Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France 2" le 9 février 2005 sur les mesures prises pour relancer la consommation des ménages, faire accéder plus facilement au crédit les étudiants, sur la hausse des loyers, sur les réductions d'emplois dans l'administration.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral


Q- Avec H. Gaymard, nous allons revenir sur les mesures que vous avez annoncées hier concernant essentiellement les ménages pour relancer la consommation et puis soutenir aussi l'emploi. L'idée est une sorte de feuille de route pour les trente mois qui viennent ?
R- Oui, j'ai voulu que l'on inscrive notre action dans la durée, autour de trois mots : emploi, croissance, et confiance. On a une consommation qui ne va pas trop mal en France, il faut la soutenir, et d'abord, par le pouvoir d'achat, le soutien aux entreprises et un certain nombre de grands chantiers structurels qui sont effectivement pour les 30 mois qui viennent.
Q- On va revenir sur ces dispositions. D'abord, l'impôt sur le revenu : cela concerne tout le monde, mais avec une priorité sur les bas barèmes, sur ceux qui paient le moins d'impôts. Ceux-là devraient-ils baisser. Et tout de même, pour les autres, ceux qui paient un peu plus, des déductions pour "frais professionnels" qui pourraient être augmentés. Cela veut-il dire que tout le monde aura un petit quelque chose ?
R- Les choix fiscaux pour l'année prochaine ne sont pas encore faits. Mais avec J.-F. Copé, nous proposerons au Premier ministre dans quelques mois, un certain nombre de solutions, et brièvement, deux axes : le premier, qui concerne l'impôt sur le revenu, notre idée c'est de plutôt concentrer la baisse sur les tranches les plus basses du barème pour les classes moyennes qui paient souvent et qui ont droit à pas grand-chose. Et puis, pour ceux de nos compatriotes qui ne payent pas l'impôt sur le revenu, de doper et d'améliorer ce que l'on appelle "la Prime pour l'emploi", de manière à ce que ces baisses de prélèvements profitent à tous les Français.
Q- Et cette prime pour l'emploi pourrait être versée un peu plus tôt ? Oui. Parce qu'aujourd'hui, elle est versée près de 18 mois et c'est beaucoup trop tard. Donc, on veut vraiment l'améliorer. Le président de la République nous a demandés d'ailleurs de la diriger en priorité vers les secteurs qui ont des difficultés de recrutement - hôtellerie, restauration, bâtiment et travaux publics, et beaucoup d'autres secteurs. Donc, avec J.-F. Copé, on travaille à tout cela pour que J.-P. Raffarin puisse prendre ses décisions en toute connaissance de cause dans quelques mois.
R- La déduction pour frais professionnels supplémentaires, pour les salariés, elle est actuellement de 10 %...
Q- Oui. C'est une des options. On peut jouer sur les tranches basses du barème, on peut jouer sur les décotes, on peut jouer effectivement sur les déductions de frais professionnels, tout ceci n'est pas arrêté. On soumettra au Premier ministre plusieurs options, et il choisira.
R- Il y a aussi l'impôt sur les successions. On peut donner...
Q- C'est une mesure que N. Sarkozy a mise en place, qui devait s'arrêter le 31 mai - qui est d'ailleurs le jour de mon anniversaire !
R- Ah !... Bon anniversaire donc.
Q- ...On a décidé de la prolonger, et de l'amplifier, puisque c'étaient 20 000 euros, et ce sera désormais 30 000 euros.
R- Autre disposition dont on parle beaucoup : la rémunération des comptes bancaires, elle devrait être effective à partir du 1er mars ? C'est cela. Je vais saisir les instances compétentes d'ici à la fin du mois de février. Donc, en réalité, c'est l'autorisation qui est donnée aux banques de rémunérer les comptes...
Q- Y aura-t-il des chèques payants en contrepartie ?
R- C'est le choix des banques. Par exemple, certaines banques ont déjà communiqué en disant : nous ne rémunérerons pas les comptes et nous garderons la gratuité sur les autres services. Après...
Q- On peut avoir des chèques gratuits...
R- [...] Donc, on peut à partir de début mars rémunérer les comptes courants, mais je souhaite que, dans le même temps, avec les banques, les associations de consommateurs, on ait vraiment une vision globaledes choses...
Q- Plus de transparence ?
R- ...Voilà. Pour que le consommateur s'y retrouve.
Q- Il y aura aussi des prêts pour les étudiants. En effet, quand ils font des études, ils ont quand même besoin de revenus. Peut-on faire en sorte que cela soit facilité ?
R- Oui. Aujourd'hui, seulement 20 % des étudiants ont accès au crédit, les études sont plus longues qu'auparavant, et il y a des besoins de financement. Donc, avec F. Fillon, nous étudions un certain nombre de mesures [dont] une mesure fiscale qui pourrait être la déduction des prêts qui ont été contractés pendant la période d'études et que l'on pourrait déduire, une fois que l'on rentre dans la vie professionnelle...
Q- On stockerait de la déduction fiscale ?
