Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur la politique de la France en faveur du développement et du dialogue des cultures, Paris le 16 juillet 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Ouverture par Michel Barnier des Journées de la coopération internationale et du développement, à Paris le 16 juillet 2004

Texte intégral

Bonjour à chacune et chacun d'entre vous et merci par avance de votre attention. Merci aussi de votre présence. Merci à vous, Monsieur le Directeur général, et à toute votre équipe d'avoir organisé cette rencontre, ici, sans nostalgie, et de cette manière.
Madame le Secrétaire perpétuel de l'Académie française,
Monsieur le Président Abdou Diouf,
Madame et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Ce rendez-vous annuel des Journées de la coopération internationale et du développement est une belle est forte occasion pour moi de vous rencontrer, quatre mois à peine après ma prise de fonction à la tête de la diplomatie française et en ayant la chance, la charge, l'honneur d'animer ce grand et ce beau ministère de l'action extérieure de la France, en équipe avec Xavier Darcos qui est ici, et Claudie Haigneré qui est également ici, Renaud Muselier, je suis heureux de cette occasion de m'adresser à vous, Mesdames et Messieurs, dans la diversité de vos engagements, de vos responsabilités des lieux où vous travaillez, de vos sensibilités, vous qui, dans cette diversité de talents et d'engagements, travaillez à tisser des partenariats au nom de notre pays, sur les cinq continents. Vous qui êtes d'abord et avant tout des médiateurs, j'allais employer le mot de "passeurs", entre notre société et celles des autres, entre notre culture et celles des autres. Vous le savez, la France n'est jamais autant elle-même que lorsqu'elle sait partager et qu'elle se laisse imprégner, en allant à leur rencontre souvent, des courants du dehors. Lundi et mardi, je me trouvais à Alger pour une visite émouvante et importante compte tenu des liens entre ces deux pays, nos deux pays, de part et d'autre de la Méditerranée et j'ai retrouvé, en visitant plusieurs lieux culturels, une phrase qu'a prononcée le général de Gaulle, il y a 61 ans, en fêtant là-bas et ce jour-là, l'Alliance française. Il disait ceci : "C'est bien dans l'échange établi entre nous-mêmes et les autres que notre influence culturelle peut s'étendre à l'avantage de tous et qu'inversement peut s'accroître ce que nous valons".
Mesdames et Messieurs, cette exigence me paraît toujours d'actualité. Nous savons que la mondialisation porte le risque de l'uniformité. Nous craignons que l'intégration européenne dilue l'identité française. Nous voyons même le succès en librairie d'une forme de déclinisme. Autant de raisons me semble-t-il, pour méditer ce message ou cette exigence que je rappelais à l'instant.
En avril et au mois de mai dernier, deux fois en trois semaines, je me suis rendu en Haïti, accompagné par l'écrivain René Depestre, pour marquer notre engagement à participer, il y en a besoin, à la reconstruction de ce pays où tout le monde parle français. Et mes interlocuteurs ont évoqué l'appui à la justice, l'agronomie, les routes, mais aussi l'éducation, leur culture et la nôtre. En juin, il y a quelques semaines, c'était Ramallah où j'ai rencontré Yasser Arafat et où j'ai signé le procès-verbal de la commission mixte et visité, cela m'a frappé, le nouveau centre culturel franco-allemand, au coeur des Territoires palestiniens. Début juillet, et ce sont quelques étapes dans une vie de ministre des Affaires étrangères, je participais à une rencontre des Premiers ministres français et marocain et nous avons parlé de coopération entre nos sociétés civiles. Autant d'exemples, et il y en a beaucoup d'autres, pour illustrer les liens, le lien, entre la coopération et la diplomatie, mais est-il besoin de vous en convaincre ? Nous sommes bien là au coeur de la conception française de l'action extérieure, qui porte les valeurs universelles héritées de la tradition des Lumières et qui entend le faire, qui doit le faire, Mesdames et Messieurs, sans arrogance et sans chercher à donner de leçons aux autres.
J'ai la conviction qu'il nous faut mettre cette influence au coeur de l'action et de la politique extérieure de notre pays. La culture, le développement, sont en quelque sorte autant d'armes pacifiques de cette diplomatie de l'action dont je veux faire la marque du Quai d'Orsay.
