Texte intégral
On voit donc que le débat commence en France et je suis très heureux qu'il commence dans une dimension européenne, ici à Sciences-Po. Vous me permettrez de dire, parce qu'il s'agit d'un débat européen et non pas d'un débat partisan ou national, un mot de gratitude, de remerciement à Joschka Fischer et à Miguel Moratinos qui donnent, me semble t-il, et le ton, et la bonne dimension à ce débat référendaire, tel que nous voulons l'engager dans notre pays, en sachant qu'il sera difficile et qu'il exige de l'explication, du dialogue et le respect du point de vue des autres.
Nous revenons directement tous les trois de Rome, et j'ai eu le sentiment, en effet, de signer tout à l'heure un document historique aux côtés du président de la République et du Premier ministre. Cette signature n'est pas le début ou la fin de l'histoire européenne, mais tout de même, plus de cinquante après le Traité de la Communauté du charbon et de l'acier, après le Traité de Rome alors que, nous étions partis à 6, nous sommes aujourd'hui 25, bientôt 27 ou 28, j'ai le sentiment de participer à un moment historique. Et peut-être encore plus historique, parce que depuis le début de cette histoire formidable, ce projet reste, pour moi, le plus beau des projets politiques. Si la politique signifie que l'on fabrique du progrès, de la stabilité, que l'on contribue à la paix plutôt que d'entretenir des conflits, si c'est bien cela la politique, comme je le crois, alors, à coup sûr, le projet européen, à l'échelle d'un continent est le plus beau des projets politiques. Il faut se souvenir des premières raisons, des premières promesses de ce projet, qui ont été faites à côté de mon bureau au Quai d'Orsay, dans le fameux salon de l'Horloge - j'ai d'ailleurs fait mettre la photo de Schuman et de Monnet prise le 9 mai 1950 dans cette pièce -. Que dit Schuman ? Il dit, à propos du charbon et de l'acier et de la paix : "Aucun d'entre-nous, ni l'Allemagne, ni la France, encore moins le Luxembourg ou la Belgique, ou les Pays-Bas, ou l'Italie, aucun d'entre nous n'a la capacité ou la force suffisante pour compter tout seul, donc mettons ensemble nos capacités". A l'époque, c'était le charbon et l'acier et puis, c'est devenu le reste de l'économie, un peu plus tard, avec le Traité de Rome.
J'étais, hier et avant-hier, à New Delhi, dans un pays qui compte 1 milliard d'habitants. Il y a 15 jours, j'étais aux côtés du président de la République en Chine : 1 milliard et demi d'habitants. L'intuition initiale de Schuman et de Monnet, de Gasperi, d'Adenauer, c'était que nous ne compterions pas seuls, ou que nous serions balayés si nous restions seuls chacun chez soi et chacun pour soi, à l'époque où il n'y avait pas de mondialisation, à l'époque où il y avait un monde partagé en deux, assez confortable au fond. Cette intuition-là est encore plus juste aujourd'hui. Comment compter, comment nous faire entendre, comment protéger ou défendre nos propres intérêts européens, notre culture, notre identité, notre force économique ? Comment participer à une nouvelle organisation du monde face aux autres grandes puissances, comme celles que je viens de citer, mais aussi les Etats-Unis, la Russie, le Brésil un jour, si nous restons divisés ou séparés ou les uns à côté des autres ? Je pense que cette intuition initiale, a reçu aujourd'hui une confirmation supplémentaire.
Nous allons parler de cette Constitution. J'étais l'un des ouvriers de ce texte, comme membre de la Convention et comme commissaire européen à l'époque. Je veux dire une chose à propos de ce texte : une Constitution ce n'est pas un projet, c'est un outil et celui-ci est un vrai progrès, ne serait-ce que parce que, pour la première fois depuis 50 ans probablement, c'est un texte européen que l'on peut lire ! Je veux dire qu'il est lisible, il est écrit de manière à peu près lisible. Au-delà de cela, on y trouve tout ce que Miguel Moratinos ou Joschka Fischer ont dit et ce que nous avons détaillé, mais ce n'est pas un projet, c'est un outil. Il y a, en fait, beaucoup d'outils dans ce texte, y compris pour la dimension politique de l'Union européenne, en matière de défense ou d'actions extérieures. Il restera, comme dans toute aventure humaine, comme dans toute aventure politique, à savoir si les hommes et les femmes politiques de France et d'ailleurs auront la volonté de se servir de cet outil. Nous avons absolument besoin de cet outil pour fonctionner avec vingt-cinq ou vingt-huit pays. Nous en avons absolument besoin pour conforter ce que nous avons déjà fait ensemble. Et nous en avons absolument besoin pour donner à cette union économique et monétaire une dimension sociale, culturelle et politique avec une action extérieure forte. Tous ces outils se trouvent dans ce petit livre. Maintenant, il faut, comme nous y a invité Joschka Fischer - j'espère que cet appel sera entendu -, qu'après un vrai débat, nous obtenions la ratification de ce texte par le peuple français, et puis, après, il faudra que les hommes politiques européens se saisissent de cet outil. Voilà ce que je voulais dire sur le sens de cette journée. J'ai eu le sentiment d'apposer ma modeste signature sur un texte historique.
Q - Je me pose une question : comment allez-vous faire pour "vendre" ce texte qui est long, il fait quand même plusieurs centaines de pages, c'est un pavé, comment allez-vous faire pour le vendre aux citoyens européens ? On ne sait même pas si c'est un traité ou une Constitution ? Contrairement au Traité de Maastricht, qui, lui, avait une notion claire, la question c'était : "Etes-vous pour ou contre la monnaie unique", ce traité lui, il n'en a pas. Comment est-ce que vous allez susciter l'adhésion des citoyens européens ?
Vous avez dit : "le Traité sur la Constitution est un instrument, ce n'est pas un projet, et en même temps il va falloir mobiliser, il va falloir faire en sorte qu'en France une majorité de nos concitoyens votent favorablement". Si on suit vos indications, alors comment faire pour mobiliser sur un instrument ?
R - D'abord, je veux être tout à fait honnête avec vous, parce que j'ai montré ce petit livre qui est moins volumineux que les deux volumes que vous avez montrés. En fait c'est vous qui avez raison, parce qu'il n'y a que les deux premières parties dans ce texte, et je reconnais aussi que la quatrième partie ou la troisième sont les moins lisibles, ce sont celles qui n'ont pas été réécrites et qui comportent notamment les politiques communes, ce qui explique que cette Constitution soit davantage en fait un traité constitutionnel et qu'il ne ressemble pas à nos constitutions nationales. Ce que vous trouvez dans cette Constitution que les Français vont devoir ratifier, ce sont toutes les politiques que nous menons ensemble. Vous ne trouvez pas cela dans une Constitution nationale. Il y a, dans la troisième partie de ce texte, toute la description détaillée, très précise et, je le reconnais, difficilement lisible, sauf pour des étudiants de Science-Po, de toutes les politiques que nous avons décidé de mettre en commun, de communautariser, parfois même de fédéraliser, comme c'est le cas de la politique monétaire, et puis d'autres que nous partageons avec les Etats, et enfin les politiques pour lesquelles nous accompagnons simplement, au niveau européen, les politiques nationales.
