Tribune de M. Gérard Aschiéri, secrétaire général de la FSU, dans "Service Public" de juin 2004, sur la recherche et le statut des chercheurs, notamment la précarité des jeunes chercheurs et les "privilèges" des fonctionnaires et la politique de formation dans l'emploi public.

Prononcé le 1er juin 2004

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Média : Service public

Texte intégral

Que n'a-t-on pas en effet entendu ? Le statut de fonctionnaires serait contradictoire avec une recherche efficace et dynamique.
La précarité devrait aussi être la norme pour les jeunes devenant chercheurs. Des affirmations a priori que rien ne vient étayer: la recherche française a depuis de longues années démontré sa qualité et ses performances. Et les prises de positions des chercheurs étrangers, ou de la revue Nature, l'illustrent bien.
Rien ne montre que le statut de fonctionnaires soit contre-productif. Au contraire, tout montre que la précarité est antinomique avec les exigences de la recherche fondamentale, qui a besoin de temps, de stabilité, de pérennité.
Encore une fois, c'est une caricature de la fonction publique à laquelle nous avons affaire. Encore une fois sont de retour les métaphores sur la lourdeur, l'immobilisme, l'absence d'initiative; elles vont, comme de coutume, du "mammouth" à "l'armée rouge". Encore une fois, on oublie ce qui justifie l'existence d'un statut, à quoi servent les fonctionnaires.
Rappelons-le: ce que l'on décrit en général comme des "privilèges" et des "rigidités" sont d'abord des conditions indispensables pour l'exercice des missions de services publics qui répondent à l'intérêt général. Ces missions nécessitent la durée et la stabilité, l'indépendance par rapport aux intérêts particuliers. Elles impliquent de plus en plus de qualifications élevées, une capacité d'initiative dans le respect de l'intérêt général, le travail en équipe, le sens du service public.
Or ce sont ces exigences qu'ignorent de plus en plus les décideurs, à la fois pour des choix budgétaires à courtes vues et pour des raisons idéologiques mal fondées. Lorsqu'un gouvernement fait le choix a priori de réduire de façon drastique les remplacements des départs à la retraite, lorsqu'il casse les quelques programmations mises en place, lorsqu'il ignore la réalité des besoins, non seulement il tourne le dos à l'avenir, mais il adresse un signe particulièrement négatif à ses agents dont il dénie l'intérêt du travail; il adresse aussi un signal aux jeunes diplômés à qui il suggère que leur avenir ne saurait résider dans la fonction publique. Il prend un risque considérable pour les services publics. Refusant de faire jouer à l'emploi public tout son rôle dans la lutte contre le chômage, il enlève également aux services publics les moyens d'exercer les missions; il démoralise ses agents.

Plus d'arbitraire, moins de transparence
Comment prétendre que les agents doivent travailler ensemble, s'insérer dans un projet collectif lorsque l'on érige la précarité en passage incontournable pour de plus en plus de jeunes? Comment exiger le sens du service public de ceux à qui l'on ne garantit que davantage de flexibilité et d'insécurité ?
Il en va de même lorsque la rémunération des fonctionnaires est bloquée parce que l'on considère que le maintien de leur pouvoir d'achat ne doit intervenir que s'il reste de l'argent. En outre, offrir comme perspective la "rémunération au mérite" dans un contexte de perte de pouvoir d'achat généralisé, apparaît non seulement comme une vraie provocation, mais aussi comme un contresens au regard des exigences des services publics: la rémunération dite "au mérite" ne s'est traduite jusqu'ici que par plus d'arbitraire et moins de transparence; au lieu d'offrir des débouchés en prenant en compte de manière indiscutable la qualification et le travail à travers des critères collectifs et transparents, elle ne ferait qu'accroître la concurrence entre individus, là où la collaboration et le travail en équipe sont de plus en plus indispensables; elle ferait courir le risque de la caporalisation là où la capacité d'initiative est essentielle.

Valoriser le sens du service
À la caricature de la fonction publique si souvent répandue, il est de la responsabilité de tous - et d'abord du gouvernement - d'opposer la réalité. Cette réalité est celle de services publics qui n'ont cessé d'évoluer et qui l'on fait d'abord grâce à l'engagement, à la qualification, au professionnalisme et au sens des responsabilités des personnels. Ce sont aussi des services publics dont l'essentiel n'est pas dans l'administration "administrante", mais dans des personnels sur le terrain, au contact des usagers, confrontés aux problèmes de tous les jours dans des secteurs aussi essentiels que l'éducation, la sécurité, la santé Le "rond de cuir" cher à Courteline, s'il a jamais existé, est de plus en plus loin de ce qu'est effectivement la fonction publique. Et si l'on veut qu'elle évolue encore, qu'elle réponde encore mieux aux besoins de la société - et c'est indispensable -, il y a d'autres moyens à mettre en uvre que la vulgate généralement inspirée du "management" privé. Bannir ce terme du vocabulaire officiel serait peut-être un des premiers symboles du changement.
Le premier ressort à faire jouer est peut-être le sens du service public qui est largement partagé par ses agents: le valoriser, s'y appuyer, leur faire confiance, est sans doute un des moyens, non seulement d'accompagner, mais d'impulser ces évolutions que, très majoritairement, les personnels souhaitent. Faire de la fierté de servir l'intérêt général un outil de transformation de la manière de servir implique bien sûr un certain nombre de conditions.
Il faut bien évidemment que la rémunération corresponde à cet objectif, en garantissant à tous le maintien et la progression du pouvoir d'achat, en mettant fin à des bas salaires indignes, en permettant de véritables carrières, où le gain ne soit pas "mangé" par les pertes de pouvoir d'achat.

Mener une politique de l'emploi public
Il faut aussi un effort considérable en matière de qualification: à la fois pour faire évoluer les exigences de qualification en fonction des besoins, pour prendre en compte les qualifications réellement détenues par les agents et pour valider celles acquises à travers l'expérience et la pratique professionnelle.
Une troisième condition est le développement de la formation, en particulier continue : comment comprendre qu'aujourd'hui la fonction publique prenne un tel retard sur le privé ?
Et bien évidemment une politique de l'emploi public est indispensable, avec notamment un double objectif: d'une part, recruter en offrant une programmation pluriannuelle et en développant les prérecrutements ; d'autre part, faire reculer la précarité, contradictoire avec les exigences mêmes du service public.
Une dernière condition dans cette liste non exhaustive : instaurer un vrai dialogue social, qui ne prenne pas les personnels pour d'éternels mineurs, mais leur donne pleinement le droit de choisir leurs représentants, respecte ceux qu'ils se sont donnés, considère les agents et leurs syndicats comme des partenaires qui, à partir de leur expérience, ont quelque chose à dire et à proposer. Revenir à ces quelques "fondamentaux" ne serait-ce pas la véritable révolution tranquille à faire ?
Certes, cela a un coût et il importe d'en discuter et de s'en donner les moyens sur la durée. Mais le vrai courage ne serait-il pas de reconnaître et rappeler à tous qu'il pourrait s'agir d'un investissement particulièrement profitable à terme ?
(Source http://www.fonction-publique.gouv.fr, le 28 juin 2004)