Texte intégral
Jean-Pierre Elkabbach - Madame le ministre de la Défense, bonsoir, merci d'être avec nous.
Michèle Alliot-Marie - Bonsoir.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous rentrez de Libye où vous étiez, hier, chez Kadhafi. Deux heures avec lui, pour un entretien ferme, sans concessions, de part et d'autre et qui, après la visite de Jacques Chirac, marque un tournant dans les relations entre la France et la Libye. Quand on connaît le passé et les vues de Kadhafi sur l'Afrique, est-ce que l'on peut désormais avoir confiance en Kadhafi, en lui ?
R - M. Kadhafi a donné indéniablement des gages, et des gages importants de sa volonté de réintégrer la communauté internationale : en renonçant aux armes de destruction massive et notamment à un programme nucléaire, mais également en apurant un certain nombre de dettes, des dettes financières et surtout des dettes morales.
Jean-Pierre Elkabbach - Donc vous le croyez désormais plutôt sincère, vous nous l'expliquerez tout à l'heure. Vous avez abordé avec lui des questions d'urgence comme la politique de la France en Afrique, en particulier en Côte d'Ivoire. Ministre de la Défense, vous êtes responsable des armées, sous l'autorité du président de la République, de la dissuasion, de l'arsenal nucléaire français actuel et à venir, de la recherche dans le domaine militaire, avec toutes ses applications dans l'économie ou la santé, par exemple, des opérations extérieures et de la politique militaire, que ce soit en Europe, en Afrique, en Afghanistan, par exemple, ce qui implique aussi les rapports avec les Etats-Unis. Merci de répondre à François d'Orcival de Valeurs Actuelles et à moi, pour ce" Grand Rendez-Vous " qui ne va pas manquer de thèmes importants. Alors on voit bien que les partis et les syndicats veulent accentuer la pression sociale ; parmi les slogans, Madame Alliot-Marie, on l'entendait hier - et c'est la dernière question à caractère politique intérieure, tout de suite, on y reviendra d'une autre manière à la fin de l'émission - parmi les slogans, on entendait hier " Retirez vos réformes, ou progressera le non à l'Europe ", qui est aujourd'hui considérée comme responsable de tous les maux. Alors est-ce qu'on ne va pas voir le non renforcé, et est-ce que, aujourd'hui, le oui peut encore convaincre les Français et l'emporter, le oui à la Constitution européenne ?
R - Je crois que le 'oui' doit convaincre les Français parce que l'Europe, c'est d'abord notre garantie de paix et de sécurité, et c'est essentiel. Je suis en charge des problèmes de la défense et je peux vous dire que nous avons besoin de l'Europe pour assurer cette sécurité. C'est aussi notre garantie de compétitivité par rapport à de très grands pôles internationaux qui sont en train de se développer sans que nous nous en rendions compte ; je pense à la Chine, à l'Inde, à l'Asie du sud-est mais également au Brésil. Face à cela, il faut, que nous représentions quelque chose de fort. L'Europe, c'est notre garantie de compétitivité, c'est-à-dire notre garantie d'emploi sur la durée.
François d'Orcival - Comment se fait-il que les Français soient si indécis à l'heure qu'il est sur cette Constitution européenne ?
Jean-Pierre Elkabbach - Est-ce que les partisans du oui ne sont pas trop silencieux ?
R - Je constate depuis plusieurs années que les Français se décident souvent au dernier moment. Ils se décident après avoir entendu les différents intervenants dans la campagne. Aujourd'hui, il est vrai que la campagne pour le référendum n'a pas encore commencé, puisque sa date n'est pas encore fixée. Il y aura une campagne. Elle nous permettra de développer tous les arguments nécessaires pour que les Français se rendent compte tout simplement que l'Europe est pour nous une nécessité, que c'est l'intérêt de la France parce qu'elle y joue un rôle considérable. Ceux qui ont peur de l'Europe, en réalité, n'ont pas confiance en eux-mêmes. La France doit avoir confiance en elle-même, parce qu'elle est à la pointe de nombreuses technologies, parce qu'elle a, en elle-même, tout ce qu'il faut et que les Français ont, en eux-mêmes, tout ce qu'il faut pour que nous puissions entraîner l'Europe.