Un mot sur votre première question. J'aurais souhaité, ou rêvé, d'un moment commun de ratification. Très franchement c'est assez difficile, comme l'a dit Joschka Fischer, de "dénationaliser" les procédures. Gardons-nous de vouloir tous ressembler les uns aux autres et d'effacer nos différences culturelles ou institutionnelles. Le général de Gaulle disait : "Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons", les peuples européens sont des peuples européens, nous ne sommes pas en train de construire une nation européenne ou un super-Etat fédéral, avec une seule procédure. Il y a des différences, il y a des cultures, des langues. Il y a des différences et les citoyens y tiennent et, parmi ces différences, il y a les modalités d'organisation territoriale, la manière de voter. Donc, ce n'était évidemment pas possible, du premier coup, d'avoir un seul jour de ratification et une seule modalité de ratification. Peut-être peut-on s'en approcher et imaginer une sorte de printemps de la Constitution en 2005 où, suivant la voie parlementaire en Allemagne, suivant la voie populaire en France, en Espagne, au Luxembourg ou dans d'autres pays, on pourrait rassembler les votes.
Et puis, on peut faire un effort, que nous faisons ce soir devant vous et qui est naturel, c'est de "dénationaliser" le débat, de montrer en quoi ce débat est européen. Vous avez trois ministres devant vous : Allemand, Espagnol, Français, un socialiste espagnol, un vert allemand, un gaulliste français européen. Je dis cela parce que les gaullistes, historiquement, ne sont pas toujours européens, mais cela va mieux déjà. Que nous soyons ensemble pour dire notre conviction que ce texte est utile est déjà une manière d'ouvrir un débat européen.
Maintenant, comment faire puisque, comme vous l'avez dit, ce n'est pas aussi simple que le oui ou non à la monnaie unique ? Ce texte-là, ce n'est pas un traité de plus, comme l'a été Maastricht ou Nice. Nous avons fait un travail au sein de la Convention qu'a présidée M. Giscard d'Estaing, et j'ai eu la chance de participer à ce travail, qui était transparent et pluraliste. Pour la première fois, je le dis en passant, un traité européen n'a pas été élaboré dans le secret d'une conférence diplomatique, il a été élaboré dans une Convention ouverte, les portes et les fenêtres étaient ouvertes, il y a des journalistes parmi vous qui ont pu suivre, tous les jours, ces débats. Nous n'avons pas fait un traité de plus, nous avons reconstruit tous les traités, depuis le Traité de Rome, c'est pour cela que c'était important que la signature ait lieu aujourd'hui à Rome. C'est un nouveau Traité de Rome qui intègre, qui reconstruit, qui restructure tous les traités qui ont été signés depuis Rome - et il y en a eu un certain nombre - et qui, en même temps, va plus loin.
Ce Traité est une règle du jeu, c'est la première chose que je dirai. Quand on a vingt-cinq nations, grandes et petites, nouveaux et anciens membres de l'Union, qui veulent vivre ensemble sans se confondre, sans fusionner, mais vivre en commun, partager leur souveraineté dans certains domaines, agir et se protéger ensemble, il faut une règle du jeu et c'est plus difficile à vingt-cinq qu'à six. Donc, on a la règle du jeu, on pourra rentrer dans les questions de mécanique qui ne sont pas très amusantes à expliquer - majorité qualifiée, unanimité, etc. Mais on a besoin d'une règle du jeu, on peut expliquer cela aux gens, on peut expliquer que, quand on est sur une route, qu'on a commencée il y a 50 ans, dans un véhicule où on a été co-coresponsable, et que la mécanique, le moteur n'ont pas été révisés pendant 50 ans, le risque c'est que cela tombe en panne. Donc nous avons voulu éviter la panne ou l'embourbement et avoir une règle du jeu modernisée pour travailler, vivre et avancer à 25 ou 28. Et puis on a mis la Charte des droits fondamentaux que l'on peut expliquer aux gens. On a clarifié les compétences - qui fait quoi ? C'est la première fois qu'on dit qui fait quoi dans l'Union. On a mis des éléments, je le disais tout à l'heure, pour la nouvelle dimension politique, la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères et tirer les leçons de notre impuissance passée, en Irak ou en Bosnie-Herzégovine, à parler et agir d'une seule voix. Nous avons les éléments d'une politique de défense commune.
Il faudra entrer dans les chapitres de la Constitution, parce que les Espagnols sont très rapides, ils auront besoin de 3 ou 4 mois seulement pour le débat, nous nous aurons besoin d'un peu plus de temps, mais il va falloir expliquer, chapitre par chapitre et je pense, Mesdames et Messieurs, que les citoyens sont plus intelligents que certains hommes politiques ne le croient. Je crois que le peuple est intelligent et qu'il a envie qu'on explique, sans démagogie, sans simplifier, tout ce qui est dans ce texte. Nous avons besoin de ce temps, et ce temps-là, nous allons le prendre jusqu'au moment du référendum.
Q - Sur les 25 Etats membres, il est fort probable qu'il y ait au moins un Etat qui ne ratifie pas. Que va-t-il alors se passer ? Est-ce que la réaction sera la même s'il s'agit d'un Etat comme l'Allemagne, l'Espagne, la France ou un Etat nouvellement entré, par exemple un Etat de l'Europe centrale et orientale ? Y a t-il égalité des différents pays de l'Union dans le poids de la ratification finale ?
R - Le poids, en termes de population, de politique, naturellement n'est pas le même selon la taille des Etats mais, juridiquement, l'effet est exactement le même. Que l'un des vingt-cinq pays qui ont signé ce matin ne ratifie pas, il n'y a pas plus de Constitution ! Que se passe-t-il à ce moment-là ? Il y a plusieurs scénarios, mais moi, je ne me suis pas engagé en politique avec une sorte de fatalisme. On est là pour avancer, pour convaincre.
Vous avez eu un exemple avec le Traité de Nice : un des Etats n'a pas ratifié - l'Irlande - et donc, quelques mois plus tard, après un nouveau débat sur le même texte, le peuple irlandais a été amené à se prononcer à nouveau. C'est toujours risqué de faire cela. Je trouve que ce serait très grave qu'un des pays, voire plusieurs, ne ratifient pas ce texte alors qu'il constitue objectivement un vrai progrès par rapport au texte actuel. Comme l'a dit Miguel Moratinos, si ce texte n'est pas ratifié, ce n'est pas la fin du monde, simplement on revient à Nice. Et nous savons tous que le Traité de Nice est insuffisant. Il était utile dans le court terme - nous y sommes maintenant dans le court terme, c'était l'élargissement, l'adhésion de dix pays - et, si on a simplement le Traité de Nice, on ne peut pas fonctionner dans le moyen et le long terme, on ne peut aller plus loin, on ne peut pas faire l'Europe politique. Franchement, cette Constitution est un progrès et je comprendrais mal qu'on ne soit pas capable de l'expliquer.
Si jamais, par malheur, nous n'adoptons pas cette Constitution, il restera le Traité de Nice pour fonctionner, tant bien que mal. Puis, il restera la volonté, probablement, que certains garderont, d'aller plus loin. Il y aura aussi un risque : c'est que ceux qui veulent aller plus loin le fassent en dehors du cadre européen, des institutions européennes. Il y a eu un exemple dans le passé d'une action commune que quelques-uns seulement voulaient mener, c'était Schengen, la Convention de Schengen, qui n'était pas un Traité communautaire parce que seulement certains pays, sept à l'origine, dont la France, l'Allemagne et l'Espagne voulaient gérer en commun leurs frontières. On a fait un traité en dehors de l'Union européenne, pour finalement s'apercevoir qu'il était utile pour tout le monde, au moment d'Amsterdam, dans le traité communautaire.
