Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Le thème de votre forum conduit à nous pencher sur les promesses que porte et sur les interrogations que soulève l'émergence, depuis plusieurs années aux Etats-Unis, plus récemment en France, de ce que beaucoup d'économistes regardent comme une troisième révolution industrielle. Ces promesses sont celles d'une croissance forte et durable s'appuyant sur une économie de la connaissance et de l'innovation. Ces interrogations concernent l'apparition de nouvelles inégalités notamment dans l'accès aux savoirs, aux technologies, aux emplois et aux richesses qu'apporterait cette nouvelle économie.
Je voudrais remercier Claude PERDRIEL, Gilles LEGENDRE et l'équipe de " Challenges " de l'invitation qu'ils m'ont faite à m'exprimer devant vous. Vos réflexions recoupent en effet deux perspectives essentielles pour le Gouvernement que je dirige. J'ai tracé la première voici trois ans à Hourtin, en indiquant notre dessein de faire entrer pleinement la France dans la société de l'information. J'ai évoqué la seconde -celle de viser le plein emploi à l'horizon de la décennie- il y a un an à la Rochelle. Prolonger ce qui constitue l'acquis majeur des trois dernières années -une croissance nouvelle fortement créatrice d'emplois-, tirer le meilleur parti de la révolution technologique qui s'affirme : ces deux perspectives sont complémentaires.
La France se trouve aujourd'hui sur un sentier de croissance nouveau.
Ce sentier, c'est celui d'une croissance robuste. Celle-ci se nourrit du dynamisme de la consommation et de l'investissement. Depuis trois ans, le retour de la confiance et la reprise de la consommation ont engendré une forte hausse de l'investissement. Cette dernière a contribué à résorber une partie du retard accumulé depuis le début de la décennie dans le renforcement des capacités de production des entreprises.
Ce sentier, c'est celui d'une croissance riche en emplois. Non que le rythme de la croissance soit exceptionnel : il reste inférieur à celui des Trente Glorieuses. Mais le nombre des emplois créés est sans commune mesure avec ce que nous avons connu au cours du dernier quart de siècle, ou même durant les périodes les plus prospères de l'après-guerre.
390.000 créations d'emplois en 1998, 480.000 en 1999 et probablement plus de 500.000 nouveaux emplois cette année : c'est dix fois plus, en moyenne annuelle, qu'au cours des vingt années précédentes. C'est presque trois fois plus qu'au cours des années soixante, la seule décennie pendant laquelle l'économie française avait, jusqu'ici, connu de fortes hausses de l'emploi. Au palmarès des créations d'emplois, les trois dernières années figureront ainsi parmi les cinq meilleures performances du siècle.
Nous avons choisi la voie d'une croissance plus solidaire. Pendant près de deux décennies, une croissance à la fois insuffisante et mal partagée a laissé de côté des millions d'hommes et de femmes qui sont venus grossir les rangs du chômage et de l'exclusion. Aujourd'hui la croissance profite d'abord à ceux qui en étaient écartés.
Il apparaît donc que, dans notre pays, au cours de ces trois années, l'ensemble des acteurs
-chefs d'entreprises, salariés, puissance publique- a fait le choix de l'emploi. C'est un changement majeur d'attitude qu'il nous faut, aujourd'hui, savoir préserver. Si la masse salariale augmente fortement, c'est bien sûr parce que le revenu individuel augmente plus rapidement qu'auparavant. C'est surtout parce que les deux tiers de notre croissance -les deux tiers de la richesse nouvellement créée- vont aujourd'hui à la création d'emplois. Les premiers bénéficiaires de ce nouveau partage des fruits de la croissance sont les 800.000 chômeurs qui ont retrouvé un emploi et, en même temps, un revenu stable. A ceux-ci s'ajoutent les cinq cent mille hommes et femmes qui sont venus ou revenus sur le marché du travail alors que la perspective de trouver rapidement un emploi redevenait une réalité.
Pour entretenir cette dynamique, il nous faut tout à la fois ajuster la politique économique à l'évolution du contexte international et préparer l'avenir.
Face aux aléas de la conjoncture internationale, notre politique économique vise à consolider et prolonger la croissance retrouvée.
