Interview de M. Arnaud Montebourg, député PS, à "RTL" le 19 janvier 2005 et tribune parue dans "Le Figaro" le 25 janvier et intitulée "Démoncratisons la construction européenne", sur le projet de révision constitutionnelle en vue du référendum sur la Constitution européenne, et les amendements proposés.

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Texte intégral

Bonjour, A. Montebourg. L'Europe revient dans l'actualité puisque la semaine prochaine, l'Assemblée Nationale examinera le projet de révision constitutionnelle, qui est un préalable indispensable - le droit est compliqué - à l'organisation du référendum de ce printemps, sur la Constitution européenne. Logiquement, puisque le "oui" l'avait emporté dans un référendum interne, les dirigeants socialistes soutiennent cette révision constitutionnelle. Et vous, A. Montebourg, qui étiez partisan du "non" à la Constitution européenne, voterez-vous cette révision constitutionnelle ?
R- Nous avons fait le choix de nous abstenir. Non pas parce que nous considérons qu'il y a un lien tout à fait direct - parce qu'il n'existe pas franchement et fortement - entre la question de l'Europe, c'est-à-dire du traité constitutionnel, et la question nationale, c'est-à-dire la question de l'organisation des pouvoirs publics, en rapport avec la construction européenne. Quels sont les pouvoirs du Parlement, quels sont les pouvoirs du Premier ministre, du Gouvernement quand on prend des décisions en Europe ? Ce n'est pas rien pour nos concitoyens ? 60% de notre droit "actif" dans la vie quotidienne de nos concitoyens sont fabriqués à Bruxelles. Et nous, législateur national, parlementaires, qui rendons des comptes dans nos circonscriptions, nous transposons des décisions qui ont été prises ailleurs. Donc nous sommes une sorte d'exécutants d'un législateur qui se trouve ailleurs. Donc notre travail à nous, c'est évidemment de regarder la question fondamentale de savoir : qui décide, et sous le contrôle de qui ? Donc, la révision proposée par M. Raffarin ne nous satisfait pas.
Q- Vous, vous avez décidé de vous abstenir. Combien de députés s'abstiendront à votre avis, A. Montebourg ?
R- Nous ne pouvons pas savoir. Chaque député est en réflexion. C'est un sujet important, d'abord parce que F. Hollande demande que nous votions ce texte. Moi, je pense que c'est une erreur de le voter en l'état. Il ne s'agit pas d'empêcher qu'il passe, puisque dans ce cas-là nous nous mettrions en travers de la décision collective qui a été prise par les militants, c'est-à-dire de faire ce traité entrer dans l'ordonnancement politique de notre pays ; néanmoins, je pense que nous pouvons exiger - alors que nous sommes les supplétifs de la droite dans cette affaire, en apportant nos voix à une révision constitutionnelle - que cette révision organise de façon démocratique le contrôle des parlementaires sur la construction européenne. C'est quand même pas une exigence excessive que de dire : Voilà, on fabrique des directives à tours de bras, les gouvernements vont signer, et parfois - excusez-moi - n'importe quoi à Bruxelles, et après on s'étonne, on a des centaines de directives à transposer dans le droit interne, et nos concitoyens disent : mais tiens, d'où ça tombe ? Et on dit : "C'est l'Europe !" Non c'est pas l'Europe, c'est des gouvernements nationaux qui sont allés signer, et qui disent :"Ce n'est pas moi, c'est l'Europe !" Mais c'est eux qui signent ! Mais ils ne sont pas contrôlés par leur Parlement. Et c'est ça que nous demandons.
Q- Vous pourriez soutenir, par exemple, l'amendement d'E. Balladur,
qui demande la même chose que vous ?
R- Nous demandons d'ailleurs beaucoup plus qu'E. Balladur, même si l'amendement d'E. Balladur s'inscrit dans une sorte de convergence droite/gauche, depuis quinze ans, sur une exigence nécessaire permanente que toute décision gouvernementale allant signer à Bruxelles un texte qui engage la France - et c'est normal nous construisons l'Europe avec nos partenaires européens - il y ait un contrôle parlementaire minimal sur la position diplomatique de la France en Europe. Par exemple, l'affaire du service public de la Poste. Aujourd'hui, nous sommes transposés à une directive qui a été décidée en 1997 par le gouvernement de L. Jospin. Donc des années après, nous prenons des décisions, qui sont d'ailleurs des décisions d'ajustement et d'adaptation, mais pas des décisions fondamentales. Il n'y a jamais eu de discussion parlementaire à l'époque sur la position que le Gouvernement allait prendre, et qui est une décision de mise en concurrence du service public postal, et qui a des conséquences redoutables sur la difficulté que nous avons aujourd'hui à maintenir un réseau postal puissant.
