécier la fiabilité. Mais ce qui est important, c'est qu'il y a une menace et qu'il y a des risques, et notre responsabilité, c'est bien évidemment de tout faire pour réduire ces risques, et limiter ces menaces. Ca veut dire une mobilisation tous azimuts sur le plan national, et c'est le travail que nous faisons dans le domaine du renseignement. J'ai réactivé dès mon arrivée place Beauvau, le CILAT, le Comité interministériel de lutte anti-terroriste qui réunit l'ensemble des services de l'État, intérieur et extérieur, l'ensemble des ministères concernés. J'ai créé, il y a quelques jours, un conseil du renseignement intérieur qui rassemble l'ensemble de ceux qui ont affaire au terrorisme, pas uniquement les services de renseignements du ministère de l'Intérieur, comme la DST ou comme les Renseignements généraux, mais aussi la police judiciaire, l'UCLAT, mais aussi la préfecture de police, et la gendarmerie. Parce que je crois que nous sommes dans des périodes où nous avons besoin d'un point quotidien. Nous avons besoin en permanence de rassembler, et de coordonner l'information. Alors nous avons la chance d'avoir un certain nombre d'outils qui ont chacun leur culture, chacun leur tradition. C'est un atout si cette diversité est en permanence coordonnée pour apporter le meilleur, pour tracer l'ensemble des pistes et mesurer l'ensemble des informations dont nous disposons. Mais cela implique cet effort de coordination. Et puis parallèlement, il y a bien évidemment des coopérations qu'il faut mener à l'échelle européenne. C'est tout le sens du G5, ce groupe des cinq plus grands pays les plus concernés, évidemment, par ces questions du terrorisme. Nous nous sommes réunis à Sheffield pour essayer de nous doter d'outils nouveaux, brigade d'enquête, patrouille commune, coopération plus intense dans le domaine du renseignement. Nous avons, par exemple, décidé sur propositions françaises de créer un fichier, une liste de l'ensemble de ceux qui passent par les camps d'entraînement, et qui vivent dans nos Etats. Prenez aujourd'hui le danger le plus grand, c'est quoi ? C'est un Anglais, c'est un Espagnol, un Français qui est passé par un camp en Afghanistan ou encore en Tchétchénie, pourquoi pas en Irak parce que nous constatons qu'il y a des filières de plus en plus organisées qui vont vers l'Irak et qui nourrissent, évidemment, les filières du terrorisme. La connaissance de tous ces individus, c'est une garantie d'anticipation et la possibilité donc d'éradiquer un certain nombre de réseaux.
Q - Et vous avez senti, chez vos partenaires, une attention plus grande à ce sujet, une écoute ?
R - D'autant plus grande que nous progressons dans la connaissance de ce qu'est le terrorisme. Le terrorisme d'aujourd'hui ce n'est pas la même chose qu'il y a 10 ans, ce n'est pas la même chose qu'il y a 2 ans et je le dis, je suis arrivé place Beauvau juste après Madrid, et donc la situation dans laquelle je travaille, et de ce point de vue, évidemment, cela évite toute comparaison avec d'autres actions, est évidemment très différente de celle de mon prédécesseur. Je suis dans une situation de menaces et de risques plus grands. A partir de là, il faut faire le bon diagnostic vis à vis du terrorisme et dès mon arrivée, j'ai bien marqué la conviction qui était la mienne qu'il y avait au moins trois pôles d'actions du terrorisme dans le monde qui jouent à la fois à l'échelon local de façon très habile, et en même temps à l'échelon international à travers des réseaux comme Al-Qaïda. Le premier élément, le premier pôle, c'est celui de ceux qui prient, ceux qui apportent une inspiration souvent sous couvert de religion et d'une certaine vision détournée de l'Islam. Deuxième pôle, c'est ceux qui organisent, qui sont parfois des ingénieurs, des logisticiens, des spécialistes. Ce sont ceux qui préparent les attentats, et le troisième pôle, ce sont ceux qui sont les sacrifiés, les martyrs et qui souvent découvrent la cible qu'on leur impose, extrêmement tardivement. Cette connaissance d'une sorte de division des tâches du terrorisme, sur le plan international, doit nous amener à être plus efficace. Pour cela vous le voyez bien, il faut travailler à l'échelle internationale, et donc en pleine coopération avec nos grands partenaires américains ou européens.