Jean-Pierre Elkabbach - Y compris sur le domaine de la défense et militaire ?
R - Bien entendu, y compris et notamment dans le domaine de la défense.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous étiez hier à Tripoli, Michèle Alliot-Marie. C'est la première visite d'un ministre français ou européen en Libye depuis la levée de l'embargo en novembre sur Tripoli. Vous avez passé près de deux heures à dialoguer avec Kadhafi, dont une demi-heure en tête-à-tête. Apparemment, il ne s'est pas livré à ses habituels monologues. Il paraît qu'il a pris des notes et que chacun a dit à son interlocuteur ses 'quatre vérités', et en particulier sur la Méditerranée et l'Afrique. Pourquoi lui avez-vous dit que la France et une partie de l'Europe avaient avec la Libye des risques communs, pourquoi ?
R - Parce que c'est vrai. Et ces risques communs, quels sont-ils ? Ce sont d'abord les risques terroristes. Nous le voyons aujourd'hui, le terrorisme, c'est quelque chose qui peut toucher n'importe quel pays, n'importe quelle personne et à n'importe quel moment. Les derniers mois nous l'ont malheureusement montré de Madrid à Karachi, en passant par la Tunisie, le Maroc, etc. Le terrorisme est une réalité qui peut toucher tout le monde et nous devons tous agir ensemble contre le terrorisme.
Jean-Pierre Elkabbach - Mais pour lui aussi, pour Kadhafi aussi, lui qui a si souvent encouragé des mouvements que l'on appelle subversifs ? Est-ce que cela veut dire que, là-aussi, il aurait ou il a changé ?
R - Je pense effectivement qu'il a changé. Je pense également d'ailleurs, et c'est ce que je lui ai dit, que le terrorisme avait changé. Aujourd'hui, il n'y a plus hiérarchie dans le terrorisme ; ce sont, au contraire, des réseaux que l'on trouve dans le monde entier et c'est ce qui rend d'ailleurs le terrorisme difficile à appréhender. De la même façon, face au terrorisme, il faut agir en commun, c'est-à-dire qu'il faut agir sur le plan militaire ou policier. Par exemple, le GSPC, ce groupe terroriste qui est dans la zone sud du Maghreb, concerne effectivement tous les pays.
Jean-Pierre Elkabbach - Aujourd'hui, Kadhafi peut être un allié de l'Europe, et peut-être du monde occidental contre le terrorisme et contre ceux qu'il appelle, lui-même, les fanatiques de l'Islam, qui ne sont pas l'Islam.
R - Comme M. Kadhafi le dit lui-même et comme le disent aussi d'ailleurs l'ensemble des chefs d'Etat du Maghreb. C'est bien la raison pour laquelle le dialogue euro-méditerranéen est, dans ce domaine, extrêmement important ; il est important pour obtenir des renseignements et mener des actions. Il est également nécessaire pour lutter contre les causes même du terrorisme : les causes du terrorisme, ce sont à la fois des crises régionales - entre Israël et la Palestine -, mais aussi toutes les crises qui permettent de créer des zones de non droit dans lesquelles se réfugient les terroristes. Il y a aussi un sentiment d'injustice, 'deux poids, deux mesures' qui naît souvent de la grande pauvreté. Il revient à tous les pays qui le peuvent de lutter contre la pauvreté dans un certain nombre de régions. J'ai demandé à M. Kadhafi : " Vous, par exemple, vous développez la Libye, notamment avec un projet de grande rivière qui permettra d'irriguer une partie de votre pays. Qu'est-ce que vous voyez pour développer d'autres pays eux-mêmes touchés par la sécheresse, notamment dans le sud du Sahara ? ". Il y a là effectivement un sujet qui nous est commun, mais il y en a d'autres.
Jean-Pierre Elkabbach - Il y en a d'autres ?