Q- Une précision, A. Montebourg : vous soutiendrez l'amendement Balladur, qui demande à ce que le Parlement contrôle les actes européens ?
R- Le groupe des députés socialistes à l'Assemblée nationale, dans son unanimité, va défendre un amendement, aussi ambitieux, même un peu plus que celui d'E. Balladur...
Q- Donc vous soutiendrez E. Balladur dans sa démarche. Quelle sera votre attitude, A. Montebourg pendant le référendum ? Est-ce que vous ferez campagne pour le "non" ?
R- J'ai exprimé lors de mes voeux en Saône-et-Loire, dans la Bresse et la Vallée de la Saône...
Q- ... On n'y était pas, alors répétez, s'il vous plaît...
R- ... Ma position, qui est une position consistant à dire, qu'à titre personnel, je voterai "non" à cette demande du président de la République. Je pense que ce traité pose un certain nombre de problèmes considérables. Néanmoins, je crois que comme patriote de parti, par le respect que nous devons au verdict des militants, le fait que nous avons été en quelque sorte dans un débat démocratique exemplaire, que nous avons intérêt à ce qu'il se reproduise sur d'autres sujets importants et de conscience, nous avons le devoir d'être disciplinés et de respecter le verdict des militants. C'est la raison pour laquelle à titre personnel je voterai "Non", mais je ne ferai pas campagne contre la position de mon parti.
Q- Vous souhaitez la victoire du "non" au référendum ?
R- Je voterai dans l'isoloir, selon ma conscience, et, en conscience, je souhaite la victoire du "non". Je ne ferai pas campagne pour le "non".
Q- Mais c'est bien de le dire comme ça. C'est aussi un début de campagne. Un livre sort demain : Monsieur X... "Au secours Lionel Jospin revient". On dit que c'est vous qui l'avez écrit, A. Montebourg ?
R- Eh bien écoutez, on ne prête qu'aux riches. Moi, généralement quand je dis ou j'écris, je signe. D'ailleurs je regrette un peu le procédé de l'anonymat. D'ailleurs c'est assez curieux qu'on en soit à l'anonymat pour dire des choses assez banales finalement : c'est que L. Jospin est en train de revenir, ça nous l'avions compris ! Il y a déjà eu un précédent il y a quelques ...
Q- Vous avez cette conviction ? Parce qu'il ne le dit pas comme ça lui-même...
R- C'est tout l'intérêt d'ailleurs de ce livre, c'est qu'il fait la démonstration qu'il y a une stratégie de retour qui est en marche. Bon, moi en ce qui me concerne, je vous le dis : si L. Jospin revient ce sera sans moi. Je vous le dis franchement !
Q- Carrément...
R- Je vous le dis : ce sera sans moi.
Q- Là, il n'y aura plus de patriotisme de parti. C'est fini. Vous quittez le Parti socialiste ?
R- Je dirai mon désaccord, mais ce sera sans moi ! Ca n'est pas possible que nous considérions que la seule manière d'envisager l'avenir de notre pays, c'est en quelque sorte : prendre les mêmes et on recommence, ne pas tirer les leçons - et Dieu sait si nous avions des leçons à tirer le 21 avril 2002 lorsque monsieur Le Pen est allé au deuxième tour de l'élection présidentielle - faire en sorte que, finalement, on ne renouvelle jamais la vie politique. Alors vous avez, d'un côté, Monsieur Chirac qui va être sénateur à vie maintenant, c'est ce qu'on nous propose...
Q- Non, non, peu imaginable...
R- ... En tout cas immunisé à vie. Et puis vous avez de l'autre côté, à gauche, un candidat à vie. Je crois que maintenant, ça suffit. Il est temps que nous renouvelions le genre, les doctrines, les équipes et les positions politiques.
Q- Mais jusqu'à présent, vous avez échoué à le faire. C'est pour ça qu'on reparle de L. Jospin. Parce que personne dans votre génération, vous-même, ne s'est imposé vraiment ?
R- Eh bien écoutez, nous allons faire preuve de ténacité et de constance.
Montebourg, qui n'est pas Monsieur X. C'est une information ce matin.
(Source http://www.nouveau-ps.net, le 28 janvier 2005)
Dans Le Figaro
Cela fait presque cinquante ans que nos gouvernements successifs ont négocié la considérable mutation européenne dans le dos de nos concitoyens.