Consolider la croissance suppose d'abord de préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Je n'ignore pas le risque que fait peser la hausse des prix du pétrole sur la progression de ce pouvoir d'achat. En douze mois, elle a entraîné une accélération de plus d'un point de la hausse des prix à la consommation. Cette hausse des prix, amorcée il y a plus d'un an, a d'ailleurs été prise en compte dès le collectif budgétaire du printemps 2000 lorsque nous avons décidé de baisser d'un point le taux normal de la TVA.
C'est également pour soutenir la progression du pouvoir d'achat des ménages que nous avons engagé la réduction de l'impôt sur le revenu et que nous baissons la CSG sur les bas salaires.
Combinée aux mesures que nous avons prises pour alléger la facture pétrolière des secteurs les plus touchés par la crise puis celle des ménages, la baisse d'impôts de 80 milliards de francs réalisée l'année 2000 et celle de près de 60 milliards de francs programmée pour l'année prochaine préserveront la progression du pouvoir d'achat des revenus individuels et contribueront ainsi à maintenir la croissance forte dont notre économie a besoin pour continuer d'avancer sur le chemin du plein emploi.
Consolider la croissance, c'est aussi développer la capacité de production et d'innovation de notre économie. La réforme fiscale s'inscrit également dans cette perspective.
Il n'y aura pas de croissance forte et durable si l'économie française n'engage pas dans les années qui viennent un effort d'investissement et d'innovation tout à fait considérable. Depuis trois ans, l'investissement des entreprises a regagné une partie du retard accumulé dans la première partie des années 1990. Cet effort doit être intensifié. Il doit s'appuyer sur un tissu d'entreprises compétitives, sur le dynamisme et le renouvellement d'un réseau dense de PME et de " jeunes pousses ". C'est pourquoi nous avons décidé d'encourager les entreprises par une baisse de l'impôt sur les sociétés, en supprimant la surtaxe instituée par le précédent Gouvernement. Un effort tout particulier sera fait en faveur des PME, dont le taux d'imposition sera très sensiblement réduit.
Conforter la capacité de production de notre économie suppose également d'encourager le retour à l'activité. Il n'y aura pas de croissance durable et équilibrée si nous ne parvenons pas à augmenter substantiellement le nombre de personnes employées, non seulement en réduisant le chômage, mais aussi en encourageant tous ceux qui se sont retirés du marché du travail à reprendre un emploi. C'est le sens de l'allégement de la CSG sur les plus bas salaires que le Gouvernement va proposer au Parlement. D'ici trois ans, cette mesure se traduira par une augmentation de près de 10 % du revenu disponible des salariés au SMIC.
Conforter notre capacité de création et d'innovation, c'est aussi mieux récompenser les efforts qu'accomplissent l'ensemble des actifs et notamment les classes moyennes et les cadres. Tel est aussi le sens de la réduction des taux de l'impôt sur le revenu qui allégera en moyenne de 10 % d'ici trois ans l'impôt payé par les contribuables.
Notre réforme fiscale vise donc à la fois à encourager ceux qui produisent et innovent et à soutenir la consommation. Elle représente d'ici 2003 un effort d'allégement considérable, plus important -sur la même période- que celui engagé en Allemagne. Lorsqu'elle sera achevée, et compte tenu des mesures prises depuis trois ans, nous aurons allégé et réformé la fiscalité française : celle-ci assurera un meilleur équilibre entre les contributions respectives du capital et du travail, elle sera plus favorable à l'emploi et à l'innovation, elle reposera moins largement sur les impôts indirects, elle incitera plus fortement au respect de l'environnement.
Pour consolider la croissance, nous voulons rendre plus lisible et plus stable le cadre macroéconomique dans lequel se déploie l'activité des entreprises. Nous nous appuyons pour cela sur l'acquis que constitue la monnaie unique. La réalisation de l'euro, même si sa réussite passe par sa stabilité, a mis fin à l'implacable mécanique qui voulait que chaque crise financière internationale se double d'une crise de change entre les monnaies européennes compromettant la croissance de nos économies. L'Union monétaire nous a permis de maintenir la croissance durant les crises financières que l'économie mondiale a traversées ces trois dernières années. Une bonne coordination des politiques économiques européennes, une meilleure coopération internationale doivent permettre également d'atténuer les effets de la hausse des prix du pétrole et d'ajuster la politique de change pour maintenir une croissance forte et non inflationniste.