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Q - Est-ce que vous n'êtes pas parfois entravé par la justice ?
R - Mais c'est bien cela la responsabilité aujourd'hui de ministre de l'Intérieur, faire en sorte que les outils juridiques, les outils techniques, les outils fonctionnels qui sont à notre disposition, nous permettent d'être efficaces pour garantir la protection des Français. C'est par exemple la réflexion que j'ai faite dans le domaine d'expulsion de certains prédicateurs. Quand je suis arrivé place Beauvau, j'ai constaté qu'il y avait un certain nombre de personnalités dangereuses qui appelaient à la haine, à la haine raciale, à la haine religieuse, à la haine contre les femmes. J'ai considéré que c'était inacceptable. Et j'ai donc procédé à quatre expulsions. Trois de ces expulsions ont été avalisées et soutenues par les tribunaux administratifs. L'une d'entre elles a conduit à la suspension de la décision et donc l'expulsé est revenu en France, et nous attendons maintenant la décision du tribunal administratif sur le fond, et la décision du Conseil d'Etat. Et j'ai pris l'initiative de rechercher une harmonisation de ces jurisprudences, parce qu'à dossier égal, il est évidemment important qu'une décision prise à Bordeaux, à Toulouse ou à Nantes, puisse être concordante. Donc améliorer l'outil. De la même façon, je me réjouis que nous puissions maintenant adapter l'ordonnance de 45. Rien dans nos textes ne prévoyait qu'un individu qui appelle à la haine, ressortissant étranger, qui appelle à la haine, ou à la violence contre les femmes, puisse être expulsé. Je me suis félicité de la décision prise par les présidents Clément et Acoyer d'aménager l'ordonnance de 45 pour rendre possible une telle expulsion. Donc vous avez raison, il faut développer de nouveaux outils, et j'ai proposé hier à Sheffield, aux cinq pays, que nous puissions faire une analyse de l'ensemble de nos outils juridiques pour voir ce qui marche chez chacun, de façon à ce que nous puissions réfléchir et nous doter des mêmes capacités. La meilleure façon d'être efficace face à une menace, c'est bien évidemment d'avoir un front commun, une capacité commune à agir et à être crédible, par rapport à un adversaire qui, lui, profite de son invisibilité, de sa capacité à se mouvoir et d'un gigantesque opportunisme.
Q - Alors ça, Dominique de Villepin, c'est la menace extérieure, j'ai envie de dire, mais vous êtes également ministre de la Cohésion nationale. Il y a une montée évidente de l'antisémitisme. Demain Jacques Chirac sera au Chambon sur Lignon. Il va prononcer un discours dont on sait qu'il sera très fort, un appel au sursaut citoyen. On dit que le président est très inquiet, qu'il parle même, en privé, il a certainement du vous en parler, vous êtes très proche, d'une véritable course contre la montre. Alors est-ce qu'au fond, les rapports qui remontent sont bien plus graves que ce qu'on peut voir sur l'écume des vagues et du quotidien sur cet antisémitisme ?
R - Il y a une réalité de l'augmentation des actes antisémites comme d'ailleurs des actes de racisme qui appellent, évidemment, chacun, des réponses adaptées et des réponses spécifiques. La première chose, c'est de reconnaître et d'accepter un véritable diagnostic qui corresponde à cette réalité. Et c'est tout le travail
Q - Est-ce que la réalité est plus forte que ce qu'on nous dit ?
