Interview de M. Noël Mamère, député des Verts, à Europe 1 le 14 février 2005, sur le référendum pour la Constitution européenne, le débat interne chez Les Verts et les enjeux sociaux et politiques de la construction européenne.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- La question du "oui" se pose-t-elle aujourd'hui chez les Verts, parti réputé être parmi les plus européens ? Un référendum interne vient d'avoir lieu, dont les résultats seront connus ce soir ou demain. Mais le scénario de 1992 peut-il se reproduire ? Les Verts, alors n'avaient pu se départager entre les pour et les contre sur le Traité de Maastricht. Chez les Verts aussi, le contexte social pèsera-t-il sur la réponse à la question référendaire ? Cette question et ce référendum interne au parti, cela risque d'être très départagé, puisque même le porte-parole du mouvement dit que les deux schémas, c'est-à-dire les pour et les contre, sont envisagés.
R- Oui, c'est normal dans un parti politique où l'on respecte le vote démocratique des militants, on doit envisager les deux hypothèses. Moi, je n'en envisage qu'une, celle du "oui". D'abord, nous avons une indication très intéressante, c'était cette motion ponctuelle au moment du congrès qui a été présentée par un certain nombre d'entre nous, qui a montré qu'il y avait finalement une large majorité de Verts pour se prononcer pour le renforcement de l'Union européenne, quels que soient les défauts attribués à cette Constitution. D'autre part, je pense que nous avons une grande chance par rapport aux autres partis politiques, c'est que nous représentons au Parlement européen - qui est le seul lieu réellement citoyen de l'Union européenne, puisque les députés sont élus au suffrage universel -, nos députés Verts français qui appartiennent à toutes les sensibilités des Verts, se sont tous prononcés pour le "oui" à la Constitution européenne. Donc on ne peut pas instrumentaliser la question de l'Europe pour des raisons d'équilibre interne. Je crois que de ce point de vue, si les Verts manquent de maturité dans leur organisation politique, sur la question de l'Europe, ils ont acquis une maturité bien plus grande que la plupart des partis politiques français.
Q- Puisque c'est la question de la maturité qui se pose aussi, comment les Verts vont-ils voter ? Seuls ou vont-ils s'allier à d'autres ? Voterez-vous, par exemple, avec le PS ? Je vous repose la question sous une autre forme, celle de la bipolarisation de la vie politique française. On a l'impression qu'il n'y a plus que deux grands partis qui existent : l'UMP d'un côté, le Parti socialiste de l'autre. Sauf que vous êtes là ce matin et que vous allez voter aussi ; comment allez-vous voter ?
R- Bien sûr que nous allons voter ! Avant de voter, on va faire campagne. Et donc, la question se pose de savoir si nous allons faire une campagne pour une Europe "verte" - le mot est peut-être un peu caricatural. Mais est-ce que nous allons montrer notre identité, notre spécificité sur la question européenne, sur laquelle nous avons quand même une sacrée longueur d'avance depuis quelques années. Nous avons été les premiers à défendre l'idée d'une Europe fédérale, nous sommes la seule formation politique en Europe à être dotée d'un parti européen, qui n'est pas le Parti socialiste européen qui est représenté par des délégations nationales. Nous avons renoncé à notre souveraineté nationale pour nous fondre dans une souveraineté supérieure, qui est celle de l'Europe. Nous avons, pendant la campagne des Européennes, décliné les mêmes thèmes dans les 25 pays de l'Union. Donc, de ce point de vue, il faut que nous fassions une campagne qui soit une campagne autonome. Les socialistes n'ont pas la même conception que nous de l'Europe des transports, de l'Europe de l'énergie. Nous pouvons avoir des points communs, notamment sur ce que nous voulons en matière d'harmonisation sociale et fiscale, mais il y a un certain nombre de sujets sur lesquels nous nous battons depuis longtemps - je pense en particulier aux questions qui tournent autour de l'environnement - où nous devons marquer notre spécificité et notre identité. Donc, pour moi, comme, je pense, pour la plupart des Verts français, et pour le gouvernement des Verts, il n'est pas question de s'associer d'un côté, à F. Bayrou, de l'autre, à F. Hollande pour mener campagne. F. Bayrou est pour le traité constitutionnel européen de la main gauche, et de la main droite, il est contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne. Nous n'avons pas la même conception de l'Europe ! Nous défendons une Europe ouverte et non pas une Europe fermée.
Q- Tout le monde ne pense pas comme vous au sein des Verts, certains mêmes ont parlé de la polyphonie des chefs chez les Verts...
R- C'est un peu trop facile de revenir, comme une scie circulaire, sur la question de la polyphonie verte et de ses chamailleries. Ce congrès ne s'est pas passé dans les meilleures conditions, mais il a quand même été capable de recueillir un texte de synthèse à 95 % des sensibilités - c'est une première dans l'histoire des Verts. Ce collège exécutif s'est doté d'un secrétaire national qui est en train de renouveler les générations vertes, et je pense que c'est irréversible et c'est très bien. Ce collège exécutif, qu'est le Gouvernement des Verts, a compris que si nous poursuivions cette espèce d'obsession de la spirale de la division, c'était catastrophique et suicidaire pour les Verts, qui ont quand même beaucoup de choses à apporter, je crois, beaucoup de réponses à apporter à la crise. On ne peut pas rester les bras ballants, on ne peut pas rester inertes et cois, quand on voit comment ce Gouvernement est en train de remettre en cause le droit du travail, le code pénal, qu'il est en train de s'attaquer à l'éducation, qu'il mène une politique libérale qui est en train de miner la cohésion sociale et le pacte social...
Q- Mais voilà qui pèse. Là aussi, je reviens à ma première question : ce sera très partagé.