Quel est le risque si nous n'avons pas cette Constitution ? C'est que ceux qui voudront aller plus loin, et il y en aura, fassent des "Schengen politiques" en dehors du traité de l'Union, et c'est cela que je crains.
Le risque est donc celui de la dispersion ou de l'explosion du projet européen, alors même que, dans ce Traité, c'est une de ses grandes qualités, il y a le chemin ou l'outil - je parlais d'outil tout à l'heure - pour que ceux qui veulent aller plus loin et plus vite, comme des éclaireurs, dans les domaines de la justice, de la fiscalité, de la politique étrangère, le fassent dans le cadre communautaire. C'est prévu, c'est qu'on appelle des coopérations renforcées entre quelques-uns qui partent en éclaireurs. Si nous n'avons pas ce Traité, je suis sûr que certains pays avanceront, mais ils le feront en dehors. Voilà ce que je peux dire mais, juridiquement, nous avons besoin de l'unanimité des vingt-cinq Etats, pour avoir cette Constitution entre les mains.
Le débat référendaire, en France, va être très difficile, comme d'ailleurs tout débat référendaire et naturellement, il ne s'agit pas de lancer des injonctions aux citoyens, mais de débattre, de convaincre, de donner des explications, de faire appel à l'intelligence des gens. Si c'est bien cela le débat, alors je pense que - et je l'en remercie - ce qu'à dit Joschka Fischer : les raisons initiales du projet européen, qui sont toujours valables aujourd'hui et qui ont fonctionné, sont les promesses initiales. C'est assez rare d'ailleurs, de voir que les hommes politiques - ont les a cités -, il y a 50 ans, ont fait des promesses qui ont été tenues. Ces promesses-là ont été tenues, c'était une promesse initiale de démocratie et de paix. Et, Miguel, je suis sûr que des pays comme le tien, qui étaient sous dictature - l'Espagne, le Portugal et la Grèce -, des dictatures de droite, ont eu cet horizon-là, puisque, pendant leurs dictatures, nous étions, nous, dans le projet européen qui était un projet de démocratie et de paix. Je suis sûr que c'est également vrai pour l'Europe centrale, et que ce n'est pas fini. Tout à l'heure, Joschka disait qu'en avion, on survolait des champs où nos parents, quelquefois nos grands-parents, se sont battus et se sont entretués. Je me permets de vous dire qu'en Europe, à côté de nous, il y a 15 ans, des Européens se sont fait la guerre, à cause du nationalisme. François Mitterrand disait, à juste titre, que le nationalisme, c'était la guerre dans les Balkans.
Le projet européen, est un projet de paix et de démocratie. Ce projet continue, il est à l'uvre et il doit continuer son oeuvre, sur l'ensemble du continent européen et là, nous avons un test.
Depuis que je suis ministre des Affaires étrangères, je comprends mieux ce qui se passe dans les Balkans où je vais assez souvent. On voit bien le drame que constitue le nationalisme. Quand vous avez des nationalistes, les uns en face des autres, avec leur passé, leur histoire tragique, ils continuent à se battre. Qu'apportons-nous avec le projet européen ? On place, au-dessus d'eux, un horizon différent. On ne les empêche pas d'être Serbes, Bosniaques, Macédoniens, comme nous-mêmes nous sommes restés Français et Allemands, mais on met quelque chose d'eux au-dessus. Ce quelque chose de plus et de supérieur, c'est le projet européen. Et c'est cela la vocation de civilisation et de paix du projet européen. Et c'est cela qui fonctionne. Je ne sais pas si j'ai été clair, mais j'ai ressenti cela. Je voulais vous dire que j'ai compris beaucoup mieux, en allant dans ces pays, la raison qui fait que, ce que nous avons fait dans la réconciliation franco-allemande, pas nous, mais nos prédécesseurs, continue à être utile, continue à fonctionner, en Europe même.
Q - Des étudiants ayant participé au Forum social se demandent si la ratification du Traité constitutionnel ne serait pas plus facile s'il y avait plus d'Europe sociale et plus de dispositions en faveur de l'emploi - première préoccupation des Européens. Monsieur Barnier, n'avez-vous pas de regrets de ne pas vous être battu davantage pour une Europe plus sociale ? Concrètement, le projet de la Constitution européenne va t-il apporter des réponses à la première préoccupation des citoyens européens, l'emploi, et notamment pour la main-d'oeuvre peu qualifiée. Comment allez-vous toucher les lecteurs qui constatent que leur entreprise délocalise une partie de ses activités et qui estiment qu'il n'y a rien dans le texte qui les protègent ? La coalition socialiste, socio-démocrates, gouvernements libéraux, a-t-elle mis assez de social dans l'Europe, est-ce qu'il y a assez de réponses ou de possibilités de réponses aux préoccupations en termes d'emploi des citoyens européens ? Monsieur Barnier, les gouvernements socio-démocrates n'ont pas le monopole du social.
R - C'est important que des ministres qui appartiennent à des coalitions de gauche ou sociales-démocrates vous disent que ce texte est un progrès, parce que, probablement, certains socialistes français, ou d'autres, auront plus tendance à les croire que moi. Très franchement qu'avons- nous fait depuis 50 ans ? Qu'avons-nous en charge dans cet espace européen ? C'est une économie sociale de marché que nous avons construite, c'est cela que nous avons fait, probablement à l'échelle d'un continent, le seul endroit dans le monde où on pourrait parler de mondialisation heureuse ou pas trop malheureuse, par rapport au titre d'un livre connu. Nous avons accepté les principes de la concurrence, du marché, de l'ouverture, de la compétition, mais en y mettant un certain ordre, en y mettant des règles, notamment la politique de concurrence, en y mettant de la redistribution entre nous.
J'ai été pendant 5 ans, comme commissaire, chargé de gérer le deuxième budget de l'Union européenne, cela ce ne sont pas des mots, et encore une fois, Joschka Fischer, qui est le principal contributeur, a dit que personne ne devait dire merci, mais c'est quand même 215 milliards d'euros sur 7 ans qui sont payés par les pays les plus riches de l'Europe et qui sont attribués aux pays les moins développés de l'Union. Ce ne sont pas des discours : 215 milliards d'euros pour le développement régional ! Et puis, nous avons un certain nombre de directives qui ont été, au fil des ans, mises en oeuvre, y compris d'ailleurs quelquefois quand il y a eu des crises ou des secousses comme à Villevorde. Nous avons réussi à créer une économie sociale de marché, mais ce n'est pas parfait.
Ce que je peux dire, en m'appuyant sur ce qu'ont dit des rédacteurs de cette Constitution qui n'ont pas mes idées, et je pense à Olivier Duhamel par exemple, qui a été l'un des rédacteurs les plus actifs, c'est qu'il n'y a pas un seul recul dans ce texte constitutionnel, pas un seul recul par rapport aux textes précédents et on peut trouver de nombreux exemples d'avancées, de garanties supplémentaires : le dialogue social, la préservation des missions de service public, qui sont davantage garantis par un instrument juridique, la politique de cohésion qui est préservée. On peut trouver plusieurs avancés importantes qui, à elles seules, justifieraient qu'on approuve ce texte qui, comme l'a dit Joschka, est bien meilleur que ce qu'on aurait si on le refuse, c'est-à-dire le Traité de Nice.
