Déclaration de Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, sur la lutte contre l'insécurité routière et sur l'attention particulière à accorder aux victimes, à Paris le 13 octobre 2004.

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Circonstance : Colloque "Vivre après l'accident", Paris le 13 octobre 2004

Texte intégral

Madame et Monsieur les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
On sait que la France connaît une insécurité routière qui dépasse, de loin, celle des pays équivalents. L'accident de la route est à la fois la plus habituelle et la plus tolérée de toutes les façons de mourir - surtout jeune - ou d'endommager gravement sa santé.
Malgré des menaces de sanctions toujours plus précises, des campagnes de communication encore plus abruptes et le fait qu'aucune famille ne puisse se targuer d'avoir été épargnée par l'hécatombe, la politique publique d'aide aux victimes des accidents de la route demeure encore bien abstraite et hypothétique dans ce domaine, en comparaison du bilan humain, social et économique que le phénomène génère chaque jour.
Reconnaissons-le, victime d'un drame personnel, la victime l'est aussi du traitement de ce contentieux de masse, comme l'appellent les praticiens du droit, dans lequel elle est entraînée, ballottée et souvent abandonnée.
En effet, le visage le plus connu du coût de l'insécurité routière se traduit généralement en nombre de sinistres, de tués et de blessés. C'est ignorer la dimension psychologique de l'accident de la route : des gens détruits, qui ne pourront plus jamais avoir une vie normale, des familles anéanties, des individus déséquilibrés, inadaptés, laissés pour compte.
Cette réalité ne figure dans aucune statistique, qui privilégie l'aspect purement économique de la violence routière. Il est grand temps de changer cette façon de voir et de considérer la victime de la route, ses proches, comme des sujets de droit à part entière, mais aussi des êtres souffrant nécessitant des mesures adaptées à leur état.
Aux incantations vaines et illusoires de ces dernières années, succède la volonté de lutter contre l'insécurité de la route et ses conséquences, avec pragmatisme, détermination et humanité. Les annonces faites au plus haut niveau de l'Etat, par le président de la République lui-même, la politique menée depuis 2 ans par le gouvernement et l'évolution favorable des tendances, de l'opinion publique, comme des médias, sont encourageantes.
Elles doivent être confirmées et s'inscrire dans le temps. Un changement de mentalité, voire de culture, doit s'installer dans notre pays.
Il n'est donc pas besoin d'annonces spectaculaires, en des lieux symboliques, par des frégoli de la communication Ce n'est d'ailleurs pas ce que demandent les victimes ni les associations qui les représentent et les défendent, légitimement déçues par une attitude qui a, et depuis longtemps prouvé ses limites, sinon son inefficacité. La politique déterminée menée par les ministres de l'intérieur, le ministre des transports et le délégué interministériel à la sécurité routière sont là pour le prouver.
C'était notre devoir depuis près de 40 ans. Sous l'impulsion du président de la République, les gouvernements de Jean-Pierre RAFFARIN ont eu le courage de le faire.
Une société qui ajoute la solidarité à sa devise nationale doit s'en donner les moyens et concentrer ses efforts sur la politique ainsi définie.
Outre les conducteurs, elle doit sensibiliser médecins, gendarmes, policiers, magistrats, avocats, assureurs, aux conséquences irrémédiables de la violence routière et aux moyens d'aider simplement, mais efficacement, ses victimes.
Dans le cadre du programme pluriannuel de lutte contre l'insécurité routière, le Garde des Sceaux a présenté ou soutenu devant le Parlement plusieurs textes qui traduisent cet engagement. Je citerai notamment la loi du 3 février 2003 relative à la conduite sous l'influence de substances stupéfiantes, la loi du 12 juin 2003 relative à la lutte contre la violence routière et la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
Ces textes ont modifié de manière significative les dispositions applicables en matière d'infractions routières. Ils permettent de diversifier les réponses pénales et de punir plus sévèrement les comportements dangereux de certains conducteurs.
Conformément aux orientations nationales de politique pénale, la lutte contre l'insécurité routière figure au premier rang des actions du Ministère public.
La mobilisation de l'ensemble des professionnels concernés par le traitement judiciaire de ces dossiers - notamment les magistrats du parquet - ne doit toutefois pas s'émousser à la lecture des résultats encourageants d'ores et déjà obtenus. En effet, si le maintien des dispositifs de prévention est indispensable, l'amélioration de la politique de répression s'avère plus que jamais nécessaire.
Parallèlement, les victimes de l'insécurité routière doivent faire l'objet d'une attention particulière de la part de l'autorité judiciaire et des services d'enquête. C'est particulièrement à propos des victimes de la route que Jehanne COLLARD, dans son ouvrage publié en 1997, parlait d'" oubliées de la Justice ". Leur situation a notablement évolué en quelques années, mais l'effort ne doit pas se relâcher.
C'est l'un des objectifs de la circulaire qui a été signée le 7 juillet dernier par le Garde des Sceaux et moi-même. C'est aussi la raison pour laquelle il a été décidé que la semaine de la sécurité routière, qui débute aujourd'hui, serait entièrement consacrée aux victimes de la route.
Nous souhaitons en effet une prise en considération spécifique des victimes.
Des efforts ont été consentis par certaines juridictions dans ce domaine. Ils doivent être uniformisés et coordonnés de manière à ce que tous les acteurs de la chaîne pénale prennent efficacement en considération les victimes ou leurs proches.