Engagés sur ce terrain mais encore sur les terrains audiovisuel, universitaire, scientifique et du développement, et je l'ai vu encore tout à l'heure en visitant trop rapidement les stands qui sont à côté de nous, vous êtes les artisans de cette diplomatie de proximité, de cette dimension sans doute plus humaine ou plus humaniste de la diplomatie française. Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, là où vous êtes, de garder à l'esprit, toujours, dans vos responsabilités et sans doute aussi et en même temps comme citoyen, les grands objectifs traditionnels, quels qu'aient été et quels que soient les gouvernements, de l'action extérieure de notre pays : la paix, le développement, l'Europe. La France veut un monde plus équilibré, où la primauté du droit et de la justice s'expriment et sont respectées. Elle veut une croissance équitable et durable, et cela veut dire une solidarité accrue avec les pays les moins développés et une gestion plus responsable des ressources de notre planète. Elle veut un monde multipolaire qui préserve la diversité des cultures, des langues et des traditions. Un monde dont les dirigeants des pays les plus développés soient davantage à l'écoute des plus faibles en garantissant une plus grande dignité pour tous.
Voilà notre état d'esprit. Voilà notre ambition.
Je vous propose de continuer à y travailler ensemble avec une méthode confirmée pour laquelle les mots ont leur importance ; j'attache une priorité au partenariat, le partenariat pour le développement, le partenariat pour le dialogue des cultures, mais encore, j'en dirai un mot dans un instant, le partenariat que nous devons mettre davantage à l'heure européenne.
Ce premier axe du partenariat est celui du développement, de l'aide au développement. Après des années marquées par le recul de cette aide, le développement des pays du Sud est maintenant, me semble-t-il, davantage au coeur des préoccupations de la communauté internationale. C'est d'ailleurs un fait sans précédent puisqu'il existe désormais et depuis peu de temps un consensus mondial sur la voie à suivre en matière d'aide au développement, une sorte de feuille de route qui a été adoptée en l'an 2000, avec les Objectifs de développement du Millénaire. Il faut, disent ces objectifs qui obligent et qui interpellent les hommes d'État et les dirigeants politiques, d'ici 2015, c'est demain, éradiquer la faim, faire reculer de moitié l'extrême pauvreté, obtenir une éducation primaire universelle et réduire des deux tiers la mortalité infantile. A Johannesburg, en 2002, le cap a été fixé en matière de préservation de l'environnement et des ressources naturelles et, à l'initiative du président de la République française, la diversité culturelle a également été reconnue comme le quatrième pilier du développement durable. Je lisais d'ailleurs ce matin un rapport du PNUD reconnaissant l'impulsion ou l'apport de notre pays à ce quatrième pilier de la diversité culturelle.
Le consensus porte également sur les moyens, ce n'est pas négligeable que l'on cherche à mettre les moyens, l'argent public ou privé, à la hauteur des discours ou des ambitions. A Monterrey, en 2002, les pays donateurs ont pris l'engagement d'augmenter l'aide publique au développement.
Là aussi, la France a joué son rôle pour construire ce consensus. Nous réclamions davantage de moyens. Nous avons été entendus. Nous insistions pour que les dimensions sociale et environnementale du développement soient également prises en compte. Il me semble que nous avons été, là aussi, écoutés.
Notre pays, aujourd'hui, entend prendre toute sa part à ce partenariat mondial. Nous nous sommes engagés, par la voix du chef de l'État, à porter son effort d'aide publique au développement à 0,5 % du PNB dès 2007 et à 0,7 % en 2012. Ce cap sera tenu.
Mais il faut aussi chercher des sources de financement innovantes pour le développement. Avec la Grande-Bretagne, la France a proposé la mise en place d'une facilité financière internationale qui permettrait d'offrir une garantie aux capitaux privés investis dans les pays du Sud. Je suis également, puisque je parle d'argent, attentif aux initiatives, et elles existent, et je veux les soutenir, pour le micro-crédit. Notre pays avance également l'idée d'un prélèvement universel susceptible de financer l'accès aux Biens Publics Mondiaux : l'eau, l'énergie. Et je resterai, vous devez le savoir, personnellement engagé sur ces enjeux du développement durable, des ressources naturelles et de l'écologie, et cela principalement dans les pays les moins favorisés. Enfin, nous plaidons pour que la libéralisation du commerce mondial soit menée, et ce n'est pas toujours facile, selon des modalités favorables aux pays les moins développés.