L'intervention des banques centrales à la fin de la semaine dernière pour faire remonter le cours de l'euro est à cet égard salutaire. Techniquement bien conduite, cette intervention, qui n'est pas sans lien avec l'action menée par le ministre de l'économie et des finances dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne, montre que nos appels à une meilleure régulation dans l'économie mondiale peuvent être entendus. Une coopération financière accrue est indispensable à une économie mondialisée. Cette coopération est tout aussi nécessaire pour éviter les fluctuations excessives des prix du pétrole. La France est prête à cet égard à participer au dialogue qui s'impose.
Il nous faut enfin engager notre économie dans un cycle long de croissance en tirant le meilleur parti de la révolution industrielle qui se dessine.
Si ce changement apparaît bien comme décisif, c'est qu'il comporte à la fois l'apparition de nouveaux secteurs productifs, le développement de nouveaux besoins, de nouveaux produits, de nouveaux services et la diffusion d'un modèle original d'organisation à l'ensemble de l'économie. En France, l'informatique, les télécommunications, le multimédia et l'audiovisuel représentent déjà plus de 5 % du PIB et contribuent fortement aux créations d'emplois qualifiés.
Une dynamique industrielle inédite se développe. L'internet, parce qu'il permet un échange d'informations instantané, à faibles coûts et à l'échelle du monde, est un bouleversement pour l'économie en même temps qu'il rend possible un service de plus en plus personnalisé. L'accélération de la diffusion de l'innovation et des mutations technologiques qu'il induit change le rythme d'évolution des grands groupes et des " dynasties économiques " qui mettaient parfois des décennies à se bâtir et à se défaire. Une start-up qui vise et atteint, l'année de sa création, le marché mondial, c'est une nouveauté radicale dans le monde traditionnel des PME.
Cette nouvelle dynamique touche de grandes entreprises françaises des technologies de l'information. En témoignent l'acquisition de l'opérateur de téléphonie mobile Orange par France Télécom, celle du Canadien Seagram par Vivendi, qui compte avec Havas l'une des premières sociétés mondiales de contenus numériques, ou encore la position d'AlcaTel dans les technologies prometteuses de l'ADSL et des câbles sous-marins. Très symbolique aussi est la valeur atteinte aujourd'hui par Thomson Multimédia. Plus largement, le dynamisme de nos grandes sociétés de service informatique, la position de nos industriels de la carte à puce, les succès de nos sociétés de jeux vidéos comme Infogrammes, Ubisoft, Cryo ou Kallisto marquent que notre pays est à même de " surfer " sur cette nouvelle vague d'innovations.
Cette nouvelle dynamique gagne progressivement l'ensemble de l'économie. L'" économie numérique " s'étend. Tous les secteurs sont désormais utilisateurs, à des degrés divers, de ces technologies. Leur diffusion de plus en plus large est le moteur d'une mutation où la capacité à intégrer les outils de traitement de l'information devient un facteur décisif de gains de productivité. Chaque entreprise doit redéfinir ses modes de conception, de production et de distribution. La prise de conscience s'accélère : plus de 60 % des PME françaises étaient connectées à l'internet à la fin de 1999.
Ces changements dépasseront d'ailleurs largement le cadre de l'entreprise. Ils pourront toucher aussi bien le droit du travail que l'urbanisme. Porteurs d'une nouvelle organisation de la société, ils peuvent aussi engendrer de nouvelles inégalités. Afin que chacun bénéficie pleinement des mutations en cours, il nous faut définir avec les acteurs économiques une stratégie cohérente et solidaire.
Depuis 1997, notre priorité est de bâtir en France une société de l'information pour tous.
Nous avons placé l'innovation et les innovateurs au coeur de cette politique. En 1997, les créateurs de start-up se heurtaient à la fois à l'absence d'un système de rémunération adapté à leur prise de risque et à une pénurie de capital-risque. En créant des fonds publics de capital-risque, en mettant en place un régime fiscal avantageux pour soutenir les initiatives, en instituant des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, nous avons stimulé l'essor de ces secteurs. Pour faire face à la pénurie de compétences dans les nouveaux métiers qu'ils proposent, nous avons renforcé les filières de formation et lançons à cette rentrée 45 nouvelles licences professionnelles en informatique. Nous avons également, dès l'été 1998, assoupli les conditions dans lesquelles nos entreprises peuvent faire appel à des compétences étrangères dans ce domaine.
