Texte intégral
C. Sérillon : Bonsoir M. Jospin. Avant de vous interviewer sur les transports, peut-être votre réaction sur ce qui s'est passé en Catalogne ?
- Lionel Jospin : Evidemment, j'ai appris cet accident absolument tragique avec plus d'une vingtaine de nos ressortissants, des retraités qui ont été tués, peut-être quelques disparus. Et donc, je voulais dire mon émotion, naturellement, aux familles qui sont touchées, et envoyer un message de solidarité à ceux qui sont blessés, rescapés ; d'ailleurs Mme Demessine, la ministre du Tourisme part et sera demain à leurs côtés, et nous nous informerons, bien sûr, auprès des autorités espagnoles pour savoir ce qui s'est passé. "
C. Sérillon : Vingt morts, trente-huit blessés, on nous disait tout à l'heure. Je souhaitais que vous réagissiez à ces réactions, à ces réflexes d'usagers pour lesquels, depuis plusieurs jours, c'est la galère. C'est difficile de se transporter, c'est difficile d'aller à son travail, ils y vont quand même ; et puis au fait que des personnes soient agressées régulièrement. Ce n'est pas tout nouveau, vous le saviez ; hier, en urgence, vous avez voulu préparer des décisions. Que pouvez-vous ce soir annoncer à celles et ceux, soit qui subissent ces violences, soit qui, indirectement, quand ils sont usagers, subissent ces grèves ?
- L.J : L'insécurité est un problème majeur dans nos sociétés, maintenant. L'insécurité dans les transports, mais cela peut être l'insécurité sanitaire, cela peut être l'insécurité sociale, et donc, dans nos sociétés, nous devons rendre la vie plus sûre pour nos concitoyens.
En ce qui concerne les transports, bien sûr ce n'est pas nouveau et avant de dire un certain nombre de choses que nous allons faire, et c'est à cette attention que j'ai réuni hier le ministre des Transports J.-C. Gayssot, le ministre de l'Intérieur par intérim J.-J. Queyranne, le ministre de la Justice, Mme Guigou, parce que nous allons agir aussi sur ce plan, le ministre de la Ville, parce qu'il s'agit de tout un problème d'environnement, avec les deux responsables des deux entreprises - en tout cas avec le président de la RATP, M. Bailly, et avec le secrétaire général de la SNCF, M. Gallois étant encore à l'étranger à ce moment-là. Donc, nous inscrivons les décisions que nous avons prises hier, ou que nous préparons, dans un mouvement de travail que les entreprises ont déjà mené contre l'insécurité.
Mais avant, peut-être, de dire un mot de ce que nous allons faire, je voudrais insister sur le fait qu'il y a un certain nombre de messages à faire passer à nos concitoyens. L'insécurité, c'est un problème qui nous concerne tous ; l'insécurité, elle est créée par des hommes, par des femmes ou par des jeunes. Et à ces jeunes - non pas la masse de la jeunesse, qui vit sa vie tranquillement, harmonieusement - mais à ces jeunes qui pratiquent ces agressions, ces outrages, je voudrais dire que leur attitude est totalement absurde. Elle est absurde parce qu'elle se dresse contre des hommes ou contre des femmes - conducteurs de bus ou employés de la SNCF - qui rendent un service, un service public, qui leur rendent service, qui les ramènent dans leur banlieue ou dans leur quartier. Et donc, ils se tournent vers ceux qui sont chargés de les servir, c'est donc absurde. C'est une attitude autodestructrice.
Je voudrais leur dire d'ailleurs que ces actes seront sanctionnés, et qu'ils le sont. Il n'y a pas d'impunité. Il faut savoir que la personne qui a agressé un chauffeur de bus sur la ligne 75 a été arrêtée dans la journée et il sera jugé dans un mois. Il faut savoir que 5 des jeunes dont on pense qu'ils sont responsables des agressions qui ont eu lieu sur la ligne Paris-Mantes ont été arrêtés dans les deux jours et ils ont été traduits devant la justice immédiatement. Il faut savoir aussi que ceux qui ont agressé par gaz lacrymogène un autre salarié des transports ont été interpellés, à la suite de cela, dans les deux jours. Donc il n'y a pas d'impunité, et il y a d'autant moins d'impunité que de plus en plus, les agents de sécurité, qu'ils soient des entreprises ou qu'ils soient des forces de police dont c'est la mission, seront extrêmement vite sur les lieux et donc pourront agir très vite. Donc, je veux tenir ce message à ces jeunes, dire qu'il ne s'agit pas d'un jeu et qu'ils seront sanctionnés extrêmement lourdement, j'y reviendrai quand nous parlerons des mesures.
Je veux aussi adresser un message aux parents. Quand il s'agit de très jeunes adolescents, de 13 ans ou 14 ans, c'est à leurs parents de les tenir, c'est à eux de les prendre en charge, c'est leur responsabilité ; on ne peut pas toujours se tourner vers les autres. Donc je voudrais dire aux agents de la SNCF et de la RATP que les efforts pour la sécurité seront poursuivis. En même temps, j'ai envie de leur dire - je sais bien que c'est difficile de dire cela, mais je veux le dire quand même - attention à ne pas sur-réagir. Je me réjouis que le travail ait repris à la RATP, dans les bus, à la SNCF..... "
C. Sérillon : Vous imaginez la vie qu'ils ont au quotidien, quand ils se font cracher dessus, quand ils sont agressés ?
- L.J : J'imagine. Jeudi le travail a repris à la RATP, dans les bus, dans le métro. Je pense qu'il y a d'autres problèmes à la SNCF et pas simplement les problèmes de la sécurité qui expliquent, peut-être, que le mouvement dure aujourd'hui. Mais je voudrais leur dire que, si on surréagit, d'une certaine façon on attise la tentation chez ces jeunes. Donc il faut que nous agissions, tous ensemble, pour éliminer ces actes d'incivilité. Et il faut aussi penser qu'il y a des millions de salariés naturellement qui, dans leur vie quotidienne se trouvent aussi pénalisés. Donc à partir d'un acte isolé, qu'il faut identifier et qu'il faut châtier, attention à ne pas faire des processus en cascade, qui s'élargissent trop, parce qu'on fait le jeu des violents et des casseurs."
G. Leclerc : En attendant, les cheminots et tous les grévistes demandent, ce soir, des mesures d'urgence un véritable plan d'urgence. Ils se sentent abandonnés. Avez-vous, vraiment, de nouvelles mesures à leur présenter ?
- L.J : Je ne pense pas qu'ils se sentent abandonnés..."
G. Leclerc : Un sentiment d'abandon, ils le disent tous...
- L.J : Les entreprises consacrent maintenant à cet effort de sécurité, des effectifs importants et qui doivent d'ailleurs augmenter, aussi bien à la RATP qu'à la SNCF. En quelques jours, nous avons décidé de mettre plus de 400 hommes supplémentaires dans les bus, dans le métro, et sur des lignes de banlieue. Donc immédiatement nous avons mobilisé des forces de police. Mais je pense qu'il y a une action à plus long terme qui doit être prise. D'abord, je voudrais annoncer notre intention, en ce qui concerne des dispositions pénales. Nous allons faire en sorte que, lorsqu'il y a outrage, violence, injure, atteinte à des agents des transports publics - de ces services publics - de la part de telle ou telle personne - quel que soit son âge ou sa catégorie -, ce sera, désormais, des circonstances aggravantes. Et nous saisirons l'occasion d'un des prochains projet de loi de réforme de la justice pour insérer des dispositions de ce type."
C. Sérillon : Dans le Code pénal ?
- L.J : Absolument ! Nous allons également - comme cela est le cas actuellement, par exemple, pour des atteintes à des policiers -, nous allons également faire en sorte que les agents de transport puissent procéder à des vérifications d'identité, en étant aidés pour cela par des officiers de police judiciaire. Mais ces officiers de police judiciaire, permettront, au fond, de donner cette autorité - du moment qu'ils couvriront des opérations de vérification d'identité - à ces personnels. La présence humaine dans les bus ; la présence humaine, aussi, dans les gares - et notamment dans les gares isolées - ; la présence humaine - à des heures où sur des lignes, par exemple, de terminus, où se produisent ces agressions, parce qu'elles ne se produisent pas, en règle générale, aux heures de pointe, aux moment où il y a les grands mouvements -, doit être absolument accrue. Et là, naturellement, je ne peux pas, moi, je ne veux pas plus exactement, prendre des décisions à la place des entreprises - la SNCF et la RATP. Nous avons eu leurs responsables ; ils connaissent nos intentions ; mais des décisions doivent être prises, pour étoffer la présence humaine à ces moments et dans ces lieux."
C. Sérillon : Ca veut dire faire l'inverse de ce qu'on a fait depuis des années ?
- L.J : Exactement. Mais je crois qu'on est en train de se rendre compte que la machine, elle n'est pas l'élément qui permet des rapports humains stables, et qu'il faut "réhumaniser" ces modes de transport, même s'ils doivent connaître, naturellement, les progrès technologiques qu'impose le transport de masse. On a tous été fiers quand même de la façon dont les transports publics d'Ile-de-France ont acheminé, en quelques heures, en quelques dizaines de minutes, des centaines de milliers de personnes pour la Coupe du monde. Alors ces performances on doit les manifester au quotidien. Mais ça prouve la force du service public. Et donc cette force du service public il faut la retrouver au quotidien."
G. Leclerc : Mais depuis des années, les entreprises de transport, et en particulier la SNCF, suppriment des emplois, des milliers d'emplois. Il faut aujourd'hui renverser la tendance, recommencer à créer des emplois à la SNCF ?
- L.J : Nous avons déjà renversé la tendance, voudrais-je vous faire remarquer, parce que le taux de suppression à la SNCF était d'environ 5000 personnes par an. Nous sommes actuellement descendu à 1500, c'est-à-dire... Et là, c'est à l'entreprise, aussi, d'examiner avec sa politique de personnels. Je n'ai pas, moi, à donner des instruction, en particulier à la télé, à M. Gallois. Mais il est certain qu'à la SNCF, il y a un dialogue social à nouer, peut-être avec force. Et naturellement, le ministre des Transport, J.-C. Gayssot, qui a la tutelle, y veillera. Donc, coordination aussi : mesures législatives de caractère pénal ; renforcement de la présence des agents, notamment des agents de sécurité au moment opportun et sur les lieux plus isolés ; meilleure coordination entre les forces de police et les agents de la SNCF et de la RATP, même si des progrès considérables ont été faits dans ce domaine ; et puis la mise en place d'équipements de sécurité. Il faut savoir que d'ici 1999, 2000 des 4000 bus parisiens et de la région parisienne, seront équipés d'équipements qui leur permettront d'être identifiés. Et donc si une agression se produit, immédiatement on pourra se rendre sur les lieux avec une très grande efficacité. Et donc c'est tous ces systèmes de protection - les cabines anti-agression, par exemple, les liaisons radio entre les agents - que la SNCF et la RATP doivent développer systématiquement."
A. Chabot : Est-ce que cela suffit ? Parce qu'on a l'impression qu'on met beaucoup de policiers, on mettra d'autres agents d'ambiance avec, par exemple, des emplois-jeunes. Est-ce qu'à votre avis, c'est suffisant ? Vous faisiez appel tout à l'heure aux parents. C'est vrai qu'il y a un vrai phénomène de violence dans cette société, est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin ? Ce n'est pas sans arrêt en mettant des policiers qu'on arrivera à résoudre vraiment les problèmes de sécurité.
- L.J : Mais c'est un peu pourquoi, j'ai commencé, non pas par annoncer les mesures qui sont nécessaires, mais j'ai commencé par cette forme d'appel, cet appel à la responsabilité, à la conscience. Je l'adresse à la fois aux jeunes, y compris à ceux qui ont la tentation de se laisser aller et aux parents ; naturellement aux éducateurs mais les éducateurs, ils le font dans les collèges, dans les lycées. Vous savez d'ailleurs que nous avons insisté davantage sur le respect des règles, le respect des normes, sur l'instruction civique. Au fond, moi, je veux vous dire mon sentiment en prenant les choses, un instant, plus largement puisque nous avons commencé par les problèmes concrets et les mesures. Au cours du XIXe siècle et du XXe siècle, on a tendu à opposer... A. Duhamel connaît bien ça, qui connaît..."
A. Chabot : Il n'était pas au XIXe !
- L.J : Non, mais il connaît l'histoire des idées politiques. C'était cela que je voulais dire."
A. Duhamel : Oui, oui, ne soyez pas désobligeant !
- L.J : On a tendu à opposer le parti de l'ordre et le parti du mouvement. La droite, c'était le parti de l'ordre, la gauche, c'était le parti du mouvement et du progrès. Moi, je pense que ces oppositions aujourd'hui doivent être dépassées. Je l'ai d'ailleurs déjà indiqué. Moi, je suis attaché à la réforme. Je veux être toujours représentatif du parti du mouvement, mais je veux que ce mouvement soit fait dans l'ordre. Nous avons besoin de règles ; nous avons besoin de normes ; nous avons besoin de repères. Je m'efforce moi-même d'en respecter dans ma pratique politique, dans mon action de gouverner, des règles républicaines. Et il faut ce retour aux normes, à la règle et à ce que j'appellerais un ordre pour que la société puisse avancer, pour que la société puisse se réformer."
A. Duhamel : Donc, l'ordre peut être une valeur de gauche ?
- L.J : Mais je vous..."
A. Duhamel : L'ordre est une valeur de gauche pour vous ?
- L.J : A condition que ce soit un cadre républicain, un cadre démocratique, un cadre respectueux des autres - pas un ordre imposé naturellement - un ordre voulu consciemment, un ordre partagé pour bouger, pour faire des réformes, pour faire avancer le mouvement."
A. Duhamel : Face à la violence des très jeunes, des enfants, des pré-adolescents, des filles maintenant, dans les écoles, en dehors des écoles, certains de vos amis - par exemple, T. Blair en Grande-Bretagne - sont partisans de ce que l'on appelle la tolérance zéro qui est stricte. Quelquefois, cela va même pour les plus jeunes jusqu'à leur interdire de sortir le soir après neuf heures. Est-ce que c'est une évolution qui vous paraît correspondre justement à l'ordre selon la gauche, ça ?