R- Voilà, il y a une sorte de délai de grâce, comme l'on dit, c'est la première proposition. Et la deuxième proposition, c'est d'avoir en quelque sorte un mécanisme de garantie qui puisse permettre aux étudiants d'avoir davantage recours au crédit.
Q- Sans avoir obligatoirement, en effet, des cautions à signer dans tous les sens.
R- Voilà, c'est cela.
Q- La hausse des loyers, c'est une question qui est très sensible dans toutes les grandes villes de France, et pas seulement à Paris. Donc, allez-vous faire en sorte que l'indice de la hausse des loyers ne soit plus calculé sur la construction ?
R- Aujourd'hui, comme vous le savez, les loyers sont calés sur l'indice du coût de la construction, et cet indice s'est complètement décalé de l'inflation ces dernières années.
Q- Il est à 4 alors que l'inflation est à moitié.
R- C'est deux fois plus même, deux fois et demi de plus. Donc, avec J.-L. Borloo et M.-P. Daubresse, le ministre du Logement, nous travaillons ensemble pour voir quel autre indice on peut prendre en considération. Savez-vous que le logement en France, on le sait tous, c'est 27 % du budget d'un ménage, et donc, quand on parle de pouvoir d'achat, bien sûr qu'il faut parler des produits que l'on achète dans les magasins, mais il faut aussi beaucoup faire pour le logement, parce que c'est un poste de dépenses énorme dans le budget d'un ménage.
Q- La question est : comment allez-vous financer tout cela ? On sait qu'il y a des privatisations qui sont en route, notamment celle des autoroutes, mais il y a aussi GDF. Cela va-t-il servir à remettre un peu "d'huile" si je puis dire, dans les rouages du budget ?
R- Non, le produit des privatisations ne servira jamais à financer des dépenses de fonctionnement. Parce que ce ne serait pas sain. Donc, pour l'essentiel, nous affecterons le produit des privatisations au désendettement de l'Etat, c'est normal. Et pour une partie, nous l'affecterons à des projets stratégiques. Le président de la République l'a déjà dit, par exemple : pour l'Agence de l'innovation industrielle qui va être créée dans quelques mois, le financement des projets se fera avec, en partie, des recettes de privatisations. Nous serons donc très rigoureux et très transparents. Parce que, vendre des participations publiques pour payer les salaires de fonctionnaires, par exemple, ce n'est pas sain. Ce qui s'est fait par le passé nous ne le ferons jamais.
Q- Justement, puisque vous parlez des fonctionnaires, on sait que d'ici à 2006, il y a à peu près 73 000 fonctionnaires qui vont partir à la retraite, tous ne seront pas remplacés. A peu près combien seraient remplacés et combien ne le seraient-ils pas ? Des chiffres circulent déjà, on dit qu'il pourrait y avoir 13 à 20 000 postes qui ne seraient pas remplacés ?
R- Tout d'abord, cela peut paraître bizarre, mais il est très difficile de dire par avance combien de fonctionnaires partent en retraite.
Q- Ah bon ? !
R- Oui. Tout simplement parce que...
Q- Parce qu'il y en a qui restent après 65 ans jusqu'à 70 ans ? non !
R- Il y en a qui partent avant. Donc, il y a énormément de souplesse dans les différents statuts de la fonction publique par rapport à l'âge de départ à la retraite. Il est donc très difficile...
Q- 73 000 c'est un chiffre maximum ?
R- Voilà, c'est un chiffre estimé mais cela peut être 70 000, 69 000. Donc, on ne le sait pas avec précision. Deuxième observation : le Premier ministre, s'agissant des effectifs de la fonction publique, souhaite sortir de la logique qui consiste à dire : c'est 1 sur 2, 1 sur 3. Cette année, nous avons une nouvelle loi organique pour les lois de Finances, et ce que nous souhaitons faire, c'est de dire : pour telle mission, tels sont les besoins.
Q- La fonction publique hospitalière a besoin davantage besoin d'argent...
R- Voilà, je ne vous cache pas que nous continuerons à avoir des éductions d'emplois, puisque l'administration s'est beaucoup informatisée ces dernières années, elle s'est beaucoup modernisée, elle doit continuer à se réorganiser dans le dialogue et dans l'écoute avec les organisations syndicales, mais il y aura bien évidemment encore des suppressions d'emplois l'année prochaine.
Q- 10 000, 20 000 ?
R- Je ne peux pas vous le dire aujourd'hui puisque les arbitrages seront faits au mois de juin.
Q- Une dernière question : vous étiez au G7 à Londres. La marche du monde, est-ce un thème qui vous préoccupe ? Comment cela s'est-il passé ?
R- Oui, depuis toujours je suis très impliqué dans les questions de développement, et pour résumer : à Londres, on a pris deux décisions très importantes dont on n'a pas beaucoup parlé en France. Tout d'abord, on a décidé d'annuler la dette des pays les plus pauvres et les plus endettés. Et deuxième décision : on progresse bien sur la création d'un nouveau mode de financement international, tel que l'a proposé J. Chirac...
Q- Qui n'est pas la taxe Tobin mais qui pourrait y ressembler ?
R- Oui...sur les billets d'avions, etc., pour payer, par priorité, les traitements contre le Sida en Afrique.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 février 2005)