Nous renforçons notre effort de recherche, par exemple en facilitant pour les chercheurs l'exercice d'une activité d'entreprise et en faisant des technologies de l'information l'une des priorités de la recherche publique. Le 10 juillet dernier, lors du troisième comité interministériel pour la société de l'information, nous avons décidé d'affecter un milliard de francs à la recherche dans les technologies de l'information. Pour un organisme comme l'INRIA, cet effort se traduira par un doublement de ses moyens. J'installerai par ailleurs dans quelques semaines un conseil stratégique composé de chefs d'entreprises, d'experts et de chercheurs chargé de favoriser l'échange entre acteurs publics et privés sur les grandes orientations à retenir en matière de recherche et de développement industriel des technologies de l'information.
Nous agissons en outre sur l'environnement juridique et administratif sans lequel cette dynamique économique ne peut s'épanouir. Les efforts considérables accomplis dans le domaine de l'administration électronique sont désormais reconnus. Une récente étude anglo-saxonne a ainsi classé l'administration française, qui était pratiquement absente de l'internet en 1997, en première position en Europe pour son utilisation de l'internet dans ses relations avec les usagers. Et nous savons combien pour les entreprises, en particulier les PME, la possibilité d'échanger par voie électronique avec l'administration peut être un facteur de gain de productivité. Je réunirai bientôt le comité interministériel à la réforme de l'Etat afin d'arrêter de nouvelles mesures pour faire progresser encore cet important chantier.
Nous poursuivons l'adaptation de notre législation. Nous avons décidé en janvier 1999 la liberté complète d'utilisation de la cryptologie. La loi adaptant le droit de la preuve à l'électronique et reconnaissant la signature électronique est en vigueur depuis mars 2000. La publication au début de ce mois du décret sur le dégroupage de la boucle locale est un pas important vers l'internet à haut débit, qui favorisera l'essor des services de commerce électronique. Le projet de loi pour la société de l'information que nous transmettrons au Parlement au début de 2001 permettra notamment la transposition de la directive européenne sur le commerce électronique.
Il faut que chacun trouve sa place dans cette société de l'information. Pour éviter l'apparition d'un " fossé numérique ", nous agissons à la fois sur la formation initiale et sur la formation continue. En matière d'éducation, le raccordement des lycées et collèges est pratiquement achevé et celui des écoles primaires le sera avant la fin de l'année scolaire 2001-2002. Dans les cités universitaires, les 150 000 chambres d'étudiant seront équipées d'un accès à haut débit à l'internet dans le cadre du programme Université du 3ème Millénaire. L'acquisition de ces nouveaux savoirs sera validée, dès cette année, par la mise en place du " brevet informatique et internet ".
Pour mettre le réseau à la portée de tous, 7.000 lieux publics permettant l'accès à l'internet seront ouverts d'ici 2003. Un effort d'équipement sera réalisé pour les centres de formation des apprentis qui dépendent des chambres de métiers. Enfin un module de formation à l'internet et au multimédia pour l'ensemble des stages de formation professionnelle suivis par les demandeurs d'emploi sera créé. Notre objectif est d'en faire bénéficier 1,2 million de personnes d'ici 2002.
Mesdames, Messieurs,
Comme le soulignait un rapport sur la nouvelle économie récemment présenté au Conseil d'Analyse économique, nous sommes confrontés à l'un des paradoxes fréquents de l'histoire économique. Partis dans cette course globale avec presque une décennie de retard, l'Europe et la France peuvent -et doivent- entrer dans une phase de rattrapage accéléré qui devrait leur apporter une croissance rapide au cours des années à venir.
Solidarité et efficacité sont, dans ce vaste mouvement, deux objectifs indissociables à mes yeux. La diffusion des matériels, des usages, des connaissances auprès du public le plus large est le moyen d'accroître la qualification des femmes et des hommes qui font la richesse des entreprises, d'aiguiser la compétitivité de nos industries, et ainsi d'accélérer l'entrée de nos sociétés dans l'économie numérique tout en nous assurant que ses fruits sont équitablement partagés. Tel est l'objectif que le Gouvernement français s'est fixé dès 1997. C'est celui que le Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement de Lisbonne a affirmé comme l'une des priorités de l'Europe. Nous nous attacherons, avec les acteurs de la vie économique et avec les Français, à faire de ce projet une réalité vivante.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 septembre 2000)
Le thème de votre forum conduit à nous pencher sur les promesses que porte et sur les interrogations que soulève l'émergence, depuis plusieurs années aux Etats-Unis, plus récemment en France, de ce que beaucoup d'économistes regardent comme une troisième révolution industrielle. Ces promesses sont celles d'une croissance forte et durable s'appuyant sur une économie de la connaissance et de l'innovation. Ces interrogations concernent l'apparition de nouvelles inégalités notamment dans l'accès aux savoirs, aux technologies, aux emplois et aux richesses qu'apporterait cette nouvelle économie.