Il est ainsi nécessaire que la plus grande attention leur soit portée à tous les stades de la procédure, notamment avec l'appui des associations locales d'aide aux victimes. Le Garde des Sceaux et moi-même souhaitons également que les peines prononcées soient exécutées avec diligence, afin de permettre aux victimes, au-delà des réparations civiles, d'affirmer l'action de l'autorité judiciaire et de s'assurer de l'effectivité de la réponse pénale. C'est le sens même de la circulaire que nous avons entendu symboliquement co-signer pour démontrer que l'aide aux victimes d'infractions pénales est une des composantes majeures de l'action publique.
Mais, j'en suis bien consciente, la difficulté à laquelle les victimes, leurs familles, leurs proches restent confrontés avec le plus de dureté est bien celle de vivre ou revivre après l'accident.
C'est pourquoi le programme d'action que je viens de présenter au Conseil des ministres comporte un premier train de mesures dont certaines s'adressent directement aux accidentés de la route et visent à leur véritable réinsertion sociale.
Je souhaite vous en décrire quelques-unes ici.
En premier lieu, j'ai en effet voulu que les victimes de dommages corporels - et je pense tout particulièrement aux traumatisés crâniens, dont la situation fait l'objet d'une attention toute particulière de la part de mes services et de ceux de la Chancellerie - bénéficient de modalités d'indemnisation plus claires et plus équitables. La question des dysfonctionnements en matière de réparation est régulièrement dénoncée par les associations et par plusieurs groupes de travail constitués au sein du Conseil national de l'aide aux victimes.
Afin de rationaliser l'indemnisation du préjudice corporel, il devenait donc urgent de rendre compréhensibles par le public et accessibles aux professionnels les informations déterminantes pour le calcul de l'indemnisation. C'est pourquoi, d'ici la fin du 1er semestre 2005, devraient être diffusées une nomenclature des chefs de préjudices et, lorsque c'est possible, une table de concordance permettant de lier clairement à chaque chef de préjudice les prestations versées par les organismes sociaux.
De même, sera établie une base de données nationale, qui recensera l'ensemble des décisions rendues par les cours d'appel, de même que les transactions conclues en ce domaine.
Pour favoriser également une évaluation plus équitable des dommages corporels, une harmonisation et, dans la mesure du possible, une unification des barèmes médicaux sera mise en chantier dans les prochains jours.
Par ailleurs, un décret en Conseil d'Etat devrait bientôt fixer les termes d'une table de référence actualisable du barème de capitalisation indemnitaire utilisé pour convertir en capital une perte de revenus ou une dépense future.
Enfin, une juste indemnisation suppose en outre la clarification des règles du recours que divers organismes sociaux sont en droit d'exercer sur les indemnités versées aux victimes. Une réflexion est d'ores et déjà conduite afin que les organismes sociaux n'exercent leur action récursoire que sur les seuls chefs d'indemnisation qu'ils prennent effectivement en charge.
De même, et dans un autre ordre d'idées, j'ai souhaité qu'une des mesures de mon programme d'action soit destinée à promouvoir la libre expression de la victime pendant l'audience. Dans de trop nombreux cas en effet, la victime n'est que spectatrice à son propre procès. Il convient donc de lui reconnaître, qu'elle se soit constituée partie civile ou non, le droit de s'exprimer, pendant l'audience pénale, sur l'invitation du président.
Je souhaite en outre développer la justice restauratrice. Cette nouvelle conception de la justice, déjà expérimentée dans les pays anglo-saxons et en Belgique, constitue une approche complémentaire à celle de la justice pénale traditionnelle, laquelle est seulement centrée sur la sanction de l'auteur et l'indemnisation des dommages engendrés par l'infraction, et mérite d'être développée.
La justice restauratrice permet à la fois de faire prendre conscience à l'auteur de sa responsabilité envers la victime et de donner le sentiment à cette dernière, informée de la mesure infligée, qu'elle est prise en considération. Elle me paraît particulièrement adaptée en matière de violence routière.
Par exemple, il pourrait être imposé à des jeunes majeurs responsables de graves accidents de la circulation de participer à des actions de prévention dans les lycées sur les comportements à risque.
Ces exemples ne représentent qu'une faible part de mon programme d'action qui vise aussi à faciliter l'accès des victimes aux organismes de médecine légale, à améliorer leur prise en charge en urgence, à leur permettre un meilleur recouvrement de leurs dommages-intérêts, etc, etc
L'Etat ne pourra cependant tout faire. La politique globale et durable en faveur des victimes qu'il s'agit désormais de mener exige l'union de toutes les compétences. Il doit donc aussi pouvoir compter sur la conjugaison des efforts des pouvoirs publics, des collectivités territoriales et du secteur associatif pour mieux répondre aux attentes des victimes et susciter un élan national en leur faveur. Les associations de lutte contre la violence routière dans leur ensemble ont démontré qu 'elles avaient pu mobiliser les pouvoirs publics comme nos concitoyens, sur cette douloureuse question de société pour faire baisser le nombre des tués sur la route. Je ne doute pas que la conjugaison de nos efforts nous permettra de trouver les moyens d'aider les victimes à vivre - ou à revivre - après l'accident.
La réflexion qui sera menée aujourd'hui devrait nous y aider.

(Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 décembre 2004)