Enfin, Mesdames et Messieurs, dès 2005, à l'Assemblée générale des Nations unies, les chefs d'État procèderont à la première évaluation des objectifs du millénaire et nous nous préparons activement et objectivement, lucidement, à ce rendez-vous qui sera peut-être difficile.
Cette nouvelle donne nous oblige à adapter, à faire évoluer, pour vivre avec notre temps, notre dispositif d'aide publique. Le Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement a défini, en mars dernier, je n'étais pas encore membre du gouvernement, un certain nombre d'orientations qui doivent être maintenant précisées au cours d'une prochaine réunion dont vous entendrez parler, le 20 juillet. Je ne veux pas préjuger des délibérations de ce comité interministériel mais je peux peut-être simplement évoquer trois orientations sur lesquelles nous travaillons et sur lesquelles je resterai, avec Xavier Darcos, très vigilant.
D'abord, notre ministère doit assurer le pilotage stratégique, l'animation stratégique de l'aide publique au développement. C'est le ministre délégué à la Coopération qui assurera cette fonction sur le plan opérationnel, et sous l'autorité du ministre des Affaires étrangères et en confiance naturellement avec lui.
L'aide française sera davantage concentrée sur le plan géographique, en faveur de l'Afrique francophone et des pays les moins avancés ; mais aussi concentrée sur le plan sectoriel. J'observe d'ailleurs que cet effort de concentration thématique est également conduit, dans le cadre de l'aide au développement européen dont je parlerai tout à l'heure, et cela se fera dans les domaines qui relèvent des objectifs du Millénaire, dans un souci de cohérence.
Troisième orientation, les relations avec l'Agence française de Développement seront clarifiées. Et cette agence se verra confier des responsabilités nouvelles pour conduire les projets dans les secteurs qui seront choisis comme des priorités. Elle agira sous la responsabilité désormais reconnue des chefs de poste et dans le cadre d'une programmation pluriannuelle arrêtée par notre ministère.
Mesdames et Messieurs, ces évolutions, qui sont dictées par un souci d'efficacité et de meilleure lisibilité pour nos partenaires, vont, je le sais, sensiblement modifier nos modes d'action. Ils vont nous conduire à nous recentrer sur ce travail de pilotage, d'animation stratégique sur la surveillance des politiques publiques, sur la concertation avec les autres bailleurs de fonds, à nous concentrer sur l'appui à la gouvernance, au renforcement des capacités, aux formations supérieures
Je veux simplement vous demander d'être assurés, au moment où je vous dis cela et avant ces réunions qui sont importantes, de ma propre détermination à conduire ce chantier avec résolution bien sûr mais aussi dans le dialogue, parce que pour moi, la coopération est et restera une pièce maîtresse, une preuve de cette politique d'influence que j'ai évoquée au début de mon propos.
Le deuxième axe de partenariat, avec le développement, sera celui du dialogue entre les cultures auquel tant et tant d'entre vous consacrez votre intelligence, votre énergie, votre compétence. Il va nous mobiliser, ce dialogue entre les cultures et les sociétés du monde. Il faut, me semble-t-il, donner ainsi une dimension plus humaine à cette mondialisation qui inquiète, créer, ce mot n'est pas de moi, des multinationales de l'intelligence et de l'esprit pour la diversité culturelle mais aussi pour l'universalité de certaines valeurs. Je veux parler ici d'éthique, du respect des droits de la personne, de pluralisme et encore d'humanisme. Partout, notre pays doit être porteur de ces idéaux-là pour mener son rôle, pour peser davantage dans le débat international.