Je voudrais remercier Claude PERDRIEL, Gilles LEGENDRE et l'équipe de " Challenges " de l'invitation qu'ils m'ont faite à m'exprimer devant vous. Vos réflexions recoupent en effet deux perspectives essentielles pour le Gouvernement que je dirige. J'ai tracé la première voici trois ans à Hourtin, en indiquant notre dessein de faire entrer pleinement la France dans la société de l'information. J'ai évoqué la seconde -celle de viser le plein emploi à l'horizon de la décennie- il y a un an à la Rochelle. Prolonger ce qui constitue l'acquis majeur des trois dernières années -une croissance nouvelle fortement créatrice d'emplois-, tirer le meilleur parti de la révolution technologique qui s'affirme : ces deux perspectives sont complémentaires.
La France se trouve aujourd'hui sur un sentier de croissance nouveau.
Ce sentier, c'est celui d'une croissance robuste. Celle-ci se nourrit du dynamisme de la consommation et de l'investissement. Depuis trois ans, le retour de la confiance et la reprise de la consommation ont engendré une forte hausse de l'investissement. Cette dernière a contribué à résorber une partie du retard accumulé depuis le début de la décennie dans le renforcement des capacités de production des entreprises.
Ce sentier, c'est celui d'une croissance riche en emplois. Non que le rythme de la croissance soit exceptionnel : il reste inférieur à celui des Trente Glorieuses. Mais le nombre des emplois créés est sans commune mesure avec ce que nous avons connu au cours du dernier quart de siècle, ou même durant les périodes les plus prospères de l'après-guerre.
390.000 créations d'emplois en 1998, 480.000 en 1999 et probablement plus de 500.000 nouveaux emplois cette année : c'est dix fois plus, en moyenne annuelle, qu'au cours des vingt années précédentes. C'est presque trois fois plus qu'au cours des années soixante, la seule décennie pendant laquelle l'économie française avait, jusqu'ici, connu de fortes hausses de l'emploi. Au palmarès des créations d'emplois, les trois dernières années figureront ainsi parmi les cinq meilleures performances du siècle.
Nous avons choisi la voie d'une croissance plus solidaire. Pendant près de deux décennies, une croissance à la fois insuffisante et mal partagée a laissé de côté des millions d'hommes et de femmes qui sont venus grossir les rangs du chômage et de l'exclusion. Aujourd'hui la croissance profite d'abord à ceux qui en étaient écartés.
Il apparaît donc que, dans notre pays, au cours de ces trois années, l'ensemble des acteurs
-chefs d'entreprises, salariés, puissance publique- a fait le choix de l'emploi. C'est un changement majeur d'attitude qu'il nous faut, aujourd'hui, savoir préserver. Si la masse salariale augmente fortement, c'est bien sûr parce que le revenu individuel augmente plus rapidement qu'auparavant. C'est surtout parce que les deux tiers de notre croissance -les deux tiers de la richesse nouvellement créée- vont aujourd'hui à la création d'emplois. Les premiers bénéficiaires de ce nouveau partage des fruits de la croissance sont les 800.000 chômeurs qui ont retrouvé un emploi et, en même temps, un revenu stable. A ceux-ci s'ajoutent les cinq cent mille hommes et femmes qui sont venus ou revenus sur le marché du travail alors que la perspective de trouver rapidement un emploi redevenait une réalité.
Pour entretenir cette dynamique, il nous faut tout à la fois ajuster la politique économique à l'évolution du contexte international et préparer l'avenir.
Face aux aléas de la conjoncture internationale, notre politique économique vise à consolider et prolonger la croissance retrouvée.
