Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec France inter le 31 octobre 2004, sur l'hospitalisation en France de Yasser Arafat et le processus de paix au Proche-Orient, les élections américaines, le traité de constitution européenne et sa ratification, la crise de fonctionnement de la Commission européenne.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q - Arafat, élections américaines, l'Europe et sa Constitution, franchement, on ne peut pas dire que les sujets d'actualité internationale manquent, Monsieur Barnier, pour vous interroger ce matin.
Commençons d'abord par la venue d'Arafat en France vendredi. C'est Jacques Chirac lui-même qui a, dit-on, personnellement décidé de l'accueillir en France pour qu'il puisse y être soigné.
Alors, pourquoi cette décision du président de la République, au risque que la France apparaisse une nouvelle fois, comme l'un des soutiens indéfectibles à Arafat et à son organisation, l'OLP ?
R - C'est une question qui ne devrait pas se poser. Yasser Arafat est le chef légitime de l'Autorité palestinienne, du peuple palestinien, il a besoin de soins. Son entourage souhaite qu'il soit soigné, qu'il fasse l'objet d'examens dans notre pays et nous l'accueillons. Je crois que c'est tout à fait normal et il n'y a rien de plus à dire sur ce sujet.
Le dialogue politique que nous avons avec lui - j'étais à Ramallah personnellement au mois de juin - est un dialogue normal. Nous reconnaissons l'Autorité palestinienne et son chef et on ne fait pas la paix sans les Palestiniens, on ne fait pas non plus la paix sans les Israéliens, sans le dialogue entre Palestiniens et Israéliens, c'est exactement notre position.
J'étais il y a dix jours en Israël où j'ai moi-même consolidé ce dialogue très franc - et je crois constructif - avec M. Sharon et les autorités israéliennes.
Vous savez, vraiment, dans les quelques semaines et mois qui viennent, il va falloir qu'Américains, Européens, pays arabes, nous agissions ensemble pour faire repartir dans le bon sens, et la paix, et le Processus de paix, qui est en panne actuellement, entre Israéliens et Palestiniens.
Q - A-t-on obtenu des dirigeants israéliens l'assurance, la garantie que M. Arafat puisse revenir en Palestine, si son état de santé le permet ? Y a-t-il eu des discussions, des contacts téléphoniques avec les Israéliens sur ce thème afin que la visite sanitaire de M. Arafat ne soit pas définitive ?
R - J'ai entendu l'assurance donnée par les Israéliens que Yasser Arafat pourrait revenir à Ramallah et je pense que c'est bien ainsi.
Pour vous dire mon sentiment franchement, j'espère même qu'un jour ou l'autre, le plus tôt possible, on lui redonnera une liberté de mouvement, parce que la situation qui lui est faite à Ramallah où il est reclus dans la Moqata, n'est pas digne.
Q - A propos des Etats-Unis, dont vous venez de parler et dont l'élection présidentielle est ce mardi, qu'avez-vous pensé du fait que Ben Laden s'invite dans la campagne électorale américaine, à 4 jours d'un scrutin qui se joue manifestement aujourd'hui, au coude à coude entre Bush et Kerry, deux candidats que Ben Laden renvoie d'ailleurs dos à dos dans sa vidéo, tout en continuant de menacer l'Amérique d'un nouveau "11 septembre" d'ailleurs?
R - La seule chose que je puisse dire, s'agissant de Ben Laden, et en n'oubliant à aucun moment ce qu'il a fait, et le 11 septembre et ailleurs dans le monde, c'est que nous devons être unis, tous ensemble, pour lutter contre le terrorisme.
D'où qu'il vienne et où qu'il soit, il n'a pas d'excuses, il n'a pas de justifications, il faut donc lutter contre ce phénomène.
Q - Qu'attend principalement la France du nouveau président américain, ceci quel qu'il soit, Bush ou Kerry?
R - A partir de la semaine prochaine et de son investiture au mois de janvier, quand le nouveau président ou le président actuel - c'est le choix souverain des Américains que de choisir leur président - sera en place, nous avons beaucoup de choses à faire, car on voit bien qu'il y a des crises majeures, il y a des trous noirs comme je l'ai dit quelquefois, notamment au Proche et au Moyen-Orient : l'Irak, le conflit israélo-palestinien.
Nous devons agir ensemble et je souhaite qu'avec la nouvelle administration américaine ou l'administration confirmée, il y ait une attitude plus ouverte, une action multilatérale choisie, que l'on travaille ensemble de part et d'autre de l'Atlantique. Nous avons besoin de rénover la relation transatlantique, nous avons besoin d'une nouvelle alliance. Elle existe entre nous définitivement, mais il ne faut pas que cette alliance soit, à aucun moment, comprise comme une allégeance de part et d'autre. Franchement, c'est, à partir des semaines qui viennent, la priorité de notre action extérieure que d'agir ensemble, et pas seulement avec les Américains mais notamment avec eux. Il y a aussi les Russes, les Chinois, d'autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies pour régler, notamment au Proche et au Moyen-Orient, un certain nombre de conflits.