Il me semble, s'agissant de dialogue des cultures, que nous devons travailler ensemble dans trois directions : la compétition des savoirs, la diffusion des idées, la diversité culturelle. Et je voudrais dire quelques mots de ces trois directions-là ou de ces trois chantiers et d'abord conforter la place de la France dans la compétition des savoirs. C'est l'enjeu majeur. Il fait l'objet d'une concurrence acharnée, l'un d'entre vous me le disait tout à l'heure à propos des universités ou des grandes écoles, dans un monde marqué par la mobilité des compétences et par l'internationalisation de la recherche. La France doit s'imposer comme un espace de formation international. Nous avons fait des progrès, je crois assez sensibles, ces dernières années, dans l'accueil des étudiants étrangers, dans l'ouverture sur le monde de nos universités.
Mais quel est l'objectif pour demain ? Pour renforcer l'attractivité de notre territoire pour les investissements et les talents étrangers, il nous faut attirer davantage d'étudiants de qualité, davantage de jeunes chercheurs, davantage de scientifiques. Vous êtes, pour beaucoup d'entre vous, Mesdames et Messieurs, en première ligne pour promouvoir notre enseignement supérieur, pour bâtir des partenariats universitaires et de recherche. C'est l'un de vos défis, c'est sans doute l'un de nos défis que de faire de nos lycées français à l'étranger une base de départ pour des études supérieures en France. C'est aussi notre défi, votre défi de coordonner et d'organiser les offres universitaires, qui sont nombreuses et quelquefois dispersées. C'est encore votre défi d'utiliser les bourses comme levier de cette politique, en respectant les critères de transparence et de sélectivité, dans une démarche de responsabilité partagée avec nos partenaires. Je sais bien que tout cela exige des moyens budgétaires qui doivent être, pour l'avenir, au moins préservés et sans doute augmentés, j'en dirai un mot tout à l'heure.
Compétition des savoirs, mais encore, c'est la deuxième direction, diffusion des idées, de nos valeurs, de nos idées, encore une fois sans arrogance et sans chercher à donner de leçon et pour cela, il faut mener sur le terrain, comme vous le faites au quotidien, une action volontariste d'appui à la connaissance, à la reconnaissance de nos intellectuels, de nos créateurs, de nos savants. Soutenir la diffusion des livres et des revues. Encourager les missions d'auteurs français. Faire connaître la création et le patrimoine artistiques de notre pays. Susciter l'intérêt vers notre langue aux quatre coins du monde. Théâtre, musique, danse, cinéma, expositions : avec le concours de l'association française d'action artistique, j'ai compris que plus de 10.000 manifestations culturelles françaises ou francophones sont organisées chaque année dans les autres pays du monde. Des centaines d'artistes participent à des rencontres internationales et 83 millions d'élèves dans le monde, en français, font de notre langue la seconde langue étrangère la plus enseignée partout ailleurs grâce à l'action, notamment, du réseau des Alliances françaises. Ces résultats sont impressionnants et fragiles à la fois. Vous avez - nous avons collectivement - cette responsabilité de partager avec le monde, sans doute, notre pays a de meilleur.
Puisque, Mesdames et Messieurs, je parle de diffusion dans cette compétition mondiale, puis-je dire un mot particulier sur le renforcement de la présence française dans l'espace audiovisuel de ce monde. Nous avons fait le choix, Monsieur le Secrétaire général, de la Francophonie, avec TV5 et RFI, et je n'oublie pas le rôle d'autres outils comme l'Agence France-Presse, dont nous continuerons à soutenir le développement. Nous souhaitons également, je souhaite également et c'est une conviction que j'ai renforcée en faisant une visite à Lyon de cet outil-là, qu'Euronews puisse s'affirmer comme une télévision européenne. Sur ces dossiers et avec ces outils, je souhaite être en quelque sorte en initiative, et je le serai avec le ministre de la Culture et de la Communication.
Mais naturellement, je le répète, nous ne sommes pas seuls sur ce grand marché de la communication audiovisuelle. Il y a une concurrence croissante et partout ailleurs, je l'observe, beaucoup de moyens mis au service de cette concurrence. Le président de la République a exprimé le souhait, que je partage, de renforcer notre présence sur les ondes internationales. Il y a, sur la table, un certain nombre de projets. Je veux simplement, à ce stade, sans pouvoir en dire plus, vous dire que je les étudie avec soin, avec objectivité et en tenant compte de ce qui existe déjà.
Compétition des savoirs, diffusion des idées et enfin, c'est la troisième direction, diversité. Au fond, tout cela va ensemble. Ce travail de diffusion et d'exportation des idées prend tout son sens lorsqu'il s'accompagne d'une politique résolue d'ouverture.
