Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur les voeux du Sénat et les commémorations de l'année 2005, Paris le 3 janvier 2005.

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Circonstance : Présentation des v¿ux des assemblées constitutionnelles au président de la République, Palais de l'Élysée, le 3 janvier 2005

Texte intégral

2004, 2005 : une année s'achève, une autre commence.
Pour nous Français, l'année 2004 aurait pu se conclure dans la joie avec la libération de nos deux compatriotes, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, retenus en otages pendant 124 jours.
Dans la joie mais aussi dans la fierté, car cet heureux dénouement était le fruit d'une union sacrée de notre nation dans toute sa diversité, le résultat de l'action éclairée et opiniâtre du pouvoir exécutif et la conséquence de l'efficacité de nos services spéciaux.
Ce rare moment de grâce républicaine aura été balayé par le raz-de-marée, le tsunami d'origine sismique, qui a ravagé le sud de l'Asie, semant sur son passage mort, dévastation, destruction et désolation.
L'ampleur et l'horreur de cette catastrophe sans précédent, qui relativise la portée de drames plus proches de nous telle l'explosion de Mulhouse, agit comme un révélateur, cette fois tragique, du degré d'intégration de notre village planétaire où sont abolis l'espace et le temps.
Ce cataclysme nous fait prendre conscience de notre condition de citoyens du monde, solidaires et fraternels, par delà les frontières, les continents et les océans.
Il souligne, tout à la fois, l'urgente nécessité d'une mobilisation mondiale et coordonnée au secours des sinistrés et l'ardente obligation de la mise en place d'un réseau d'alerte à l'échelle de la planète, notre maison commune.
Cette catastrophe pourrait nous conduire, en outre, à envisager la création, sous l'égide de l'ONU, d'une force mondiale de protection civile, les " casques verts ".
Une année s'achève dans le drame, une autre commence dans l'espoir, cette raison de vivre.
Étant dépourvu de tout talent divinatoire, je me bornerai à prédire, sans risque d'erreur, que 2005 sera une année républicaine et une année européenne.
Une année républicaine avec deux rendez-vous citoyens, deux commémorations d'éléments fondateurs de notre pacte républicain, de notre contrat social, de notre " vouloir vivre ensemble ".
Première célébration, celle du 60ème anniversaire du premier vote des Françaises, voulu par le Général de Gaulle, lors des élections municipales et cantonales des 29 avril et 13 mai 1945. Le Sénat, la plus féminisée de nos deux assemblées parlementaires, et en plus, -c'est un bonus-, représentant des collectivités territoriales de la République, s'associera étroitement à cette commémoration. C'est ainsi que le Sénat de la République organisera, le 7 mars prochain, les premiers États généraux des femmes maires, MAIRES, pour traiter de la condition féminine à l'épreuve des responsabilités électives.
Le second rendez-vous citoyen de 2005 sera celui de la commémoration du centenaire de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l'État, cette " loi de bon sens et d'équité ", pour reprendre l'expression d'Aristide Briand.
En obéissant à ce devoir de mémoire, il ne s'agit pas de consacrer à un culte des dates, à une mystique des millésimes ou à une religion du souvenir.
Il ne s'agit pas non plus de ressasser sans cesse le passé, ou de le réinventer, mais, au contraire, de redonner du sens au présent et surtout d'éclairer l'avenir. En l'occurrence, ce retour sur la laïcité, cette idée neuve en Europe, ce pilier de notre pacte républicain, devrait nous permettre de vérifier le bien fondé de la riposte de mars 2004 qui a permis de donner un coup d'arrêt à la dérive communautariste et au repli identitaire, exacerbés par les " intégrismes religieux ".
Cette sanctuarisation de l'enseignement public, désormais préservé du port ostensible de signes religieux, ne s'est fort heureusement accompagnée que d'un nombre très limité d'exclusions des établissements scolaires.
Cette réaction, Monsieur le Président de la République, était indispensable et salutaire pour préserver une République conçue et voulue comme une communauté de citoyens et non comme une fédération de communautés.
Mais les tenants, soi-disant modernistes, d'un communautarisme à l'anglo-saxonne finiront par l'emporter si nous ne sommes pas capables de nous doter, dans les meilleurs délais, des moyens budgétaires indispensables à une véritable relance de la machine à intégrer, c'est-à-dire à une remise en marche du creuset républicain.
Dans une société caractérisée par une extension continue du domaine de la peur, - peur de l'autre, peur de l'avenir, peur de l'Europe, peur des délocalisations, peur de la mondialisation... -, nous devons, nous femmes et hommes politiques, reprendre nos bâtons de pèlerins et faire uvre de pédagogie active pour montrer le chemin.
Nous devons expliquer, expliquer sans cesse, expliquer les enjeux, expliquer la nécessité de réformes structurelles pour sauver les acquis de notre pacte social, renouer avec une croissance durablement créatrice d'emplois et " agiliser " l'Etat pour reprendre l'expression du rapport Camdessus.
Dans une démocratie représentative, le lieu naturel et légitime de cet indispensable dialogue pédagogique c'est bien évidemment le Parlement avec ses deux poumons, le Parlement éclairé par les avis du Conseil économique et social.
Retrouvons le sens de notre engagement politique. Restaurons le primat du et de la politique. Redonnons à nos concitoyens le goût de l'avenir.
Mais comment faire pour remettre les hémicycles au coeur du débat républicain alors que nous sommes accaparés, jour et nuit, dix mois sur douze, par une inflation législative et une frénésie normative induites par une demande renouvelée de loi qui émane d'une société en manque de références ou de repères ?
