Extraits d'un entretien de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à France inter le 17 janvier 2004, sur la présidence irlandaise du Conseil européen, les élections européennes de 2004 et la "Quinzaine de l'Europe élargie dans la restauration".

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Nous accueillons deux invités aujourd'hui, Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux Affaires européennes - qui termine ici en direct avec nous une semaine chargée -, et Jacques Delors par téléphone.
R - Une semaine européenne excellente mais effectivement chargée, comme la semaine prochaine d'ailleurs.
Q - Alors, vous avez commencé par une visite en Irlande, on en parlera longuement, mais il nous est arrivé aussi quelque chose de très heureux cette semaine. J'ai reçu jeudi le livre de mémoires de Jacques Delors et ce livre, nous aurons dans un instant Jacques Delors en ligne, mais je voudrais vous dire pourquoi j'ai aimé ce livre. Nous les Européens, nous ne connaissons que l'histoire immédiate, les Français ont peut-être oublié que Jacques Delors n'a pas seulement joué un rôle éminent en tant que président de la Commission européenne, mais avant, à deux reprises, il a travaillé pour notre pays, notamment en tant que conseiller pour les Affaires sociales auprès de Jacques Chaban-Delmas et on peut dire que si actuellement Jacques Delors est de la deuxième génération des pères de l'Europe, il a été de la première génération des gens qui ont pensé à la nouvelle société aux côtés de Jacques Chaban-Delmas. La deuxième, cela a été d'être le ministre des Finances de François Mitterrand. Voilà pourquoi j'ai aimé ce livre et pourquoi je félicite et je remercie Jacques Delors d'être avec nous en direct ce soir.
R - Je voudrais m'associer, cher Roland, si vous le permettez, à votre hommage. D'abord ce livre était indispensable aujourd'hui alors que certains de nos concitoyens éprouvent un peu de désarroi face aux turbulences que connaît l'Europe, notamment après le rendez-vous manqué du dernier Sommet de Bruxelles sur la Constitution. Ce livre était indispensable pour donner un vrai visage humain à l'Europe. L'Europe, c'est nous. Mais c'est aussi et surtout l'oeuvre de certains visionnaires comme Jacques Delors qui croient en des valeurs. On ne peut pas dire que l'Europe soit uniquement de nature technique ou juridique, voire politique. C'est aussi une communauté de valeurs. Ce qui est magnifiquement incarné par la vision qu'en a Jacques Delors. Je voudrais une fois encore lui dire mon admiration et ma reconnaissance.
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Q - (A propos de la Présidence irlandaise)
R - Après un déplacement le 12 janvier dernier en Irlande, je suis raisonnablement optimiste. L'Irlande est en quelque sorte le champion de l'Europe puisque c'est là où les citoyens sont le plus pro-européens, en tous cas d'après les derniers sondages. L'Irlande a également su merveilleusement tirer parti de son accession à l'Europe, notamment pour développer son économie, puisque le niveau de vie y est devenu supérieur à celui observé en Grande-Bretagne. Par ailleurs, grâce à l'Europe, l'Irlande a pu promouvoir une transformation fondamentale de sa société. C'est un pays, il faut s'en féliciter, qui a successivement élu à la présidence de la République, deux femmes. C'est symbolique. L'Irlande, comme petit pays, est sans doute bien placée pour essayer de reprendre les négociations en remettant les Etats autour de la table pour entamer de nouveau le dialogue constitutionnel. Enfin, et cela a fait l'objet principal de ma conversation avec Dick Roche, le ministre irlandais des Affaires européennes, le gouvernement irlandais, s'est montré capable de nouer un dialogue citoyen sur l'Europe.
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Q - (A propos des chiffres de l'eurobaromètre. Chiffres favorables : 62% des Français sont contre l'arrêt de la construction européenne)
R - C'est un chiffre qui va de soi, en réalité. On voit mal comment la France pourrait vivre sans être européenne. Nous sommes partie prenante de la construction européenne. Il y a une osmose entre la culture française, la politique française et l'Europe. Ce qui est très intéressant, c'est que les Français sont aujourd'hui conscients que les problèmes concrets qui se posent à eux ont à voir avec l'Europe. Cela ressort de ce sondage, et d'autres sondages d'ailleurs. Ils savent qu'on ne peut plus régler, en cavalier seul, la plupart des problèmes, y compris ceux qui nous touchent beaucoup en ce moment, ceux de l'emploi, de la compétitivité et de la croissance.