- L.J : Mais nous avons déjà abordé ces problèmes de la délinquance."
A. Duhamel : Chez les très jeunes !
- L.J : Exactement."
A. Duhamel : De plus en plus jeunes !
- L.J : Oui, c'est exact. Aussi parce qu'il y a des familles déstructurées, mais peut-être aussi parce qu'il faut rappeler partout, c'est notre responsabilité à tous - et les vivre aussi, ces règles et ces normes. Nous avons déjà traiter ce sujet, vous le savez, dans un Conseil de sécurité intérieurs, que j'ai mis en place, et nous avons noué le dialogue entre le ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement et E. Guigou parce qu'il faut concilier les approches, je dirais, policière et judiciaire, répressive et éducative en même temps. Au prochain Conseil de sécurité intérieure, nous allons reprendre cette question parce qu'elle est urgente et nous prendrons les décisions qui seront nécessaire pour faire reculer cette forme de criminalité, y compris parce qu'elle est autodestructrice. C'est ce que je disais tout à l'heure. Ces jeunes s'abîment eux-mêmes dans ce processus et ils se heurteront aux sanctions de la loi."
C. Sérillon : Quel signe d'échec pour notre société quand même, non ?
- L.J : Si c'est un signe d'échec pour notre société, nous en sommes tous responsables et nous devons tous lutter contre, chacun à notre niveau de responsabilité. J'assume le mien, dans mes responsabilités de Gouvernement et le Gouvernement fait de même. Vous le savez depuis le début."
C. Sérillon : Voilà pour la première partie consacrée aux transports et aux violences. On va parler maintenant du Pacs, le Pacte de solidarité. Est-ce que vous appuyez pleinement cette loi ? Est-ce que vous en êtes totalement convaincu ou est-ce qu'au fond, vous êtes prêt à l'aménager ? Est-ce qu'il y avait vraiment la nécessité de faire une loi d'ailleurs ?
A. Duhamel : Et puis est-ce que vous avez évolué vous-même là-dessus ?
- L.J : Le problème de mon évolution n'est pas tellement important."
A. Duhamel : Il est éclairant parce que c'est vrai de beaucoup de gens.
- L.J : Oui mais alors, à travers les années si vous voulez. Dans la campagne législative, j'avais dit que des mesures devraient être prises pour régler par des mesures dans l'ordre fiscal, dans l'ordre social, dans l'ordre successoral des successions, des problèmes que vivent des personnes qui vivent en commun, qui ont une vie commune et qui ne sont pas soit des hommes et des femmes mariés qui ne choisissent pas le mariage, ou à qui d'une certaine façon le mariage est interdit parce que le mariage ou la famille sont des institutions particulières et qu'il fallait régler ces problèmes. C'est ce que nous faisons. Je dois dire que si l'opposition qui a choisi dans cette affaire, non pas de s'opposer vraiment par conviction à ces mesures que nous préconisons, parce que je pense que dans son for intérieur et quand on discute avec elle, sauf peut-être des milieux de la droite..."
C. Sérillon : On en a montré tout à l'heure.
- L.J : Vous les avez montrés. Vous avez montré en quoi ils étaient liés à une secte brésilienne."
C. Sérillon : Pas tous.
- L.J : Non, mais ce sont des éléments qui sont quand même souvent très à droite. Nous rencontrons beaucoup de nos collègues qui comprennent que ces mesures doivent être prises. Ils ont choisi de s'opposer parce qu'il faut s'opposer. Je crois au contraire qu'il doit y avoir des sujets de société qu'on aborde sans passion pour les faire avancer. Et c'est eux qui créent des problèmes là où il n'y en a pas. Le Pacs est un pacte. C'est un contrat entre deux personnes. Certaines effectivement peuvent être et sont homosexuelles et ont besoin de voir régler un certain nombre de problèmes dans leur vie commune. Ne cherchons pas à le cacher. C'est fait aussi pour cela. Certains ne sont pas cette situation et ont besoin de choisir ces formes de contrat pour régler des problèmes de leur vie commune. Si on n'y avait pas mis autant de passion, je pense qu'on aurait avancé avec beaucoup moins de trouble."
A. Chabot : Vous disiez justement : pendant ma campagne, je l'ai dit, il faudra prendre des dispositions, des mesures. Alors on se demande justement pourquoi une loi qui suscite tant de passion - parce qu'on ne fait rien sans passion dans notre pays ? Pourquoi ne pas avoir pris des dispositions pour changer le code des impôts, le droit des successions ? Ce serait passé peut-être plus tranquillement alors que maintenant on a une proposition de loi qui part un peu dans tous les sens ?
A. Duhamel : Pourquoi pas des mesures ponctuelles au lieu d'une loi-opéra ?
- L.J : D'abord cette loi ne part dans tous les sens. Elle sera abordée demain, présentée par E. Guigou, et les choses vont se dérouler, à mon sens, normalement. Cette loi sera votée et elle est comprise par les Français parce qu'ils comprennent qu'en rien cela ne menace l'institution familiale. Le mariage c'est une institution de la société. La famille, ce sont des parents, des hommes et des femmes avec des enfants. Et, là, il ne s'agit pas de cela. Il n'y a ni les devoirs du mariage, ni les privilèges - si on peut dire - du mariage. En particulier, vous savez très bien que l'adoption est interdite et le restera, que la procréation artificielle permettant donc la filiation est également interdite et le restera. Donc, je pense que c'est un projet qui prend en compte une évolution de la société, que les Français qui ont beaucoup de bon sens le comprennent et que cela se passera, je pense, tranquillement."
A. Duhamel : Quand les autorités religieuses, pas la droite mais les autorités religieuses et des différentes confessions manifestent énormément de réserves et disent craindre - et sûrement pensent craindre, et craignent réellement - qu'il s'agisse, selon les mots qu'ils emploient, soit de mariage-bis, soit de sous-mariage, soit d'une étape vers le mariage des homosexuels, est-ce que cela ne vous trouble pas ? Cette conjonction des instituions religieuses de confessions différentes ?
- L.J : Non, cela ne me trouble pas parce que les confessions religieuses et les institutions religieuses ont une mission particulière : je la comprend et je la respecte. Elle porte un message qui est un message de la révélation, qui est aussi un message du dogme et qui est aussi un message de valeur naturellement. Ces messages sont absolument essentiels à notre vie en société. Mais je vais prendre un autre exemple : vous admettrez que depuis la loi Veil de 1976, je crois, les progrès de la contraception, y compris l'interruption volontaire de grossesse, ce qu'on appelait l'avortement, tout cela est passé dans la société. Je vous ferai remarquer que les grandes confessions, et en particulier l'Eglise catholique ont été contre."
A. Duhamel : Et le sont toujours en ce qui concerne les catholiques.
- L.J : Bon, et cela n'a pas empêché le fait que c'est quelque chose d'admis tout à fait désormais dans les sociétés démocratiques. Il faut comprendre que les Eglises ont un message particulier qu'il faut respecter mais qui ne peut inspirer entièrement la vie sociale même si cela contribue au débat des idées."
G. Leclerc : Il y a quand même une question qui se pose : est-ce que le Pacs n'entraîne pas une espèce d'engrenage qui ferait que demain le mariage homosexuel sera effectivement autorisé et puis après demain l'adoption d'enfants par des couples homosexuels ? Est-ce que ce n'est pas dans la logique du Pacs ?
- L.J : Non, absolument pas. C'est justement parce qu'il est quelque chose d'autre, parce qu'il n'est pas ce mariage que vous n'avez pas du tout, vous, à le construire comme un engrenage. La position du Gouvernement est claire : l'acceptation par l'opinion, elle est que le Parlement contribue à régler des problèmes de vie commune, des problèmes de succession, des problèmes fiscaux, des problèmes sociaux. Elle n'est en rien, justement, que l'on construise une sorte de mariage-bis, voire de mariage homosexuel - si vous voulez cibler cette catégorie de la population - et donc nous nous en tiendrons là, totalement."
C. Sérillon : Débat à partir de demain jusqu'au 13 octobre. Pour parler de la crise, est-ce que vous avez le sentiment que la crise mondiale, les Bourses qui font le yoyo, l'impression que plus rien n'est vraiment contrôlé, est-ce que vous avez le sentiment que la France est à l'abri de cette crise ?
- L.J : A l'abri non, mais disons tout de même que si vous regardez la situation financière internationale, si vous regardez aussi les réalités économiques, l'orage tombe et la grêle tombe sur beaucoup de régions du monde et pas directement sur l'Europe aujourd'hui. Naturellement, je préférerais que la conjoncture mondiale soit bonne, je préférerais qu'il n'y ait pas eu de crises en Asie du Sud-Est, je préférerais que des décisions pour régler les créances douteuses dans les banques soient prises au Japon, je préférerais que le gouvernement précédent en Russie ait réglé mieux les problèmes de l'endettement de l'Etat, des grandes compagnies qui ne payent pas leurs impôts ; je souhaiterais aussi qu'il n'y ait pas cette situation politique particulière aux Etats-Unis qui ne facilite pas les prises de décisions.
Mais constatons au moins que l'Europe dans ce moment et dans cette conjoncture est un espace, est aussi une union - je pense à l'Union européenne - mieux préservée que ses voisins et que nous n'avons pas de raison, à partir de ce moment-là, de céder à la dramatisation. Nous ne pouvons pas être à l'abri, et d'ailleurs en France nous avons déjà intégré dans nos perspectives de croissance une perte sur les exportations à cause de cette situation en Asie, au Japon, peut-être en Amérique latine - la politique du Gouvernement y a contribué - et comme nous avons su rallumer les moteurs de la croissance intérieure, la consommation d'abord, notamment par du transfert de pouvoir d'achat vers les ménages en ne les ayant pas criblés d'impôts comme le gouvernement précédent qui avait ponctionné 120 milliards sur les ménages ; en développant ensuite l'investissement, je pense que les bases de la croissance en France sont solides et que nous avons eu raison de bâtir comme nous l'avons bâti le projet de budget de 1999. Cette crise internationale me préoccupe mais elle peut affecter l'Europe moins que d'autres. Nous avons d'ailleurs vu que la perspective de l'euro nous protégeait contre la spéculation sur les monnaies."
A. Duhamel : Face aux instabilités, face à la spéculation, est-ce que vous avez des recettes et des alliés pour essayer d'introduire un peu d'ordre, là-aussi, de réguler davantage ?
- L.J : Du concret, il y en a dans le mémorandum français qui a été transmis à nos partenaires de l'Union européenne par D. Strauss-Kahn. Alors, à ce moment-là, vous prenez ce mémorandum... Très bien..."
A. Duhamel : Mais vous, vous avez des interlocuteurs internationaux : qui vous comprend, qui vous aide, qui est d'accord sur quoi ?
- L.J : D'abord, je constate, qu'à travers cette crise financière, qui est quand même surtout une crise financière, et dont nous pourrions éviter qu'elle passe pour l'essentiel dans la sphère de l'économie réelle - comme on dit, la production, les échanges, les échanges de biens ou de services - que cette crise est avant tout financière, et qu'elle s'est produite en allant à l'encontre des théories libérales qu'on a professées jusqu'à ces dernières années, même s'il y a eu beaucoup d'évolutions dans ce domaine. On nous disait : il ne faut surtout pas que les Etats, les nations s'occupent de l'économie ; il ne faut surtout pas essayer de réguler ; les marchés réalisent automatiquement les équilibres qu'il convient. Cette crise est en train de démontrer que les idées libérales sont dangereuses à une époque de globalisation. Et quand on voit les marchés s'affoler, soit spéculer à la hausse - au point d'augmenter de 40 % en un an pour en quelques semaines perdre tout ce qu'ils ont gagné, ce qui représente quand même des comportements un peu irrationnels. Ils perdent en quelques semaines ce qu'ils ont gagné en un an. Donc, démarche doublement irrationnelle en quelque sorte !"
A. Duhamel : Alors, comment est-ce qu'on y met de l'ordre ?
- L.J : Eh bien, je constate une chose, d'abord, c'est qu'on se tourne vers les Etats, et qu'on se tourne vers les politiques. Et donc, il est important de savoir que la globalisation doit être régulée et que les Etats, représentant des peuples, doivent prendre des décisions. A mon avis, il faut agir sur trois plans. Il faut agir au plan national - mais peut-être souhaiterez-vous qu'on y vienne après - c'est-à-dire obtenir la croissance la plus grande possible, et pour lutter contre le chômage par ailleurs, utiliser les armes que nous avons utilisées - diminution du temps de travail, emplois-jeunes. Donc, je pense que la politique que nous avons suivie depuis seize mois est justifiée au sein de cette crise telle qu'elle se développe. Appuyer la croissance, lutter contre le chômage par une politique volontariste. Il faut agir ensuite au niveau européen, parce que les Européens sont une zone relativement préservée d'une part, et d'autre part, ils font 90 % de leurs échanges entre eux. Donc, si eux choisissent des politiques de croissance, je pense, alors, que nous pourrons éviter une partie de cette crise."
A. Duhamel : Et avec les autres ?
- L.J : Avec les autres ?"
A. Duhamel : Les non-européens ?
- L.J : Alors, là, ce sont les propositions que nous avons faites au niveau international, en nous appuyant sur l'Europe, à savoir : réorganiser le système monétaire international, le sommet du G7 des ministres de l'Economie et des Finances, qui s'est tenu à la fin de la semaine - dimanche, je crois - à Washington a pris quelques mesures qui sont relativement positives, en insistant sur la nécessité de la croissance, en demandant que les banques respectent des règles - que l'on appelle prudentielles - dans leur mode de fonctionnement. Pourquoi y a-t-il eu une crise en Asie ? Parce qu'une partie des banques dans les pays d'Asie du Sud-Est ont emprunté à court terme pour placer à long terme, et quand il y a eu un élément de trouble financier, naturellement, on a eu immédiatement une crise. Organisation du système monétaire international pour donner, notamment à son comité intérimaire la possibilité d'agir. Ce sont donc les idées françaises qui sont actuellement au coeur des discussions internationales, c'est-à-dire les idées d'organisation."