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R - Ce qu'on vous dit, c'est que la situation n'est pas acceptable et que la situation est grave. Donc la situation n'est pas plus grave que ce que je vous dis puisque je reconnais, et je fais le diagnostic, d'une réelle gravité de la situation qui ne doit pas néanmoins nous conduire à des amalgames ou à des raccourcis faciles, comme cela peut être la tentation. D'où la nécessité de mieux comprendre, et de mieux connaître la situation réelle de notre pays. C'est le travail de fond qu'a fait ce gouvernement depuis maintenant de longs mois. La création du comité interministériel contre le racisme et l'antisémitisme, la mobilisation qui est la nôtre, dans chaque département. J'ai demandé des réunions mensuelles qui permettent de suivre l'ensemble de ces données. J'ai proposé la création de conseils des cultes, de conseils rassemblant l'ensemble des cultes dans chaque département. J'ai demandé à chaque sous-préfet, dans chaque arrondissement, de faire en liaison avec les écoles le point d'action pédagogique, donc c'est un travail de fond que nous faisons. Nous ne minimisons pas la situation, nous reconnaissons la réalité des faits. Alors la difficulté, c'est bien évidemment de s'entendre sur les causes. Il y a bien sûr des facteurs anciens, mais il y a aussi un certain nombre de données nouvelles.
Q - Lesquelles ?
R - Par exemple, la traduction internationale de certaines tensions sur notre propre territoire. Cette lucidité par rapport aux causes, en aucun cas, n'excuse de tels actes et je veux le dire ici tout à fait solennellement, à aucun moment il ne s'agit de trouver des excuses à de tels actes. Je pense que la vraie clé, et elle est relativement simple, et elle est toujours fondée sur des principes, c'est que tout acte antisémite, tout acte doit pouvoir connaître une sanction. Il n'y a pas de petit acte ou de grand acte, de petite insulte ou de grande insulte. Il faut une sanction forte, exemplaire. Nous devons de ce point de vue être un pays qui donne l'exemple. Et je le dis avec conviction, le meilleur atout de la France, face à ces discriminations, face à cette montée de l'intolérance, et de l'irrespect, c'est l'application de la loi républicaine, c'est d'aller jusqu'au bout de l'esprit républicain en faisant vivre pleinement nos principes, en faisant en sorte que la République tienne ses promesses vis à vis de chacun.
Q - Le rapport des Renseignements Généraux sur les progrès du communautarisme, est assez inquiétant. Est-ce que nous avons les moyens aujourd'hui de répondre par l'extension de la République, par la conquête républicaine, aux problèmes du communautarisme ?
R - Oui, oui. D'abord ce rapport des renseignements généraux, il n'est pas tombé du ciel, je l'ai commandé. Je l'ai commandé partant de l'inquiétude et de la mobilisation qui était la mienne puisque je vous ai indiqué que j'ai ouvert deux chantiers qui ont trait à ces questions.
Q - Vous avez été surpris de l'ampleur des résultats ?
R - Non je dois vous dire la vérité, sur les 600 quartiers, nous constatons que dans 300 quartiers, il y a une forme de repli communautaire. Monsieur Barbier, je vais dans les quartiers, je me déplace en France. Je suis sur le terrain, donc j'observe avec mes propres yeux, la réalité de ce qui se passe.
Q - Mais il y a aggravation, ou non, de ce phénomène.
R - Alors qu'il y ait aggravation c'est l'évidence. Pourquoi ? Parce que nous constatons que ce repli sur soi conduit à, effectivement, des attitudes identitaires, des attitudes communautaires à un refus dans certains cas de la mixité, donc il y a effectivement un durcissement de certains comportements. Il y a un prosélytisme islamiste qui s'accroît. Tout ceci se fait de façon concordante et effectivement, conduit à une situation qui globalement est plus grave. C'est une adition de facteurs sur longue durée, sur longue période qui, à un moment donné, se cristallise pour créer une situation nouvelle. Donc prenons la mesure des choses. La première règle en politique, c'est la lucidité. C'est déjà le début de la solution. Et à partir de là, faisons en sorte que l'ensemble de nos actions convergent pour améliorer les choses, sans sous-estimer la gravité, et donc ayons le souci d'agir en profondeur. Le plan Borloo prend en compte une grande partie de ces problèmes. Le projet que je prépare, de prévention de la délinquance, il a justement pour le souci d'intégrer l'expérimentation à travers 24 quartiers sensibles où je constate un certain nombre de ces phénomènes. Donc j'observe au jour le jour et j'ai demandé aux préfets d'organiser, toutes les semaines, des réunions dans chacun de ces quartiers pour vérifier les outils qui marchaient, les outils qui marchent moins bien, faire en sorte que l'ensemble des professionnels, des élus, des responsables de l'État, des associations puissent se retrouver et expérimenter de nouvelles choses. Donc sur la base de l'expérimentation, nous aurons à la fin de l'année un projet de loi de la délinquance qui marquera le champ de coopération de l'ensemble des ministères concernés. ()
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2004)
R - Bonsoir.