Jouons la réciprocité ! Veillons non seulement à traduire davantage d'uvres françaises en langue étrangère mais aussi plus d'oeuvres étrangères en français. Croisons les regards en multipliant les échanges artistiques et les rencontres entre créateurs. Ce rôle de passeur que j'évoquais en pensant à ce que vous faites, les uns ou les autres, entre toutes les formes d'expression culturelle est la raison d'être de nos instituts à l'étranger. Là aussi je pense qu'il faut continuer peut-être davantage encore à pratiquer le partenariat.
De même, les lycées français de l'étranger doivent renforcer leur rôle de creuset culturel, en s'ouvrant plus largement à la langue du pays d'accueil et en développant, à côté de leur mission de service public à l'égard des élèves français, une mission de coopération éducative.
Notre soutien au français peut et doit également contribuer au dialogue des cultures. Le français est une langue que nous avons en partage avec beaucoup d'autres. Nos politiques linguistiques doivent en tenir compte et intégrer, toujours davantage, les partenariats francophones, à l'instar de ce que nous faisons, Monsieur le Secrétaire général, avec votre Organisation internationale de la francophonie, et vous m'en avez donné il y a quelques jours encore une nouvelle preuve en organisant cette réunion originale à Bruxelles, avec tous les ministres des Affaires étrangères des pays qui font partie de l'OIF ou qui sont observateurs de la francophonie. N'hésitons pas à accueillir des étrangers francophones dans les structures en charge de la promotion de notre langue. N'hésitons pas, Mesdames et Messieurs ! J'ai parfois, dans ce propos, tenu le discours, non pas de l'humilité, nous pouvons être assurés de ce que nous sommes, de nos valeurs, de nos idées, mais j'ai appelé à exprimer ce que nous sommes sans arrogance et sans chercher à donner des leçons. Je souhaite davantage que nous sachions faire les signes de respect et d'écoute vers les autres et voilà pourquoi j'ai apprécié que l'Alliance française, il y a quelques jours, se choisisse un président belge en la personne de Jean-Pierre de Launoit.
Oui, nous avons besoin d'approfondir notre connaissance, notre respect, notre attention aux sociétés étrangères, à leur histoire, à leur actualité aussi. Je sais le rôle - je l'ai vu en Égypte il y a quelques jours encore -, de l'archéologie française, qui fait depuis si longtemps, avec notre soutien, un formidable travail partout dans le monde et nous aide à déchiffrer la grammaire du temps. Je souhaite aussi que les travaux de nos centres de recherche en sciences humaines et sociales puissent irriguer également notre réflexion sur les sociétés contemporaines. Nous avons besoin pour cela de définir des programmes de travail conjointement avec le Centre d'analyse et de prévision et nos partenaires de la recherche. Et à mes yeux, Mesdames et Messieurs, cela n'enlèvera rien à leur indépendance et à leur liberté. Je parle des chercheurs notamment, que je respecte. Je souhaite également que l'année 2005 voit le lancement d'une revue de qualité internationale présentant ce qu'il y a de meilleur dans la production de nos centres.
Dans le monde dangereux, instable, j'allais dire compliqué, où nous vivons, nous avons aussi besoin de renforcer nos outils d'analyse et de prospective sur le développement. J'ai ce besoin-là. C'est aussi pourquoi je veux m'appuyer sur le Centre d'analyse et de prévision et je pense que je ne dois pas être le seul à avoir envie de comprendre et parfois d'anticiper pour agir. Il est temps de prendre des initiatives pour associer les universités, les centres de recherche, les praticiens du développement, à la réflexion sur ces sujets.