Q - Vous passez votre vie dans les avions, pour aller remonter le moral de ceux qui en ont besoin en Europe
R - Heureusement, les avions sont rapides. Certes ce n'est pas l'Union, mais je pars pour la Géorgie, pour l'investiture du nouveau président de la République. La délégation française sera importante car nous devons cultiver les relations avec nos nouveaux voisins. Je vais également aller bientôt en Roumanie et en République tchèque. J'essaye d'effectuer la plupart de ces voyages avec certains de mes homologues de l'Union pour donner à nos nouveaux futurs partenaires européens l'image d'Etats membres qui les accueillent ensemble, main dans la main et de bonne grâce.
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Les Irlandais, et notamment mon ami Dick Roche ont une expérience très précieuse pour nous. Souvenez-vous que le Traité de Nice a fait l'objet d'un référendum négatif en Irlande. Ensuite tout le pays a été mobilisé par le gouvernement. Le chef de cette campagne de communication gouvernementale était Dick Roche et les Irlandais ont finalement dit oui, à une très large majorité, d'environ les 2/3.
Les quatre enseignements que cette campagne référendaire en Irlande a permis de tirer sont les suivantes :
- Premier enseignement : il faut éviter de présenter l'Europe comme une entité juridique, ou technique, et au lieu de se focaliser sur le débat institutionnel, il faut parler des problèmes concrets. Qu'est-ce que l'Europe nous apporte ? Des emplois, la prospérité économique, un environnement mieux protégé, la sécurité et notamment une lutte plus efficace contre le crime organisé et des moyens de faciliter la vie des travailleurs qui circulent dans l'espace européen.
- Deuxième règle importante : la campagne ne doit pas être seulement menée par des responsables politiques. Il faut que la société civile se mobilise. Or les Irlandais ont su, en l'espace de quelques semaines, mobiliser les syndicats, les ONG, les enseignants L'organe de promotion de cette campagne était dirigé par une femme de la société civile, une enseignante, qui a su promouvoir des idées européennes sous leurs aspects les plus concrets.
- Troisième règle : il faut répondre à ceux qui ont des arguments très précis à faire valoir contre l'Europe, qui sont très motivés contre l'Europe. Il faut leur répondre par des contre-arguments aussi précis, aussi détaillés et aussi raisonnés que ceux qu'ils invoquent. Il ne faut pas se borner à un discours trop général sur l'Europe, à des idées abstraites ou angéliques. Il faut répondre point par point aux adversaires de la construction européenne.
- Dernier principe : il faut enfin et surtout s'adresser à ceux qui sont tentés de ne pas voter, aux abstentionnistes potentiels. Car si le second référendum irlandais a été un franc succès par rapport au premier qui a été une grande déception, cela est du au fait que les abstentionnistes se sont réveillés la seconde fois pour voter contre les partisans - très motivés - du non. Il faut motiver les citoyens, car l'Europe n'est pas une idée à laquelle on adhère de façon spontanée. Il faut que la pédagogie de l'Europe soit diffusée dans toute la société.
Q - Je pense que l'élection qui se présente est une nouvelle forme d'élection. Dans le passé, souvenons-nous, la circonscription électorale était l'ensemble de la France, il n'y avait donc jamais eu de passerelles entre les candidats, les députés et ceux qui les avaient élus, et que maintenant cela va changer puisqu'il n'y a que huit régions qui vont permettre ce rapprochement entre ceux qui sont élus et ceux qui les ont élu, et si j'avais un fond de commerce à ouvrir, j'ouvrirais une épicerie pour expliquer aux candidats ce que les Français attendent de cette consultation élargie et rapprochant ceux qui sont européens et ceux qui vont les représenter à Bruxelles.