R - Il y a tous les autres sujets où il existe un intérêt de travail en commun, et notamment la lutte contre tous les trafics, les trafics d'armes, de drogues, d'hommes. C'est également le sujet de l'immigration illégale.
Jean-Pierre Elkabbach - Oui parce qu'il faut rappeler que la Libye a des frontières avec la Tunisie, avec l'Algérie, avec le Niger, avec le Tchad, avec le Soudan et avec l'Egypte, six pays.
R - La Libye a effectivement des frontières avec six pays et l'immigration clandestine est donc une préoccupation importante de la Libye. Le colonel Kadhafi m'a expliqué : " L'immigration clandestine passe en partie par la Libye ; il y a beaucoup de clandestins qui vont chez vous, mais il y en a également qui restent en Libye et qui créent un certain nombre de déséquilibres économiques et sociaux ". Il y a donc, là-aussi, un intérêt à lutter en commun contre ce phénomène ; lutter pas simplement sur le plan policier, mais en menant des actions pour que les gens aient moins envie de quitter leur pays, en leur donnant notamment des possibilités de travail et donc des ressources.
François d'Orcival - Dans les conversations que vous avez eues avec lui, est-ce que vous avez compris pourquoi il a voulu rejoindre la communauté internationale, après tant d'années d'isolement ? Et ce qu'il pense de l'évolution du dossier Israël/Palestine ?
R - Pourquoi a-t-il voulu rejoindre la communauté internationale ? Il est évident qu'il y a des facteurs objectifs, mais certainement aussi pour une grande part des facteurs subjectifs. Ce qui est certain, en tous les cas, c'est qu'il a aujourd'hui envie de participer aux actions de la communauté internationale. Peut-être sent-il aussi qu'il ne peut agir seul en Afrique, que s'il veut que sa voix soit entendue ou que son action existe, cela ne peut se faire que dans un cadre beaucoup plus large.
Jean-Pierre Elkabbach - Peut-être faut-il rappeler que son régime a 35 ans. 35 ans qu'il est au pouvoir ?
R - C'est aussi un élément. En ce qui concerne le problème entre Israël et la Palestine, nous l'avons abordé, mais nous l'avons abordé surtout comme l'une des causes, l'un des prétextes au terrorisme international, et donc avec la nécessité de régler également cette crise qui est une crise ouverte.
François d'Orcival - Vous n'êtes pas ministre des Affaires étrangères mais ministre de la Défense ; allant là-bas, naturellement vous vous êtes interrogée sur ce que sont devenus les armements que nous avions livrés il y a plus de trente ans à la Libye, en particulier les Mirage. Est-ce qu'ils sont intéressés à nouveau par des acquisitions d'armements français et lesquels ?
R - Ce sont les Libyens eux-mêmes et le colonel Kadhafi également qui m'ont parlé des Mirage. Le colonel Kadhafi m'a effectivement dit que, compte tenu des liens entre la France et la Libye, notamment en matière de défense et d'aviation militaire, la Libye en avait acheté un certain nombre.
Jean-Pierre Elkabbach - Ils en avaient une centaine.
R - Il y en a beaucoup moins aujourd'hui qui seraient susceptibles d'être encore utilisables, mais pour cela, il faudrait un certain nombre de pièces détachées. Ce que le colonel Kadhafi m'a effectivement dit, c'est sa volonté de pouvoir de nouveau avoir du matériel français. Je lui ai répondu que ceci n'avait de sens que dans le cadre d'une coopération plus large, en ayant à nouveau des relations de réflexion stratégique communes, notamment sur les problèmes que nous venons d'évoquer, terrorisme, trafic, lutte contre l'immigration clandestine, et puis s'il y avait de véritables liens de confiance rétablis notamment entre les militaires.
Jean-Pierre Elkabbach - Et alors, cela commence ?
R - Pour qu'il y ait des liens de confiance, j'ai expliqué qu'il fallait d'abord que les gens se connaissent, qu'ils aient des formations en commun, des stages et éventuellement des exercices communs.