Consolider la croissance suppose d'abord de préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens. Je n'ignore pas le risque que fait peser la hausse des prix du pétrole sur la progression de ce pouvoir d'achat. En douze mois, elle a entraîné une accélération de plus d'un point de la hausse des prix à la consommation. Cette hausse des prix, amorcée il y a plus d'un an, a d'ailleurs été prise en compte dès le collectif budgétaire du printemps 2000 lorsque nous avons décidé de baisser d'un point le taux normal de la TVA.
C'est également pour soutenir la progression du pouvoir d'achat des ménages que nous avons engagé la réduction de l'impôt sur le revenu et que nous baissons la CSG sur les bas salaires.
Combinée aux mesures que nous avons prises pour alléger la facture pétrolière des secteurs les plus touchés par la crise puis celle des ménages, la baisse d'impôts de 80 milliards de francs réalisée l'année 2000 et celle de près de 60 milliards de francs programmée pour l'année prochaine préserveront la progression du pouvoir d'achat des revenus individuels et contribueront ainsi à maintenir la croissance forte dont notre économie a besoin pour continuer d'avancer sur le chemin du plein emploi.
Consolider la croissance, c'est aussi développer la capacité de production et d'innovation de notre économie. La réforme fiscale s'inscrit également dans cette perspective.
Il n'y aura pas de croissance forte et durable si l'économie française n'engage pas dans les années qui viennent un effort d'investissement et d'innovation tout à fait considérable. Depuis trois ans, l'investissement des entreprises a regagné une partie du retard accumulé dans la première partie des années 1990. Cet effort doit être intensifié. Il doit s'appuyer sur un tissu d'entreprises compétitives, sur le dynamisme et le renouvellement d'un réseau dense de PME et de " jeunes pousses ". C'est pourquoi nous avons décidé d'encourager les entreprises par une baisse de l'impôt sur les sociétés, en supprimant la surtaxe instituée par le précédent Gouvernement. Un effort tout particulier sera fait en faveur des PME, dont le taux d'imposition sera très sensiblement réduit.
Conforter la capacité de production de notre économie suppose également d'encourager le retour à l'activité. Il n'y aura pas de croissance durable et équilibrée si nous ne parvenons pas à augmenter substantiellement le nombre de personnes employées, non seulement en réduisant le chômage, mais aussi en encourageant tous ceux qui se sont retirés du marché du travail à reprendre un emploi. C'est le sens de l'allégement de la CSG sur les plus bas salaires que le Gouvernement va proposer au Parlement. D'ici trois ans, cette mesure se traduira par une augmentation de près de 10 % du revenu disponible des salariés au SMIC.
Conforter notre capacité de création et d'innovation, c'est aussi mieux récompenser les efforts qu'accomplissent l'ensemble des actifs et notamment les classes moyennes et les cadres. Tel est aussi le sens de la réduction des taux de l'impôt sur le revenu qui allégera en moyenne de 10 % d'ici trois ans l'impôt payé par les contribuables.
Notre réforme fiscale vise donc à la fois à encourager ceux qui produisent et innovent et à soutenir la consommation. Elle représente d'ici 2003 un effort d'allégement considérable, plus important -sur la même période- que celui engagé en Allemagne. Lorsqu'elle sera achevée, et compte tenu des mesures prises depuis trois ans, nous aurons allégé et réformé la fiscalité française : celle-ci assurera un meilleur équilibre entre les contributions respectives du capital et du travail, elle sera plus favorable à l'emploi et à l'innovation, elle reposera moins largement sur les impôts indirects, elle incitera plus fortement au respect de l'environnement.
Pour consolider la croissance, nous voulons rendre plus lisible et plus stable le cadre macroéconomique dans lequel se déploie l'activité des entreprises. Nous nous appuyons pour cela sur l'acquis que constitue la monnaie unique. La réalisation de l'euro, même si sa réussite passe par sa stabilité, a mis fin à l'implacable mécanique qui voulait que chaque crise financière internationale se double d'une crise de change entre les monnaies européennes compromettant la croissance de nos économies. L'Union monétaire nous a permis de maintenir la croissance durant les crises financières que l'économie mondiale a traversées ces trois dernières années. Une bonne coordination des politiques économiques européennes, une meilleure coopération internationale doivent permettre également d'atténuer les effets de la hausse des prix du pétrole et d'ajuster la politique de change pour maintenir une croissance forte et non inflationniste.
