Allocution de M. Hamlaoui Mekachera, secrétaire d'Etat aux anciens combattants, sur la politique menée et les mesures envisagées en faveur des harkis, au Sénat le 17 décembre 2003.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déclaration du Gouvernement sur les rapatriés, au Sénat le 17 décembre 2003

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
C'est avec émotion que j'aborde cette séance. Cet après-midi, devant votre Haute Assemblée, nous allons revenir sur notre Histoire. Nous allons porter notre attention sur des hommes et des femmes qui ont souffert, et dont beaucoup souffrent encore des déchirures du passé. Nous allons nous efforcer de leur proposer, et de proposer à leurs enfants, des réponses crédibles et des perspectives d'avenir.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, en 1962, après huit années d'épreuves et de souffrances, des centaines de milliers de nos compatriotes ont dû prendre le chemin de la métropole.
De leur terre natale, ils partirent dans la précipitation, pour échapper à la haine et à la violence qui accompagnèrent cette période tragique, au terme de laquelle la France et l'Algérie ont séparé leur destin. Ces semaines ont marqué à jamais des vies d'adultes et d'enfants.
Dans l'hexagone, ils arrivèrent dans les pires conditions : déracinés, le cur meurtri, sans espoir de retour, les yeux remplis d'images d'horreurs et de désolation, les mains vides. Et, la France, leur Patrie à laquelle les liait une fidélité indéfectible, la France, leur seule Patrie, ne les attendait pas. Je les vois encore, sur les quais, errant dans l'indifférence générale
Pourtant, malgré cette adversité, malgré cette indifférence, beaucoup de nos compatriotes rapatriés ont su, avec le courage et la ténacité qui les caractérisent, s'intégrer à leur nouvel environnement et contribuer utilement à la prospérité du pays.
Malheureusement, d'autres ont été oubliés sur ce difficile parcours d'intégration. Ils n'ont pu bénéficier totalement de l'assistance et du soutien que la communauté nationale aurait dû leur apporter. En cet instant, je pense plus spécialement aux Harkis. Je veux saluer avec respect et émotion, leur fidélité et leur dignité, malgré le parcours chaotique qui fut le leur. Confronté à une immense tragédie, ils ont su rester droits et transmettre à leurs enfants l'amour de la France et le respect de la République.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, force est de constater que les politiques envers les Rapatriés ont tardé à se mettre en uvre.
Certes, dans l'urgence de la réinstallation, en 1963, la France a consacré aux Rapatriés l'équivalent de plus de 4,5 milliards d'euros. Mais, les premières mesures concrètes d'indemnisation ne sont prises qu'en 1970, avec une contribution nationale à l'indemnisation des Français Rapatriés du Maroc, de Tunisie et d'Algérie. Des compléments d'indemnisation furent principalement apportés par les lois de 1978 et surtout de 1987.
Les Harkis bénéficieront d'une première mesure spécifique d'indemnisation avec la loi de 1987 déposée par le Gouvernement Chirac, vingt-cinq ans après leur arrivée en métropole !
C'est avec la loi " ROMANI " du 11 juin 1994 que s'exprimera, enfin, officiellement la reconnaissance de la République française à l'égard des Harkis pour les sacrifices qu'ils ont consentis. C'est d'ailleurs l'article premier de la loi " ROMANI " qui a été gravé sur les plaques apposées, à la demande du Président de la République, aux Invalides et sur 27 autres sites, lors de la première journée d'hommage du 25 septembre 2001. Je peux en porter témoignage : cette reconnaissance a redonné de la fierté à de nombreux enfants et petits-enfants de Harkis.
Cette reconnaissance a été prolongée par des mesures spécifiques d'indemnisation et de solidarité prises en faveur des familles de Harkis. Le plan de cinq ans prévu dans la loi de 1994 s'est traduit par un effort financier de 2,6 milliards de francs.
J'ajoute que, depuis la loi " ROMANI ", plus de 20 000 enfants issus de familles de Harkis ont pu trouver ou retrouver le chemin de l'emploi. C'est dans ce sens que l'effort aurait dû être poursuivi. Toute cette politique à l'égard des Harkis a fortement contribué à resserrer les liens de la Nation avec eux.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, malgré ces législations, les Rapatriés éprouvent toujours des difficultés liées à leur retour en métropole.
C'est pourquoi, aujourd'hui, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin entend réaliser une politique ambitieuse et efficace en leur faveur, pour parachever les efforts de la Nation.