Jean-Pierre Elkabbach - Il faut que la France accepte qu'ils viennent. Est-ce que la France va accepter ? Par exemple, vous avez parlé de coopération militaire et en matière d'armements. Est-ce que cela veut dire que les experts, les industriels, les militaires vont pouvoir aller en Libye ? Est-ce qu'ils sont, par vous, par le gouvernement, par le président de la République désormais autorisés à lui vendre du matériel militaire, des moyens de réparer ses avions ou les armes dont il dispose ? Il a parlé, par exemple, de Rafale ou de Tigre, les hélicoptères formidables. Est-ce qu'il peut, est-ce qu'il sera autorisé à en avoir ?
R - L'embargo a été levé par la communauté européenne et la communauté internationale, à la suite notamment des gestes et des gages donnés le colonel Kadhafi. Dès lors, il n'y a plus d'embargo sur ces armes. Il y a comme toujours l'examen que nous faisons au cas par cas, car nous avons toujours des règlements extrêmement précis sur les exportations d'armement.
Jean-Pierre Elkabbach - Donc on peut selon les cas vendre des armes désormais à Kadhafi ?
R - Exactement. En fonction des règles internationales et de nos propres règles.
Jean-Pierre Elkabbach - Alors c'est la dernière fois que je vous pose une question sur Kadhafi, mais il vous a interrogé sur la présence de l'armée française en Afrique, et en particulier en Côte d'Ivoire. Il vous a dit, d'après ce que l'on a entendu, pourquoi restez-vous en Côte d'Ivoire ? Est-ce que c'était assez ferme de sa part, et comment vous lui avez répondu ?
R - Je lui ai répondu.
Jean-Pierre Elkabbach - C'est une manière de nous dire : est-ce que l'on reste en Côte d'Ivoire, pourquoi on y est, combien cela coûte-t-il en hommes, en argent, etc. ?
R - J'ai répondu tout simplement qu'en Côte d'Ivoire, nous n'avons pas d'intérêts personnels directs ; il n'y a pratiquement plus de Français là-bas. Nous n'avons pas non plus d'intérêts économiques en Côte d'Ivoire et la présence des militaires français coûte cher. J'ai aussi rappelé au colonel Kadhafi que neuf militaires français étaient morts récemment ; que d'autres étaient morts auparavant. Nous avons aussi eu des blessés. Si nous sommes là, ai-je ajouté, ce n'est pas dans notre intérêt, mais dans l'intérêt de la Côte d'Ivoire et de l'ensemble de l'Afrique. Nous voulons éviter qu'il y ait de nouveau une reprise des combats entre les forces gouvernementales et les forces nouvelles, c'est-à-dire les rebelles car cela a toujours des conséquences sur les civils. En novembre 2002, nous avons découvert des charniers ; et nous savons très bien aujourd'hui que certains, d'un côté comme de l'autre, ne rêvent que d'une chose, c'est de reprendre les combats. Je rappelle que nous sommes là à la demande des Nations unies, à la demande de l'Union africaine et au départ, à la demande même du président Gbagbo.
Jean-Pierre Elkabbach - A l'époque, au début.
R - Au début oui, et maintenant à la demande de l'Union africaine. S'il y a des soldats de l'ONU, ils ne sont là que parce que nous avons accepté d'être présents pour les soutenir et travailler avec eux.
Jean-Pierre Elkabbach - Cette mission de l'armée française, Madame Alliot-Marie, se termine fin mars, avril. Est-ce que l'on reste, est-ce que l'on continue, ou est-ce que l'on se retire ? Quelle est la préférence de la France ?
R - Nous ne resterons qu'à condition qu'on nous le demande. 'On', qui est-ce ? C'est l'ONU. Ce sont les chefs d'Etat africains, le président Gbagbo.
François d'Orcival - Le président de la République en visite au Sénégal était très agacé, parce que cette question est revenue dans ses discours de manière fréquente ; il était agacé aussi par la position, semble t-il, de l'Afrique du sud à notre égard. Quel est le sentiment que vous retenez, vous-même, des propos du président ?
