Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le bilan de la politique gouvernementale et sur les grandes orientations de la nouvelle phase de l'action du gouvernement, Paris, Assemblée nationale le 27 juillet 2004.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 27 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames, messieurs les députés,
L'opposition, en déposant une motion de censure, me désole, mais elle va me permettre de lui apporter les réponses qu'elle n'a jusqu'ici pas voulu entendre.
Elle me désole, parce qu'en cette fin de session extraordinaire, elle aura une nouvelle fois choisi l'obstruction plutôt que la proposition.
Il y a des textes sur lesquels nous n'avons jamais pensé avoir votre accord, mesdames et messieurs de l'opposition, parce qu'il est juste que les partis s'opposent, parce qu'il est bon qu'ils présentent aux Français des alternatives politiques. Notre politique économique n'est pas la votre. Notre politique de cohésion sociale n'est pas la votre (c'est heureux). Je n'ai jamais prétendu le contraire.
Mais il y a aussi des textes qui méritaient mieux que vos imprécations, voire vos injures, des réformes qui auraient mérité, sinon un consensus, comme dans d'autres pays européens, à tout le moins un débat éclairé par les propositions des uns et des autres.
Je pense à l'assurance-maladie. On nous avait annoncé un projet socialiste : où est-il ?
Je pense à la décentralisation. Je relis ce que M. Strauss-Kahn écrivait dans les cahiers de la Fondation Jean-Jaurès : " l'Etat est en danger s'il ne se réforme pas ". Et déjà, il prônait une vigoureuse décentralisation.
Je pense à M. Mauroy qui a proposé, à la demande de M. Jospin, la décentralisation des personnels TOS, la décentralisation des routes, la régionalisation de la commande publique à l'AFPA, l'achèvement de la départementalisation de l'action sociale, le transfert aux régions de la TIPP. Pourquoi les socialistes ont-ils changé d'avis depuis ?
Pourquoi ce reniement ?
Dommage qu'il n'y ait pas de prix Gaston DEFFERRE de la décentralisation car cette année, il nous aurait été décerné.
Je m'oppose au mensonge fiscal formulé par certains Présidents de région. Le temps des transferts sans compensation que nous avons connu avec la décentralisation socialiste est révolu. Grâce maintenant à la protection de la Constitution, tout transfert sera financé. L'impôt régional sera socialiste ou ne sera pas.
Vous étiez dans la culture des rapports et des livres blancs, nous sommes dans celle de l'action.
C'est pourquoi, j'ai été contraint, à regrets, de répondre à vos provocations en engageant la responsabilité de mon gouvernement.
J'ai toujours accepté le débat sur ce texte, qui, c'est vrai, me tient à cur. Il y a eu deux lectures parlementaires dans chaque chambre, plus de 190 heures de débat, plus de 800 amendements acceptés.
Au Sénat même, en deuxième lecture, les orateurs du groupe socialiste ont salué la bonne tenue du débat conduit par Dominique de Villepin et Jean-François Copé.
Nous avons pu nous réjouir de voir le Gouvernement accepter 27 de leurs amendements, contre 29 de la majorité.
Dans ce contexte, présenter 5000 amendements en deuxième lecture, ce n'est plus le jeu normal de la démocratie, c'est votre goût pour l'immobilisme et les manuvres de retardement qui reprennent le dessus.
Je suis fier d'être à la tête d'un Gouvernement d'action et d'une majorité, qui, a rétabli l'autorité de l'Etat, avec la loi sur la sécurité, avec la loi sur la justice, avec la loi de programmation militaire.
Une majorité qui l'année dernière, a sauvé notre régime de retraite, alors que vos amis annonçaient qu'il y avait dans cette réforme de quoi faire tomber plusieurs gouvernements.
Mon Gouvernement est resté debout. Et cette année, nous avons pu continuer les réformes de progrès : les personnes âgées, le handicap, le changement de statut d'EDF, pour en faire un grand champion national, l'assurance maladie, la décentralisation
Victor Hugo disait " j'accuse la censure " je partage ce sentiment, car ici et maintenant, elle fait cruellement apparaître l'absence totale de propositions et de vision de ses signataires.
Elle m'offre cependant l'occasion de remercier, chaleureusement, sincèrement, les députés et sénateurs UMP. Depuis deux ans ; vous, vous avez choisi d'agir, de construire, de parier sur le mouvement.
Le jour venu, l'action sera mise à votre crédit. Les Français savent que vous avez choisi le mouvement plutôt que le déclin.
Déjà, la croissance revient et apporte son lot de bonnes nouvelles. Déjà, les instituts internationaux qui s'inquiétaient de voir la France sur la voie du déclin, saluent l'uvre de redressement national.
Il reste beaucoup à faire ensemble. Mais c'est une nouvelle phase de l'action qui commencera à la rentrée. Je vais décevoir tous les adeptes des attaques personnelles :
Je compte bien engager dès septembre, pour la session 2004-2005, avec ma majorité, unie et déterminée, une nouvelle phase de l'action gouvernementale.
Cette étape nouvelle, je vous propose, mesdames et messieurs les députés, de la structurer autour de deux axes : la croissance partagée et la préparation de l'avenir.
La croissance partagée
Nous avons fait revenir la croissance à 2,3 % cette année, contre 1,7 prévu. Il nous faut la conforter, et il nous faut la partager avec tous les Français. Entre 1997 et 2002, les réformes nécessaires ont été différées, alors que la croissance les rendait possibles.
Pendant cette période, la pauvreté n'a pas reculé; le chômage structurel n'a pas reculé ; le tissu social a continué à se déchirer.