Le problème n'est donc plus de moins légiférer mais de mieux légiférer et surtout de légiférer autrement afin de nous garder du temps dans l'hémicycle pour débattre des sujets qui préoccupent nos concitoyens.
Cette inéluctable modernisation des méthodes du travail législatif passe sans doute par une diversification, dans le respect du droit d'amendement, des procédures d'examen des textes en fonction de leur nature et de leur portée.
Quoi qu'il en soit, cette modernisation, dans la mesure où elle nécessitera une révision constitutionnelle, devra faire l'objet d'un accord entre les deux assemblées et le Gouvernement. En effet, si ces réformes devaient être portées par une proposition de loi constitutionnelle, leur approbation définitive ne pourrait se faire que par un référendum dont l'attrait pour nos concitoyens risquerait d'être limité, voire confidentiel...
Enfin, je n'aurais garde d'oublier, - mon ami Jean-Louis Debré pourrait me le reprocher -, une troisième commémoration, essentielle à mes yeux, celle du 210ème anniversaire de l'instauration du bicamérisme en France.
C'est, en effet, en 1795, avec la Constitution du 8 fructidor an III, que la division du pouvoir législatif en deux assemblées a vu le jour, en réaction contre les excès d'une chambre unique, la Convention, qui avait fait régner la Terreur.
Depuis lors, le bicamérisme est devenu, à une exception près, une constante de notre paysage institutionnel.
Produit de l'histoire, le bicamérisme est aujourd'hui plébiscité par la géographie car il connaît un essor et une floraison dans le monde.
Tout se passe comme si le bicamérisme constituait pour les jeunes démocraties d'Europe centrale et orientale, d'Afrique ou d'Asie, une sorte de " nec plus ultra démocratique ".
En outre, est-ce un hasard si tous les pays qui composent le G8 sont dotés d'un parlement bicaméral ?
Rien d'étonnant à cet engouement lorsqu'on sait que le bicamérisme consolide l'assise démocratique des États et constitue un facteur d'amélioration de la production législative.
N'oublions pas non plus que l'utilité et l'efficacité du bicamérisme reposent sur l'existence de deux assemblées différenciées : l'une ne saurait être le double ou le doublon de l'autre.
Année républicaine, 2005 sera aussi et surtout une année européenne et, je l'espère, une grande année européenne.
Fruit de l'utopie et du pragmatisme, l'Union européenne est, nous le savons tous, le creuset de notre destin.
C'est la vigueur de notre engagement européen qui sera la clé de notre influence sur l'évolution du monde.
Je sais que vous êtes convaincu de cet axiome, Monsieur le Président de la République, vous qui faites entendre, haut et fort, la voix de la France. D'une France, conscience de l'univers, qui plaide en faveur d'un monde multipolaire, d'un monde fondé sur la primauté du droit, d'un monde soucieux de préserver sa diversité culturelle.
Un monde équilibré a besoin d'une Europe puissance politique, d'une Europe du rayonnement.
C'est dans cette perspective que s'inscrit la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe, traité qui, en lui-même, ne mérite ni un excès d'honneur, ni un excès d'indignité.
C'est un mode d'emploi institutionnel d'une Europe à 25 et plus si affinités ; c'est un guide qui permet de dépasser la dialectique entre élargissement et approfondissement.
La ratification de ce traité, par référendum, avant l'été, sera précédée d'une révision de la Constitution par la voie parlementaire qui place les deux assemblées sur un pied d'égalité. Cette révision est nécessaire notamment pour donner une assise constitutionnelle aux droits nouveaux conférés aux Parlements nationaux.
C'est ainsi qu'à défaut de créer un Sénat européen, le traité constitutionnel reconnaît aux Parlements nationaux ou à chacune des chambres qui les composent, la possibilité de veiller au respect du principe de subsidiarité par la formulation d'avis motivés ou la formation d'un recours devant la Cour de Justice.
En outre, un Parlement national pourra, par l'adoption d'une motion en termes identiques s'il est bicaméral, s'opposer à une procédure de révision simplifiée du traité.
Le caractère dissuasif, -j'allais dire " thermonucléaire "-, de ce droit d'opposition, milite, Monsieur le Président de la République, en faveur d'une intensification du dialogue entre le Gouvernement et les assemblées pour toutes les questions européennes qui sont devenues, au fil du temps, des affaires intérieures de notre pays.
Monsieur le Président, j'aurais encore mille choses à dire, à vous dire ; mais nous nous sommes engagés, cette année, à être économes de nos propos.
Il m'est cependant impossible, en ces temps où l'antisémitisme et le racisme peuvent hélas sembler renaître, de passer sous silence une autre commémoration.
Celle de l'horreur, celle de l'abomination, celle de l'abjection, mais les mots sont trop faibles pour qualifier " la solution finale ".
Je pense bien sûr au 60ème anniversaire de la découverte, à partir du 27 janvier 1945, des centres de mise à mort, des camps d'extermination : Auschwitz, Buchenwald, Bergen-Belsen, Dora, Mauthausen, Ravensbruck, Tréblinka... sinistre litanie...
Monsieur le Président, j'ai l'honneur de vous présenter au nom d'un Sénat rajeuni, d'un Sénat féminisé, d'un Sénat diversifié, au nom de mes Collègues et à titre personnel, tous nos voeux, les meilleurs et les plus chaleureux, pour cette nouvelle année.
Que 2005 soit pour vous, pour votre épouse, -à qui j'adresse l'expression de mes hommages respectueux-, et pour tous ceux qui vous sont chers, une belle, bonne et heureuse année.
(Source http://www.senat.fr, le 10 janvier 2005)