Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à France 2 le 29 octobre 2004, sur son opposition au projet de Constitution européenne, à l'intégration de la Turquie dans la CE et à la proposition de Nicolas Sarkozy d'une réforme de la loi de 1905 pour permettre la construction de mosquées.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

Texte intégral

QUESTION : Signature aujourd'hui très symboliquement à Rome du Traité institutionnel par vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement. Pour les souverainistes comme vous, c'est un jour sombre, un jour de deuil, une défaite ?
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Non, c'est un jour sombre pour l'Europe. Le dernier Traité de Rome de 1957 était le contraire de ce que l'on est en train de faire maintenant. C'était, un, la coopération entre les Etats, le respect des Etats - alors que là, c'est l'intégration, c'est-à-dire la désintégration des Etats et des démocraties, la purée de marrons ; et puis deuxièmement, c'était le marché commun. Pour les gens qui nous regardent, que reste-t-il du marché commun aujourd'hui ? L'Europe est l'union commerciale la moins protégée du monde, un courant d'air entre les océans.
QUESTION : J.-P. Raffarin n'est bien sûr pas de votre avis ; il dit que c'est un "rendez-vous du non-retour, un projet irréversible, irrévocable"...
Philippe de VILLIERS (Réponse) : J'espère qu'il se trompe. Mais dans la vie, rien n'est irrévocable. Ce qu'un peuple a conclu, il peut le défaire. Je vais vous dire pourquoi je suis tout à fait hostile à cette Constitution. Qui dit "Constitution" dit "Etat" ; qui dit "Constitution européenne" dit "Etat européen", pour trois raisons. La première, c'est qu'elle va rendre très dangereuse l'adhésion hélas probable de la Turquie, puisqu'elle indexe le pouvoir sur le poids démographique, ce qui veut dire que la Turquie aura plus de députés européens que la France, plus de voix au Conseil que l'Allemagne. Deuxièmement, elle va accélérer les délocalisations, puisqu'elle abat toutes les protections tarifaires et douanières. Il suffit d'aller aux Etats- Unis pour comprendre quelle erreur nous commettons en ce moment. Et troisièmement, elle met fin à toute politique française, toute politique de sécurité du territoire - plus de frontières - ; toute politique de la loi, puisque la loi européenne sera désormais supérieure à toute loi française, même constitutionnelle ; et enfin, toute politique étrangère, puisqu'il y aura un ministre des Affaires étrangères. Songeons un instant à l'application de cette Constitution il y a deux ans : nos soldats seraient aujourd'hui en Irak.
QUESTION : Mais justement, le fait qu'il y ait un ministre des Affaires étrangères, un président de l'Union, des institutions qui fonctionnent, est-ce que ce n'est pas justement le meilleur contrepoids face à l'hyper puissance américaine ? Est-ce que ce n'est pas la meilleure garantie de la paix, paix qui est assurée en Europe depuis la création de la Communauté européenne ?
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Je vais vous dire deux choses : premièrement, faire entrer la Turquie, c'est mettre l'Europe à portée de la zone la plus conflictuelle du monde, alors, parlons de la paix en effet ! Quand on aura une frontière commune avec la Turquie, qui est la plate-forme du terrorisme, de l'immigration clandestine et de toutes les mafias eurasiatiques, on commet une très grave erreur. Et puis, c'est très bien comme ça, un ministre des Affaires étrangères sur le papier ! Les gens qui regardent se disent "pourquoi pas"... Mais vous ne pouvez pas forcer les peuples, forcer les traditions, forcer les coutumes, forcer les spécificités. Napoléon disait que l'on a "la diplomatie de sa géographie". Parce qu'est-ce que cela veut dire, un ministre des Affaires étrangères ? Cela veut dire que, par exemple, il n'y aura plus de droit de veto de la France à l'ONU, puisque l'Union européenne aura la personnalité juridique, c'est-à-dire qu'elle deviendra un acteur international à part entière et qu'elle pourra signer les traités non plus au nom des Etats, mais en son nom propre. Alors, cela change tout : c'est un Etat. Et donc, en fait, ceux qui sont d'accord pour que la France disparaisse, avec sa voix, il faut qu'ils aillent dans ce sens. Regardez M. Barnier, quand il a voulu aller libérer les otages : on n'a pas vu l'Europe, M. Solana, le "commissaire Ceci" aux Affaires étrangères... Quand un pays est dans l'épreuve, il est seul avec ses réseaux, ses amitiés. Cela ne veut pas dire que l'on ne va pas coopérer avec les autres. Au contraire, à vingt-cinq, à trente pays, il faut coopérer. J'étais en Pologne il y a quelques jours, à Londres il y a quelques jours aussi. La coopération entre les Etats et entre les peuples, mais pas cette purée de marrons. De Gaulle disait : "Si vous voulez unir les peuples, ne les intégrez pas comme des marrons dans une purée de marrons".