G. Leclerc : Revenons justement à la France. Vous évoquiez tout à l'heure le budget. Le problème, c'est que ce budget, il a été élaboré il y a quelques mois, avant la crise, et aujourd'hui, beaucoup ont le sentiment - les instituts de conjoncture, la Commission des comptes de la Nation - que ces hypothèses sont beaucoup trop optimistes, et que donc on ne tiendra pas la croissance qui est prévue. Est-ce que vous ne regrettez pas un budget qui est trop dépensier, est-ce que vous n'avez pas coupé votre blé en herbe ?
- L.J : Pardonnez-moi, mais je crains que ce soit une contradiction même que vous évoquiez là, parce que s'il y a moins de croissance, alors il faut que le budget soit quand même un budget minimum de soutien de la conjoncture. Et donc, le fait qu'on ait choisi, tout en réduisant le déficit budgétaire, tout en faisant en sorte que, pour la première fois depuis quatre ans, les prélèvements obligatoires vont baisser - ils baisseront en 1998, et ils doivent baisser en 1999."
G. Leclerc : Ils étaient à un niveau record en 1997 !
- L.J : Oui, mais enfin, en 1997, on a pris l'année en cours, au mois de juin. Donc les choses étaient lancées et on a plutôt corrigé les choses à cet égard. Eh bien, le fait d'avoir choisi, par exemple, d'augmenter les dépenses publiques de 1 % - ce qui n'est pas important..."
G. Leclerc : Ce qui est plus que la plupart des autres pays !
- L.J : C'est moins que la Grande-Bretagne, vous irez vérifier parce qu'ils sont obligés de relancer, de réagir face à la relance économique. 1 %, c'est un budget de soutien à la croissance, et donc je crois que nos choix ont été justes. Vous, vous prenez le budget comme un reflet de l'économie. Moi, je prends le budget aussi comme un instrument de lutte dans une conjoncture économique qui devient moins bonne. Et, en l'espèce, je pense que nos prévisions de croissance seront respectées. En 1998, on nous avait dit qu'on ne ferait pas 3. On va vraisemblablement faire 3,1. Nous avons ajusté légèrement à la baisse pour 1999, mais je pense que nous ferons 2,7 et je crois que nos prévisions seront respectées, à condition que les acteurs de la vie économique, en France et en Europe, continuent à parier sur la croissance, à la fois dans leur comportement de consommation et dans leurs décisions d'investissement."
A. Chabot : Bien sûr, les politiques n'interviennent pas directement auprès des banques centrales qui sont tout à fait indépendantes, mais vous, par exemple, vous souhaitez une baisse des taux d'intérêt ?
- L.J : Je constate que les taux d'intérêts sont bas aux Etats-Unis ; ils ont baissé au Japon ; ils sont heureusement très bas, notamment en France et en Allemagne, mais plus élevés à cause des taux italiens et des taux espagnols, même si les espagnols viennent de baisser. Je pense que l'on n'a pas intérêt à laisser la monnaie américaine se déprécier, parce que sinon cela aurait des conséquences pour nos exportations, et une des façons d'éviter que le dollar baisse, c'est évidemment aussi de voir comment évolueront nos propres taux d'intérêt. Donc moi, en tant que responsable politique, je fais passer ce message. Maintenant, après, c'est aux banques centrales de prendre les décisions.
Mais je pense qu'au niveau européen, notamment avec les nouveaux gouvernements, le nouveau gouvernement en Allemagne, je pense que nous pouvons espérer conduire, dans la période qui vient, sur les années qui viennent, des politiques davantage tournées vers la croissance. Il y a eu une proposition de M. Prodi d'utiliser une partie des réserves excessives de change pour gager des prêts pour des développements d'infrastructures. Moi, je me demande si on ne devrait pas penser, c'est une idée que je lance en tout cas, à un emprunt européen - l'Union européenne n'est absolument pas endettée - à un grand emprunt européen qui pourrait financer aussi des nouvelles technologies, des développements d'infrastructure, en tout cas, je suis convaincu que le nouveau Gouvernement allemand et que la plupart de mes collègues européens seront favorables, dans la conjoncture, à un soutien plus grand à la croissance et que cela nous aidera à passer cette phase un peu difficile. "
C. Sérillon : On va reparler de l'Europe tout à l'heure. Je voudrais vous poser une question : les 35 heures , hier M. Aubry parlait de 4 000 emplois. C'est pas terrible quand même, est-ce que cette loi est vraiment réussie ? Cela ne fait pas beaucoup d'emplois créés quand même ?
- L.J : Cela fait deux mois. Cela fait deux mois que les décrets d'application ont été ... "
C. Sérillon : Vous aviez dit combien jusqu'à la fin de l'année ?
- L.J : Non non, on s'est engagés sur les emplois-jeunes, cela, ça dépend du Gouvernement et ces engagements sont tenus. A la fin de l'année, nous serons à 150 000, la décision, elle est dans nos mains, et.... "
C. Sérillon : Mais les 35 heures...
- L.J : Les 35 heures, cela dépend des négociations. Il y a eu déjà 340 contrats signés par des entreprises et qui seront créateurs d'emploi. Un certain nombre d'accords ont été signés dans des branches, et à partir de ces accords de branches peuvent se faire des accords dans les entreprises...
G. Leclerc : Des accords de branches, il y en a certains, dans la métallurgie, déjà, et demain sans doute dans le bâtiment et dans le textile, où il n'y a pas de créations d'emploi. C'est compensé par des heures supplémentaires, c'est un détournement de la loi ?
- L.J : L'accord dans la métallurgie c'est quelque chose de spécial, ce n'est pas un accord... "
G. Leclerc : Oui, mais c'est une grande branche, un accord virtuel.
- L.J : Attendez, c'est une grande branche... mais j'étais au Salon de l'automobile ce matin - Mondial de l'automobile, dit-on maintenant -, j'ai vu un certain nombre de chefs d'entreprise, de grandes entreprises dites d'équipementiers, et on a parlé des 35 heures. Je ne dis pas qu'ils étais favorables à la loi des 35 heures, mais je leur ai demandé : quelle est la durée du travail chez vous ? 34 heures et demie, 35 heures, 37 heures, 37 heures et demie, c'est à dire qu'ils sont déjà - la plupart des patrons qui étaient en face de moi, et leur groupe très performant à l'exportation - étaient en dessous des 39 heures et pour certains, en dessous des 35 heures. Et ce sont des patrons qui appartiennent à l'UIMM, c'est-à-dire au secteur de la métallurgie entendu au sens large. Donc je suis convaincu, au contraire - M. Aubry me le disait encore hier - qu'il y a une dynamique de signature, des emplois, des contrats, pourquoi ? Parce que l'on peut avoir 3 gains : les chefs d'entreprises, à partir du moment où ils obtiennent, dans la discussion, de réorganiser le processus de travail, d'avoir plus de souplesse notamment dans les rythmes de travail ; les salariés parce qu'ils vont y gagner sans perdre de salaire, normalement - en tout cas, la plupart des contrats qui sont signés sont de cette nature -, ils vont y gagner un temps de loisir ou d'activités autres supplémentaire. Et puis la société, nous tous, parce que l'objectif est de créer des emplois - dans certains cas, c'est vrai, de ne pas faire des licenciements. Mais si vous ne faites pas des licenciements, G. Leclerc, c'est-à-dire aussi que vous avez des chômeurs en moins. Donc il peut y avoir des accords défensifs, mais il y a aussi des accords offensifs, et je pense que la dynamique au contraire, est lancée. J'y crois beaucoup, et en tout cas, si la croissance est plus faible, il faut bien utiliser d'autres armes si on veut faire reculer le chômage. Ce gouvernement n'est pas résigné au chômage. "
A. Duhamel : Mais L. Jospin, pour dire les choses carrément, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'il y a une partie du patronat qui essaye, soit de tourner la loi, soi même de la retourner à son avantage en faisant plus d'heures supplémentaires et de flexibilité que de la réduction du travail et de la création d'emplois ?
- L.J : Ce serait une illusion parce que..."
A. Duhamel : Est-ce qu'à votre avis, c'est une tentation qui existe ou pas ?
- L.J : C'est une tentation qui va s'arrêter, à mon sens, quand ces patrons en question auront compris que nous ne l'autoriserons pas par la loi. Donc, ce n'est pas la peine qu'ils essaient d'inventer des processus qui n'auront aucune réalité légale. Je pense que pour beaucoup de patrons, beaucoup de chefs d'entreprise, ce qui les intéresse c'est de produire, c'est d'innover, c'est d'exporter, c'est de réussir. Ils n'ont pas des réactions idéologiques. Cela, ça peut exister parfois chez certains dans telle ou telle fédération mais ce n'est pas le raisonnement de la plupart des patrons et je pense qu'ils peuvent trouver dans la négociation sur la réduction du temps de travail une occasion pour nouer des dialogues avec leurs cadres, avec leurs salariés et pour avancer, rénover les processus de production. Beaucoup font ce raisonnement."
C. Sérillon : Avançons dans les questions et dans les réponses.
A. Chabot : Une question qui est en point d'interrogation, c'est l'allégement des charges sur les bas salaires. On y réfléchit, on discute. Vous êtes pour ? Contre ? Dans quelle mesure et quand le Gouvernement décidera-t-il ? M. Aubry semble d'accord et D. Strauss-Kahn beaucoup moins, pour dire les choses, bien que cela ne soit jamais aussi simple que cela.
- L.J : Qu'il y ait des débats au sein du Gouvernement, que le ministre de l'Emploi et de la Solidarité n'ait pas automatiquement la même approche que le ministre de l'Economie et des Finances parce qu'ils ont des exigences qui sont, j'espère, convergentes..."
C. Sérillon : Mais rassurez-moi, ils s'entendent bien contrairement à ce que l'on dit ?
- L.J : Absolument. En tout état de cause, nous avancerons à notre rythme. Nous sommes quand même un Gouvernement qui en seize mois a considérablement fait bouger les choses dans la société française : sur le terrain de l'emploi avec la reprise de la croissance mais aussi avec les 35 heures, avec les emplois-jeunes ; sur le terrain de la justice et de la société avec les réformes de la justice ; sur le terrain éducatif et culturel avec notamment ces propositions que nous faisons pour l'audiovisuel public. Nous sommes un Gouvernement qui réforme."
A. Chabot : Mais là, à votre avis, est-ce que cela crée des emplois ?
- L.J : Vous pouvez aussi comprendre que nous allions à notre rythme. Cette question n'est pas mûre à mon sens. Elle n'est même pas mûre techniquement. Il y a eu un rapport fait par un grand économiste français, M. Malinvaud, qui est critique du transfert sur la valeur ajoutée de l'assiette des cotisations patronales. Il y a un débat au sein du mouvement syndical."
A. Duhamel : Cela sera mûr quand ? Au printemps ?
- L.J : Nous allons le faire mûrir dans les mois qui viennent."
A. Duhamel : Il y aura une serre pendant l'hiver ?
- L.J : Ecoutez, il ne faut pas tout faire à la fois. Nous avons aussi dans le projet de budget fait des réformes fiscales importantes qui favoriseront l'emploi - en ce qui concerne, par exemple, la taxe professionnelle - qui mettent en avant une fiscalité écologique, qui permettent d'aborder les problèmes de la fiscalité locale. Donc, on fait beaucoup de réformes, il faut les faire dans l'ordre et il ne faut pas non plus bousculer trop les habitudes. En plus, le Parlement ne peut pas prendre tous les textes à la fois."
G. Leclerc : Une question sur les retraites, un sujet de préoccupation - J. Chirac, d'ailleurs, hier, s'est dit préoccupé par ce sujet - et là, on vous soupçonne d'être un peu timoré, d'être trop prudent, un peu d'immobilisme...
A. Duhamel : Ou lent !
G. Leclerc : Et notamment d'éluder l'une des questions principales, qui est la création d'un système de retraites par capitalisation - des fonds de pension - à côté du système par répartition. Les autres pays l'ont déjà fait, pourquoi pas la France?
- L.J : Il y a un certain nombre de pays qui font des choses qui ne seraient pas acceptées en France, ou qui ne seraient même pas bonnes pour la France. Donc, cela, ce n'est pas un critère absolu. Nous ne sommes pas pour faire un système de retraites par capitalisation, qui soit remplacerait le système par répartition, soit même, pour la part trop grande qu'il prendrait, déséquilibrerait le système de retraites par répartition. Donc, nous n'irons pas dans cette direction."
G. Leclerc : Mais cela peut être un complément ?
- L.J : Exactement, mais nous avons admis que, sous certaines formes, des compléments pouvaient être envisagés, à condition qu'ils puissent être, par exemple, négociés dans les entreprises, sous forme de fonds salariaux, entre les entreprises et les salariés, ou à condition que l'Etat lui-même fasse un effort dans cette direction, et c'est d'ailleurs pourquoi Mme Aubry a annoncé, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, la création d'un fonds qui permettra, donc, d'abonder, comme cela, le financement futur des retraites. De toute façon, ce déséquilibre majeur, entre la population active, qui actuellement paye les cotisations des retraités d'aujourd'hui - les salariés d'aujourd'hui payant les retraites d'aujourd'hui - et la population active, l'écart qui va se creuser au détriment des actifs, en quelque sorte, c'est une question qui nous est posée pour dix, quinze ans. Donc, nous avons absolument la possibilité et le temps d'en bien situer, poser le diagnostic...."
A. Duhamel : On ne prend pas de retard ?
- L.J : Non, absolument pas. On ne prend pas de retard, à partir du moment où on se donne les moyens - et j'ai demandé au Commissariat au Plan, qui est un lieu d'expertise technique et en même temps de dialogue social, parce qu'il rencontre tous les acteurs, de me faire des propositions sur ce terrain. Ensuite, nous ouvrirons une discussion et une négociation, y compris devant les Français, qui doivent être mis devant les responsabilités et la réalité démographique du vieillissement de la population, et donc du problème du financement des retraites à terme. A quoi sert d'aller vite sur ce sujet si on doit s'arrêter en chemin, comme a dû le faire, par exemple, M. Juppé ? Donc, ce problème existe. Ce gouvernement le traitera. Il a toujours, depuis seize mois, traité les problèmes. Mais pardonnez-nous de traiter dans l'urgence ce qui est urgent, puis de poser les termes d'une solution pour ce qui vient plus tard. Mais cela sera fait indiscutablement, donc que le Président ne s'inquiète pas pour les retraites."