Pour que les réponses de l'Etat correspondent effectivement aux besoins et aux attentes, dans un premier temps, nous avons voulu renouer le dialogue avec les Rapatriés et prendre la mesure de leurs aspirations. Dans un deuxième temps, et avant de mettre en uvre des moyens nouveaux, il nous semble légitime et indispensable d'associer le Parlement à ce processus. Ainsi, nous respectons les engagements du Président de la République. Enfin, dans un troisième temps, je vous confirme que le Gouvernement a décidé de déposer un projet de loi. Ce sera chose faite dans les tout premiers mois de 2004.
Permettez-moi de revenir sur cette politique volontariste de façon plus précise.
La création de la Mission interministérielle aux Rapatriés, directement placée auprès du Premier ministre, a permis de donner aux Rapatriés un interlocuteur et de disposer d'un catalyseur pour l'action des pouvoirs publics.
La création du Haut Conseil aux Rapatriés a été le deuxième signe très fort de notre volonté de renouer le dialogue et de disposer d'une instance de débat, de réflexion et de proposition. Le Haut Conseil a su très vite s'imposer comme un partenaire indispensable.
Puis, est venu le temps de l'état des lieux. Monsieur Michel Diefenbacher, député de Lot-et-Garonne, a remarquablement rempli cette délicate mission, que lui a confiée le Premier ministre.
Grâce à son travail, salué par tous, nous disposons désormais de toutes les données nécessaires pour élaborer un diagnostic juste et pour proposer des pistes concrètes d'action.
Toutefois, l'urgence imposait de passer à l'action sans tarder. Ainsi, dès janvier 2003, a été mise en place l'allocation de reconnaissance aux Harkis. Elle permet d'assurer à l'ensemble de cette population, contrairement à ce qui existait auparavant, un complément de retraite. Cette allocation d'un montant de 343 euros, non imposable et indexée, est accordée à tous les Harkis ou à leur veuves de plus de 60 ans, sans conditions de ressources.
Cette solidarité va encore se renforcer, puisque le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de finances rectificative la réévaluation significative de cette allocation : plus 30 % dès le 1er janvier 2004.
Enfin, comme vous le savez, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2004, les pensions des veuves de guerre, d'invalides et de grands invalides augmenteront de 15 points.
J'ajoute que le Gouvernement a également conduit une politique volontariste dans le domaine de l'emploi. En effet, le contexte économique difficile que nous traversons actuellement n'épargne évidemment pas les familles de Harkis. Pour y remédier, autant que possible, la Mission interministérielle aux Rapatriés a mobilisé l'ensemble des préfets. Dans le cadre de cette politique qui concerne les jeunes, le Premier ministre va demander aux grands employeurs publics, comme les ministères de la défense, de l'intérieur ou de la santé, de porter une attention particulière aux candidatures des jeunes issus de familles harkies. Ces administrations sont également invitées à accompagner les préparations aux concours ou les formations aux différents métiers qu'elles proposent. Il s'agit là d'opérations concrètes et de portée immédiate.
Chacun pourra convenir que ces moyens nouveaux et ces premières mesures montrent de façon tangible notre volonté de traiter les difficultés des Harkis et des Rapatriés.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, aujourd'hui avec ce débat, puis avec le projet de loi que nous élaborerons en tenant compte de vos analyses et de vos propositions, s'ouvre une nouvelle étape.
Il s'agit de compléter concrètement l'uvre de reconnaissance et de solidarité nationale envers nos compatriotes Rapatriés.
En effet, pour nos Anciens combattants Harkis ou pour leurs veuves, un geste supplémentaire de reconnaissance reste encore à faire. Il doit s'appuyer de manière privilégiée sur l'actuelle allocation de reconnaissance que nous avons mise en place et qui leur assure des revenus complémentaires et réguliers.
Il faut aussi parfaire les dispositifs des différentes lois d'indemnisation, et en particulier réparer un certain nombre d'injustices qui subsistent. Par ailleurs, il convient de clore avec équité le traitement des dossiers de surendettement des Rapatriés.
Nous pensons nécessaire d'améliorer certaines dispositions applicables aux régimes de retraite. Nous voulons enfin régler la situation du petit nombre d'entre eux qui n'ont pas pleinement bénéficié des lois d'amnistie de l'époque.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la situation des jeunes générations issues de familles rapatriées mérite également toute notre attention. Quelles que soient leurs origines, ces jeunes doivent être fiers de l'histoire et de l'uvre de leurs parents. Mais, nous devons aussi les aider à trouver toute leur place au sein de la communauté nationale, en favorisant leur insertion économique et sociale.