R - Jean-Pierre Raffarin, dans sa déclaration de politique générale, avait promis de régionaliser le mode de scrutin aux élections européennes pour rapprocher les députés européens de leur électorat. Avoir un électorat qui est l'ensemble de la Nation ne permet pas en effet ce lien concret, charnel, qui est nécessaire avec l'élu. C'est chose faite. La réforme est entrée en vigueur, et le 13 juin prochain, les électeurs en France - Français et non Français ressortissants communautaires- pourront voter aux élections européennes, en ayant une vision plus concrète et personnifiée de ceux qui se présentent pour défendre les intérêts de la France au Parlement européen. Ce système va obliger les députés européens - ce qui est la finalité de la représentation européenne- à rendre compte de leur mandat. La démocratie est un dialogue entre les citoyens et leurs élus. Les citoyens donnent l'impulsion en votant, mais il faut ensuite que les représentants élus retrouvent les citoyens, reviennent vers eux pour leur expliquer ce qu'ils font. La meilleure pédagogie de l'Europe, c'est que les citoyens aient le sentiment qu'ils peuvent, à travers leurs élus, peser sur les décisions au Parlement européen.
Q - Mais ils pourront peser parce qu'ils les connaîtront enfin et pourront s'adresser à leurs députés ; ils auront une voix et un visage ?
R - Ils auront une voix, un visage, celui d'un homme ou d'une femme et ils pourront faire passer plus facilement des messages.
Q - On continue l'examen de votre ministère, ce que j'appelle une grande surface d'idées et de propositions quelquefois bizarres. On dit partout qu'il faut que les Européens fassent connaissance entre eux et vous leur proposez pour cela, la cuisine européenne.
R - Cette opération, qui a été lancée il y a quelques jours, s'appelle la "Quinzaine de l'Europe élargie dans la restauration, goûtons ensemble à la nouvelle Europe !". Elle vise à faire connaître en France, la gastronomie des dix pays qui vont nous rejoindre, huit pays de l'Est de l'Europe, et les deux îles au cur de la Méditerranée que sont Chypre et Malte. Il n'y a pas de meilleur langage que la cuisine. La restauration, en effet permet de goûter les saveurs, et donc de connaître les traditions d'un pays. Brillat-Savarin dans sa "Physiologie du goût" disait "Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es". Il y a aussi, à travers la cuisine, un échange. Partager un repas de façon conviviale à plusieurs, c'est atteindre un certain degré d'intimité.
Q - Et puis il ne faut pas oublier que le début de la tolérance, c'est connaître la cuisine de l'autre.
R - Dans l'esprit de ce que vous disiez tout à l'heure, je voulais dire que la France est bien consciente de l'excellence de sa gastronomie. Mais nous ne sommes pas arrogants et nous sommes prêts à accueillir les apports des cuisines des autres pays parce que l'art culinaire, est un art universel.
Q - C'est donc l'élargissement dans l'assiette ?
R - C'est l'élargissement dans l'assiette et l'accueil de nos futurs partenaires à travers ce qu'ils nous présentent comme l'essence même de leur culture.
Q - Noëlle Lenoir, on peut le dire, ce sera dans les lycées, dans les collèges, dans les restos d'entreprise, dans les gares, dans les resto-routes, on pourra goûter cette cuisine. Je suis allée à Compiègne, j'ai pu goûter cette cuisine dans un restaurant très populaire, je vais aller à Orléans visiter les cantines de la ville qui toutes ont accepté de participer à cette quinzaine de la restauration. Dernière initiative, vous proposez aux jeunes, aimant la cuisine ou pas, la possibilité de participer à 10000 stages en Europe.
R - Absolument. Si je peux revenir un instant sur la restauration ici sur France Inter, permettez-moi d'indiquer que j'ai la chance que Jean-Pierre Coffe - qui a une émission parmi les plus écoutées avec la vôtre, se soit intéressé à notre opération. Il a l'esprit ouvert et un sens aigu des apports de toutes les cuisines du monde. Nous allons faire des choses avec lui qui vont en étonner plus d'un. Quant aux 10 000 stages, ils consistent à permettre aux jeunes d'aller voir de l'autre côté de la frontière comment vivent d'autres jeunes dans un milieu professionnel. Ces stages ou ces jobs d'été sont effectués dans les entreprises. Les jeunes en garderont de très bons souvenirs mais peut-être, nous l'espérons, cela leur permettra-t-il de rentrer dans la vie active en saisissant cette occasion de mobilité sur l'ensemble de l'espace européen. Cette réconciliation entre mobilité et emploi peut être formidable pour les jeunes.
Q - Et cela se passe sur Internet ?
R - Et cela se passe sur Internet ; www.10000stages.com
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2004)