G. Leclerc : On va parler de l'Europe, une Europe totalement rose, ou quasiment !
A. Chabot : Vous disiez, tout à l'heure, que l'arrivée de M. Schröder au pouvoir en Allemagne allait sans doute faciliter les choses, pour mettre un petit peu d'huile dans la machine de l'emploi au niveau européen. Mais est-ce que vous en êtes aussi sûr, sachant que vous êtes tous socialistes, sociaux-démocrates, mais quand même assez différents. Il y en a un qui a fait campagne sur le nouveau centre - en Allemagne - vous, vous êtes à gauche - vous le dites toujours ; T. Blair, en Grande-Bretagne, c'est aussi plutôt du côté du centre. Alors est-ce que vous serez vraiment unis pour qu'il y ait en Europe une vraie Europe sociale qui se mette en place ?
- L.J : Le problème, pour nous, n'est pas de nous unir sur ces concepts, sur des définitions. Qu'est-ce que c'est que la Troisième voie, qu'est-ce que c'est que le nouveau centre ? Cela n'a pas d'intérêt. Le problème est de savoir si nous sommes capables de définir des pratiques communes, sur le terrain de l'emploi, sur le terrain de la croissance, sur le terrain des taux d'intérêt, sur le terrain des problèmes de sécurité, comment nous traitons ensemble le problème de l'immigration, c'est cela qui est important. Oui, je pense que les changements qui se sont opérés en Europe, le fait qu'en Italie d'abord - j'espère que le gouvernement Prodi va passer l'épreuve parlementaire qui est la sienne dans les deux jours qui viennent - puis ensuite en Grande-Bretagne, puis ensuite en France, et maintenant en Allemagne, c'est-à-dire dans quatre grands pays, et que dans un certain nombre d'autres pays - on dit onze sur quinze - qui ont des Premiers ministres socialistes ou sociaux-démocrates - dans deux autres, il y a des coalitions. Le fait que ces hommes, ou ces femmes - en l'occurrence, des hommes - qui se connaissent bien, et qui ont des approches communes sur la croissance, l'emploi, la justice sociale - j'espère l'harmonisation fiscale, même si ce sont des dossiers plus difficiles - le refus du dumping social, je pense que le fait que nous ayons ces visions communes sur des pratiques peut avoir des conséquences positives dans les années qui viennent. Et là, de ce point de vue, le changement en Allemagne - quels que soient le respect et l'admiration que j'avais pour H. Kohl en tant que personnage historique, et en tant qu'homme de très bonne compagnie - je pense que le changement en Allemagne va être très important, parce qu'on ne trouvera plus devant des propositions françaises le refus, un peu dogmatique, de certains libéraux ou de certains conservateurs allemands..."
A. Chabot : Du coup, vous n'avez plus d'excuses non plus pour dire : on n'a pas pu le faire !
- L.J : Mais vous savez, ce gouvernement, il ne pratique pas l'excuse, il essaye de travailler et d'avancer, ce n'est pas un gouvernement prétexte."
C. Sérillon : Qu'est-ce que c'est de gauche ? Parce que, moi, je me rappelle de la définition de la gauche en 1981, de la gauche en 1936, de la gauche de l'école laïque, mais aujourd'hui, c'est quoi ? C'est quoi la gauche aujourd'hui ?
- L.J : D'abord c'est ce que nous sommes en train de faire : un certain équilibre entre l'économique et le social. C'est le fait que quand on arrive, on dit : nous, on n'est pas résignés devant le chômage. On dit : eh bien, on fait une loi sur les 35 heures. On dit : on prend des emplois-jeunes. C'est le fait qu'on redonne une priorité à l'éducation, à la recherche, à la culture, c'est-à-dire ce qui à la fois embellit la vie et prépare l'avenir. C'est le fait que lorsqu'on prend des mesures fiscales, eh bien on rééquilibre ce qui pèse sur le capital et ce qui pèse sur le travail. Pas au point de pénaliser le capital et l'investissement parce qu'on est dans une économie ouverte mais au point quand même de rendre un peu justice. C'est le fait qu'on accorde une priorité au service public. Donc, c'est cette capacité à agir selon des règles dans l'ordre, comme je disais, mais avec une perspective, un mouvement, un changement qui permet à notre pays de s'adapter aux défis de cette fin de siècle."
C. Sérillon : Alors quelques questions sur la vie politique française : on a parlé du cumul des mandats, le Sénat va sans doute bloquer cette loi. Vous allez faire quoi ?
- L.J : Mais le Gouvernement poursuivra sa démarche réformatrice."
C. Sérillon : Mais s'il bloque vous faites quoi ?
- L.J : Je dois rencontrer M. Poncelet : je le fais par amitié. J'ai des rapports très cordiaux avec lui."
A. Duhamel : La cordialité.
- L.J : Non, mais je ne voudrais pas engager l'amitié de M. Poncelet à mon égard. Il vient me voir demain : c'est un acte de courtoisie républicaine que j'apprécie. Nous allons reprendre un dialogue que j'avais noué avec M. Monory honnêtement."
C. Sérillon : Mais en clair ils ne vont pas la voter cette loi sur le cumul des mandats ?
- L.J : Je pense qu'ils ne pourront pas tout refuser. Non, je pense que les Français ne l'accepteront pas. La lutte contre le cumul des mandats est un des objectifs, un des projets du Gouvernement qui est le plus populaire dans ce pays, avec d'autres, mais un des plus populaires. Je pense que les sénateurs auraient tort de refuser. Alors il est possible que je ne puisse pas obtenir ce que je souhaite, tout ce que le Gouvernement souhaite."
A. Duhamel : Le cumul, parlementaire-maire ?
- L.J : Non, mais moi je ne dis pas déjà - parce que..."
A. Duhamel : On sait bien ce que pensent les sénateurs.
- L.J : Eh bien, ils le diront d'abord, ils s'exprimeront devant l'opinion. Nous avancerons et puis si on doit s'arrêter à un stade, eh bien on trouvera une autre occasion ou d'autres façons de dépasser ce stade ultérieurement. Mais ils auraient tort de tout bloquer. Mais je pense qu'ils ne bloqueront pas tout. En tout cas, le Gouvernement, lui, est tout à fait déterminé."
G. Leclerc : Puisqu'on parle politique, on ne peut pas malheureusement ne pas parler des affaires. Une des dernières en date : la MNEF semble concerner des responsables socialistes dont certains, dit-on, vous seraient proches. Quel est votre sentiment ? Est-ce que cela vous inquiète ?
- L.J : Nous verrons bien si des responsables socialistes ou non sont concernés par l'affaire de la MNEF. Je considère que la presse doit faire son travail, mener ses enquêtes, la justice s'il y a lieu - la police judiciaire en est le bras armé -, mener des procédures s'il y a lieu de mener des procédures. Nous, nous faisons la transparence. Nous avions d'ailleurs demandé qu'un administrateur provisoire soit nommé et la Commission de contrôle des mutuelles, qui est un organisme totalement indépendant a dit qu'elle voulait d'abord faire un échange d'arguments avant de prendre sa décision. Il y a eu une mission de la Cour des comptes, un certain nombre de faits ont été transmis au Parquet donc des procédures judiciaires auront lieu peut-être et on verra qui sera en cause en cette circonstance. Et chacun assume individuellement sa propre responsabilité. C'est la seule chose que je peux dire. Ce que je voudrais simplement ajouter, c'est que je ne crois pas que les responsables politiques, eux, compte tenu de la diversité des problèmes et des affaires, aient intérêt à s'attaquer sur ce terrain. Qu'ils laissent faire la justice."
A. Chabot : On évoquait tout à l'heure les remarques que le Président de la République a fait, hier, en Conseil des ministres sur la protection sociale, son inquiétude à propos des retraites. Le Président fait régulièrement connaître son sentiment sur l'action du Gouvernement. Est-ce que vous considérez que c'est le jeu normal de la cohabitation ? Est-ce que de temps en temps vous êtes agacé ou est-ce que vous trouvez que c'est assez facile de travailler avec quelqu'un que M. Schröder a qualifié de social-démocrate modéré ?
- L.J : Je me suis demandé s'il n'y avait pas un brin de malice quand G. Schröder a dit cela à la télévision. Cela n'a pas tellement été relevé mais moi qui suis d'une nature assez malicieuse, j'étais amené à me demander..."
C. Sérillon : Vous ne vous étiez pas aperçu qu'il était social-démocrate, si je comprends bien ?
- L.J : Je sais qu'il avait été travailliste... Non, les relations avec le Président de la République se passent bien. Dans l'ordre international, nous sommes confrontés par exemple à cette crise du Kosovo : nous définissons ensemble l'approche qui doit être celle de la France, dans le respect des compétences éminentes naturellement du Président de la République en matière internationale et de défense. Mais en même temps ce domaine est forcément partagé parce que le Gouvernement est celui qui fournit, ensuite, les moyens de l'action, de l'accompagnement des décisions. Donc les choses se passent bien."
A. Chabot : Sur le plan intérieur ?
- L.J : ...Pour le reste, si le Président... Les Français sont d'ailleurs assez contents de la cohabitation ; il y a un sondage qui, paraît-il le dit. Bon. Alors moi je participe, si j'ose dire de leur..."
C. Sérillon : Vous êtes content...
L.J : Non, je participe de leur contentement parce que vous ne m'entendez jamais critiquer le Président de la République. Bon. Si le Président de la République émet des critiques, c'est sa responsabilité. Mais alors c'est à lui qu'il faut lui demander pourquoi il le fait. Simplement, par exemple, je l'ai entendu dire à la fin du Conseil des ministres - et ça a été évidemment donné à l'extérieur par son porte-parole - qu'il se ressentait comme le garant de la Sécurité sociale. Moi je suis très heureux qu'il se ressente comme le garant, puisque justement nous la garantissons. Parce que, pour être très clair : 96, déficit de la Sécurité sociale : 53 milliards ; 97, nous arrivons à faire descendre ce déficit à 33 milliards : 98, le déficit est de 13 milliards et notre objectif 99 : équilibre. Alors là. qui garantit la Sécurité sociale si ce n'est ce Gouvernement ?"
A. Duhamel : M. Jospin pourquoi avez-vous réagi comme si vous étiez piqué quand le Président du groupe communiste, A. Bocquet a dit "qu'on pouvait interpréter votre action politique à la tête du Gouvernement comme une stratégie présidentielle" ? Ca vous choque qu'on vous dise que vous vous intéressiez à la fonction présidentielle pour un jour ?
L.J : Ca ne me choque pas mais c'est totalement inexact. Je pense qu'il faut avoir une vision pour son propre pays, mais il faut fondamentalement vivre la politique au temps présent. Moi, ma fonction c'est de gouverner; c'est le mandat qui m'a été confié par le peuple français, en juin 97 et qui m'a été donné, traduisant ce vote, par la décision du Président de la République. Moi, je ne suis pas candidat à la présidence de la République. Vous voulez que je vous dise pourquoi?"
C. Sérillon : Parce que vous être Premier ministre ?
L.J : Parce qu'il y a un Président de la République. Ca vous avait peut-être échappé ?"
A. Duhamel : Oui, mais il y a aussi la fin d'un mandat ?
L.J : Eh bien on en est loin. Et moi je suis Premier ministre, et avec le Gouvernement, avec l'ensemble de mes ministres, c'est ça qui est notre tâche. Et je veux que les Français soient bien convaincus que c'est ça notre mission ; que c'est ça notre vision, parce que c'est exactement la réalité. Alors tout ce qui vise à déformer ça, ne me paraît pas utile."
C. Sérillon : M. Jospin, depuis cinquante minutes à peu près, nous conversons et nous sommes arrivés à l'échéance de cet entretien. Je suis très frappé... Vous êtes tranquille, assez sûr de vous au fond. Est-ce que vous n'avez pas oublié d'être un peu modeste ? Vous avez l'air de dire que tout va bien, et que ça marche, ça avance en son temps...
L.J : Je suis calme, mais je ne suis pas passif et je ne suis pas tranquille, parce que les problèmes sont là ; on en a évoqués un certain nombre ; que ce soit des problèmes du quotidien - la sécurité par exemple, aujourd'hui. ces jours-ci ; que ce soit des problèmes d'un certain nombre de nuages qui s'accumulent - même si l'Europe peut. Peut-être, être mieux préservée ; mais il me faut en même temps être calme. Si j'argumente face à vos questions, c'est parce que j'ai des convictions, parce que je suis plutôt un peu fier de ce qu'essaie de faire le Gouvernement que je dirige. Mais je ne suis pas du tout animé par l'esprit de certitude. De toute façon autour de moi il y a beaucoup de gens qui m'interpellent, me questionnent. Et donc.... Non, ne vous trompez pas là-dessus.
Simplement, il faut bien que, dans la responsabilité qui soit la mienne, j'aie un minimum de tranquillité. un minimum de calme. que je ne cède pas à l'affolement, que je ne cède pas aux - comment dirais-je ? - aux enthousiasmes, tout d'un coup aux dépressions du moment. Et c'est cela qui me guide. C'est cela aussi qui guide l'équipe que j'ai l'honneur de diriger. Vous savez, revenons un instant sur la politique et la crise : dans les éléments de cette crise, telle qu'elle se produit à l'échelle internationale, sur le plan financier, il y a aussi des éléments politiques. La crise en Asie du Sud-Est a été une crise du modèle de développement ; modèle de développement beaucoup trop injuste, fondé aussi sur, souvent, la corruption et avec des pouvoirs autoritaires. S'il y a une crise au Japon, c'est parce que, pour le moment, le système n'arrive pas à prendre un certain nombre de décisions qui seraient nécessaires pour régler le problèmes de ces créances douteuses. Et c'est absolument nécessaire. Et j'espère que le Gouvernement japonais va le faire. S'il y a une crise en Russie, que certains problèmes ne sont pas résolus, notamment le problème de l'endettement, c'est parce qu'il y a une crise politique et une crise de la transition. Alors en France, les Français le disent : on a la chance d'avoir un pouvoir politique stable. Eh bien il faut raisonnablement s'en réjouir."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2001)
- Lionel Jospin : Evidemment, j'ai appris cet accident absolument tragique avec plus d'une vingtaine de nos ressortissants, des retraités qui ont été tués, peut-être quelques disparus. Et donc, je voulais dire mon émotion, naturellement, aux familles qui sont touchées, et envoyer un message de solidarité à ceux qui sont blessés, rescapés ; d'ailleurs Mme Demessine, la ministre du Tourisme part et sera demain à leurs côtés, et nous nous informerons, bien sûr, auprès des autorités espagnoles pour savoir ce qui s'est passé. "
C. Sérillon : Vingt morts, trente-huit blessés, on nous disait tout à l'heure. Je souhaitais que vous réagissiez à ces réactions, à ces réflexes d'usagers pour lesquels, depuis plusieurs jours, c'est la galère. C'est difficile de se transporter, c'est difficile d'aller à son travail, ils y vont quand même ; et puis au fait que des personnes soient agressées régulièrement. Ce n'est pas tout nouveau, vous le saviez ; hier, en urgence, vous avez voulu préparer des décisions. Que pouvez-vous ce soir annoncer à celles et ceux, soit qui subissent ces violences, soit qui, indirectement, quand ils sont usagers, subissent ces grèves ?