Jean-Pierre Elkabbach - Au-delà, pour compléter ce que dit François d'Orcival, cela c'est la solution militaire pour éviter que les gens s'entretuent. Mais est-ce qu'il y a une solution politique toujours en vue, à partir de ce qui avait été fait en France et qu'on a presque oublié depuis ?
R - Il n'y a pas de solution militaire pour régler le problème de la Côte d'Ivoire. C'est ce que nous disons aux deux parties depuis le début. La seule solution est une solution politique, c'est celle des accords d'Accra III qui ont été entérinés par les Nations unies. Si les militaires sont là, c'est uniquement pour créer les conditions de mise en oeuvre de la solution politique. Ce que cela signifie ? Il faut éviter que la guerre ne reprenne, parce que si la guerre entre le nord et le sud reprend, ce n'est pas là que l'on trouvera une solution politique.
Jean-Pierre Elkabbach - Est-ce que l'on peut vous poser une question sur le Togo ? Le président Eyadema, qui est resté au pouvoir près de quarante ans, était un ami de la France et surtout de Jacques Chirac. Le fils du président Eyadema décédé hier, a été installé aujourd'hui au pouvoir par l'armée. Il doit y avoir une centaine de soldats français au Togo. Quelle est leur mission, ce soir et demain ?
R - Le président de la République a fait savoir que le temps des coups d'Etat militaires est terminé en Afrique. Il y a une constitution au Togo. Elle doit être respectée. Un certain nombre de chefs d'Etat a pris des initiatives en ce sens, après des contacts avec le président de la République. Il faut que la Constitution soit respectée au Togo. Elle prévoit qu'il y ait des élections dans les deux mois. Ces élections doivent avoir lieu, et les Togolais décideront par eux-mêmes qui doit être leur chef d'Etat.
Jean-Pierre Elkabbach - Donc pour vous, le fils Eyadema est là à titre provisoire, en attendant les élections. S'il est candidat, il est candidat ; s'il est élu, il est élu. Mais en même temps, il doit y avoir des élections, c'est un pouvoir transitoire qui est en place au Togo.
R - La Constitution du Togo prévoit que c'est le président de l'Assemblée nationale du Togo qui assure l'intérim. Il faut que les choses se fassent constitutionnellement.
Jean-Pierre Elkabbach - Et s'il y a des tensions, Madame Alliot-Marie, que l'on ne souhaite pas, qu'est-ce qui se passe ?
R - Il y a effectivement 2 500 Français au Togo et c'est notre première préoccupation. C'est pour cette raison que nos troupes sont en alerte, si besoin en était. Nous espérons que la sagesse prévaudra et qu'effectivement, les choses rentreront dans l'ordre. Pour l'instant, le calme règne à Lomé. Il n'y a pas de menaces particulières. Nous sommes simplement vigilants.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous dites les troupes françaises, celles qui sont au Togo, celles qui sont au Gabon, celles qui sont dans des pays voisins, ou celles du Togo seulement, pour être précis ?
R - Les forces qui sont aux alentours et qui pourraient avoir besoin d'intervenir pour protéger nos compatriotes.
Jean-Pierre Elkabbach - Hier soir sur TF1, il y avait une émission très intéressante. Vous étiez peut-être en avion et vous ne l'avez pas vue, au retour de Libye : des millions de Français ont vu " 1re Compagnie ", une émission de divertissement en kaki. Est-ce que cela ressemble, Michèle Alliot-Marie, à l'armée d'aujourd'hui que vous connaissez bien ?
R - Comme vous venez de le dire, je ne l'ai pas vue et d'autre part, il s'agit d'un divertissement, un divertissement dans lequel nous ne sommes en rien intervenus, je le dis tout de suite. D'après ce que l'on m'a dit, il n'y a effectivement que peu de rapport avec ce qu'est la défense aujourd'hui.