Maintenant il y a le principe de réalité. Mesdames et Messieurs, ne nous cachons pas derrière notre doigt, il y a dans cette union de vingt-cinq pays, des pays qui ne veulent pas aller beaucoup plus loin dans des politiques sociales ambitieuses, et puis il y en a d'autres, nous en faisons partie, qui ne veulent pas renoncer à un certain modèle de protection que nous avons construit depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il restera toujours des différences, vous m'avez dit : "vous êtes-vous assez battu ?" Oui, nous nous sommes battus, mais nous n'avons pas obtenu satisfaction sur tout. Je pourrais citer d'autres exemples sur la gouvernance économique mais, le principe de réalité dans une négociation à vingt-cinq où on doit se mettre d'accord, c'est qu'il faut faire des compromis.
Ce que je peux dire en conscience, honnêtement, c'est que le compromis auquel nous sommes parvenus est un progrès, y compris, et peut être d'abord, dans ce domaine de la dimension sociale et humaine de la construction européenne, en même temps que dans le domaine de la démocratie.
Q - Est-ce que le Traité constitutionnel va renforcer le poids de l'Union européenne sur la scène internationale ? Je suis originaire de l'Afrique et je me pose la question : certains nous annoncent un nouveau ministre des Affaires étrangères, en lieu et place, de MM. Patten et Solana. Il y a aussi un nouveau service européen pour l'action extérieure, une non moins nouvelle Agence européenne de l'armement, mais cela va t-il suffire ? Surtout, ce nouveau ministre des Affaires étrangères, pourra-t-il dire non à l'Amérique au nom des vingt-cinq ? En effet, depuis 1991, on nous parle de politique étrangère commune, mais est-ce que cela ne va pas buter, d'une part sur la nécessité de décider à l'unanimité, ce sur quoi le Traité constitutionnel ne revient pas, ne change rien, et d'autre part, sur l'existence de visions divergentes comme l'a illustré la crise irakienne ? Ma question est : est-il possible d'avoir une politique étrangère commune quand on est à ce point divisé sur un sujet aussi crucial que la crise irakienne ?
R - Vous avez devant vous des ministres des Affaires étrangères qui ont soutenu l'idée de la création de ce nouveau poste, très important, de ministère européen des Affaires étrangères, non pas pour faire une politique unique, mais pour faire une politique commune qui n'existe pas vraiment aujourd'hui. Encore une fois, ce poste est un outil, ce n'est pas un coup de baguette magique qui va demain matin nous mettre d'accord sur tous les sujets.
Comment se construit une politique étrangère ? Elle se construit, pour chacun de nos pays, jusqu'à présent séparément, côte à côte, quand ce n'est pas les uns contre les autres, dans une analyse de la géopolitique, une réflexion. Que va-t-on faire dans ce ministère ? On va faire cela ensemble, pour la première fois. Le ministre européen des Affaires étrangères va animer ce que j'appellerais un lieu de culture diplomatique commune. On va travailler ensemble, on va anticiper ensemble, on va réfléchir à des crises, ou à des situations, qui sont autour de nous et qu'on devra affronter ensemble. C'est exactement ce qui nous a manqué. Je parlais de l'Irak tout à l'heure, où nous n'avions jamais réfléchi ensemble avec suffisamment de temps, parce qu'il faut du temps pour aboutir à des analyses communes, par exemple sur ce qui se passerait si Saddam Hussein restait, ou comment faire partir Saddam Hussein.
Le pire, Mesdames et Messieurs, je l'ai dit à deux reprises, je me permets de le rappeler parce que, pour moi, cela a été la preuve majeure de l'impuissance européenne, la raison pour laquelle je me suis battu dans la négociation du Traité d'Amsterdam pour la création du premier poste de Haut représentant pour la PESC, qu'occupe aujourd'hui Javier Solana, et la raison pour laquelle je me suis battu pour qu'on aille plus loin, en créant ce ministère - cela ne plaisait pas toujours à nos ministères nationaux que d'abandonner une partie de leurs pouvoirs au profit de l'Union européenne, le pire, c'est quand même l'affaire de la Bosnie, de la Yougoslavie : 220.000 morts, il y a 15 ans, ce n'est pas au bout du monde et ce n'était pas il y a deux siècles, c'était il y a 15 ans !
Je peux vous raconter quelque chose qui illustre cette impuissance. Quand je suis devenu ministre des Affaires européennes, il y a dizaine d'années, François Mitterrand quittait l'Elysée. En septembre 1995, et je suis allé le trouver, quelques mois avant qu'il ne meure. Il était un des grands acteurs de l'Union européenne, comme Helmut Kohl, et plus tard j'ai interrogé Helmut Kohl aussi. Je lui ai demandé "comment avons-nous pu, Européens, ne pas empêcher cette guerre de la Yougoslavie et de la Bosnie, chez nous ?" Il m'a dit : "Mon jeune ami, voilà des siècles que nous sommes, nous Français, avec les Serbes, et que les Allemands sont avec les Croates", je simplifie un peu. Alors je lui réponds, avec un peu d'impertinence : "Monsieur le Président, qu'est-ce cela veut dire au XXIème siècle que les Allemands soient avec les Croates et les Français avec les Serbes, sauf pour vendre des téléphones ? Qu'est-ce que cela veut dire ?" Il a ajouté : "Il nous a manqué quelqu'un pour nous surveiller". On voit bien qu'il manquait des outils, qu'il manquait des habitudes d'être ensemble, d'analyser ensemble et donc de ce fait, dans la crise, dans l'urgence, comme cela a été le cas pour l'Irak, on ne peut pas improviser une position commune. Chacun retrouve ses réflexes, ses amitiés, parfois par-dessus l'Atlantique.