- L.J : L'insécurité est un problème majeur dans nos sociétés, maintenant. L'insécurité dans les transports, mais cela peut être l'insécurité sanitaire, cela peut être l'insécurité sociale, et donc, dans nos sociétés, nous devons rendre la vie plus sûre pour nos concitoyens.
En ce qui concerne les transports, bien sûr ce n'est pas nouveau et avant de dire un certain nombre de choses que nous allons faire, et c'est à cette attention que j'ai réuni hier le ministre des Transports J.-C. Gayssot, le ministre de l'Intérieur par intérim J.-J. Queyranne, le ministre de la Justice, Mme Guigou, parce que nous allons agir aussi sur ce plan, le ministre de la Ville, parce qu'il s'agit de tout un problème d'environnement, avec les deux responsables des deux entreprises - en tout cas avec le président de la RATP, M. Bailly, et avec le secrétaire général de la SNCF, M. Gallois étant encore à l'étranger à ce moment-là. Donc, nous inscrivons les décisions que nous avons prises hier, ou que nous préparons, dans un mouvement de travail que les entreprises ont déjà mené contre l'insécurité.
Mais avant, peut-être, de dire un mot de ce que nous allons faire, je voudrais insister sur le fait qu'il y a un certain nombre de messages à faire passer à nos concitoyens. L'insécurité, c'est un problème qui nous concerne tous ; l'insécurité, elle est créée par des hommes, par des femmes ou par des jeunes. Et à ces jeunes - non pas la masse de la jeunesse, qui vit sa vie tranquillement, harmonieusement - mais à ces jeunes qui pratiquent ces agressions, ces outrages, je voudrais dire que leur attitude est totalement absurde. Elle est absurde parce qu'elle se dresse contre des hommes ou contre des femmes - conducteurs de bus ou employés de la SNCF - qui rendent un service, un service public, qui leur rendent service, qui les ramènent dans leur banlieue ou dans leur quartier. Et donc, ils se tournent vers ceux qui sont chargés de les servir, c'est donc absurde. C'est une attitude autodestructrice.
Je voudrais leur dire d'ailleurs que ces actes seront sanctionnés, et qu'ils le sont. Il n'y a pas d'impunité. Il faut savoir que la personne qui a agressé un chauffeur de bus sur la ligne 75 a été arrêtée dans la journée et il sera jugé dans un mois. Il faut savoir que 5 des jeunes dont on pense qu'ils sont responsables des agressions qui ont eu lieu sur la ligne Paris-Mantes ont été arrêtés dans les deux jours et ils ont été traduits devant la justice immédiatement. Il faut savoir aussi que ceux qui ont agressé par gaz lacrymogène un autre salarié des transports ont été interpellés, à la suite de cela, dans les deux jours. Donc il n'y a pas d'impunité, et il y a d'autant moins d'impunité que de plus en plus, les agents de sécurité, qu'ils soient des entreprises ou qu'ils soient des forces de police dont c'est la mission, seront extrêmement vite sur les lieux et donc pourront agir très vite. Donc, je veux tenir ce message à ces jeunes, dire qu'il ne s'agit pas d'un jeu et qu'ils seront sanctionnés extrêmement lourdement, j'y reviendrai quand nous parlerons des mesures.
Je veux aussi adresser un message aux parents. Quand il s'agit de très jeunes adolescents, de 13 ans ou 14 ans, c'est à leurs parents de les tenir, c'est à eux de les prendre en charge, c'est leur responsabilité ; on ne peut pas toujours se tourner vers les autres. Donc je voudrais dire aux agents de la SNCF et de la RATP que les efforts pour la sécurité seront poursuivis. En même temps, j'ai envie de leur dire - je sais bien que c'est difficile de dire cela, mais je veux le dire quand même - attention à ne pas sur-réagir. Je me réjouis que le travail ait repris à la RATP, dans les bus, à la SNCF..... "
C. Sérillon : Vous imaginez la vie qu'ils ont au quotidien, quand ils se font cracher dessus, quand ils sont agressés ?
- L.J : J'imagine. Jeudi le travail a repris à la RATP, dans les bus, dans le métro. Je pense qu'il y a d'autres problèmes à la SNCF et pas simplement les problèmes de la sécurité qui expliquent, peut-être, que le mouvement dure aujourd'hui. Mais je voudrais leur dire que, si on surréagit, d'une certaine façon on attise la tentation chez ces jeunes. Donc il faut que nous agissions, tous ensemble, pour éliminer ces actes d'incivilité. Et il faut aussi penser qu'il y a des millions de salariés naturellement qui, dans leur vie quotidienne se trouvent aussi pénalisés. Donc à partir d'un acte isolé, qu'il faut identifier et qu'il faut châtier, attention à ne pas faire des processus en cascade, qui s'élargissent trop, parce qu'on fait le jeu des violents et des casseurs."
G. Leclerc : En attendant, les cheminots et tous les grévistes demandent, ce soir, des mesures d'urgence un véritable plan d'urgence. Ils se sentent abandonnés. Avez-vous, vraiment, de nouvelles mesures à leur présenter ?
- L.J : Je ne pense pas qu'ils se sentent abandonnés..."
G. Leclerc : Un sentiment d'abandon, ils le disent tous...
- L.J : Les entreprises consacrent maintenant à cet effort de sécurité, des effectifs importants et qui doivent d'ailleurs augmenter, aussi bien à la RATP qu'à la SNCF. En quelques jours, nous avons décidé de mettre plus de 400 hommes supplémentaires dans les bus, dans le métro, et sur des lignes de banlieue. Donc immédiatement nous avons mobilisé des forces de police. Mais je pense qu'il y a une action à plus long terme qui doit être prise. D'abord, je voudrais annoncer notre intention, en ce qui concerne des dispositions pénales. Nous allons faire en sorte que, lorsqu'il y a outrage, violence, injure, atteinte à des agents des transports publics - de ces services publics - de la part de telle ou telle personne - quel que soit son âge ou sa catégorie -, ce sera, désormais, des circonstances aggravantes. Et nous saisirons l'occasion d'un des prochains projet de loi de réforme de la justice pour insérer des dispositions de ce type."
C. Sérillon : Dans le Code pénal ?
- L.J : Absolument ! Nous allons également - comme cela est le cas actuellement, par exemple, pour des atteintes à des policiers -, nous allons également faire en sorte que les agents de transport puissent procéder à des vérifications d'identité, en étant aidés pour cela par des officiers de police judiciaire. Mais ces officiers de police judiciaire, permettront, au fond, de donner cette autorité - du moment qu'ils couvriront des opérations de vérification d'identité - à ces personnels. La présence humaine dans les bus ; la présence humaine, aussi, dans les gares - et notamment dans les gares isolées - ; la présence humaine - à des heures où sur des lignes, par exemple, de terminus, où se produisent ces agressions, parce qu'elles ne se produisent pas, en règle générale, aux heures de pointe, aux moment où il y a les grands mouvements -, doit être absolument accrue. Et là, naturellement, je ne peux pas, moi, je ne veux pas plus exactement, prendre des décisions à la place des entreprises - la SNCF et la RATP. Nous avons eu leurs responsables ; ils connaissent nos intentions ; mais des décisions doivent être prises, pour étoffer la présence humaine à ces moments et dans ces lieux."
C. Sérillon : Ca veut dire faire l'inverse de ce qu'on a fait depuis des années ?
- L.J : Exactement. Mais je crois qu'on est en train de se rendre compte que la machine, elle n'est pas l'élément qui permet des rapports humains stables, et qu'il faut "réhumaniser" ces modes de transport, même s'ils doivent connaître, naturellement, les progrès technologiques qu'impose le transport de masse. On a tous été fiers quand même de la façon dont les transports publics d'Ile-de-France ont acheminé, en quelques heures, en quelques dizaines de minutes, des centaines de milliers de personnes pour la Coupe du monde. Alors ces performances on doit les manifester au quotidien. Mais ça prouve la force du service public. Et donc cette force du service public il faut la retrouver au quotidien."
G. Leclerc : Mais depuis des années, les entreprises de transport, et en particulier la SNCF, suppriment des emplois, des milliers d'emplois. Il faut aujourd'hui renverser la tendance, recommencer à créer des emplois à la SNCF ?
- L.J : Nous avons déjà renversé la tendance, voudrais-je vous faire remarquer, parce que le taux de suppression à la SNCF était d'environ 5000 personnes par an. Nous sommes actuellement descendu à 1500, c'est-à-dire... Et là, c'est à l'entreprise, aussi, d'examiner avec sa politique de personnels. Je n'ai pas, moi, à donner des instruction, en particulier à la télé, à M. Gallois. Mais il est certain qu'à la SNCF, il y a un dialogue social à nouer, peut-être avec force. Et naturellement, le ministre des Transport, J.-C. Gayssot, qui a la tutelle, y veillera. Donc, coordination aussi : mesures législatives de caractère pénal ; renforcement de la présence des agents, notamment des agents de sécurité au moment opportun et sur les lieux plus isolés ; meilleure coordination entre les forces de police et les agents de la SNCF et de la RATP, même si des progrès considérables ont été faits dans ce domaine ; et puis la mise en place d'équipements de sécurité. Il faut savoir que d'ici 1999, 2000 des 4000 bus parisiens et de la région parisienne, seront équipés d'équipements qui leur permettront d'être identifiés. Et donc si une agression se produit, immédiatement on pourra se rendre sur les lieux avec une très grande efficacité. Et donc c'est tous ces systèmes de protection - les cabines anti-agression, par exemple, les liaisons radio entre les agents - que la SNCF et la RATP doivent développer systématiquement."
A. Chabot : Est-ce que cela suffit ? Parce qu'on a l'impression qu'on met beaucoup de policiers, on mettra d'autres agents d'ambiance avec, par exemple, des emplois-jeunes. Est-ce qu'à votre avis, c'est suffisant ? Vous faisiez appel tout à l'heure aux parents. C'est vrai qu'il y a un vrai phénomène de violence dans cette société, est-ce qu'il ne faut pas aller plus loin ? Ce n'est pas sans arrêt en mettant des policiers qu'on arrivera à résoudre vraiment les problèmes de sécurité.
- L.J : Mais c'est un peu pourquoi, j'ai commencé, non pas par annoncer les mesures qui sont nécessaires, mais j'ai commencé par cette forme d'appel, cet appel à la responsabilité, à la conscience. Je l'adresse à la fois aux jeunes, y compris à ceux qui ont la tentation de se laisser aller et aux parents ; naturellement aux éducateurs mais les éducateurs, ils le font dans les collèges, dans les lycées. Vous savez d'ailleurs que nous avons insisté davantage sur le respect des règles, le respect des normes, sur l'instruction civique. Au fond, moi, je veux vous dire mon sentiment en prenant les choses, un instant, plus largement puisque nous avons commencé par les problèmes concrets et les mesures. Au cours du XIXe siècle et du XXe siècle, on a tendu à opposer... A. Duhamel connaît bien ça, qui connaît..."
A. Chabot : Il n'était pas au XIXe !
- L.J : Non, mais il connaît l'histoire des idées politiques. C'était cela que je voulais dire."
A. Duhamel : Oui, oui, ne soyez pas désobligeant !
- L.J : On a tendu à opposer le parti de l'ordre et le parti du mouvement. La droite, c'était le parti de l'ordre, la gauche, c'était le parti du mouvement et du progrès. Moi, je pense que ces oppositions aujourd'hui doivent être dépassées. Je l'ai d'ailleurs déjà indiqué. Moi, je suis attaché à la réforme. Je veux être toujours représentatif du parti du mouvement, mais je veux que ce mouvement soit fait dans l'ordre. Nous avons besoin de règles ; nous avons besoin de normes ; nous avons besoin de repères. Je m'efforce moi-même d'en respecter dans ma pratique politique, dans mon action de gouverner, des règles républicaines. Et il faut ce retour aux normes, à la règle et à ce que j'appellerais un ordre pour que la société puisse avancer, pour que la société puisse se réformer."
A. Duhamel : Donc, l'ordre peut être une valeur de gauche ?
- L.J : Mais je vous..."
A. Duhamel : L'ordre est une valeur de gauche pour vous ?
- L.J : A condition que ce soit un cadre républicain, un cadre démocratique, un cadre respectueux des autres - pas un ordre imposé naturellement - un ordre voulu consciemment, un ordre partagé pour bouger, pour faire des réformes, pour faire avancer le mouvement."
A. Duhamel : Face à la violence des très jeunes, des enfants, des pré-adolescents, des filles maintenant, dans les écoles, en dehors des écoles, certains de vos amis - par exemple, T. Blair en Grande-Bretagne - sont partisans de ce que l'on appelle la tolérance zéro qui est stricte. Quelquefois, cela va même pour les plus jeunes jusqu'à leur interdire de sortir le soir après neuf heures. Est-ce que c'est une évolution qui vous paraît correspondre justement à l'ordre selon la gauche, ça ?
- L.J : Mais nous avons déjà abordé ces problèmes de la délinquance."