Q - Outre ces sujets d'actualité cette semaine, il y a la Constitution européenne, paraphée vendredi par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Europe élargie, une signature qui s'est, malheureusement déroulée sur fond de crise puisque, mercredi, José Barroso, le nouveau président de la Commission européenne, a dû reporter la nomination de sa nouvelle équipe, pour ne pas prendre le risque de la voir récusée par le Parlement européen. Votre commentaire Monsieur Barnier, déplorez-vous cette crise ?
R - C'est un problème conjoncturel. Bien sûr, je déplore ce qui s'est passé, parce que j'aurais préféré que la Commission puisse débuter son travail tout de suite et avec un vote de confiance. C'est simplement la preuve que nous sommes dans des institutions européennes et dans un processus européen qui devient de plus en plus démocratique. Il faut s'y faire, il y a un vrai Parlement, nous l'avons dit, je l'ai dit au mois de juin lorsque nous avons eu à élire nos députés européens français, et c'est tant mieux! C'est la démocratie qui sort renforcée de cette affaire. Maintenant, nous avons besoin, le plus vite possible, avec M. Barroso qui est un homme de grande qualité, d'une Commission qui fonctionne dans cette Europe de vingt-cinq pays.
La Commission, j'en ai fait partie pendant 5 ans, est un lieu de cohérence, d'unité, de propositions et on a besoin de ce lieu pour que des institutions fonctionnent et notamment, puisque vous me parlez des Etats-Unis, pour que, si les Européens ont confiance en eux-mêmes, si leurs institutions fonctionnent, on construise cette dimension politique dont l'Europe a besoin pour être un acteur global, un acteur reconnu dans le monde. Je crois que nous en avons besoin pour nous-mêmes et l'organisation du monde. Le nouvel ordre dans le monde a besoin aussi d'une Europe forte.
Q - Aujourd'hui Michel Barnier, êtes-vous satisfait que l'Italien, M. Buttiglione, dont les propos homophobes ont choqué, ait annoncé hier qu'il renonçait à son nouveau poste de Commissaire européen ?
R - Je crois que M. Buttiglione a pris acte de la situation, il a pris une décision lucide, voilà ce que je peux dire.
Q - Tout de même, ne trouvez-vous pas que cette crise aurait pu être évitée, que les dirigeants européens ou M. Barroso auraient pu mieux choisir les membres de cette nouvelle Commission. Après tout, je rappelle qu'il y a, outre M. Buttiglione, quand même cinq autres membres de cette Commission dont la nomination était sérieusement critiquée au Parlement européen ?
R - Chacun doit assumer ses responsabilités. Je vous rappelle que les propositions de noms de commissaires sont faites par les Etats membres, chaque pays propose un ou plusieurs noms, c'est ainsi que la France a proposé celui de Jacques Barrot qui a un portefeuille important, puisqu'il est chargé de toutes les questions de transports en Europe. C'est l'affaire de chaque gouvernement de proposer un nom, c'est le rôle du président désigné de la Commission d'accepter et de répartir les postes. Je crois que chacun doit assumer ses responsabilités, ne me demandez pas de faire des commentaires sur les choix qu'a fait M. Barroso, moi je lui fais confiance. Il faut maintenant que la Commission travaille. Il faut que le Parlement joue son rôle et que le Conseil des ministres joue le sien, de son côté.
Q - Si la Constitution européenne première a été signée vendredi à Rome, reste que cette nouvelle étape historique est tout de même difficilement compréhensible pour l'opinion car, franchement, comment expliquer que l'on va faire des référendums dans différents pays dont la France, pour ratifier cette Constitution, si son texte est déjà signé par vingt-cinq chefs d'Etats?
R - C'est le processus normal. Il y a eu un travail très approfondi, à travers la Convention que présidait M. Giscard d'Estaing, à laquelle j'ai participé. Pour la première fois, il y a un travail démocratique et transparent pour élaborer un texte européen. Il a fait ensuite l'objet d'un travail entre les gouvernements, c'est comme cela que cela se passe, il faut bien qu'il y ait un travail au niveau des exécutifs européens, de tous les gouvernements. C'est ce qui s'est conclu vendredi, et j'étais très heureux d'être présent, aux côtés de Jacques Chirac et de Jean-Pierre Raffarin, pour apposer ma propre signature sur ce texte dont j'ai été l'un des ouvriers.
Maintenant, et c'est le choix du président de la République pour la France, dans d'autres pays cela se passera par le Parlement, il y aura une ratification. Je crois que c'est un débat très important, sans doute difficile mais très important, et on va devoir expliquer ce qu'il y a dans ce texte, en quoi il est utile pour que l'Europe fonctionne, pour augmenter sa dimension sociale, pour garantir le service public, pour donner à cette Union européenne une dimension de politique étrangère et de politique de défense dont on a besoin.
Le débat commence maintenant avec les citoyens et je crois que c'est l'ordre normal des choses.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 novembre 2004)