R- Non, ce ne sera pas très partagé. Déjà, ce matin, je peux vous dire que la participation est de plus de 50 %, ce qui n'est pas si mal. Je crois que le "oui" l'emportera largement mais cela ne veut pas dire pour autant qu'il faut mépriser et ignorer ceux qui défendent le non à la Constitution.
Q- On voit bien à quel point le débat sur les enjeux sociaux, la question des 35 heures d'abord, la question de l'enseignement aujourd'hui, le pouvoir d'achat... Tout cela pèse sur la question référendaire.
R- Je suis devant vous, dans une grande chaîne de service public. Mon devoir et ma fonction, c'est d'éclairer l'opinion sur les enjeux. Je pense qu'il est irresponsable, que l'on soit journaliste ou que l'on soit politique, de mélanger les deux choses. Si aujourd'hui, le gouvernement Raffarin est en train de remettre en cause les 35 heures, ce n'est pas l'Europe qui le lui a demandé ! C'est une volonté de ce Gouvernement, appuyé sur le Medef et sur un certain nombre de forces économiques dans ce pays. Ce n'est pas l'Union européenne, ce n'est pas la Commission européenne qui a demandé l'abolition des 35 heures ! Et ce n'est pas inscrit dans la Constitution, bien au contraire. La Constitution, pour la première fois, après des discussions et des discussions qui n'ont pas au lieu simplement entre des Gouvernements et des administrations, mais il y avait quand même cent parlementaires européens, des représentants des parlements nationaux - qui sont, excusez-moi, quand même élus au suffrage universel -, il y avait des représentants des Gouvernements. Il y avait donc ce qui représente aujourd'hui l'Europe des citoyens. Dans cette Constitution, contrairement à ce que disent ce qui défendent le "non", il y a inscrit en toute lettre la question de la charte des droits fondamentaux, la parité homme-femme, le droit de grève de la convention collective - tout cela, c'est inscrit ! -, services d'intérêt général...
Q- Oui mais la responsabilité politique, et vous la défendez, très bien, magnifique ! Néanmoins, il faut savoir aussi affronter une réalité, elle est présente à nos yeux...
R- Eh bien affrontons la réalité dans chacun des pays de l'Union et faisons en sorte que les Gouvernements, qui sont aujourd'hui des gouvernements libéraux et conservateurs - ça, c'est de la décision des citoyens - n'aient plus le pouvoir et soient remplacés par des forces qui vont être capables, dans le cadre des coopérations renforcées, qui sont précisément permises par la Constitution, eh bien de partir de cette étape, de ce pas que nous allons franchir avec les avancées institutionnelles et démocratiques de la Constitution, pour précisément renforcer l'harmonisation sociale et l'harmonisation fiscale. Je pense qu'aujourd'hui, on attribue à la Constitution un certain nombre de maux. Finalement, les partisans du "non", qu'ils soient de droite ou de gauche, font la même chose. Qu'ont fait la plupart des Gouvernements qui se sont succédées, de droite et de gauche ? Chaque fois qu'ils n'avaient pas le courage de regarder en face les vrais problèmes, ils choisissaient l'Europe comme un bouc émissaire. Ils disaient "c'est la faute à l'Europe". Il ne faut pas s'étonner qu'aujourd'hui les Français et d'autres citoyens de l'Union européenne considèrent l'Europe comme la cause de tous leurs maux. Mais ce n'est pas l'Europe la cause de tous leurs maux, même si cette Europe, nous la voulons différente.
Q- Juste une chose. A vous écouter juste à l'instant, on pouvait finir par se demander si vous n'étiez pas en train de nous dire que le Gouvernement n'a peut-être pas envie de la victoire du "oui", pour avoir engagé toutes ces grandes réformes, si près d'un référendum. Est-ce que vous le pensez vraiment ou pas ?
R- Je ne sais pas. Je pense qu'on a affaire à un gouvernement qui est frappé de schizophrénie et qui est un spécialiste de la contorsion et du mensonge. Vous avez un président de la République qui va devant les écologistes du monde et dire "si nous ne faisons rien, la maison va brûler" et puis, pendant le même temps, il a cassé la loi sur l'eau que nous avions péniblement votée avec la gauche pour transformer le principe du pollueur-payeur en pollueur-payé. Il vous dit qu'il faut faire des efforts sur l'énergie et on décide, sans aucune consultation démocratique, que l'on va encore se lier les pieds et les mains pendant trente ans au nucléaire, avec les 3 milliards d'euros pour un réacteur d'essai qui s'appelle l'EPR. On vous dit qu'on est pour la biodiversité et pendant le même temps, on se rend complice de ceux qui vont de la dissémination volontaire dans l'environnement avec les OGM, en faisant croire que ceux qui sont contre, sont contre la recherche, ce qui n'est absolument pas vrai. Donc, voilà. On a affaire à des gens qui vous disent "on veut plus de pacte social, plus d'égalité" et qui renforcent les inégalités au sein de la société. Donc, on ne peut pas les croire, ces gens-là. Moi, mon problème, ce n'est pas Chirac, ce n'est pas ce que dit Raffarin. Cela m'est complètement équilatéral - pardonnez-moi cette expression un peu triviale - de savoir quelle est l'opinion de Chirac sur l'Union européenne, ce qui m'intéresse, c'est de savoir ce que vont me proposer les Verts, ce que va proposer la gauche et quels sont les objectifs que l'on peut fixer. Mais cette histoire de confusion qui consiste à dire : "si vous faites campagne pour le "oui", vous allez encore voter pour Chirac". On a été 82 % à voter pour Chirac ; j'étais le premier, le soir de l'élection présidentielle, à dire qu'il fallait voter pour lui pour barrer la route au FN. Qu'est-ce qu'il en a fait de ces 82 % ? Voilà la réponse.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 février 2005)