Ces partenariats, pour le développement, pour le dialogue des cultures, je vous invite à les renforcer. Ils doivent dépasser le seul cadre de la coopération inter-étatique et s'affirmer dans trois directions et avec d'autres partenaires auxquels j'attache de l'importance : les ONG, les institutions multilatérales, les collectivités territoriales. Je vous remercie par avance, et à nouveau, de travailler le plus étroitement possible avec tous ces acteurs. Je souhaite que nos ONG soient davantage encore présentes à l'étranger et je les aiderai. Ne soyez pas surpris du nouvel élan que je veux donner à la coopération décentralisée, avec Xavier Darcos et Claudie Haigneré. J'ai conduit pendant près de dix-sept ans, personnellement, à la tête d'une collectivité territoriale, plusieurs coopérations de cette nature, en Haïti, en Roumanie et au Sénégal, et je sais que les collectivités locales ont un formidable potentiel d'expériences, de savoir-faire et d'humanisme à partager. Il faut, dans tous les domaines, davantage apprendre à travailler ensemble et jouer cette carte de la complémentarité.
Je voudrais évoquer maintenant un sujet qui me tient à coeur, mais il n'est pas le seul, celui de l'Europe et de mon souci de mettre cette coopération internationale davantage à l'heure européenne. Nous allons être, avec Claudie Haigneré, très attentifs à cette dimension-là. Cette Europe unie mais pas uniforme vient de franchir une étape historique en accueillant dix nouveaux pays du Nord, de l'Est ou du Sud et en adoptant sa Constitution qui fera l'objet d'un débat républicain, comme l'a annoncé le chef de l'État en proposant que ce soit le peuple qui soit saisi de cette Constitution l'année prochaine. Je pense que nous devons accompagner cette évolution historique en donnant à nos politiques une dimension européenne plus forte. Mettre l'Europe au coeur de nos actions, penser aussi en Européens, agir aussi en Européens, en ayant ce réflexe européen, qui ne nous interdit pas au contraire de rester passionnément Français et passionnément patriote, et cela, sur les cinq continents !
Concrètement, je vous invite à entretenir, là où vous êtes et là où elles existent, des relations étroites avec les représentants de la Commission européenne. Et je serai attentif, dans l'autre sens, à ce que vous me ferez dire de ces relations, si elles sont quelquefois compliquées. Je vous invite à être dans l'initiative, qu'il s'agisse de défendre les positions de notre pays, ou de participer à la réflexion, au montage de programmes européens. Je vous remercie d'être, sur ce terrain, en veille permanente, de me rendre compte, de construire ces partenariats, de bâtir des alliances. Je souhaite qu'il y ait un correspondant chargé du suivi des politiques et des programmes européens dans chaque direction, voire dans chaque sous-direction de la DGCID. Et cette mission doit aussi être assumée dans chaque ambassade et elle le sera. Avant de partir en poste, je souhaite que vous puissiez prendre le temps de faire une sorte de parcours de Bruxelles. Je veillerai personnellement à cela en mettant l'accent sur la formation aux procédures européennes.
Vous m'entendez parler de l'Europe où je viens de passer cinq ans au coeur de l'exécutif européen et peut-être, en m'écoutant, vous devez vous dire, sans doute il y a de l'argent à Bruxelles, et probablement il y en aura davantage, mais il y a aussi tellement de complexité, tellement de bureaucratie. Là encore, je suis et je serai, avec ce recul de cinq années passées comme commissaire, attentif à vos suggestions ou à vos critiques. Je sais qu'il y a de la bureaucratie à Bruxelles. En cherchant bien d'ailleurs, on en trouverait probablement ailleurs qu'à Bruxelles. Je pense qu'on peut faire reculer cette complexité ou cette bureaucratie. Je vais m'y attacher, notamment dans le cadre des nouveaux règlements qui vont être en discussion entre les gouvernements pour le fonds européen de développement ou pour les nouveaux instruments du voisinage qui vont se substituer, je le pense, en les amplifiant et les simplifiant, au programme MEDA notamment.
S'agissant de l'Europe, je voudrais évoquer quatre points, rapidement, qui peuvent être tous reliés à ce que j'appelle la mutualisation des moyens, au moins une partie de nos moyens et de nos politiques, avec nos partenaires européens.