Ce dont il est question, c'est de construire un lieu où on bâtira une culture diplomatique commune, pas unique mais commune, pour aborder nos relations avec la Russie, pour aborder ce conflit central où nous sommes à peu près tous d'accord maintenant, qu'est le conflit israélo-palestinien, pour aborder probablement la question la plus difficile qui est celle de nos relations transatlantiques, pour mutualiser finalement une partie de nos politiques africaines. Qu'est-ce que cela veut dire ? Vous connaissez bien le continent africain. Qu'est-ce que cela veut dire, quand on voit les enjeux de ce continent, qui est juste de l'autre côté de la Méditerranée ? Dans 18 ans, il y aura un milliard et demi d'Africains, huit cent millions d'entre eux auront moins de 15 ans, ils vivront, pour un milliard d'entre eux, avec 1 dollar par jour, comment croire que cela ne nous concerne pas ? Va-t-on continuer à avoir une politique espagnole en Afrique, une politique allemande en Afrique, une politique française en Afrique juxtaposées, quand elles ne sont pas concurrentes ? On a besoin d'un lieu et, à la tête de ce lieu, de quelqu'un, sous le contrôle des chefs d'Etat, qui forge une politique africaine européenne avec, probablement, pour chacun d'entre nous, des amitiés qui continueront, des relations individuelles ou bilatérales. Voilà les enjeux, voilà en quoi ce lieu est très important et voilà pourquoi on a besoin de cette constitution.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2004)
Nous revenons directement tous les trois de Rome, et j'ai eu le sentiment, en effet, de signer tout à l'heure un document historique aux côtés du président de la République et du Premier ministre. Cette signature n'est pas le début ou la fin de l'histoire européenne, mais tout de même, plus de cinquante après le Traité de la Communauté du charbon et de l'acier, après le Traité de Rome alors que, nous étions partis à 6, nous sommes aujourd'hui 25, bientôt 27 ou 28, j'ai le sentiment de participer à un moment historique. Et peut-être encore plus historique, parce que depuis le début de cette histoire formidable, ce projet reste, pour moi, le plus beau des projets politiques. Si la politique signifie que l'on fabrique du progrès, de la stabilité, que l'on contribue à la paix plutôt que d'entretenir des conflits, si c'est bien cela la politique, comme je le crois, alors, à coup sûr, le projet européen, à l'échelle d'un continent est le plus beau des projets politiques. Il faut se souvenir des premières raisons, des premières promesses de ce projet, qui ont été faites à côté de mon bureau au Quai d'Orsay, dans le fameux salon de l'Horloge - j'ai d'ailleurs fait mettre la photo de Schuman et de Monnet prise le 9 mai 1950 dans cette pièce -. Que dit Schuman ? Il dit, à propos du charbon et de l'acier et de la paix : "Aucun d'entre-nous, ni l'Allemagne, ni la France, encore moins le Luxembourg ou la Belgique, ou les Pays-Bas, ou l'Italie, aucun d'entre nous n'a la capacité ou la force suffisante pour compter tout seul, donc mettons ensemble nos capacités". A l'époque, c'était le charbon et l'acier et puis, c'est devenu le reste de l'économie, un peu plus tard, avec le Traité de Rome.
J'étais, hier et avant-hier, à New Delhi, dans un pays qui compte 1 milliard d'habitants. Il y a 15 jours, j'étais aux côtés du président de la République en Chine : 1 milliard et demi d'habitants. L'intuition initiale de Schuman et de Monnet, de Gasperi, d'Adenauer, c'était que nous ne compterions pas seuls, ou que nous serions balayés si nous restions seuls chacun chez soi et chacun pour soi, à l'époque où il n'y avait pas de mondialisation, à l'époque où il y avait un monde partagé en deux, assez confortable au fond. Cette intuition-là est encore plus juste aujourd'hui. Comment compter, comment nous faire entendre, comment protéger ou défendre nos propres intérêts européens, notre culture, notre identité, notre force économique ? Comment participer à une nouvelle organisation du monde face aux autres grandes puissances, comme celles que je viens de citer, mais aussi les Etats-Unis, la Russie, le Brésil un jour, si nous restons divisés ou séparés ou les uns à côté des autres ? Je pense que cette intuition initiale, a reçu aujourd'hui une confirmation supplémentaire.
Nous allons parler de cette Constitution. J'étais l'un des ouvriers de ce texte, comme membre de la Convention et comme commissaire européen à l'époque. Je veux dire une chose à propos de ce texte : une Constitution ce n'est pas un projet, c'est un outil et celui-ci est un vrai progrès, ne serait-ce que parce que, pour la première fois depuis 50 ans probablement, c'est un texte européen que l'on peut lire ! Je veux dire qu'il est lisible, il est écrit de manière à peu près lisible. Au-delà de cela, on y trouve tout ce que Miguel Moratinos ou Joschka Fischer ont dit et ce que nous avons détaillé, mais ce n'est pas un projet, c'est un outil. Il y a, en fait, beaucoup d'outils dans ce texte, y compris pour la dimension politique de l'Union européenne, en matière de défense ou d'actions extérieures. Il restera, comme dans toute aventure humaine, comme dans toute aventure politique, à savoir si les hommes et les femmes politiques de France et d'ailleurs auront la volonté de se servir de cet outil. Nous avons absolument besoin de cet outil pour fonctionner avec vingt-cinq ou vingt-huit pays. Nous en avons absolument besoin pour conforter ce que nous avons déjà fait ensemble. Et nous en avons absolument besoin pour donner à cette union économique et monétaire une dimension sociale, culturelle et politique avec une action extérieure forte. Tous ces outils se trouvent dans ce petit livre. Maintenant, il faut, comme nous y a invité Joschka Fischer - j'espère que cet appel sera entendu -, qu'après un vrai débat, nous obtenions la ratification de ce texte par le peuple français, et puis, après, il faudra que les hommes politiques européens se saisissent de cet outil. Voilà ce que je voulais dire sur le sens de cette journée. J'ai eu le sentiment d'apposer ma modeste signature sur un texte historique.
Q - Je me pose une question : comment allez-vous faire pour "vendre" ce texte qui est long, il fait quand même plusieurs centaines de pages, c'est un pavé, comment allez-vous faire pour le vendre aux citoyens européens ? On ne sait même pas si c'est un traité ou une Constitution ? Contrairement au Traité de Maastricht, qui, lui, avait une notion claire, la question c'était : "Etes-vous pour ou contre la monnaie unique", ce traité lui, il n'en a pas. Comment est-ce que vous allez susciter l'adhésion des citoyens européens ?
Vous avez dit : "le Traité sur la Constitution est un instrument, ce n'est pas un projet, et en même temps il va falloir mobiliser, il va falloir faire en sorte qu'en France une majorité de nos concitoyens votent favorablement". Si on suit vos indications, alors comment faire pour mobiliser sur un instrument ?
R - D'abord, je veux être tout à fait honnête avec vous, parce que j'ai montré ce petit livre qui est moins volumineux que les deux volumes que vous avez montrés. En fait c'est vous qui avez raison, parce qu'il n'y a que les deux premières parties dans ce texte, et je reconnais aussi que la quatrième partie ou la troisième sont les moins lisibles, ce sont celles qui n'ont pas été réécrites et qui comportent notamment les politiques communes, ce qui explique que cette Constitution soit davantage en fait un traité constitutionnel et qu'il ne ressemble pas à nos constitutions nationales. Ce que vous trouvez dans cette Constitution que les Français vont devoir ratifier, ce sont toutes les politiques que nous menons ensemble. Vous ne trouvez pas cela dans une Constitution nationale. Il y a, dans la troisième partie de ce texte, toute la description détaillée, très précise et, je le reconnais, difficilement lisible, sauf pour des étudiants de Science-Po, de toutes les politiques que nous avons décidé de mettre en commun, de communautariser, parfois même de fédéraliser, comme c'est le cas de la politique monétaire, et puis d'autres que nous partageons avec les Etats, et enfin les politiques pour lesquelles nous accompagnons simplement, au niveau européen, les politiques nationales.