Q - Avant d'en venir aux dossiers eux-mêmes, un mot de cadrage si vous voulez bien, sur votre ambition dans les fonctions que vous venez de prendre, et que votre prédécesseur a fortement marquées, quels sont vos objectifs et surtout vos priorités ?
R - Alors il y a deux grandes priorités. La première, c'est de poursuivre l'action engagée et l'inscrire dans la durée, cela veut dire sur la délinquance par exemple, s'attaquer à certains noyaux durs de cette délinquance. Je pense aux violences aux personnes, qui n'ont pas cessé d'augmenter depuis 20 ans. Je pense aux violences urbaines qui pourrissent la vie des Français. Je pense à des grands dossiers comme l'immigration clandestine. Beaucoup a été fait, nous devons maintenant passer à de nouvelles étapes. Je pense bien sûr au terrorisme, qui est la première des priorités puisque nous devons garantir à nos compatriotes, la sécurité de ce point. Le deuxième champ au-delà de cette volonté d'agir dans la durée, c'est d'approfondir un certain nombre de grandes questions qui, dans le fond, deviennent de plus en plus palpables, de plus en plus complexes et qui méritent donc un effort particulier, et c'est pour cela que j'ai ouvert un si grand chantier. Je prends l'exemple ainsi de la modernisation de nos moyens de lutte contre le terrorisme. Je crois que dans ce domaine, il faut essayer véritablement d'avoir les derniers dispositifs, à la fois dans le domaine du renseignement, à la fois dans le domaine technologique. Je pense au démantèlement des réseaux de trafic de drogue parce qu'on retrouve la drogue au carrefour de tout le crime organisé, et en agissant sur la drogue, en agissant sur les circuits de financement, on peut être plus efficace contre la délinquance. Je pense à la cyber-criminalité. C'est une grosse préoccupation pour les Français tout ce qui touche à la pédophilie, à la pédo-pornographie. Nous devons être efficaces dans ce dossier. Je pense à la sécurité des mineurs. Nous, nous voyons les mineurs aujourd'hui sont de plus en plus les victimes, les premières victimes de certaines violences. Il y a donc des protections, des garanties à trouver. Il faut le faire, c'est évident, en coopération avec les autres ministères concernés, au premier chef l'éducation. Je pense à toutes les discriminations, racisme, antisémitisme, xénophobie, et on voit une multiplication d'actes dans ce domaine, dans notre pays. Et je pense aussi à la promotion et à l'égalité des chances, parce que c'est un grand chantier que je veux développer dans mon ministère, compte tenu du nombre des personnels policiers, gendarmes, sapeurs-pompiers, il faut donner l'exemple, donner l'exemple de la République. Ma conviction, c'est que l'un des premiers risques aujourd'hui auquel nous sommes confrontés, c'est celui du communautarisme, c'est celui du repli sur soi, et face au communautarisme, nous avons un antidote, nous le connaissons, que la République tienne ses promesses pour tous.
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Q - Alors vous avez participé hier, en Angleterre, à un sommet des cinq grands de l'Union européenne sur le terrorisme. Est-ce que la menace d'Al-Qaïda de frapper l'Europe a été plus précisément cernée, et jaugée, au cours de cette rencontre ?
R - Alors de ce point de vue, il y a eu au cours des derniers jours, un certain nombre de messages qui ont été rappelés venant d'Al-Qaïda, qui n'étaient pas nouveaux, qui relayaient des messages anciens. Donc je crois qu'il faut garder la mesure
Q - Il n'y a aucun ultimatum, aucune date de réponse pour l'Europe.