Jean-Pierre Elkabbach - La défense n'a pas prêté des moyens pour faire plus vrai, même pas des officiers, même pas des jeeps, même pas des armes ?
R - Ce n'est absolument pas notre rôle. Je ne sais pas s'il faut s'en réjouir ou le regretter, mais nous avons des préoccupations plus sérieuses et avec des conséquences plus graves dont nous nous occupons.
François d'Orcival - C'est vrai mais cela veut dire en même temps que l'armée est d'une certaine façon à la mode ou en tout cas dans l'air du temps ?
R - Le travail de nos militaires est reconnu et je crois qu'ils le méritent ; que ce soit sur des théâtres d'opérations extérieures tel que l'Afghanistan, le Kosovo, la Côte-d'Ivoire, dans le sud-est asiatique en ce moment ou en Haïti récemment, nos militaires font un travail tout à fait remarquable. C'est bien que l'on parle d'eux et je m'en réjouis.
François d'Orcival - Est-ce que ceci favorise le recrutement dont vous avez besoin dans une armée professionnelle ?
R - Ce type d'émission ? Je ne le pense pas ! En revanche, je pense que ce que nos militaires font et le fait que l'on en parle est certainement un élément qui crée un vrai lien entre les militaires et les Français. Chaque fois que les Français peuvent manifester leur soutien, leur reconnaissance envers les militaires, c'est bien. Et puis vous savez, les militaires, ils sont comme vous Messieurs, de temps en temps, ils ont aussi besoin qu'on leur dise qu'on les aime.
Jean-Pierre Elkabbach - Ils estiment qu'on les aime quand on voit comme tout à l'heure avec François, avenue Montaigne ou rue François 1er, des jeunes femmes en pantalon kaki, des jeunes types en blouson de cuir. Est-ce que ce n'est pas une forme de nostalgie du service national ?
R - Les jeunes Français sont souvent en quête d'idéal. C'est vrai que dans notre société, on manque peut-être un peu d'aventure ; on manque aussi de grands principes et d'idéal. Les jeunes Français qui s'engagent dans les armées recherchent aussi cela. Ils ont cet idéal de servir leur pays mais probablement aussi de servir les autres, les hommes et les femmes qui sont dans des situations difficiles. C'est toujours aux militaires que l'on s'adresse dans les situations les plus dures, que ce soit sur le plan humanitaire, sur le plan des catastrophes naturelles et bien entendu sur le plan des conflits.
Jean-Pierre Elkabbach - On prétend que l'armée de terre par exemple a des difficultés à recruter ; sur qui comptez-vous le plus pour recruter de nouveaux soldats ? " La 1re compagnie " ou la campagne de promotion de l'armée que vous faites à la télévision ?
R - Des campagnes de promotion ont lieu chaque année. Il ne faut pas oublier que chaque année, nous sommes le premier employeur en France. On ne le sait pas mais chaque année, la Défense nationale est l'organisme qui offre le plus d'emplois à des jeunes et ce, à tous les niveaux. 35 000 emplois sont offerts chaque année. Dans ces emplois, il y en a bien entendu pour des garçons et des filles qui sortent de Polytechnique ou de Saint-Cyr mais également pour des garçons et des filles qui n'ont absolument aucun diplôme.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous les formez ?
R - Nous les formons, nous leur donnons un métier et nous les aidons ensuite à se réinsérer. De ce point de vue, même si le service national est suspendu, nous jouons un grand rôle dans la promotion sociale de ces jeunes.
Jean-Pierre Elkabbach - L'armée pouvait jouer autrefois un formidable moyen d'intégration. Est-ce qu'elle le reste ? Est-ce qu'elle peut le rester encore ?