Comme je l'ai indiqué précédemment, le Gouvernement s'est déjà mobilisé pour leur emploi. Nous nous sommes également mobilisés pour qu'ils puissent bénéficier pleinement des dispositifs particuliers destinés à favoriser l'accès à l'éducation, à privilégier l'accès à l'emploi, et à agir contre le fléau de la discrimination. A cet égard, le parrainage, l'aide à la préparation aux concours, l'accompagnement pour la création d'entreprise sont des solutions qu'il faut mettre en uvre. Toutes ces différentes actions seront conduites avec pragmatisme.
A la logique désespérante de l'assistance, nous devons substituer celle de l'égalité des chances. Ces jeunes courageux et avides de réussir le méritent bien.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, il est encore un domaine dans lequel les attentes de nos compatriotes Rapatriés sont fortes, c'est celui de la mémoire.
Ces attentes sont légitimes. En effet, le temps est venu d'aborder ces questions de manière apaisée, globale, cohérente et ouverte.
La mémoire de l'uvre accomplie outre-mer par des générations d'hommes et de femmes de toutes origines ; la reconnaissance des souffrances et des sacrifices consentis au nom de notre pays par ces bâtisseurs, ces pionniers, ces combattants ; la lumière sur les événements tragiques qui ont profondément marqué dans leur âme et dans leur chair les témoins et les acteurs de ces périodes ; ce sont là, je peux vous l'assurer, des préoccupations constantes qui guident l'action du Gouvernement.
Oui, le temps est venu de prendre la juste dimension de l'uvre exceptionnelle accomplie par ces agriculteurs, ces entrepreneurs, ces fonctionnaires, ces civils et ces militaires de toutes conditions qui ont contribué au développement économique et social d'immenses territoires au nom de la France et des valeurs universelles qu'elle défend.
Il reste encore des acteurs de cette épopée, il reste encore des témoins de ces réalisations, et notre pays doit préserver toute la richesse de ce patrimoine, de cette histoire et de ces traditions.
C'est la raison pour laquelle l'Etat a décidé de s'associer au projet de Mémorial national de l'outre-mer conçu à l'initiative du Maire de Marseille, votre collègue le Président Jean-Claude GAUDIN. Ce Mémorial présentera l'uvre de la France et les richesses léguées par les Rapatriés. Il encouragera la recherche et la transmission aux nouvelles générations de cet héritage historique. Ce Mémorial national devrait ouvrir en 2006.
Cette histoire, partie intégrante de notre mémoire collective, il appartient aussi au système éducatif de lui réserver une juste place et un juste traitement dans les manuels scolaires.
Mesdames et Messieurs les Sénateurs, la reconnaissance des sacrifices consentis au service de notre Nation est aussi un impérieux devoir. C'est à ce titre que le Président de la République a pris récemment deux décisions hautement symboliques.
C'est, tout d'abord, l'institution de la Journée nationale d'hommage aux Harkis et aux membres des formations supplétives et assimilées. Désormais, tous les 25 septembre, la Nation salue la mémoire de ces combattants valeureux et fidèles. Elle se souvient de leurs sacrifices et de leurs terribles souffrances.
L'institution d'une Journée nationale d'hommage aux " morts pour la France " de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie est également une décision dont la communauté rapatriée a mesuré l'importance. Le 5 décembre dernier, à Paris et dans tout le pays, les Anciens combattants se sont rassemblés en très grand nombre pour honorer leurs frères d'armes tombés au champ d'honneur pendant ces sombres années.
Enfin, le Gouvernement a la volonté de donner à notre pays les moyens d'assumer pleinement, devant les générations futures, un héritage dont nous pouvons être fiers, dans le respect des hommes et dans la fidélité à l'histoire qu'ils ont contribué à écrire. Cette histoire, ce moment où le destin de tant d'hommes et de femmes a basculé dans la tragédie d'une guerre fratricide, il est temps d'en prendre la mesure. La mesure des horreurs et des épreuves infligées à des victimes innocentes. Je pense à toutes les victimes civiles d'avant et d'après le 19 mars 1962. Je pense aux familles éprouvées par le déchaînement de la violence à Alger, à Oran et sur tout le territoire d'un pays meurtri par ces années de sang. Le travail de vérité doit se poursuivre.
C'est pour cela que le Gouvernement a souhaité ouvrir plus largement les archives de cette période. C'est dans cette perspective que le Premier ministre a annoncé, le 5 décembre dernier, que l'Etat était prêt à étudier la création d'une " Fondation pour la mémoire de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie " qui rassemblerait historiens et témoins pour favoriser une approche objective et sereine de cette période si complexe.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous le constatez, le Gouvernement entend donc agir résolument sur toutes les questions, à la fois matérielles et symboliques, qui concernent nos compatriotes Rapatriés.
Ces orientations, le Gouvernement les précisera après vous avoir entendu.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 22 décembre 2003)