R - Oui, mais qui était la reprise de messages anciens déjà connus et dont il reste d'ailleurs à apprécier la fiabilité. Mais ce qui est important, c'est qu'il y a une menace et qu'il y a des risques, et notre responsabilité, c'est bien évidemment de tout faire pour réduire ces risques, et limiter ces menaces. Ca veut dire une mobilisation tous azimuts sur le plan national, et c'est le travail que nous faisons dans le domaine du renseignement. J'ai réactivé dès mon arrivée place Beauvau, le CILAT, le Comité interministériel de lutte anti-terroriste qui réunit l'ensemble des services de l'État, intérieur et extérieur, l'ensemble des ministères concernés. J'ai créé, il y a quelques jours, un conseil du renseignement intérieur qui rassemble l'ensemble de ceux qui ont affaire au terrorisme, pas uniquement les services de renseignements du ministère de l'Intérieur, comme la DST ou comme les Renseignements généraux, mais aussi la police judiciaire, l'UCLAT, mais aussi la préfecture de police, et la gendarmerie. Parce que je crois que nous sommes dans des périodes où nous avons besoin d'un point quotidien. Nous avons besoin en permanence de rassembler, et de coordonner l'information. Alors nous avons la chance d'avoir un certain nombre d'outils qui ont chacun leur culture, chacun leur tradition. C'est un atout si cette diversité est en permanence coordonnée pour apporter le meilleur, pour tracer l'ensemble des pistes et mesurer l'ensemble des informations dont nous disposons. Mais cela implique cet effort de coordination. Et puis parallèlement, il y a bien évidemment des coopérations qu'il faut mener à l'échelle européenne. C'est tout le sens du G5, ce groupe des cinq plus grands pays les plus concernés, évidemment, par ces questions du terrorisme. Nous nous sommes réunis à Sheffield pour essayer de nous doter d'outils nouveaux, brigade d'enquête, patrouille commune, coopération plus intense dans le domaine du renseignement. Nous avons, par exemple, décidé sur propositions françaises de créer un fichier, une liste de l'ensemble de ceux qui passent par les camps d'entraînement, et qui vivent dans nos Etats. Prenez aujourd'hui le danger le plus grand, c'est quoi ? C'est un Anglais, c'est un Espagnol, un Français qui est passé par un camp en Afghanistan ou encore en Tchétchénie, pourquoi pas en Irak parce que nous constatons qu'il y a des filières de plus en plus organisées qui vont vers l'Irak et qui nourrissent, évidemment, les filières du terrorisme. La connaissance de tous ces individus, c'est une garantie d'anticipation et la possibilité donc d'éradiquer un certain nombre de réseaux.
Q - Et vous avez senti, chez vos partenaires, une attention plus grande à ce sujet, une écoute ?
R - D'autant plus grande que nous progressons dans la connaissance de ce qu'est le terrorisme. Le terrorisme d'aujourd'hui ce n'est pas la même chose qu'il y a 10 ans, ce n'est pas la même chose qu'il y a 2 ans et je le dis, je suis arrivé place Beauvau juste après Madrid, et donc la situation dans laquelle je travaille, et de ce point de vue, évidemment, cela évite toute comparaison avec d'autres actions, est évidemment très différente de celle de mon prédécesseur. Je suis dans une situation de menaces et de risques plus grands. A partir de là, il faut faire le bon diagnostic vis à vis du terrorisme et dès mon arrivée, j'ai bien marqué la conviction qui était la mienne qu'il y avait au moins trois pôles d'actions du terrorisme dans le monde qui jouent à la fois à l'échelon local de façon très habile, et en même temps à l'échelon international à travers des réseaux comme Al-Qaïda. Le premier élément, le premier pôle, c'est celui de ceux qui prient, ceux qui apportent une inspiration souvent sous couvert de religion et d'une certaine vision détournée de l'Islam. Deuxième pôle, c'est ceux qui organisent, qui sont parfois des ingénieurs, des logisticiens, des spécialistes. Ce sont ceux qui préparent les attentats, et le troisième pôle, ce sont ceux qui sont les sacrifiés, les martyrs et qui souvent découvrent la cible qu'on leur impose, extrêmement tardivement. Cette connaissance d'une sorte de division des tâches du terrorisme, sur le plan international, doit nous amener à être plus efficace. Pour cela vous le voyez bien, il faut travailler à l'échelle internationale, et donc en pleine coopération avec nos grands partenaires américains ou européens.
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Q - Est-ce que vous n'êtes pas parfois entravé par la justice ?