Le premier sujet est celui de la construction de l'espace européen de la culture et du savoir. Dans vos pays de résidence, vous pouvez, et je vous y encourage, multiplier les actions impliquant plusieurs partenaires européens. Partout où des programmes européens sont mis en oeuvre, que ce soit à l'initiative de la Commission ou des États membres, je vous remercie de veiller à leur articulation avec notre propre dispositif. C'est particulièrement vrai dans les domaines scientifique et universitaire pour l'harmonisation des diplômes. Puisque je parle de mutualisation, vous devez savoir que je vais donner un élan, cela vous concerne aussi dans beaucoup de problèmes que vous rencontrez dans la vie quotidienne, à cette politique consulaire mutualisée avec les pays européens qui le voudront, voire dans certains cas, une vieille idée mais qui n'a pas été réellement mise en oeuvre, de créer des ambassades communes, et parfois même juxtaposées, dans un certain nombre de pays, avec nos partenaires et nos amis.
Le second sujet de cette mutualisation est celui de l'élargissement de la politique de voisinage. L'Europe s'est élargie. Elle ouvre des perspectives nouvelles d'échanges entre les hommes, les idées et les cultures. Il nous faut accentuer cet effort d'intégration des nouveaux adhérents. Je vous invite, là encore, à préparer, et peut-être à regarder un peu plus loin qu'à l'intérieur même des seules limites de l'Union européenne élargie, au sud, de l'autre côté de la Méditerranée et au sud-est, là où se trouvent sans doute sûrement, dans les Balkans en particulier, de futurs adhérents à l'Union européenne. Je vous remercie d'être au contact de vos homologues de ces nouveaux pays et de leur proposer, si vous en avez les moyens, des collaborations.
N'oublions pas, au-delà de l'Union européenne et des pays qui ont vocation à la rejoindre, de prendre en compte l'ensemble de l'environnement européen dans cette géographie profondément renouvelée. Créons, si vous le voulez bien, ce que Robert Schuman appelait "une solidarité de fait", dans sa déclaration fondatrice qu'il a prononcée le 9 mai 1950. Vous serez ce soir je l'espère nombreux à répondre à mon invitation au Quai d'Orsay et à côté de mon bureau, il y a ce fameux Salon de l'Horloge où cette déclaration du 9 mai 1950 a été prononcée par Robert Schumann et où il appelait à construire cette "solidarité de fait".
Le troisième sujet est celui de l'action extérieure européenne. Efforçons-nous d'exporter l'Europe hors de ses frontières ! Pourquoi ne pas organiser dans chaque poste diplomatique au moins une fois par an, une manifestation européenne ? Nous expérimentons par exemple des centres culturels franco-allemands. Pourquoi ne pas envisager des formules de cette nature avec d'autres pays, le Royaume-Uni, l'Italie ou l'Espagne ? Ouvrons également notre recrutement aux ressortissants de l'Union européenne, là où c'est pertinent. Je veux soutenir le développement de ces expérimentations, qu'il s'agisse de fonds de soutien aux projets culturels en pays tiers, de l'accueil de chercheurs de l'Union européenne dans nos centres, ou de coopération conjointe dans les pays en développement. Nos lycées de l'étranger doivent aussi apprendre cette dimension européenne.
Le dernier sujet, à propos de l'Europe, où il est possible de mutualiser, c'est celui de la consolidation de l'aide au développement commune. La France, vous le savez, reste le premier contributeur au fonds européen de développement. Et pourtant, je pense que cette aide ne prend pas suffisamment en compte la dimension européenne dans notre action quotidienne en faveur du développement. Au niveau local, vous devez participer à la préparation des programmes européens, suivre leur mise en oeuvre, informer régulièrement vos correspondants parisiens. Je souhaite aussi que la présence d'experts nationaux détachés, auprès des instances européennes à Bruxelles comme dans les délégations, puisse s'intensifier.
Puisque je parle de culture, de diversité, vous permettrez, cela ne vous surprendra pas, de vous dire un mot d'un sujet assez particulier mais qui a beaucoup de qualité et qui est un grand projet pour notre pays. Ce n'est pas un projet politique et pas d'abord diplomatique, c'est celui de la candidature de la France pour l'accueil des Jeux olympiques de 2012. J'ai, de ce point de vue-là, quelques souvenirs précis de ce que peut-être, pour une région, pour un pays comme le nôtre, l'accueil de ce qui est la plus grande manifestation sportive, pacifique, culturelle du monde, comme le fera dans quelques jours la ville d'Athènes et comme le feront dans deux ans les Italiens à Turin. Je souhaite que l'ensemble de notre réseau de coopération puisse, chacun à sa manière, être attentif à cette candidature.