Un mot sur votre première question. J'aurais souhaité, ou rêvé, d'un moment commun de ratification. Très franchement c'est assez difficile, comme l'a dit Joschka Fischer, de "dénationaliser" les procédures. Gardons-nous de vouloir tous ressembler les uns aux autres et d'effacer nos différences culturelles ou institutionnelles. Le général de Gaulle disait : "Il ne faut pas que l'Europe broie les peuples comme dans une purée de marrons", les peuples européens sont des peuples européens, nous ne sommes pas en train de construire une nation européenne ou un super-Etat fédéral, avec une seule procédure. Il y a des différences, il y a des cultures, des langues. Il y a des différences et les citoyens y tiennent et, parmi ces différences, il y a les modalités d'organisation territoriale, la manière de voter. Donc, ce n'était évidemment pas possible, du premier coup, d'avoir un seul jour de ratification et une seule modalité de ratification. Peut-être peut-on s'en approcher et imaginer une sorte de printemps de la Constitution en 2005 où, suivant la voie parlementaire en Allemagne, suivant la voie populaire en France, en Espagne, au Luxembourg ou dans d'autres pays, on pourrait rassembler les votes.
Et puis, on peut faire un effort, que nous faisons ce soir devant vous et qui est naturel, c'est de "dénationaliser" le débat, de montrer en quoi ce débat est européen. Vous avez trois ministres devant vous : Allemand, Espagnol, Français, un socialiste espagnol, un vert allemand, un gaulliste français européen. Je dis cela parce que les gaullistes, historiquement, ne sont pas toujours européens, mais cela va mieux déjà. Que nous soyons ensemble pour dire notre conviction que ce texte est utile est déjà une manière d'ouvrir un débat européen.
Maintenant, comment faire puisque, comme vous l'avez dit, ce n'est pas aussi simple que le oui ou non à la monnaie unique ? Ce texte-là, ce n'est pas un traité de plus, comme l'a été Maastricht ou Nice. Nous avons fait un travail au sein de la Convention qu'a présidée M. Giscard d'Estaing, et j'ai eu la chance de participer à ce travail, qui était transparent et pluraliste. Pour la première fois, je le dis en passant, un traité européen n'a pas été élaboré dans le secret d'une conférence diplomatique, il a été élaboré dans une Convention ouverte, les portes et les fenêtres étaient ouvertes, il y a des journalistes parmi vous qui ont pu suivre, tous les jours, ces débats. Nous n'avons pas fait un traité de plus, nous avons reconstruit tous les traités, depuis le Traité de Rome, c'est pour cela que c'était important que la signature ait lieu aujourd'hui à Rome. C'est un nouveau Traité de Rome qui intègre, qui reconstruit, qui restructure tous les traités qui ont été signés depuis Rome - et il y en a eu un certain nombre - et qui, en même temps, va plus loin.
Ce Traité est une règle du jeu, c'est la première chose que je dirai. Quand on a vingt-cinq nations, grandes et petites, nouveaux et anciens membres de l'Union, qui veulent vivre ensemble sans se confondre, sans fusionner, mais vivre en commun, partager leur souveraineté dans certains domaines, agir et se protéger ensemble, il faut une règle du jeu et c'est plus difficile à vingt-cinq qu'à six. Donc, on a la règle du jeu, on pourra rentrer dans les questions de mécanique qui ne sont pas très amusantes à expliquer - majorité qualifiée, unanimité, etc. Mais on a besoin d'une règle du jeu, on peut expliquer cela aux gens, on peut expliquer que, quand on est sur une route, qu'on a commencée il y a 50 ans, dans un véhicule où on a été co-coresponsable, et que la mécanique, le moteur n'ont pas été révisés pendant 50 ans, le risque c'est que cela tombe en panne. Donc nous avons voulu éviter la panne ou l'embourbement et avoir une règle du jeu modernisée pour travailler, vivre et avancer à 25 ou 28. Et puis on a mis la Charte des droits fondamentaux que l'on peut expliquer aux gens. On a clarifié les compétences - qui fait quoi ? C'est la première fois qu'on dit qui fait quoi dans l'Union. On a mis des éléments, je le disais tout à l'heure, pour la nouvelle dimension politique, la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères et tirer les leçons de notre impuissance passée, en Irak ou en Bosnie-Herzégovine, à parler et agir d'une seule voix. Nous avons les éléments d'une politique de défense commune.
Il faudra entrer dans les chapitres de la Constitution, parce que les Espagnols sont très rapides, ils auront besoin de 3 ou 4 mois seulement pour le débat, nous nous aurons besoin d'un peu plus de temps, mais il va falloir expliquer, chapitre par chapitre et je pense, Mesdames et Messieurs, que les citoyens sont plus intelligents que certains hommes politiques ne le croient. Je crois que le peuple est intelligent et qu'il a envie qu'on explique, sans démagogie, sans simplifier, tout ce qui est dans ce texte. Nous avons besoin de ce temps, et ce temps-là, nous allons le prendre jusqu'au moment du référendum.
Q - Sur les 25 Etats membres, il est fort probable qu'il y ait au moins un Etat qui ne ratifie pas. Que va-t-il alors se passer ? Est-ce que la réaction sera la même s'il s'agit d'un Etat comme l'Allemagne, l'Espagne, la France ou un Etat nouvellement entré, par exemple un Etat de l'Europe centrale et orientale ? Y a t-il égalité des différents pays de l'Union dans le poids de la ratification finale ?
R - Le poids, en termes de population, de politique, naturellement n'est pas le même selon la taille des Etats mais, juridiquement, l'effet est exactement le même. Que l'un des vingt-cinq pays qui ont signé ce matin ne ratifie pas, il n'y a pas plus de Constitution ! Que se passe-t-il à ce moment-là ? Il y a plusieurs scénarios, mais moi, je ne me suis pas engagé en politique avec une sorte de fatalisme. On est là pour avancer, pour convaincre.
Vous avez eu un exemple avec le Traité de Nice : un des Etats n'a pas ratifié - l'Irlande - et donc, quelques mois plus tard, après un nouveau débat sur le même texte, le peuple irlandais a été amené à se prononcer à nouveau. C'est toujours risqué de faire cela. Je trouve que ce serait très grave qu'un des pays, voire plusieurs, ne ratifient pas ce texte alors qu'il constitue objectivement un vrai progrès par rapport au texte actuel. Comme l'a dit Miguel Moratinos, si ce texte n'est pas ratifié, ce n'est pas la fin du monde, simplement on revient à Nice. Et nous savons tous que le Traité de Nice est insuffisant. Il était utile dans le court terme - nous y sommes maintenant dans le court terme, c'était l'élargissement, l'adhésion de dix pays - et, si on a simplement le Traité de Nice, on ne peut pas fonctionner dans le moyen et le long terme, on ne peut aller plus loin, on ne peut pas faire l'Europe politique. Franchement, cette Constitution est un progrès et je comprendrais mal qu'on ne soit pas capable de l'expliquer.
Si jamais, par malheur, nous n'adoptons pas cette Constitution, il restera le Traité de Nice pour fonctionner, tant bien que mal. Puis, il restera la volonté, probablement, que certains garderont, d'aller plus loin. Il y aura aussi un risque : c'est que ceux qui veulent aller plus loin le fassent en dehors du cadre européen, des institutions européennes. Il y a eu un exemple dans le passé d'une action commune que quelques-uns seulement voulaient mener, c'était Schengen, la Convention de Schengen, qui n'était pas un Traité communautaire parce que seulement certains pays, sept à l'origine, dont la France, l'Allemagne et l'Espagne voulaient gérer en commun leurs frontières. On a fait un traité en dehors de l'Union européenne, pour finalement s'apercevoir qu'il était utile pour tout le monde, au moment d'Amsterdam, dans le traité communautaire.