R - Mais c'est bien cela la responsabilité aujourd'hui de ministre de l'Intérieur, faire en sorte que les outils juridiques, les outils techniques, les outils fonctionnels qui sont à notre disposition, nous permettent d'être efficaces pour garantir la protection des Français. C'est par exemple la réflexion que j'ai faite dans le domaine d'expulsion de certains prédicateurs. Quand je suis arrivé place Beauvau, j'ai constaté qu'il y avait un certain nombre de personnalités dangereuses qui appelaient à la haine, à la haine raciale, à la haine religieuse, à la haine contre les femmes. J'ai considéré que c'était inacceptable. Et j'ai donc procédé à quatre expulsions. Trois de ces expulsions ont été avalisées et soutenues par les tribunaux administratifs. L'une d'entre elles a conduit à la suspension de la décision et donc l'expulsé est revenu en France, et nous attendons maintenant la décision du tribunal administratif sur le fond, et la décision du Conseil d'Etat. Et j'ai pris l'initiative de rechercher une harmonisation de ces jurisprudences, parce qu'à dossier égal, il est évidemment important qu'une décision prise à Bordeaux, à Toulouse ou à Nantes, puisse être concordante. Donc améliorer l'outil. De la même façon, je me réjouis que nous puissions maintenant adapter l'ordonnance de 45. Rien dans nos textes ne prévoyait qu'un individu qui appelle à la haine, ressortissant étranger, qui appelle à la haine, ou à la violence contre les femmes, puisse être expulsé. Je me suis félicité de la décision prise par les présidents Clément et Acoyer d'aménager l'ordonnance de 45 pour rendre possible une telle expulsion. Donc vous avez raison, il faut développer de nouveaux outils, et j'ai proposé hier à Sheffield, aux cinq pays, que nous puissions faire une analyse de l'ensemble de nos outils juridiques pour voir ce qui marche chez chacun, de façon à ce que nous puissions réfléchir et nous doter des mêmes capacités. La meilleure façon d'être efficace face à une menace, c'est bien évidemment d'avoir un front commun, une capacité commune à agir et à être crédible, par rapport à un adversaire qui, lui, profite de son invisibilité, de sa capacité à se mouvoir et d'un gigantesque opportunisme.
Q - Alors ça, Dominique de Villepin, c'est la menace extérieure, j'ai envie de dire, mais vous êtes également ministre de la Cohésion nationale. Il y a une montée évidente de l'antisémitisme. Demain Jacques Chirac sera au Chambon sur Lignon. Il va prononcer un discours dont on sait qu'il sera très fort, un appel au sursaut citoyen. On dit que le président est très inquiet, qu'il parle même, en privé, il a certainement du vous en parler, vous êtes très proche, d'une véritable course contre la montre. Alors est-ce qu'au fond, les rapports qui remontent sont bien plus graves que ce qu'on peut voir sur l'écume des vagues et du quotidien sur cet antisémitisme ?
R - Il y a une réalité de l'augmentation des actes antisémites comme d'ailleurs des actes de racisme qui appellent, évidemment, chacun, des réponses adaptées et des réponses spécifiques. La première chose, c'est de reconnaître et d'accepter un véritable diagnostic qui corresponde à cette réalité. Et c'est tout le travail
Q - Est-ce que la réalité est plus forte que ce qu'on nous dit ?
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R - Ce qu'on vous dit, c'est que la situation n'est pas acceptable et que la situation est grave. Donc la situation n'est pas plus grave que ce que je vous dis puisque je reconnais, et je fais le diagnostic, d'une réelle gravité de la situation qui ne doit pas néanmoins nous conduire à des amalgames ou à des raccourcis faciles, comme cela peut être la tentation. D'où la nécessité de mieux comprendre, et de mieux connaître la situation réelle de notre pays. C'est le travail de fond qu'a fait ce gouvernement depuis maintenant de longs mois. La création du comité interministériel contre le racisme et l'antisémitisme, la mobilisation qui est la nôtre, dans chaque département. J'ai demandé des réunions mensuelles qui permettent de suivre l'ensemble de ces données. J'ai proposé la création de conseils des cultes, de conseils rassemblant l'ensemble des cultes dans chaque département. J'ai demandé à chaque sous-préfet, dans chaque arrondissement, de faire en liaison avec les écoles le point d'action pédagogique, donc c'est un travail de fond que nous faisons. Nous ne minimisons pas la situation, nous reconnaissons la réalité des faits. Alors la difficulté, c'est bien évidemment de s'entendre sur les causes. Il y a bien sûr des facteurs anciens, mais il y a aussi un certain nombre de données nouvelles.
