Déclaration de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, sur la nécessité de limiter la part du transport automobile en ville et de favoriser les transports collectifs, sur la politique de financement public de ces transports et sur les plans de déplacements urbains (PDU), Paris, le 20 septembre 2000.

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Circonstance : Colloque organisé par le Comité de promotion des transports publics, à Paris, le 20 septembre 2000

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs les Élus,
Mesdames, Messieurs,
Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Jean-Claude GAYSSOT, qui est parti à Luxembourg, présider une réunion des Ministres des Transports sur un sujet d'actualité dont vous avez sûrement entendu parler : le renchérissement du coût du pétrole.
En cette année 2000, c'est la septième fois qu'est organisée une Semaine du Transport Public. La journée "En Ville, sans ma voiture" , qui en est un moment fort, est plus récente, ne datant que de 1998. 35 villes s'y associaient alors ; aujourd'hui si j'ai bien compris 300, sans compter les quelques 700 villes européennes qui essaieront, elles aussi, de concrétiser durant douze heures une autre manière de vivre la ville, une ville, où la circulation automobile étant absente, les citadins emprunteront les transports publics, et où ils redécouvriront les plaisirs de la marche ou du vélo.
La dynamique engagée montre que nos concitoyens, et plus largement tous les Européens sont de plus en plus préoccupés par les problèmes de mobilité urbaine, de pollution de l'air et du bruit.
Par ailleurs, la réalité du réchauffement de la planète n'est plus contestée. On sait bien que plus de 50 % des émissions de polluants tels que les oxydes d'azote ou le monoxyde de carbone proviennent des transports routiers.
On connaît leurs effets sur la santé humaine et les parties les plus fragiles de la population (enfants et personnes âgées notamment).
Pour un développement durable, une régulation de l'usage de la voiture est indispensable. Cette régulation doit résulter de mesures tant structurelles que réglementaires. Et telle est bien le sens de la politique que le Gouvernement met en oeuvre. Il n'est pas, pour lui, question de limiter les déplacements dans une société elle-même de plus en plus mobile. Mais l'objectif est de modérer l'usage de l'automobile et de le réduire dans les centres urbains. Comment y parvenir ?
La question de la fiscalité automobile, comme vous avez pu le constater a été évoquée sur la dernière période. Le débat ayant bénéficié de beaucoup de contributions, je souhaiterai y revenir quelques instants.
Permettez, tout d'abord d'esquisser un état des lieux à partir d'études et de statistiques sérieuses réalisées en économie des transports.
Depuis 1970, le trafic automobile a plus que doublé (+ 2,8 % par an). Ces dernières années, grâce aux progrès des constructeurs et de la mise en uvre des normes européennes, la pollution atmosphérique est en baisse tendancielle. Par contre, les émissions des gaz à effet de serre sont en augmentation à cause des hausses de trafic. Pour l'avenir jusqu'en 2020, les tendances à la hausse du trafic automobile, devraient être confirmées, mais légèrement en baisse : + 2 % par an.
Pour infléchir cette tendance, différents scénarios ont été étudiés dans le cadre des réflexions portant sur les schémas de services. Le seul cas où les émissions des gaz à effet de serre reculeraient (- 16 % au titre de l'automobile) d'ici 2020, suppose un scénario avec un prix du carburant à 13,50 F/litre (essence et diesel), combiné à une politique de sévérité des normes (véhicule et carburant), et avec un prix de transport ferroviaire en baisse de 10 %.
Il convient cependant de noter que ce scénario reposant sur une forte tarification de l'essence se traduira malgré tout par une augmentation des trafics automobiles de + 0,6 % par an. Le rôle joué par la sévérité des normes est donc déterminante.
Face à un tel diagnostic, confirmé par les plus grands experts européens, la régulation par le prix des carburants est véritablement "une fausse bonne idée", car elle ne conduit nullement à la baisse des trafics automobiles, sauf à porter le prix des carburants à des niveaux inacceptables. J'ajoute -et chacun le constate aujourd'hui- la hausse des carburants est ressentie comme une ponction sur le pouvoir d'achat. Seuls un développement de l'offre de transports collectifs, la démarche PDU permettant une politique de stationnement et de partage de la voirie favorables aux transports collectifs et la sévérité des normes (véhicule et carburant) peuvent avoir une réelle incidence qui soit durable.