A. Duhamel : Chez les très jeunes !
- L.J : Exactement."
A. Duhamel : De plus en plus jeunes !
- L.J : Oui, c'est exact. Aussi parce qu'il y a des familles déstructurées, mais peut-être aussi parce qu'il faut rappeler partout, c'est notre responsabilité à tous - et les vivre aussi, ces règles et ces normes. Nous avons déjà traiter ce sujet, vous le savez, dans un Conseil de sécurité intérieurs, que j'ai mis en place, et nous avons noué le dialogue entre le ministre de l'Intérieur, J.-P. Chevènement et E. Guigou parce qu'il faut concilier les approches, je dirais, policière et judiciaire, répressive et éducative en même temps. Au prochain Conseil de sécurité intérieure, nous allons reprendre cette question parce qu'elle est urgente et nous prendrons les décisions qui seront nécessaire pour faire reculer cette forme de criminalité, y compris parce qu'elle est autodestructrice. C'est ce que je disais tout à l'heure. Ces jeunes s'abîment eux-mêmes dans ce processus et ils se heurteront aux sanctions de la loi."
C. Sérillon : Quel signe d'échec pour notre société quand même, non ?
- L.J : Si c'est un signe d'échec pour notre société, nous en sommes tous responsables et nous devons tous lutter contre, chacun à notre niveau de responsabilité. J'assume le mien, dans mes responsabilités de Gouvernement et le Gouvernement fait de même. Vous le savez depuis le début."
C. Sérillon : Voilà pour la première partie consacrée aux transports et aux violences. On va parler maintenant du Pacs, le Pacte de solidarité. Est-ce que vous appuyez pleinement cette loi ? Est-ce que vous en êtes totalement convaincu ou est-ce qu'au fond, vous êtes prêt à l'aménager ? Est-ce qu'il y avait vraiment la nécessité de faire une loi d'ailleurs ?
A. Duhamel : Et puis est-ce que vous avez évolué vous-même là-dessus ?
- L.J : Le problème de mon évolution n'est pas tellement important."
A. Duhamel : Il est éclairant parce que c'est vrai de beaucoup de gens.
- L.J : Oui mais alors, à travers les années si vous voulez. Dans la campagne législative, j'avais dit que des mesures devraient être prises pour régler par des mesures dans l'ordre fiscal, dans l'ordre social, dans l'ordre successoral des successions, des problèmes que vivent des personnes qui vivent en commun, qui ont une vie commune et qui ne sont pas soit des hommes et des femmes mariés qui ne choisissent pas le mariage, ou à qui d'une certaine façon le mariage est interdit parce que le mariage ou la famille sont des institutions particulières et qu'il fallait régler ces problèmes. C'est ce que nous faisons. Je dois dire que si l'opposition qui a choisi dans cette affaire, non pas de s'opposer vraiment par conviction à ces mesures que nous préconisons, parce que je pense que dans son for intérieur et quand on discute avec elle, sauf peut-être des milieux de la droite..."
C. Sérillon : On en a montré tout à l'heure.
- L.J : Vous les avez montrés. Vous avez montré en quoi ils étaient liés à une secte brésilienne."
C. Sérillon : Pas tous.
- L.J : Non, mais ce sont des éléments qui sont quand même souvent très à droite. Nous rencontrons beaucoup de nos collègues qui comprennent que ces mesures doivent être prises. Ils ont choisi de s'opposer parce qu'il faut s'opposer. Je crois au contraire qu'il doit y avoir des sujets de société qu'on aborde sans passion pour les faire avancer. Et c'est eux qui créent des problèmes là où il n'y en a pas. Le Pacs est un pacte. C'est un contrat entre deux personnes. Certaines effectivement peuvent être et sont homosexuelles et ont besoin de voir régler un certain nombre de problèmes dans leur vie commune. Ne cherchons pas à le cacher. C'est fait aussi pour cela. Certains ne sont pas cette situation et ont besoin de choisir ces formes de contrat pour régler des problèmes de leur vie commune. Si on n'y avait pas mis autant de passion, je pense qu'on aurait avancé avec beaucoup moins de trouble."
A. Chabot : Vous disiez justement : pendant ma campagne, je l'ai dit, il faudra prendre des dispositions, des mesures. Alors on se demande justement pourquoi une loi qui suscite tant de passion - parce qu'on ne fait rien sans passion dans notre pays ? Pourquoi ne pas avoir pris des dispositions pour changer le code des impôts, le droit des successions ? Ce serait passé peut-être plus tranquillement alors que maintenant on a une proposition de loi qui part un peu dans tous les sens ?
A. Duhamel : Pourquoi pas des mesures ponctuelles au lieu d'une loi-opéra ?
- L.J : D'abord cette loi ne part dans tous les sens. Elle sera abordée demain, présentée par E. Guigou, et les choses vont se dérouler, à mon sens, normalement. Cette loi sera votée et elle est comprise par les Français parce qu'ils comprennent qu'en rien cela ne menace l'institution familiale. Le mariage c'est une institution de la société. La famille, ce sont des parents, des hommes et des femmes avec des enfants. Et, là, il ne s'agit pas de cela. Il n'y a ni les devoirs du mariage, ni les privilèges - si on peut dire - du mariage. En particulier, vous savez très bien que l'adoption est interdite et le restera, que la procréation artificielle permettant donc la filiation est également interdite et le restera. Donc, je pense que c'est un projet qui prend en compte une évolution de la société, que les Français qui ont beaucoup de bon sens le comprennent et que cela se passera, je pense, tranquillement."
A. Duhamel : Quand les autorités religieuses, pas la droite mais les autorités religieuses et des différentes confessions manifestent énormément de réserves et disent craindre - et sûrement pensent craindre, et craignent réellement - qu'il s'agisse, selon les mots qu'ils emploient, soit de mariage-bis, soit de sous-mariage, soit d'une étape vers le mariage des homosexuels, est-ce que cela ne vous trouble pas ? Cette conjonction des instituions religieuses de confessions différentes ?
- L.J : Non, cela ne me trouble pas parce que les confessions religieuses et les institutions religieuses ont une mission particulière : je la comprend et je la respecte. Elle porte un message qui est un message de la révélation, qui est aussi un message du dogme et qui est aussi un message de valeur naturellement. Ces messages sont absolument essentiels à notre vie en société. Mais je vais prendre un autre exemple : vous admettrez que depuis la loi Veil de 1976, je crois, les progrès de la contraception, y compris l'interruption volontaire de grossesse, ce qu'on appelait l'avortement, tout cela est passé dans la société. Je vous ferai remarquer que les grandes confessions, et en particulier l'Eglise catholique ont été contre."
A. Duhamel : Et le sont toujours en ce qui concerne les catholiques.
- L.J : Bon, et cela n'a pas empêché le fait que c'est quelque chose d'admis tout à fait désormais dans les sociétés démocratiques. Il faut comprendre que les Eglises ont un message particulier qu'il faut respecter mais qui ne peut inspirer entièrement la vie sociale même si cela contribue au débat des idées."
G. Leclerc : Il y a quand même une question qui se pose : est-ce que le Pacs n'entraîne pas une espèce d'engrenage qui ferait que demain le mariage homosexuel sera effectivement autorisé et puis après demain l'adoption d'enfants par des couples homosexuels ? Est-ce que ce n'est pas dans la logique du Pacs ?
- L.J : Non, absolument pas. C'est justement parce qu'il est quelque chose d'autre, parce qu'il n'est pas ce mariage que vous n'avez pas du tout, vous, à le construire comme un engrenage. La position du Gouvernement est claire : l'acceptation par l'opinion, elle est que le Parlement contribue à régler des problèmes de vie commune, des problèmes de succession, des problèmes fiscaux, des problèmes sociaux. Elle n'est en rien, justement, que l'on construise une sorte de mariage-bis, voire de mariage homosexuel - si vous voulez cibler cette catégorie de la population - et donc nous nous en tiendrons là, totalement."
C. Sérillon : Débat à partir de demain jusqu'au 13 octobre. Pour parler de la crise, est-ce que vous avez le sentiment que la crise mondiale, les Bourses qui font le yoyo, l'impression que plus rien n'est vraiment contrôlé, est-ce que vous avez le sentiment que la France est à l'abri de cette crise ?
- L.J : A l'abri non, mais disons tout de même que si vous regardez la situation financière internationale, si vous regardez aussi les réalités économiques, l'orage tombe et la grêle tombe sur beaucoup de régions du monde et pas directement sur l'Europe aujourd'hui. Naturellement, je préférerais que la conjoncture mondiale soit bonne, je préférerais qu'il n'y ait pas eu de crises en Asie du Sud-Est, je préférerais que des décisions pour régler les créances douteuses dans les banques soient prises au Japon, je préférerais que le gouvernement précédent en Russie ait réglé mieux les problèmes de l'endettement de l'Etat, des grandes compagnies qui ne payent pas leurs impôts ; je souhaiterais aussi qu'il n'y ait pas cette situation politique particulière aux Etats-Unis qui ne facilite pas les prises de décisions.
Mais constatons au moins que l'Europe dans ce moment et dans cette conjoncture est un espace, est aussi une union - je pense à l'Union européenne - mieux préservée que ses voisins et que nous n'avons pas de raison, à partir de ce moment-là, de céder à la dramatisation. Nous ne pouvons pas être à l'abri, et d'ailleurs en France nous avons déjà intégré dans nos perspectives de croissance une perte sur les exportations à cause de cette situation en Asie, au Japon, peut-être en Amérique latine - la politique du Gouvernement y a contribué - et comme nous avons su rallumer les moteurs de la croissance intérieure, la consommation d'abord, notamment par du transfert de pouvoir d'achat vers les ménages en ne les ayant pas criblés d'impôts comme le gouvernement précédent qui avait ponctionné 120 milliards sur les ménages ; en développant ensuite l'investissement, je pense que les bases de la croissance en France sont solides et que nous avons eu raison de bâtir comme nous l'avons bâti le projet de budget de 1999. Cette crise internationale me préoccupe mais elle peut affecter l'Europe moins que d'autres. Nous avons d'ailleurs vu que la perspective de l'euro nous protégeait contre la spéculation sur les monnaies."
A. Duhamel : Face aux instabilités, face à la spéculation, est-ce que vous avez des recettes et des alliés pour essayer d'introduire un peu d'ordre, là-aussi, de réguler davantage ?
- L.J : Du concret, il y en a dans le mémorandum français qui a été transmis à nos partenaires de l'Union européenne par D. Strauss-Kahn. Alors, à ce moment-là, vous prenez ce mémorandum... Très bien..."
A. Duhamel : Mais vous, vous avez des interlocuteurs internationaux : qui vous comprend, qui vous aide, qui est d'accord sur quoi ?
- L.J : D'abord, je constate, qu'à travers cette crise financière, qui est quand même surtout une crise financière, et dont nous pourrions éviter qu'elle passe pour l'essentiel dans la sphère de l'économie réelle - comme on dit, la production, les échanges, les échanges de biens ou de services - que cette crise est avant tout financière, et qu'elle s'est produite en allant à l'encontre des théories libérales qu'on a professées jusqu'à ces dernières années, même s'il y a eu beaucoup d'évolutions dans ce domaine. On nous disait : il ne faut surtout pas que les Etats, les nations s'occupent de l'économie ; il ne faut surtout pas essayer de réguler ; les marchés réalisent automatiquement les équilibres qu'il convient. Cette crise est en train de démontrer que les idées libérales sont dangereuses à une époque de globalisation. Et quand on voit les marchés s'affoler, soit spéculer à la hausse - au point d'augmenter de 40 % en un an pour en quelques semaines perdre tout ce qu'ils ont gagné, ce qui représente quand même des comportements un peu irrationnels. Ils perdent en quelques semaines ce qu'ils ont gagné en un an. Donc, démarche doublement irrationnelle en quelque sorte !"
A. Duhamel : Alors, comment est-ce qu'on y met de l'ordre ?
- L.J : Eh bien, je constate une chose, d'abord, c'est qu'on se tourne vers les Etats, et qu'on se tourne vers les politiques. Et donc, il est important de savoir que la globalisation doit être régulée et que les Etats, représentant des peuples, doivent prendre des décisions. A mon avis, il faut agir sur trois plans. Il faut agir au plan national - mais peut-être souhaiterez-vous qu'on y vienne après - c'est-à-dire obtenir la croissance la plus grande possible, et pour lutter contre le chômage par ailleurs, utiliser les armes que nous avons utilisées - diminution du temps de travail, emplois-jeunes. Donc, je pense que la politique que nous avons suivie depuis seize mois est justifiée au sein de cette crise telle qu'elle se développe. Appuyer la croissance, lutter contre le chômage par une politique volontariste. Il faut agir ensuite au niveau européen, parce que les Européens sont une zone relativement préservée d'une part, et d'autre part, ils font 90 % de leurs échanges entre eux. Donc, si eux choisissent des politiques de croissance, je pense, alors, que nous pourrons éviter une partie de cette crise."
A. Duhamel : Et avec les autres ?
- L.J : Avec les autres ?"
A. Duhamel : Les non-européens ?
- L.J : Alors, là, ce sont les propositions que nous avons faites au niveau international, en nous appuyant sur l'Europe, à savoir : réorganiser le système monétaire international, le sommet du G7 des ministres de l'Economie et des Finances, qui s'est tenu à la fin de la semaine - dimanche, je crois - à Washington a pris quelques mesures qui sont relativement positives, en insistant sur la nécessité de la croissance, en demandant que les banques respectent des règles - que l'on appelle prudentielles - dans leur mode de fonctionnement. Pourquoi y a-t-il eu une crise en Asie ? Parce qu'une partie des banques dans les pays d'Asie du Sud-Est ont emprunté à court terme pour placer à long terme, et quand il y a eu un élément de trouble financier, naturellement, on a eu immédiatement une crise. Organisation du système monétaire international pour donner, notamment à son comité intérimaire la possibilité d'agir. Ce sont donc les idées françaises qui sont actuellement au coeur des discussions internationales, c'est-à-dire les idées d'organisation."