Q - Lesquelles ?
R - Par exemple, la traduction internationale de certaines tensions sur notre propre territoire. Cette lucidité par rapport aux causes, en aucun cas, n'excuse de tels actes et je veux le dire ici tout à fait solennellement, à aucun moment il ne s'agit de trouver des excuses à de tels actes. Je pense que la vraie clé, et elle est relativement simple, et elle est toujours fondée sur des principes, c'est que tout acte antisémite, tout acte doit pouvoir connaître une sanction. Il n'y a pas de petit acte ou de grand acte, de petite insulte ou de grande insulte. Il faut une sanction forte, exemplaire. Nous devons de ce point de vue être un pays qui donne l'exemple. Et je le dis avec conviction, le meilleur atout de la France, face à ces discriminations, face à cette montée de l'intolérance, et de l'irrespect, c'est l'application de la loi républicaine, c'est d'aller jusqu'au bout de l'esprit républicain en faisant vivre pleinement nos principes, en faisant en sorte que la République tienne ses promesses vis à vis de chacun.
Q - Le rapport des Renseignements Généraux sur les progrès du communautarisme, est assez inquiétant. Est-ce que nous avons les moyens aujourd'hui de répondre par l'extension de la République, par la conquête républicaine, aux problèmes du communautarisme ?
R - Oui, oui. D'abord ce rapport des renseignements généraux, il n'est pas tombé du ciel, je l'ai commandé. Je l'ai commandé partant de l'inquiétude et de la mobilisation qui était la mienne puisque je vous ai indiqué que j'ai ouvert deux chantiers qui ont trait à ces questions.
Q - Vous avez été surpris de l'ampleur des résultats ?
R - Non je dois vous dire la vérité, sur les 600 quartiers, nous constatons que dans 300 quartiers, il y a une forme de repli communautaire. Monsieur Barbier, je vais dans les quartiers, je me déplace en France. Je suis sur le terrain, donc j'observe avec mes propres yeux, la réalité de ce qui se passe.
Q - Mais il y a aggravation, ou non, de ce phénomène.
R - Alors qu'il y ait aggravation c'est l'évidence. Pourquoi ? Parce que nous constatons que ce repli sur soi conduit à, effectivement, des attitudes identitaires, des attitudes communautaires à un refus dans certains cas de la mixité, donc il y a effectivement un durcissement de certains comportements. Il y a un prosélytisme islamiste qui s'accroît. Tout ceci se fait de façon concordante et effectivement, conduit à une situation qui globalement est plus grave. C'est une adition de facteurs sur longue durée, sur longue période qui, à un moment donné, se cristallise pour créer une situation nouvelle. Donc prenons la mesure des choses. La première règle en politique, c'est la lucidité. C'est déjà le début de la solution. Et à partir de là, faisons en sorte que l'ensemble de nos actions convergent pour améliorer les choses, sans sous-estimer la gravité, et donc ayons le souci d'agir en profondeur. Le plan Borloo prend en compte une grande partie de ces problèmes. Le projet que je prépare, de prévention de la délinquance, il a justement pour le souci d'intégrer l'expérimentation à travers 24 quartiers sensibles où je constate un certain nombre de ces phénomènes. Donc j'observe au jour le jour et j'ai demandé aux préfets d'organiser, toutes les semaines, des réunions dans chacun de ces quartiers pour vérifier les outils qui marchaient, les outils qui marchent moins bien, faire en sorte que l'ensemble des professionnels, des élus, des responsables de l'État, des associations puissent se retrouver et expérimenter de nouvelles choses. Donc sur la base de l'expérimentation, nous aurons à la fin de l'année un projet de loi de la délinquance qui marquera le champ de coopération de l'ensemble des ministères concernés. ()
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 juillet 2004)