Les Français, et notamment les plus modestes, ont été privés des fruits de la croissance, qui s'est perdue dans les sables de l'appareil d'Etat. Les 35 heures ont tué la croissance à partir de l'an 2000.
La croissance, c'est le travail des Français.
Nous n'oublions pas cette vérité. Je salue ici le travail sur ce sujet de MM. Ollier et Novelli.
Avec Nicolas Sarkozy et Dominique Bussereau, nous préparons un budget tout entier tourné vers les Français.
L'Etat se serre la ceinture, d'abord parce qu'il dépense trop depuis trop longtemps, mais aussi parce qu'il ne faut pas que les Français supportent les efforts à la place de l'Etat. Nous réduirons le déficit de l'Etat de plusieurs milliards d'euros en maîtrisant les dépenses. Je tiendrai le cap de la croissance zéro de dépenses de l'Etat.
Nous prendrons également les mesures budgétaires et législatives nécessaires pour rendre du pouvoir d'achat aux Français.
Ainsi, l'accord dans le secteur de l'hôtellerie - restauration va permettre une hausse de 5,4 % du Smic hôtelier, soit 260 000 salariés.
La loi de cohésion sociale qui vous sera présentée à la rentrée par Jean-Louis Borloo marquera notre volonté de partager équitablement les fruits de la croissance.
Tout sera fait, d'abord, pour l'emploi. Le service public de l'emploi sera rénové, car on ne peut plus admettre que 300 000 offres d'emploi restent sans réponse.
Des parcours qualifiants seront mis en place, pour amener les chômeurs vers les emplois marchands, plutôt que de les condamner aux emplois parkings.
Les chômeurs auront de nouveaux droits, mais aussi de nouveaux devoirs. C'est cela, aussi, la réhabilitation du travail.
Notre prochain budget portera l'ambition de la relocalisation d'emplois dans notre Pays. La lutte contre les délocalisations sera l'une de mes toutes premières priorités du budget 2005.
Enfin, dans le cadre du plan national de cohésion sociale, l'action publique en faveur des plus fragiles de nos compatriotes sera revue, pour la rendre plus efficace.
Préparer l'avenir
Nous avons devant nous 4 grands défis d'avenir : la recherche, l'éducation, les services publics et l'Europe.
Autant de clés pour la prospérité future de notre pays. Autant de facteurs déterminants pour son influence dans le monde.
Sur la recherche, François Fillon et François d'Aubert présenteront au Parlement une loi d'orientation et de programmation qui ne se contentera pas d'injecter de nouveaux moyens dans la recherche publique, comme je m'y suis engagé.
Nous voulons également que les organismes de recherche soient mieux pilotés et évalués, projet par projet. Enfin, il nous faut aussi développer la recherche privée, trop faible dans notre pays.
L'université prendra toute sa place dans cette réforme.
En ce qui concerne l'éducation, M. Thélot présentera à la rentrée ses propositions, pour adapter l'école à la société d'aujourd'hui. Avant que le Gouvernement n'arrête ses propositions, chacun pourra s'exprimer sur ces pistes de réforme.
Il s'agira de favoriser l'égalité des chances afin de permettre la réussite scolaire de chacun. Notre école ne peut plus accepter que 160 000 élèves quittent chaque année le système sans qualification reconnue.
C'est un enjeu passionnant qui nous attend. Il engage l'avenir de nos enfants. Sachons l'aborder avec l'esprit d'initiative et de responsabilité.
Nous poursuivrons notre politique d'adaptation des services publics. Grâce à la décentralisation et à la déconcentration, nous pourrons poursuivre en 2005 une vigoureuse réforme de l'Etat.
Il y a dans le texte que vous combattez, mesdames et messieurs de l'opposition, plus de réformes dans l'Etat que vous n'en avez jamais fait. La plus grande réforme du ministère de l'éducation depuis plus de 20 ans. La grande réforme du ministère de l'équipement qui était prévue en 1982 et que nous faisons, nous, à votre place. La réforme de l'AFPA. La réforme de l'action sociale. Tous ceux qui sont attachés à l'Etat n'ont rien à craindre de ce projet, qui, loin de l'affaiblir, va conforter sa légitimité en le rendant plus fort sur ces missions essentielles.
Et puis, nous engagerons dès la rentrée les discussions nécessaires pour aboutir à un texte de prévention des conflits et de continuité du service public. Le rapport Mandelkern a ouvert des pistes. Discutons en, de celles-ci et des autres. Le Gouvernement concertera mais il est déterminé à agir.
Enfin, préparons-nous au grand débat du deuxième semestre 2005 sur l'Europe. Nous avons besoin de ce grand débat démocratique pour permettre l'information des Français et le choix de leur avenir européen.
Souvenons-nous du débat sur le traité de Maastricht.
Il avait été difficile, il avait montré que le choix européen n'était pas évident, qu'il fallait que l'Europe parle plus au cur des hommes, comme leur parlent leurs nations, qu'il était encore long le chemin qui ferait de l'union une vraie communauté démocratique.
Mais cela avait été un beau débat, tranché avec une forte participation, par les Français.
Après l'élargissement du 1er mai dernier, soyons à la hauteur de ce moment historique : parlons aux Français de l'Europe.
Et surtout écoutons l'Europe que les Français veulent, pour que nous puissions ensemble construire cette Europe que la France doit inspirer.
Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce qui nous attend à la rentrée. La tâche est difficile.
Nous garderons au cur " l'Esprit de mission " auquel nous appelle le Chef de l'Etat.
A ceux qui parlent médiocrement de caprice ou de testament, je leur rappellerai cette conviction :
" C'est en tenant les engagements pris que le régime démontre sa vigueur, sa capacité de réalisation, sa santé ".
Pierre MENDES-FRANCE.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 28 juillet 2004)