Trois exemples illustrent très nettement mon propos :
à Paris, ville ou les deux tiers des déplacements sont effectués en transports collectifs, les réseaux de métro et de bus sont extrêmement denses alors que l'offre de stationnement est faible ;
à Strasbourg, l'usage de la voiture dans le centre ville a été réduit de 17 % grâce au tramway, dont deux nouvelles lignes viennent d'être inaugurées au début du mois, à la construction de parc de stationnement relais en périphérie et à la réduction du nombre de places de stationnement dans le centre-ville ;
en Suisse, avec un taux de motorisation identique à la France, l'usage des transports collectifs est trois fois plus important, alors même que le prix du carburant sans plomb est inférieur de 15 % à celui pratiqué en France. Pourquoi ? Parce que la politique de stationnement et le partage de la voirie sont différentes et plus favorables aux transports collectifs.
Dans ces conditions, la solution ne peut passer que par le développement des transports collectifs, afin d'offrir une alternative.
L'évolution des crédits de l'État qui y sont consacrés est très nette. Depuis 1997, ils ont augmenté de 37 %, pour les investissements de Province. Dès 2001, la totalité des crédits pour les transports urbains de province et d'Île-de-France seront majorés de près d'un milliard de francs, ce qui permettra leur quasi-doublement. Je rappelle que depuis 1997, le ministre des Transports a pris en considération, avec un engagement de financement de l'État, 16 projets, ce qui correspond à 186 km de ligne en site propre.
En Île-de-France, l'État et la Région Île-de-France viennent de signer le contrat de plan qui les engagent pour la période 2000-2006. Les investissements pour les transports collectifs sont en progression de 50 % par rapport au contrat de plan précédent.
Cet effort était indispensable : nous avons identifié une offre de transport insuffisante entre banlieues, où pour des raisons liées à une dispersion croissante de l'habitant et des emplois, la demande évolue très vite. Aussi, la réalisation d'une rocade de tramway en proche couronne de tangentielles ferroviaires en grande couronne et d'un réseau principal de lignes d'autobus permettra d'offrir une réelle alternative à l'automobile.
Il convient maintenant de veiller à ce que les études et procédures soient accélérées, afin que ce qui a été décidé par l'État et la Région se réalise dans les délais. Je suis persuadé que la réforme des transports parisiens qui devrait être définitivement adoptée par le Parlement, avant la fin de l'année, permettra d'atteindre cet objectif.
En outre, pour la première fois, le contrat de Plan contient un volet consacré à l'amélioration de la qualité de service.
A cette implication financière, s'ajoute le dispositif qui a été arrêté en matière de fiscalité sur le gazole. Bien sûr, ce qui a été décidé pour le transport routier de marchandises sera également appliqué pour le transport de voyageurs, conformément à un accord qui vient d'être signé entre le Ministre des Transports, l'UTP et la FNTV.
En matière de déplacements, répétons-le, il est indispensable de réorienter les comportements et, donc, nécessaire de mettre en oeuvre une politique globale de régulation pour éviter l'asphysie des villes, en d'autres termes, éviter une régulation par la congestion et en finir avec les politiques qui ont conduit à adapter exclusivement les villes à l'automobile.
Pour ce faire, nous disposons d'instruments de planification, les Plans de Déplacements Urbains (PDU). Rendus obligatoires dans les grandes villes par la loi sur l'Air, ils veulent harmoniser les transports et lutter contre l'omniprésence de l'automobile. La méthode choisie est celle d'une planification des déplacements dans leur ensemble, avec le souci de coordonner les différents modes et de prendre en compte les besoins des usagers en matière non seulement de transport mais aussi d'urbanisme et de cadre de vie.