Depuis la naissance du Marché commun, constitué autour de six Etats membres, doté de compétences d'attribution restreintes et clairement délimitées jusqu'à l'Union actuelle à vingt-cinq, des pans entiers de notre vie quotidienne ont progressivement basculé dans le giron européen, sans que nous n'en ayons vraiment conscience. Le Parlement français a été sommé de voter des textes décidés à Bruxelles sans avoir été préalablement consulté et trop souvent sans réelle explication de l'exécutif.
Le gouvernail de la nef européenne est dirigé par une oligarchie technocratique ou au mieux par quelques dirigeants éclairés qui déterminent son cap. Les rédacteurs du traité établissant une Constitution européenne ont choisi de combler ce déficit démocratique en accroissant l'implication des parlements nationaux dans le processus de décision communautaire.
Le traité attribue aux parlements nationaux des Etats membres une place nouvelle dans le contrôle de l'activité communautaire. Il répond en cela à une revendication politique ancienne.
L'affaire ne manque pas de sel pour les citoyens français habitués aux dérives monarchiques d'une Ve République affublée d'un Parlement aux droits atrophiés. Notre Constitution concentre dans les mains du président de la République le pouvoir de fixer la participation de la France à la construction européenne et de négocier, en catimini, caché derrière son premier ministre, les politiques européennes.
Qu'on en juge ! Hier, seul, sans aucun mandat, et sans même que le Parlement se prononce, il a fixé de manière irréversible les nouvelles frontières de l'Union en approuvant l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie. Aujourd'hui, il s'apprête, à nouveau de son propre chef et sans débat parlementaire, à abandonner définitivement toute perspective d'harmonisation " par le haut " des législations fiscales et sociales européennes en approuvant la directive Bolkestein.
Qui peut encore croire que ces décisions sont du ressort de la politique étrangère de la France et qu'à ce titre le président de la République peut les prendre en son âme et conscience, seul, sous les lambris dorés de l'Elysée ? A part Jean-Louis Debré, dernier gardien de l'édifice paternel, personne.
En bon monarque républicain, Jacques Chirac n'entend pas accepter que les parlementaires accroissent leurs compétences sur ce qu'il considère comme son " domaine réservé ", en vérité domaine réservé aux caprices du prince. C'est pourquoi le projet de loi révisant notre Constitution afin de la rendre compatible avec le traité établissant une Constitution pour l'Europe ne reconnaît pas au Parlement la faculté d'inscrire à son ordre du jour un quelconque débat, quand bien même cette faculté découle expressément de l'application du traité européen que Jacques Chirac souhaite défendre devant les Français.
Il piétine ainsi avec légèreté la lettre et l'esprit du traité en privant le Parlement français des compétences qu'il attribue, pourtant, à tous les parlements nationaux des Etats membres dans l'élaboration et le contrôle du droit communautaire. Habitués à la duplicité du personnage, cela ne nous étonne pas.
Mais que feront les parlementaires de l'opposition comme de la majorité ? Vont-ils une fois de plus courber l'échine ? Vont-ils éternellement accepter de cautionner la marginalisation du Parlement au risque de laisser s'accroître dangereusement le fossé entre l'Europe et la nation ? Si nos collègues pensent sincèrement que l'Europe est notre avenir, ils doivent relever la tête et rétablir l'équilibre entre le Parlement et l'exécutif en matière de politique européenne.
A cette fin, loin de l'amendement symbolique et platonique d'Edouard Balladur, je propose deux évolutions institutionnelles.
Doter le premier ministre, responsable devant le Parlement et contrôlé par lui, du pouvoir de déterminer et de négocier la participation de la France à l'Union européenne, et en dessaisir en conséquence le président de la République.
Reconnaître à soixante députés ou sénateurs la faculté de rendre " prioritaire " l'inscription à l'ordre du jour de leur assemblée la discussion d'un projet législatif européen, ce que justifie pleinement le " traité établissant une Constitution pour l'Europe ". Les républicains qui aiment et défendent la démocratie ont le devoir de rétablir le Parlement dans ses fonctions délibérative et de contrôle de l'exécutif. A défaut, ils accepteraient de prolonger la vie d'un régime que l'on sait verrouillé, sclérosé, usé et inadapté, au détriment de la démocratisation de l'Europe pourtant voulue par le projet de Constitution européenne.

-Source http://www.nouveau-ps.net, le 28 janvier 2005)