G. Leclerc : Revenons justement à la France. Vous évoquiez tout à l'heure le budget. Le problème, c'est que ce budget, il a été élaboré il y a quelques mois, avant la crise, et aujourd'hui, beaucoup ont le sentiment - les instituts de conjoncture, la Commission des comptes de la Nation - que ces hypothèses sont beaucoup trop optimistes, et que donc on ne tiendra pas la croissance qui est prévue. Est-ce que vous ne regrettez pas un budget qui est trop dépensier, est-ce que vous n'avez pas coupé votre blé en herbe ?
- L.J : Pardonnez-moi, mais je crains que ce soit une contradiction même que vous évoquiez là, parce que s'il y a moins de croissance, alors il faut que le budget soit quand même un budget minimum de soutien de la conjoncture. Et donc, le fait qu'on ait choisi, tout en réduisant le déficit budgétaire, tout en faisant en sorte que, pour la première fois depuis quatre ans, les prélèvements obligatoires vont baisser - ils baisseront en 1998, et ils doivent baisser en 1999."
G. Leclerc : Ils étaient à un niveau record en 1997 !
- L.J : Oui, mais enfin, en 1997, on a pris l'année en cours, au mois de juin. Donc les choses étaient lancées et on a plutôt corrigé les choses à cet égard. Eh bien, le fait d'avoir choisi, par exemple, d'augmenter les dépenses publiques de 1 % - ce qui n'est pas important..."
G. Leclerc : Ce qui est plus que la plupart des autres pays !
- L.J : C'est moins que la Grande-Bretagne, vous irez vérifier parce qu'ils sont obligés de relancer, de réagir face à la relance économique. 1 %, c'est un budget de soutien à la croissance, et donc je crois que nos choix ont été justes. Vous, vous prenez le budget comme un reflet de l'économie. Moi, je prends le budget aussi comme un instrument de lutte dans une conjoncture économique qui devient moins bonne. Et, en l'espèce, je pense que nos prévisions de croissance seront respectées. En 1998, on nous avait dit qu'on ne ferait pas 3. On va vraisemblablement faire 3,1. Nous avons ajusté légèrement à la baisse pour 1999, mais je pense que nous ferons 2,7 et je crois que nos prévisions seront respectées, à condition que les acteurs de la vie économique, en France et en Europe, continuent à parier sur la croissance, à la fois dans leur comportement de consommation et dans leurs décisions d'investissement."
A. Chabot : Bien sûr, les politiques n'interviennent pas directement auprès des banques centrales qui sont tout à fait indépendantes, mais vous, par exemple, vous souhaitez une baisse des taux d'intérêt ?
- L.J : Je constate que les taux d'intérêts sont bas aux Etats-Unis ; ils ont baissé au Japon ; ils sont heureusement très bas, notamment en France et en Allemagne, mais plus élevés à cause des taux italiens et des taux espagnols, même si les espagnols viennent de baisser. Je pense que l'on n'a pas intérêt à laisser la monnaie américaine se déprécier, parce que sinon cela aurait des conséquences pour nos exportations, et une des façons d'éviter que le dollar baisse, c'est évidemment aussi de voir comment évolueront nos propres taux d'intérêt. Donc moi, en tant que responsable politique, je fais passer ce message. Maintenant, après, c'est aux banques centrales de prendre les décisions.
Mais je pense qu'au niveau européen, notamment avec les nouveaux gouvernements, le nouveau gouvernement en Allemagne, je pense que nous pouvons espérer conduire, dans la période qui vient, sur les années qui viennent, des politiques davantage tournées vers la croissance. Il y a eu une proposition de M. Prodi d'utiliser une partie des réserves excessives de change pour gager des prêts pour des développements d'infrastructures. Moi, je me demande si on ne devrait pas penser, c'est une idée que je lance en tout cas, à un emprunt européen - l'Union européenne n'est absolument pas endettée - à un grand emprunt européen qui pourrait financer aussi des nouvelles technologies, des développements d'infrastructure, en tout cas, je suis convaincu que le nouveau Gouvernement allemand et que la plupart de mes collègues européens seront favorables, dans la conjoncture, à un soutien plus grand à la croissance et que cela nous aidera à passer cette phase un peu difficile. "
C. Sérillon : On va reparler de l'Europe tout à l'heure. Je voudrais vous poser une question : les 35 heures , hier M. Aubry parlait de 4 000 emplois. C'est pas terrible quand même, est-ce que cette loi est vraiment réussie ? Cela ne fait pas beaucoup d'emplois créés quand même ?
- L.J : Cela fait deux mois. Cela fait deux mois que les décrets d'application ont été ... "
C. Sérillon : Vous aviez dit combien jusqu'à la fin de l'année ?
- L.J : Non non, on s'est engagés sur les emplois-jeunes, cela, ça dépend du Gouvernement et ces engagements sont tenus. A la fin de l'année, nous serons à 150 000, la décision, elle est dans nos mains, et.... "
C. Sérillon : Mais les 35 heures...
- L.J : Les 35 heures, cela dépend des négociations. Il y a eu déjà 340 contrats signés par des entreprises et qui seront créateurs d'emploi. Un certain nombre d'accords ont été signés dans des branches, et à partir de ces accords de branches peuvent se faire des accords dans les entreprises...
G. Leclerc : Des accords de branches, il y en a certains, dans la métallurgie, déjà, et demain sans doute dans le bâtiment et dans le textile, où il n'y a pas de créations d'emploi. C'est compensé par des heures supplémentaires, c'est un détournement de la loi ?
- L.J : L'accord dans la métallurgie c'est quelque chose de spécial, ce n'est pas un accord... "
G. Leclerc : Oui, mais c'est une grande branche, un accord virtuel.
- L.J : Attendez, c'est une grande branche... mais j'étais au Salon de l'automobile ce matin - Mondial de l'automobile, dit-on maintenant -, j'ai vu un certain nombre de chefs d'entreprise, de grandes entreprises dites d'équipementiers, et on a parlé des 35 heures. Je ne dis pas qu'ils étais favorables à la loi des 35 heures, mais je leur ai demandé : quelle est la durée du travail chez vous ? 34 heures et demie, 35 heures, 37 heures, 37 heures et demie, c'est à dire qu'ils sont déjà - la plupart des patrons qui étaient en face de moi, et leur groupe très performant à l'exportation - étaient en dessous des 39 heures et pour certains, en dessous des 35 heures. Et ce sont des patrons qui appartiennent à l'UIMM, c'est-à-dire au secteur de la métallurgie entendu au sens large. Donc je suis convaincu, au contraire - M. Aubry me le disait encore hier - qu'il y a une dynamique de signature, des emplois, des contrats, pourquoi ? Parce que l'on peut avoir 3 gains : les chefs d'entreprises, à partir du moment où ils obtiennent, dans la discussion, de réorganiser le processus de travail, d'avoir plus de souplesse notamment dans les rythmes de travail ; les salariés parce qu'ils vont y gagner sans perdre de salaire, normalement - en tout cas, la plupart des contrats qui sont signés sont de cette nature -, ils vont y gagner un temps de loisir ou d'activités autres supplémentaire. Et puis la société, nous tous, parce que l'objectif est de créer des emplois - dans certains cas, c'est vrai, de ne pas faire des licenciements. Mais si vous ne faites pas des licenciements, G. Leclerc, c'est-à-dire aussi que vous avez des chômeurs en moins. Donc il peut y avoir des accords défensifs, mais il y a aussi des accords offensifs, et je pense que la dynamique au contraire, est lancée. J'y crois beaucoup, et en tout cas, si la croissance est plus faible, il faut bien utiliser d'autres armes si on veut faire reculer le chômage. Ce gouvernement n'est pas résigné au chômage. "
A. Duhamel : Mais L. Jospin, pour dire les choses carrément, est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'il y a une partie du patronat qui essaye, soit de tourner la loi, soi même de la retourner à son avantage en faisant plus d'heures supplémentaires et de flexibilité que de la réduction du travail et de la création d'emplois ?
- L.J : Ce serait une illusion parce que..."
A. Duhamel : Est-ce qu'à votre avis, c'est une tentation qui existe ou pas ?
- L.J : C'est une tentation qui va s'arrêter, à mon sens, quand ces patrons en question auront compris que nous ne l'autoriserons pas par la loi. Donc, ce n'est pas la peine qu'ils essaient d'inventer des processus qui n'auront aucune réalité légale. Je pense que pour beaucoup de patrons, beaucoup de chefs d'entreprise, ce qui les intéresse c'est de produire, c'est d'innover, c'est d'exporter, c'est de réussir. Ils n'ont pas des réactions idéologiques. Cela, ça peut exister parfois chez certains dans telle ou telle fédération mais ce n'est pas le raisonnement de la plupart des patrons et je pense qu'ils peuvent trouver dans la négociation sur la réduction du temps de travail une occasion pour nouer des dialogues avec leurs cadres, avec leurs salariés et pour avancer, rénover les processus de production. Beaucoup font ce raisonnement."
C. Sérillon : Avançons dans les questions et dans les réponses.
A. Chabot : Une question qui est en point d'interrogation, c'est l'allégement des charges sur les bas salaires. On y réfléchit, on discute. Vous êtes pour ? Contre ? Dans quelle mesure et quand le Gouvernement décidera-t-il ? M. Aubry semble d'accord et D. Strauss-Kahn beaucoup moins, pour dire les choses, bien que cela ne soit jamais aussi simple que cela.
- L.J : Qu'il y ait des débats au sein du Gouvernement, que le ministre de l'Emploi et de la Solidarité n'ait pas automatiquement la même approche que le ministre de l'Economie et des Finances parce qu'ils ont des exigences qui sont, j'espère, convergentes..."
C. Sérillon : Mais rassurez-moi, ils s'entendent bien contrairement à ce que l'on dit ?
- L.J : Absolument. En tout état de cause, nous avancerons à notre rythme. Nous sommes quand même un Gouvernement qui en seize mois a considérablement fait bouger les choses dans la société française : sur le terrain de l'emploi avec la reprise de la croissance mais aussi avec les 35 heures, avec les emplois-jeunes ; sur le terrain de la justice et de la société avec les réformes de la justice ; sur le terrain éducatif et culturel avec notamment ces propositions que nous faisons pour l'audiovisuel public. Nous sommes un Gouvernement qui réforme."
A. Chabot : Mais là, à votre avis, est-ce que cela crée des emplois ?
- L.J : Vous pouvez aussi comprendre que nous allions à notre rythme. Cette question n'est pas mûre à mon sens. Elle n'est même pas mûre techniquement. Il y a eu un rapport fait par un grand économiste français, M. Malinvaud, qui est critique du transfert sur la valeur ajoutée de l'assiette des cotisations patronales. Il y a un débat au sein du mouvement syndical."
A. Duhamel : Cela sera mûr quand ? Au printemps ?
- L.J : Nous allons le faire mûrir dans les mois qui viennent."
A. Duhamel : Il y aura une serre pendant l'hiver ?
- L.J : Ecoutez, il ne faut pas tout faire à la fois. Nous avons aussi dans le projet de budget fait des réformes fiscales importantes qui favoriseront l'emploi - en ce qui concerne, par exemple, la taxe professionnelle - qui mettent en avant une fiscalité écologique, qui permettent d'aborder les problèmes de la fiscalité locale. Donc, on fait beaucoup de réformes, il faut les faire dans l'ordre et il ne faut pas non plus bousculer trop les habitudes. En plus, le Parlement ne peut pas prendre tous les textes à la fois."
G. Leclerc : Une question sur les retraites, un sujet de préoccupation - J. Chirac, d'ailleurs, hier, s'est dit préoccupé par ce sujet - et là, on vous soupçonne d'être un peu timoré, d'être trop prudent, un peu d'immobilisme...
A. Duhamel : Ou lent !
G. Leclerc : Et notamment d'éluder l'une des questions principales, qui est la création d'un système de retraites par capitalisation - des fonds de pension - à côté du système par répartition. Les autres pays l'ont déjà fait, pourquoi pas la France?
- L.J : Il y a un certain nombre de pays qui font des choses qui ne seraient pas acceptées en France, ou qui ne seraient même pas bonnes pour la France. Donc, cela, ce n'est pas un critère absolu. Nous ne sommes pas pour faire un système de retraites par capitalisation, qui soit remplacerait le système par répartition, soit même, pour la part trop grande qu'il prendrait, déséquilibrerait le système de retraites par répartition. Donc, nous n'irons pas dans cette direction."
G. Leclerc : Mais cela peut être un complément ?
- L.J : Exactement, mais nous avons admis que, sous certaines formes, des compléments pouvaient être envisagés, à condition qu'ils puissent être, par exemple, négociés dans les entreprises, sous forme de fonds salariaux, entre les entreprises et les salariés, ou à condition que l'Etat lui-même fasse un effort dans cette direction, et c'est d'ailleurs pourquoi Mme Aubry a annoncé, dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, la création d'un fonds qui permettra, donc, d'abonder, comme cela, le financement futur des retraites. De toute façon, ce déséquilibre majeur, entre la population active, qui actuellement paye les cotisations des retraités d'aujourd'hui - les salariés d'aujourd'hui payant les retraites d'aujourd'hui - et la population active, l'écart qui va se creuser au détriment des actifs, en quelque sorte, c'est une question qui nous est posée pour dix, quinze ans. Donc, nous avons absolument la possibilité et le temps d'en bien situer, poser le diagnostic...."
A. Duhamel : On ne prend pas de retard ?
- L.J : Non, absolument pas. On ne prend pas de retard, à partir du moment où on se donne les moyens - et j'ai demandé au Commissariat au Plan, qui est un lieu d'expertise technique et en même temps de dialogue social, parce qu'il rencontre tous les acteurs, de me faire des propositions sur ce terrain. Ensuite, nous ouvrirons une discussion et une négociation, y compris devant les Français, qui doivent être mis devant les responsabilités et la réalité démographique du vieillissement de la population, et donc du problème du financement des retraites à terme. A quoi sert d'aller vite sur ce sujet si on doit s'arrêter en chemin, comme a dû le faire, par exemple, M. Juppé ? Donc, ce problème existe. Ce gouvernement le traitera. Il a toujours, depuis seize mois, traité les problèmes. Mais pardonnez-nous de traiter dans l'urgence ce qui est urgent, puis de poser les termes d'une solution pour ce qui vient plus tard. Mais cela sera fait indiscutablement, donc que le Président ne s'inquiète pas pour les retraites."