L'intervention des banques centrales à la fin de la semaine dernière pour faire remonter le cours de l'euro est à cet égard salutaire. Techniquement bien conduite, cette intervention, qui n'est pas sans lien avec l'action menée par le ministre de l'économie et des finances dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne, montre que nos appels à une meilleure régulation dans l'économie mondiale peuvent être entendus. Une coopération financière accrue est indispensable à une économie mondialisée. Cette coopération est tout aussi nécessaire pour éviter les fluctuations excessives des prix du pétrole. La France est prête à cet égard à participer au dialogue qui s'impose.
Il nous faut enfin engager notre économie dans un cycle long de croissance en tirant le meilleur parti de la révolution industrielle qui se dessine.
Si ce changement apparaît bien comme décisif, c'est qu'il comporte à la fois l'apparition de nouveaux secteurs productifs, le développement de nouveaux besoins, de nouveaux produits, de nouveaux services et la diffusion d'un modèle original d'organisation à l'ensemble de l'économie. En France, l'informatique, les télécommunications, le multimédia et l'audiovisuel représentent déjà plus de 5 % du PIB et contribuent fortement aux créations d'emplois qualifiés.
Une dynamique industrielle inédite se développe. L'internet, parce qu'il permet un échange d'informations instantané, à faibles coûts et à l'échelle du monde, est un bouleversement pour l'économie en même temps qu'il rend possible un service de plus en plus personnalisé. L'accélération de la diffusion de l'innovation et des mutations technologiques qu'il induit change le rythme d'évolution des grands groupes et des " dynasties économiques " qui mettaient parfois des décennies à se bâtir et à se défaire. Une start-up qui vise et atteint, l'année de sa création, le marché mondial, c'est une nouveauté radicale dans le monde traditionnel des PME.
Cette nouvelle dynamique touche de grandes entreprises françaises des technologies de l'information. En témoignent l'acquisition de l'opérateur de téléphonie mobile Orange par France Télécom, celle du Canadien Seagram par Vivendi, qui compte avec Havas l'une des premières sociétés mondiales de contenus numériques, ou encore la position d'AlcaTel dans les technologies prometteuses de l'ADSL et des câbles sous-marins. Très symbolique aussi est la valeur atteinte aujourd'hui par Thomson Multimédia. Plus largement, le dynamisme de nos grandes sociétés de service informatique, la position de nos industriels de la carte à puce, les succès de nos sociétés de jeux vidéos comme Infogrammes, Ubisoft, Cryo ou Kallisto marquent que notre pays est à même de " surfer " sur cette nouvelle vague d'innovations.
Cette nouvelle dynamique gagne progressivement l'ensemble de l'économie. L'" économie numérique " s'étend. Tous les secteurs sont désormais utilisateurs, à des degrés divers, de ces technologies. Leur diffusion de plus en plus large est le moteur d'une mutation où la capacité à intégrer les outils de traitement de l'information devient un facteur décisif de gains de productivité. Chaque entreprise doit redéfinir ses modes de conception, de production et de distribution. La prise de conscience s'accélère : plus de 60 % des PME françaises étaient connectées à l'internet à la fin de 1999.
Ces changements dépasseront d'ailleurs largement le cadre de l'entreprise. Ils pourront toucher aussi bien le droit du travail que l'urbanisme. Porteurs d'une nouvelle organisation de la société, ils peuvent aussi engendrer de nouvelles inégalités. Afin que chacun bénéficie pleinement des mutations en cours, il nous faut définir avec les acteurs économiques une stratégie cohérente et solidaire.
Depuis 1997, notre priorité est de bâtir en France une société de l'information pour tous.
Nous avons placé l'innovation et les innovateurs au coeur de cette politique. En 1997, les créateurs de start-up se heurtaient à la fois à l'absence d'un système de rémunération adapté à leur prise de risque et à une pénurie de capital-risque. En créant des fonds publics de capital-risque, en mettant en place un régime fiscal avantageux pour soutenir les initiatives, en instituant des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, nous avons stimulé l'essor de ces secteurs. Pour faire face à la pénurie de compétences dans les nouveaux métiers qu'ils proposent, nous avons renforcé les filières de formation et lançons à cette rentrée 45 nouvelles licences professionnelles en informatique. Nous avons également, dès l'été 1998, assoupli les conditions dans lesquelles nos entreprises peuvent faire appel à des compétences étrangères dans ce domaine.