Quel est le risque si nous n'avons pas cette Constitution ? C'est que ceux qui voudront aller plus loin, et il y en aura, fassent des "Schengen politiques" en dehors du traité de l'Union, et c'est cela que je crains.
Le risque est donc celui de la dispersion ou de l'explosion du projet européen, alors même que, dans ce Traité, c'est une de ses grandes qualités, il y a le chemin ou l'outil - je parlais d'outil tout à l'heure - pour que ceux qui veulent aller plus loin et plus vite, comme des éclaireurs, dans les domaines de la justice, de la fiscalité, de la politique étrangère, le fassent dans le cadre communautaire. C'est prévu, c'est qu'on appelle des coopérations renforcées entre quelques-uns qui partent en éclaireurs. Si nous n'avons pas ce Traité, je suis sûr que certains pays avanceront, mais ils le feront en dehors. Voilà ce que je peux dire mais, juridiquement, nous avons besoin de l'unanimité des vingt-cinq Etats, pour avoir cette Constitution entre les mains.
Le débat référendaire, en France, va être très difficile, comme d'ailleurs tout débat référendaire et naturellement, il ne s'agit pas de lancer des injonctions aux citoyens, mais de débattre, de convaincre, de donner des explications, de faire appel à l'intelligence des gens. Si c'est bien cela le débat, alors je pense que - et je l'en remercie - ce qu'à dit Joschka Fischer : les raisons initiales du projet européen, qui sont toujours valables aujourd'hui et qui ont fonctionné, sont les promesses initiales. C'est assez rare d'ailleurs, de voir que les hommes politiques - ont les a cités -, il y a 50 ans, ont fait des promesses qui ont été tenues. Ces promesses-là ont été tenues, c'était une promesse initiale de démocratie et de paix. Et, Miguel, je suis sûr que des pays comme le tien, qui étaient sous dictature - l'Espagne, le Portugal et la Grèce -, des dictatures de droite, ont eu cet horizon-là, puisque, pendant leurs dictatures, nous étions, nous, dans le projet européen qui était un projet de démocratie et de paix. Je suis sûr que c'est également vrai pour l'Europe centrale, et que ce n'est pas fini. Tout à l'heure, Joschka disait qu'en avion, on survolait des champs où nos parents, quelquefois nos grands-parents, se sont battus et se sont entretués. Je me permets de vous dire qu'en Europe, à côté de nous, il y a 15 ans, des Européens se sont fait la guerre, à cause du nationalisme. François Mitterrand disait, à juste titre, que le nationalisme, c'était la guerre dans les Balkans.
Le projet européen, est un projet de paix et de démocratie. Ce projet continue, il est à l'uvre et il doit continuer son oeuvre, sur l'ensemble du continent européen et là, nous avons un test.
Depuis que je suis ministre des Affaires étrangères, je comprends mieux ce qui se passe dans les Balkans où je vais assez souvent. On voit bien le drame que constitue le nationalisme. Quand vous avez des nationalistes, les uns en face des autres, avec leur passé, leur histoire tragique, ils continuent à se battre. Qu'apportons-nous avec le projet européen ? On place, au-dessus d'eux, un horizon différent. On ne les empêche pas d'être Serbes, Bosniaques, Macédoniens, comme nous-mêmes nous sommes restés Français et Allemands, mais on met quelque chose d'eux au-dessus. Ce quelque chose de plus et de supérieur, c'est le projet européen. Et c'est cela la vocation de civilisation et de paix du projet européen. Et c'est cela qui fonctionne. Je ne sais pas si j'ai été clair, mais j'ai ressenti cela. Je voulais vous dire que j'ai compris beaucoup mieux, en allant dans ces pays, la raison qui fait que, ce que nous avons fait dans la réconciliation franco-allemande, pas nous, mais nos prédécesseurs, continue à être utile, continue à fonctionner, en Europe même.
Q - Des étudiants ayant participé au Forum social se demandent si la ratification du Traité constitutionnel ne serait pas plus facile s'il y avait plus d'Europe sociale et plus de dispositions en faveur de l'emploi - première préoccupation des Européens. Monsieur Barnier, n'avez-vous pas de regrets de ne pas vous être battu davantage pour une Europe plus sociale ? Concrètement, le projet de la Constitution européenne va t-il apporter des réponses à la première préoccupation des citoyens européens, l'emploi, et notamment pour la main-d'oeuvre peu qualifiée. Comment allez-vous toucher les lecteurs qui constatent que leur entreprise délocalise une partie de ses activités et qui estiment qu'il n'y a rien dans le texte qui les protègent ? La coalition socialiste, socio-démocrates, gouvernements libéraux, a-t-elle mis assez de social dans l'Europe, est-ce qu'il y a assez de réponses ou de possibilités de réponses aux préoccupations en termes d'emploi des citoyens européens ? Monsieur Barnier, les gouvernements socio-démocrates n'ont pas le monopole du social.
R - C'est important que des ministres qui appartiennent à des coalitions de gauche ou sociales-démocrates vous disent que ce texte est un progrès, parce que, probablement, certains socialistes français, ou d'autres, auront plus tendance à les croire que moi. Très franchement qu'avons- nous fait depuis 50 ans ? Qu'avons-nous en charge dans cet espace européen ? C'est une économie sociale de marché que nous avons construite, c'est cela que nous avons fait, probablement à l'échelle d'un continent, le seul endroit dans le monde où on pourrait parler de mondialisation heureuse ou pas trop malheureuse, par rapport au titre d'un livre connu. Nous avons accepté les principes de la concurrence, du marché, de l'ouverture, de la compétition, mais en y mettant un certain ordre, en y mettant des règles, notamment la politique de concurrence, en y mettant de la redistribution entre nous.
J'ai été pendant 5 ans, comme commissaire, chargé de gérer le deuxième budget de l'Union européenne, cela ce ne sont pas des mots, et encore une fois, Joschka Fischer, qui est le principal contributeur, a dit que personne ne devait dire merci, mais c'est quand même 215 milliards d'euros sur 7 ans qui sont payés par les pays les plus riches de l'Europe et qui sont attribués aux pays les moins développés de l'Union. Ce ne sont pas des discours : 215 milliards d'euros pour le développement régional ! Et puis, nous avons un certain nombre de directives qui ont été, au fil des ans, mises en oeuvre, y compris d'ailleurs quelquefois quand il y a eu des crises ou des secousses comme à Villevorde. Nous avons réussi à créer une économie sociale de marché, mais ce n'est pas parfait.
Ce que je peux dire, en m'appuyant sur ce qu'ont dit des rédacteurs de cette Constitution qui n'ont pas mes idées, et je pense à Olivier Duhamel par exemple, qui a été l'un des rédacteurs les plus actifs, c'est qu'il n'y a pas un seul recul dans ce texte constitutionnel, pas un seul recul par rapport aux textes précédents et on peut trouver de nombreux exemples d'avancées, de garanties supplémentaires : le dialogue social, la préservation des missions de service public, qui sont davantage garantis par un instrument juridique, la politique de cohésion qui est préservée. On peut trouver plusieurs avancés importantes qui, à elles seules, justifieraient qu'on approuve ce texte qui, comme l'a dit Joschka, est bien meilleur que ce qu'on aurait si on le refuse, c'est-à-dire le Traité de Nice.