G. Leclerc : On va parler de l'Europe, une Europe totalement rose, ou quasiment !
A. Chabot : Vous disiez, tout à l'heure, que l'arrivée de M. Schröder au pouvoir en Allemagne allait sans doute faciliter les choses, pour mettre un petit peu d'huile dans la machine de l'emploi au niveau européen. Mais est-ce que vous en êtes aussi sûr, sachant que vous êtes tous socialistes, sociaux-démocrates, mais quand même assez différents. Il y en a un qui a fait campagne sur le nouveau centre - en Allemagne - vous, vous êtes à gauche - vous le dites toujours ; T. Blair, en Grande-Bretagne, c'est aussi plutôt du côté du centre. Alors est-ce que vous serez vraiment unis pour qu'il y ait en Europe une vraie Europe sociale qui se mette en place ?
- L.J : Le problème, pour nous, n'est pas de nous unir sur ces concepts, sur des définitions. Qu'est-ce que c'est que la Troisième voie, qu'est-ce que c'est que le nouveau centre ? Cela n'a pas d'intérêt. Le problème est de savoir si nous sommes capables de définir des pratiques communes, sur le terrain de l'emploi, sur le terrain de la croissance, sur le terrain des taux d'intérêt, sur le terrain des problèmes de sécurité, comment nous traitons ensemble le problème de l'immigration, c'est cela qui est important. Oui, je pense que les changements qui se sont opérés en Europe, le fait qu'en Italie d'abord - j'espère que le gouvernement Prodi va passer l'épreuve parlementaire qui est la sienne dans les deux jours qui viennent - puis ensuite en Grande-Bretagne, puis ensuite en France, et maintenant en Allemagne, c'est-à-dire dans quatre grands pays, et que dans un certain nombre d'autres pays - on dit onze sur quinze - qui ont des Premiers ministres socialistes ou sociaux-démocrates - dans deux autres, il y a des coalitions. Le fait que ces hommes, ou ces femmes - en l'occurrence, des hommes - qui se connaissent bien, et qui ont des approches communes sur la croissance, l'emploi, la justice sociale - j'espère l'harmonisation fiscale, même si ce sont des dossiers plus difficiles - le refus du dumping social, je pense que le fait que nous ayons ces visions communes sur des pratiques peut avoir des conséquences positives dans les années qui viennent. Et là, de ce point de vue, le changement en Allemagne - quels que soient le respect et l'admiration que j'avais pour H. Kohl en tant que personnage historique, et en tant qu'homme de très bonne compagnie - je pense que le changement en Allemagne va être très important, parce qu'on ne trouvera plus devant des propositions françaises le refus, un peu dogmatique, de certains libéraux ou de certains conservateurs allemands..."
A. Chabot : Du coup, vous n'avez plus d'excuses non plus pour dire : on n'a pas pu le faire !
- L.J : Mais vous savez, ce gouvernement, il ne pratique pas l'excuse, il essaye de travailler et d'avancer, ce n'est pas un gouvernement prétexte."
C. Sérillon : Qu'est-ce que c'est de gauche ? Parce que, moi, je me rappelle de la définition de la gauche en 1981, de la gauche en 1936, de la gauche de l'école laïque, mais aujourd'hui, c'est quoi ? C'est quoi la gauche aujourd'hui ?
- L.J : D'abord c'est ce que nous sommes en train de faire : un certain équilibre entre l'économique et le social. C'est le fait que quand on arrive, on dit : nous, on n'est pas résignés devant le chômage. On dit : eh bien, on fait une loi sur les 35 heures. On dit : on prend des emplois-jeunes. C'est le fait qu'on redonne une priorité à l'éducation, à la recherche, à la culture, c'est-à-dire ce qui à la fois embellit la vie et prépare l'avenir. C'est le fait que lorsqu'on prend des mesures fiscales, eh bien on rééquilibre ce qui pèse sur le capital et ce qui pèse sur le travail. Pas au point de pénaliser le capital et l'investissement parce qu'on est dans une économie ouverte mais au point quand même de rendre un peu justice. C'est le fait qu'on accorde une priorité au service public. Donc, c'est cette capacité à agir selon des règles dans l'ordre, comme je disais, mais avec une perspective, un mouvement, un changement qui permet à notre pays de s'adapter aux défis de cette fin de siècle."
C. Sérillon : Alors quelques questions sur la vie politique française : on a parlé du cumul des mandats, le Sénat va sans doute bloquer cette loi. Vous allez faire quoi ?
- L.J : Mais le Gouvernement poursuivra sa démarche réformatrice."
C. Sérillon : Mais s'il bloque vous faites quoi ?
- L.J : Je dois rencontrer M. Poncelet : je le fais par amitié. J'ai des rapports très cordiaux avec lui."
A. Duhamel : La cordialité.
- L.J : Non, mais je ne voudrais pas engager l'amitié de M. Poncelet à mon égard. Il vient me voir demain : c'est un acte de courtoisie républicaine que j'apprécie. Nous allons reprendre un dialogue que j'avais noué avec M. Monory honnêtement."
C. Sérillon : Mais en clair ils ne vont pas la voter cette loi sur le cumul des mandats ?
- L.J : Je pense qu'ils ne pourront pas tout refuser. Non, je pense que les Français ne l'accepteront pas. La lutte contre le cumul des mandats est un des objectifs, un des projets du Gouvernement qui est le plus populaire dans ce pays, avec d'autres, mais un des plus populaires. Je pense que les sénateurs auraient tort de refuser. Alors il est possible que je ne puisse pas obtenir ce que je souhaite, tout ce que le Gouvernement souhaite."
A. Duhamel : Le cumul, parlementaire-maire ?
- L.J : Non, mais moi je ne dis pas déjà - parce que..."
A. Duhamel : On sait bien ce que pensent les sénateurs.
- L.J : Eh bien, ils le diront d'abord, ils s'exprimeront devant l'opinion. Nous avancerons et puis si on doit s'arrêter à un stade, eh bien on trouvera une autre occasion ou d'autres façons de dépasser ce stade ultérieurement. Mais ils auraient tort de tout bloquer. Mais je pense qu'ils ne bloqueront pas tout. En tout cas, le Gouvernement, lui, est tout à fait déterminé."
G. Leclerc : Puisqu'on parle politique, on ne peut pas malheureusement ne pas parler des affaires. Une des dernières en date : la MNEF semble concerner des responsables socialistes dont certains, dit-on, vous seraient proches. Quel est votre sentiment ? Est-ce que cela vous inquiète ?
- L.J : Nous verrons bien si des responsables socialistes ou non sont concernés par l'affaire de la MNEF. Je considère que la presse doit faire son travail, mener ses enquêtes, la justice s'il y a lieu - la police judiciaire en est le bras armé -, mener des procédures s'il y a lieu de mener des procédures. Nous, nous faisons la transparence. Nous avions d'ailleurs demandé qu'un administrateur provisoire soit nommé et la Commission de contrôle des mutuelles, qui est un organisme totalement indépendant a dit qu'elle voulait d'abord faire un échange d'arguments avant de prendre sa décision. Il y a eu une mission de la Cour des comptes, un certain nombre de faits ont été transmis au Parquet donc des procédures judiciaires auront lieu peut-être et on verra qui sera en cause en cette circonstance. Et chacun assume individuellement sa propre responsabilité. C'est la seule chose que je peux dire. Ce que je voudrais simplement ajouter, c'est que je ne crois pas que les responsables politiques, eux, compte tenu de la diversité des problèmes et des affaires, aient intérêt à s'attaquer sur ce terrain. Qu'ils laissent faire la justice."
A. Chabot : On évoquait tout à l'heure les remarques que le Président de la République a fait, hier, en Conseil des ministres sur la protection sociale, son inquiétude à propos des retraites. Le Président fait régulièrement connaître son sentiment sur l'action du Gouvernement. Est-ce que vous considérez que c'est le jeu normal de la cohabitation ? Est-ce que de temps en temps vous êtes agacé ou est-ce que vous trouvez que c'est assez facile de travailler avec quelqu'un que M. Schröder a qualifié de social-démocrate modéré ?
- L.J : Je me suis demandé s'il n'y avait pas un brin de malice quand G. Schröder a dit cela à la télévision. Cela n'a pas tellement été relevé mais moi qui suis d'une nature assez malicieuse, j'étais amené à me demander..."
C. Sérillon : Vous ne vous étiez pas aperçu qu'il était social-démocrate, si je comprends bien ?
- L.J : Je sais qu'il avait été travailliste... Non, les relations avec le Président de la République se passent bien. Dans l'ordre international, nous sommes confrontés par exemple à cette crise du Kosovo : nous définissons ensemble l'approche qui doit être celle de la France, dans le respect des compétences éminentes naturellement du Président de la République en matière internationale et de défense. Mais en même temps ce domaine est forcément partagé parce que le Gouvernement est celui qui fournit, ensuite, les moyens de l'action, de l'accompagnement des décisions. Donc les choses se passent bien."
A. Chabot : Sur le plan intérieur ?
- L.J : ...Pour le reste, si le Président... Les Français sont d'ailleurs assez contents de la cohabitation ; il y a un sondage qui, paraît-il le dit. Bon. Alors moi je participe, si j'ose dire de leur..."
C. Sérillon : Vous êtes content...
L.J : Non, je participe de leur contentement parce que vous ne m'entendez jamais critiquer le Président de la République. Bon. Si le Président de la République émet des critiques, c'est sa responsabilité. Mais alors c'est à lui qu'il faut lui demander pourquoi il le fait. Simplement, par exemple, je l'ai entendu dire à la fin du Conseil des ministres - et ça a été évidemment donné à l'extérieur par son porte-parole - qu'il se ressentait comme le garant de la Sécurité sociale. Moi je suis très heureux qu'il se ressente comme le garant, puisque justement nous la garantissons. Parce que, pour être très clair : 96, déficit de la Sécurité sociale : 53 milliards ; 97, nous arrivons à faire descendre ce déficit à 33 milliards : 98, le déficit est de 13 milliards et notre objectif 99 : équilibre. Alors là. qui garantit la Sécurité sociale si ce n'est ce Gouvernement ?"
A. Duhamel : M. Jospin pourquoi avez-vous réagi comme si vous étiez piqué quand le Président du groupe communiste, A. Bocquet a dit "qu'on pouvait interpréter votre action politique à la tête du Gouvernement comme une stratégie présidentielle" ? Ca vous choque qu'on vous dise que vous vous intéressiez à la fonction présidentielle pour un jour ?
L.J : Ca ne me choque pas mais c'est totalement inexact. Je pense qu'il faut avoir une vision pour son propre pays, mais il faut fondamentalement vivre la politique au temps présent. Moi, ma fonction c'est de gouverner; c'est le mandat qui m'a été confié par le peuple français, en juin 97 et qui m'a été donné, traduisant ce vote, par la décision du Président de la République. Moi, je ne suis pas candidat à la présidence de la République. Vous voulez que je vous dise pourquoi?"
C. Sérillon : Parce que vous être Premier ministre ?
L.J : Parce qu'il y a un Président de la République. Ca vous avait peut-être échappé ?"
A. Duhamel : Oui, mais il y a aussi la fin d'un mandat ?
L.J : Eh bien on en est loin. Et moi je suis Premier ministre, et avec le Gouvernement, avec l'ensemble de mes ministres, c'est ça qui est notre tâche. Et je veux que les Français soient bien convaincus que c'est ça notre mission ; que c'est ça notre vision, parce que c'est exactement la réalité. Alors tout ce qui vise à déformer ça, ne me paraît pas utile."
C. Sérillon : M. Jospin, depuis cinquante minutes à peu près, nous conversons et nous sommes arrivés à l'échéance de cet entretien. Je suis très frappé... Vous êtes tranquille, assez sûr de vous au fond. Est-ce que vous n'avez pas oublié d'être un peu modeste ? Vous avez l'air de dire que tout va bien, et que ça marche, ça avance en son temps...
L.J : Je suis calme, mais je ne suis pas passif et je ne suis pas tranquille, parce que les problèmes sont là ; on en a évoqués un certain nombre ; que ce soit des problèmes du quotidien - la sécurité par exemple, aujourd'hui. ces jours-ci ; que ce soit des problèmes d'un certain nombre de nuages qui s'accumulent - même si l'Europe peut. Peut-être, être mieux préservée ; mais il me faut en même temps être calme. Si j'argumente face à vos questions, c'est parce que j'ai des convictions, parce que je suis plutôt un peu fier de ce qu'essaie de faire le Gouvernement que je dirige. Mais je ne suis pas du tout animé par l'esprit de certitude. De toute façon autour de moi il y a beaucoup de gens qui m'interpellent, me questionnent. Et donc.... Non, ne vous trompez pas là-dessus.
Simplement, il faut bien que, dans la responsabilité qui soit la mienne, j'aie un minimum de tranquillité. un minimum de calme. que je ne cède pas à l'affolement, que je ne cède pas aux - comment dirais-je ? - aux enthousiasmes, tout d'un coup aux dépressions du moment. Et c'est cela qui me guide. C'est cela aussi qui guide l'équipe que j'ai l'honneur de diriger. Vous savez, revenons un instant sur la politique et la crise : dans les éléments de cette crise, telle qu'elle se produit à l'échelle internationale, sur le plan financier, il y a aussi des éléments politiques. La crise en Asie du Sud-Est a été une crise du modèle de développement ; modèle de développement beaucoup trop injuste, fondé aussi sur, souvent, la corruption et avec des pouvoirs autoritaires. S'il y a une crise au Japon, c'est parce que, pour le moment, le système n'arrive pas à prendre un certain nombre de décisions qui seraient nécessaires pour régler le problèmes de ces créances douteuses. Et c'est absolument nécessaire. Et j'espère que le Gouvernement japonais va le faire. S'il y a une crise en Russie, que certains problèmes ne sont pas résolus, notamment le problème de l'endettement, c'est parce qu'il y a une crise politique et une crise de la transition. Alors en France, les Français le disent : on a la chance d'avoir un pouvoir politique stable. Eh bien il faut raisonnablement s'en réjouir."
(source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2001)