Je voudrais conclure, Mesdames, Messieurs, en évoquant, au-delà des grandes orientations de notre coopération, ce que j'ai appelé notre ambition et mon état d'esprit, celui de l'équipe gouvernementale qui est ici. Je voudrais dire quelques mots de préoccupations plus concrètes et plus quotidiennes sans doute, qui vous sont communes, et d'abord celle de l'aménagement du réseau dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme. C'est un exercice d'adaptation d'emplois qui a été conduit. Les postes y ont participé. Un certain nombre d'emplois, je le sais, ont été supprimés, ce qui a dégagé, d'une certaine manière, des moyens pour moderniser le ministère dans son ensemble. S'agissant du réseau culturel, cette réorganisation s'est accompagnée d'une réflexion sur nos implantations elles-mêmes. Dans ce monde qui bouge, je pense que ces implantations doivent naturellement évoluer. Mon ambition pour ce réseau est intacte. Mais j'ai le souci d'éviter, comme d'autres avant moi, qu'il y ait des redondances ou des doublons. Je veux donner des moyens supplémentaires aux établissements les plus performants. Je veux trouver des formules de substitution le cas échéant, en fonction du terrain. Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, notamment aux représentants syndicaux, et j'attache du prix à la qualité et à la franchise du dialogue social à l'intérieur de cette maison, je veux que ces ajustements se fassent dans le respect de la législation locale et du droit des agents. Je veux qu'elle se fasse davantage en concertation avec les agents, tous nos partenaires et avec les postes.
Le Premier ministre a confié à M. Raymond-François Le Bris une mission sur la reconfiguration des services extérieurs de l'État à l'étranger. Dans ce cadre, nous examinerons, dans l'esprit que je viens de vous dire, l'organisation de notre réseau de coopération.
Il y aussi, et à la base de tout, si je puis dire au-delà de la volonté et des idées ou des discours qui sans moyens restent des discours même s'ils sont sincères, la question du budget de ce ministère. Notre ministère, pour la première fois depuis assez longtemps, a été épargné cette année par les régulations budgétaires parce que c'est une priorité qui a été réaffirmée et même réécrite par le chef de l'État. Sachez simplement, puisque nous sommes en plein dans cette discussion budgétaire qui est rude, que je me bats avec ma ténacité de montagnard pour qu'en 2005, nous dégagions des marges manoeuvre dont nous avons, dont vous avez besoin. Ceci ne nous dispense ni d'une amélioration de la gestion, ni d'une réorganisation de nos moyens ou de notre manière de travailler. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle j'ai engagé, je le ferai dans le dialogue social, ce projet un peu audacieux, mais je crois nécessaire, d'une réimplantation de l'ensemble des services parisiens du ministère dans un seul endroit, les ministres et leurs services ensemble dans un nouveau ministère. Nous avons à améliorer le contrôle, nous devons pratiquer l'évaluation, et tout cela peut faire l'objet d'un nouveau dispositif qui constitue une étape importante. Je pense que nous devons être en ordre de marche dans la perspective de la mise en oeuvre de cette nouvelle loi organique sur les lois de finances. Nous devrons ainsi adapter, dans le dialogue, nos outils de coopération à la gestion par objectifs et par actions.
Mesdames et Messieurs, je voudrais vous souhaiter un bon travail avant de vous retrouver ce soir, pour un moment plus convivial, je vais laisser ce micro au président Abdou Diouf, que je remercie très amicalement et très chaleureusement de nous faire l'honneur d'être parmi nous. Je voudrais également dire à Mme Hélène Carrère d'Encausse, dont nous savons l'attention à toutes ces questions qui touchent à la diversité culturelle et à la francophonie, ma gratitude puisque, partout où elle se trouve, elle défend avec talent et passion, notre langue et notre culture. Je voudrais également remercier les personnalités politiques, administratives, universitaires, tous ceux qui sont ici et qui ont bien voulu accepter d'animer les ateliers, et l'ensemble des partenaires et opérateurs qui mettent au service de la coopération leur professionnalisme et leur expertise dans des domaines souvent très spécialisés. Je vous remercie très sincèrement de votre attention et vous souhaite un bon travail.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2004)