Maintenant il y a le principe de réalité. Mesdames et Messieurs, ne nous cachons pas derrière notre doigt, il y a dans cette union de vingt-cinq pays, des pays qui ne veulent pas aller beaucoup plus loin dans des politiques sociales ambitieuses, et puis il y en a d'autres, nous en faisons partie, qui ne veulent pas renoncer à un certain modèle de protection que nous avons construit depuis la Deuxième Guerre mondiale. Il restera toujours des différences, vous m'avez dit : "vous êtes-vous assez battu ?" Oui, nous nous sommes battus, mais nous n'avons pas obtenu satisfaction sur tout. Je pourrais citer d'autres exemples sur la gouvernance économique mais, le principe de réalité dans une négociation à vingt-cinq où on doit se mettre d'accord, c'est qu'il faut faire des compromis.
Ce que je peux dire en conscience, honnêtement, c'est que le compromis auquel nous sommes parvenus est un progrès, y compris, et peut être d'abord, dans ce domaine de la dimension sociale et humaine de la construction européenne, en même temps que dans le domaine de la démocratie.
Q - Est-ce que le Traité constitutionnel va renforcer le poids de l'Union européenne sur la scène internationale ? Je suis originaire de l'Afrique et je me pose la question : certains nous annoncent un nouveau ministre des Affaires étrangères, en lieu et place, de MM. Patten et Solana. Il y a aussi un nouveau service européen pour l'action extérieure, une non moins nouvelle Agence européenne de l'armement, mais cela va t-il suffire ? Surtout, ce nouveau ministre des Affaires étrangères, pourra-t-il dire non à l'Amérique au nom des vingt-cinq ? En effet, depuis 1991, on nous parle de politique étrangère commune, mais est-ce que cela ne va pas buter, d'une part sur la nécessité de décider à l'unanimité, ce sur quoi le Traité constitutionnel ne revient pas, ne change rien, et d'autre part, sur l'existence de visions divergentes comme l'a illustré la crise irakienne ? Ma question est : est-il possible d'avoir une politique étrangère commune quand on est à ce point divisé sur un sujet aussi crucial que la crise irakienne ?
R - Vous avez devant vous des ministres des Affaires étrangères qui ont soutenu l'idée de la création de ce nouveau poste, très important, de ministère européen des Affaires étrangères, non pas pour faire une politique unique, mais pour faire une politique commune qui n'existe pas vraiment aujourd'hui. Encore une fois, ce poste est un outil, ce n'est pas un coup de baguette magique qui va demain matin nous mettre d'accord sur tous les sujets.
Comment se construit une politique étrangère ? Elle se construit, pour chacun de nos pays, jusqu'à présent séparément, côte à côte, quand ce n'est pas les uns contre les autres, dans une analyse de la géopolitique, une réflexion. Que va-t-on faire dans ce ministère ? On va faire cela ensemble, pour la première fois. Le ministre européen des Affaires étrangères va animer ce que j'appellerais un lieu de culture diplomatique commune. On va travailler ensemble, on va anticiper ensemble, on va réfléchir à des crises, ou à des situations, qui sont autour de nous et qu'on devra affronter ensemble. C'est exactement ce qui nous a manqué. Je parlais de l'Irak tout à l'heure, où nous n'avions jamais réfléchi ensemble avec suffisamment de temps, parce qu'il faut du temps pour aboutir à des analyses communes, par exemple sur ce qui se passerait si Saddam Hussein restait, ou comment faire partir Saddam Hussein.
Le pire, Mesdames et Messieurs, je l'ai dit à deux reprises, je me permets de le rappeler parce que, pour moi, cela a été la preuve majeure de l'impuissance européenne, la raison pour laquelle je me suis battu dans la négociation du Traité d'Amsterdam pour la création du premier poste de Haut représentant pour la PESC, qu'occupe aujourd'hui Javier Solana, et la raison pour laquelle je me suis battu pour qu'on aille plus loin, en créant ce ministère - cela ne plaisait pas toujours à nos ministères nationaux que d'abandonner une partie de leurs pouvoirs au profit de l'Union européenne, le pire, c'est quand même l'affaire de la Bosnie, de la Yougoslavie : 220.000 morts, il y a 15 ans, ce n'est pas au bout du monde et ce n'était pas il y a deux siècles, c'était il y a 15 ans !
Je peux vous raconter quelque chose qui illustre cette impuissance. Quand je suis devenu ministre des Affaires européennes, il y a dizaine d'années, François Mitterrand quittait l'Elysée. En septembre 1995, et je suis allé le trouver, quelques mois avant qu'il ne meure. Il était un des grands acteurs de l'Union européenne, comme Helmut Kohl, et plus tard j'ai interrogé Helmut Kohl aussi. Je lui ai demandé "comment avons-nous pu, Européens, ne pas empêcher cette guerre de la Yougoslavie et de la Bosnie, chez nous ?" Il m'a dit : "Mon jeune ami, voilà des siècles que nous sommes, nous Français, avec les Serbes, et que les Allemands sont avec les Croates", je simplifie un peu. Alors je lui réponds, avec un peu d'impertinence : "Monsieur le Président, qu'est-ce cela veut dire au XXIème siècle que les Allemands soient avec les Croates et les Français avec les Serbes, sauf pour vendre des téléphones ? Qu'est-ce que cela veut dire ?" Il a ajouté : "Il nous a manqué quelqu'un pour nous surveiller". On voit bien qu'il manquait des outils, qu'il manquait des habitudes d'être ensemble, d'analyser ensemble et donc de ce fait, dans la crise, dans l'urgence, comme cela a été le cas pour l'Irak, on ne peut pas improviser une position commune. Chacun retrouve ses réflexes, ses amitiés, parfois par-dessus l'Atlantique.
Ce dont il est question, c'est de construire un lieu où on bâtira une culture diplomatique commune, pas unique mais commune, pour aborder nos relations avec la Russie, pour aborder ce conflit central où nous sommes à peu près tous d'accord maintenant, qu'est le conflit israélo-palestinien, pour aborder probablement la question la plus difficile qui est celle de nos relations transatlantiques, pour mutualiser finalement une partie de nos politiques africaines. Qu'est-ce que cela veut dire ? Vous connaissez bien le continent africain. Qu'est-ce que cela veut dire, quand on voit les enjeux de ce continent, qui est juste de l'autre côté de la Méditerranée ? Dans 18 ans, il y aura un milliard et demi d'Africains, huit cent millions d'entre eux auront moins de 15 ans, ils vivront, pour un milliard d'entre eux, avec 1 dollar par jour, comment croire que cela ne nous concerne pas ? Va-t-on continuer à avoir une politique espagnole en Afrique, une politique allemande en Afrique, une politique française en Afrique juxtaposées, quand elles ne sont pas concurrentes ? On a besoin d'un lieu et, à la tête de ce lieu, de quelqu'un, sous le contrôle des chefs d'Etat, qui forge une politique africaine européenne avec, probablement, pour chacun d'entre nous, des amitiés qui continueront, des relations individuelles ou bilatérales. Voilà les enjeux, voilà en quoi ce lieu est très important et voilà pourquoi on a besoin de cette constitution.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 novembre 2004)