Nous renforçons notre effort de recherche, par exemple en facilitant pour les chercheurs l'exercice d'une activité d'entreprise et en faisant des technologies de l'information l'une des priorités de la recherche publique. Le 10 juillet dernier, lors du troisième comité interministériel pour la société de l'information, nous avons décidé d'affecter un milliard de francs à la recherche dans les technologies de l'information. Pour un organisme comme l'INRIA, cet effort se traduira par un doublement de ses moyens. J'installerai par ailleurs dans quelques semaines un conseil stratégique composé de chefs d'entreprises, d'experts et de chercheurs chargé de favoriser l'échange entre acteurs publics et privés sur les grandes orientations à retenir en matière de recherche et de développement industriel des technologies de l'information.
Nous agissons en outre sur l'environnement juridique et administratif sans lequel cette dynamique économique ne peut s'épanouir. Les efforts considérables accomplis dans le domaine de l'administration électronique sont désormais reconnus. Une récente étude anglo-saxonne a ainsi classé l'administration française, qui était pratiquement absente de l'internet en 1997, en première position en Europe pour son utilisation de l'internet dans ses relations avec les usagers. Et nous savons combien pour les entreprises, en particulier les PME, la possibilité d'échanger par voie électronique avec l'administration peut être un facteur de gain de productivité. Je réunirai bientôt le comité interministériel à la réforme de l'Etat afin d'arrêter de nouvelles mesures pour faire progresser encore cet important chantier.
Nous poursuivons l'adaptation de notre législation. Nous avons décidé en janvier 1999 la liberté complète d'utilisation de la cryptologie. La loi adaptant le droit de la preuve à l'électronique et reconnaissant la signature électronique est en vigueur depuis mars 2000. La publication au début de ce mois du décret sur le dégroupage de la boucle locale est un pas important vers l'internet à haut débit, qui favorisera l'essor des services de commerce électronique. Le projet de loi pour la société de l'information que nous transmettrons au Parlement au début de 2001 permettra notamment la transposition de la directive européenne sur le commerce électronique.
Il faut que chacun trouve sa place dans cette société de l'information. Pour éviter l'apparition d'un " fossé numérique ", nous agissons à la fois sur la formation initiale et sur la formation continue. En matière d'éducation, le raccordement des lycées et collèges est pratiquement achevé et celui des écoles primaires le sera avant la fin de l'année scolaire 2001-2002. Dans les cités universitaires, les 150 000 chambres d'étudiant seront équipées d'un accès à haut débit à l'internet dans le cadre du programme Université du 3ème Millénaire. L'acquisition de ces nouveaux savoirs sera validée, dès cette année, par la mise en place du " brevet informatique et internet ".
Pour mettre le réseau à la portée de tous, 7.000 lieux publics permettant l'accès à l'internet seront ouverts d'ici 2003. Un effort d'équipement sera réalisé pour les centres de formation des apprentis qui dépendent des chambres de métiers. Enfin un module de formation à l'internet et au multimédia pour l'ensemble des stages de formation professionnelle suivis par les demandeurs d'emploi sera créé. Notre objectif est d'en faire bénéficier 1,2 million de personnes d'ici 2002.
Mesdames, Messieurs,
Comme le soulignait un rapport sur la nouvelle économie récemment présenté au Conseil d'Analyse économique, nous sommes confrontés à l'un des paradoxes fréquents de l'histoire économique. Partis dans cette course globale avec presque une décennie de retard, l'Europe et la France peuvent -et doivent- entrer dans une phase de rattrapage accéléré qui devrait leur apporter une croissance rapide au cours des années à venir.
Solidarité et efficacité sont, dans ce vaste mouvement, deux objectifs indissociables à mes yeux. La diffusion des matériels, des usages, des connaissances auprès du public le plus large est le moyen d'accroître la qualification des femmes et des hommes qui font la richesse des entreprises, d'aiguiser la compétitivité de nos industries, et ainsi d'accélérer l'entrée de nos sociétés dans l'économie numérique tout en nous assurant que ses fruits sont équitablement partagés. Tel est l'objectif que le Gouvernement français s'est fixé dès 1997. C'est celui que le Sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement de Lisbonne a affirmé comme l'une des priorités de l'Europe. Nous nous attacherons, avec les acteurs de la vie économique et avec les Français, à faire de ce projet une réalité vivante.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 29 septembre 2000)