Les PDU sont appelés à fournir aux élus locaux un cadre de référence avec des objectifs bien définis ; ils favorisent le dialogue intercommunal et permettent de coordonner les efforts. A ce jour, dix autorités organisatrices ont approuvé leur plan de déplacements urbains : Bordeaux, Grenoble, Lille, Lyon, Nancy, Orléans, Rouen, Saint-Etienne, Strasbourg et Troyes. Vingt huit autres sont arrêtées et une vingtaine enfin en cours d'élaboration. En Île-de-France, l'État a la charge directe de son élaboration, qui en est au stade de l'enquête publique.
Nous avons choisis de rendre plus prescriptifs les Plans de Déplacements Urbains, et en particulier leur volet stationnement. Tel est l'objet de la loi SRU "Solidarité et renouvellement urbains" qui traite de façon globale les questions des agglomérations, de l'habitat, de l'urbanisme, des déplacements et de leurs liens avec le périurbain voire le rural. Ce projet, en cours de lecture par l'Assemblée Nationale et le Sénat devrait être adopté avant la fin de l'année. Parmi ses apports, notons la possibilité de confier à l'autorité de transport urbain la compétence de gestion du stationnement payant sur la voirie.
Il faut lutter contre l'étalement urbain qui favorise l'usage de la voiture tout en générant des phénomènes d'exclusion sociale. L'objet de la loi SRU est précisément de lutter contre cette tendance notamment avec l'intercommunalité et l'établissement de schémas de cohérence territoriale.
Cette politique menée depuis 1997 s'inscrit dans une démarche de développement durable. La croissance économique s'accompagne d'une plus grande mobilité.
L'efficacité économique et sociale suppose aussi des gains d'accessibilité. Il convient de trouver la bonne adéquation entre la demande et le choix des modes de transport et leur utilisation.
Cet objectif ne pourra pas être atteint par une simple régulation du marché des déplacements dans laquelle la libéralisation jouerait un rôle central. L'intervention de l'État et des collectivités territoriale est nécessaire pour assurer le droit au transport et permettre l'indispensable complémentarité des modes de transport.
Chacun a sa pertinence -et donc sa place- selon le lieu et le type de déplacement. Il ne sert à rien de chercher à les opposer. La voiture particulière est un espace de liberté incontestable, sa souplesse d'utilisation est un atout majeur. Mais dans les centres urbains, où l'espace est rare et très coûteux, les transports collectifs sont plus efficaces, tant en termes de coût économique et social que de rendement énergétique.
L'ensemble des mesures que je viens d'énumérer montre bien que pour le Gouvernement la promotion des transports publics, gage d'un développement durable, est une réelle priorité. Mais cette promotion, je veux insister sur ce point, n'est pas l'affaire du seul Gouvernement. Certes, il peut avoir un rôle d'incitateur, mais le développement des transports en commun, peu polluants, économes en énergie et en espace, est l'affaire de tous les citoyens. Chacun, dans notre société, a dès à présent une responsabilité à jouer dans la construction du monde de demain.
Laissez-moi, pour terminer, vous livrer une réflexion : la taxation dans le domaine des transports doit-elle s'effectuer selon le principe qui veut que le pollueur soit le payeur ? Cette approche est d'inspiration libérale. Elle a été théorisée en 1920 par un économiste du nom de PIGOU, à une époque où le libéralisme était mis à mal par les défaillances d'un marché censé tout réguler de manière optimale, et destinée à préserver le système de marché concurrentiel. Cette approche tend à instituer un droit à polluer, un droit à émettre des nuisances sonores. De plus, elle peut être, d'un point de vue social, profondément injuste.
Vous le voyez lorsqu'on aborde le problème de la pollution due aux transports, on se heurte à un certain nombre de difficultés. Le ministre de l'Équipement, des Transports et du Logement, compte sur chacun de vous, élus, transporteurs, usagers pour relever le défi posé par les contradictions inhérentes à la société dans laquelle nous vivons, de manière à permettre à ceux qui nous suivrons de mieux vivre dans nos villes.
Merci de m'avoir écouté avec attention.
(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 25 septembre 2000)