QUESTION : Vous parlez beaucoup de la Turquie, mais J. Chirac l'a redit : l'adhésion de la Turquie n'est pas du tout automatique. Il faut que les négociations aboutissent, et puis il y aura un référendum. Est-ce que ce n'est pas mélanger les genres que de parler de la Turquie aujourd'hui, le jour où l'on signe le traité ?
Philippe de VILLIERS (Réponse) : J'ai une expression un peu crue, qui me vient à l'esprit - tant pis je la dis, c'est le matin, cela va réveiller les gens ! : c'est du foutage de gueule ! Parce qu'avant-hier, le Parlement, avec d'ailleurs l'UMP et l'UDF, a voté un crédit de pré-adhésion : 47 millions. Cela veut dire que l'on paie déjà ! Alors, on nous dit que mais non, la Turquie, ce n'est pas fait ? Oui, mais on paie déjà ! Ensuite, savez-vous que la Turquie, aujourd'hui, va signer le traité constitutionnel ! Elle est appelée à cosigner le traité avec toutes ses annexes...
QUESTION : Comme les autres pays qui sont candidats, comme la Roumanie ou la Bulgarie...
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Avec une grande différence : c'est que eux sont déjà candidats, alors que la Turquie, c'est le 17 décembre qu'on nous dit qu'elle le sera, si les chefs de l'Etat le décident à l'unanimité. En d'autres termes, depuis le début, tout cela se passe dans le dos des peuples, hors démocratie. On apprend aujourd'hui qu'à Helsinki, en 1999, on a accordé le statut de pré-adhérent. Et savez-vous combien les contribuables européens paient cette année ? 300 millions d'euros pour la Turquie, 600 millions d'euros en 2005. On paie pour qui, pour quoi ? On paie pour un pays qui est en train de rentrer dans l'Union. Et dans la recommandation du 6 octobre dernier de la fameuse Commission de Bruxelles, il est écrit ceci - c'est la perle des perles, tout est dit ! - : "La dynamique de la population turque permettra de compenser le vieillissement de la population européenne". Voilà !
QUESTION : La Commission Barroso a repoussé son investiture, parce qu'elle risquait d'être mise en minorité. Vous avez parlé d'une Union européenne devenue un "club anti-chrétien". N'est-ce pas plutôt au contraire la démonstration que les institutions marchent, que le Parlement joue son rôle ?
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Le Parlement cherche en fait à affaiblir les Etats et à nommer lui-même les commissaires. Là, il y a un commissaire qui ne plaisait pas au Parlement, à M. Cohn-Bendit et à d'autres autour de lui. C'était d'ailleurs un happening d'ailleurs : désordre, confusion, pagaille, Cohen-Bendit aime ça, on se serrait cru à la Sorbonne en mai 68 ! Et alors, il y a un type, qui s'appelle Buttiglione, que je ne connais pas, qui se dit catholique, proche du Pape. Alors là, c'était... !
QUESTION : Il a quand même dit que l'homosexualité était un péché...
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Non, il n'a pas dit les choses comme cela. Je me suis fait passer les minutes de ce qu'il a dit, cela a été une grande manipulation. En fait, le Parlement européen avait besoin... Vous savez, dans l'Europe des différences, il y a une différence qui n'est admise aujourd'hui, on le voit, avec le "oui" à la Turquie, avec le refus des racines chrétiennes dans la Constitution, et maintenant ce monsieur Buttiglione ami du Pape qui est écarté : la seule différence qui n'est pas admise, c'est la différence chrétienne.
QUESTION : N. Sarkozy, dans son livre "La République, les religions et l'espérance", propose d'assouplir la loi de 1905, pour permettre notamment la construction de mosquées, ce qui n'est pas autorisé actuellement.
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Je ne comprends pas pourquoi tous les hommes politiques, y compris N. Sarkozy qui est un homme très intelligent et plein de bon sens, vont dans le même sens. Moi, je suis tout à fait défavorable à ce que les contribuables français financent les mosquées...
QUESTION : C'est mieux de les laisser dans les garages ?
Philippe de VILLIERS (Réponse) : Mais non, écoutez, le culte est l'affaire des personnes privées ! La loi de 1905 dit que "l'Etat ne subventionne ni ne salarie aucun culte". Je suis par exemple, en tant que président de Conseil général, propriétaire de deux abbayes. Et je n'ai pas le droit de faire n'importe quoi, c'est comme ça. Il y a les associations de loi 1901, il y a le denier du culte... Bientôt, on va nous proposer que le denier du culte serve à financer les mosquées ?! Il y a un vrai problème, non pas de l'islam, mais de l'islamisme. Essayons d'être sérieux, rigoureux et d'avoir un petit peu de jugeote par rapport aux décennies qui viennent, parce qu'un jour, on pourrait se réveiller avec une république islamique en France !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 novembre 2004)