R - Elle le fait différemment mais elle le fait toujours. Autrefois, pendant quelques mois, l'armée voyait passer environ la moitié des jeunes Français, la moitié puisque je vous rappelle qu'il n'y avait quasiment que des garçons. Aujourd'hui, c'est vrai, nous n'en recrutons que 35 000 mais 35 000 auxquels nous donnons une vraie formation ; nous les gardons au minimum cinq ans et ils peuvent avoir un contrat renouvelable, et rester dix ans ou quinze ans. Pour ceux qui ne feront pas carrière dans l'armée, nous leur assurons une réinsertion professionnelle. Plus de 90 % de ceux qui ont cette reconversion professionnelle ont ensuite des CDI dans les entreprises. Je crois que c'est la plus belle réussite. Ce que je voudrais aussi souligner, c'est que la défense est probablement en France le seul lieu où l'on continue à appliquer totalement le principe de l'égalité des chances et le principe républicain de la promotion sociale. Les jeunes qui entrent dans l'armée peuvent arriver au sommet de la hiérarchie.
Jean-Pierre Elkabbach - Quel que soit son milieu social, son lieu d'origine ?
R - Quel que soit son milieu social. C'est aussi quelque chose qu'il faut souligner : il n'y a aucune distinction selon l'origine sociale et selon le milieu social. Ce qui est jugé, c'est le garçon ou la fille, ses aptitudes, sa motivation. Il y a une vraie promotion sociale grâce notamment à la formation continue qui est faite de façon tout à fait exemplaire.
Jean-Pierre Elkabbach - Donc le recrutement se fait bien, c'est ce que vous nous dites ?
R - Le recrutement se fait bien. Nous avons sept candidats pour un poste d'officier, quatre candidats pour un poste de sous-officier et un peu plus de deux candidats pour un poste d'homme du rang y compris dans l'armée de terre.
Jean-Pierre Elkabbach - On parlera tout à l'heure de la dissuasion. Il y a deux ou trois problèmes internationaux importants dont on va voir le déroulement cette semaine. François d'Orcival, d'abord le Proche-Orient.
François d'Orcival - Votre collègue, le ministre des Affaires étrangères, part à la rencontre de monsieur Ariel SHARON en Israël.
Jean-Pierre Elkabbach- Et même de Mahmoud ABBAS...
François d'Orcival - Naturellement puisque se tient le sommet entre le leader palestinien récemment élu et le Premier ministre israélien. Quel rôle la France, l'Europe peuvent-elles jouer auprès des Etats-Unis pour stimuler ce processus ?
R - Nous demandons depuis longtemps que les Etats-Unis s'investissent dans ce processus pour faire respecter la feuille de route. Nous pensons en effet que ce qui est essentiel, c'est qu'Israéliens et Palestiniens puissent avoir leur Etat où les gens vivent en paix et côte à côte. Aujourd'hui, il semble qu'il y ait une chance de réussir. Cela mérite la mobilisation de tout le monde parce que c'est important pour les Israéliens, pour les Palestiniens, c'est important pour le monde entier. Certains utilisent le prétexte de ce conflit pour développer le terrorisme international et lui donner des justifications.
Jean-Pierre Elkabbach - L'Irak, on va vite, malgré les violences et l'apparent chaos. En quoi les élections vont-elles modifier ce qui s'est passé, la donne et qu'est-ce que cela entraîne pour nous, la France, dans la formation par exemple des forces de sécurité et dans l'éventuel rapprochement aussi avec les Etats-Unis ?
R - Les élections ont montré, malgré leur caractère un peu particulier par rapport à nos habitudes et dans un contexte sécuritaire extrêmement instable, que les Irakiens avaient envie que les choses bougent, qu'ils avaient envie de retrouver leur souveraineté et une vie normale. Ensuite, les élections ouvrent des possibilités. Est-ce qu'elles seront saisies ? Je ne sais pas. L'un des problèmes sera notamment que la Constitution qui sera faite, puisse prendre en charge l'ensemble des communautés car il faut qu'elles aient l'envie de vivre ensemble et le sentiment qu'il y a un juste respect des unes et des autres. C'est la condition indispensable de la réussite.
François d'Orcival - Quand on parle d'Irak, on ne peut pas oublier notre consoeur, Florence Aubenas, ni d'ailleurs notre consoeur italienne qui a été capturée dans l'après-midi de vendredi ni le guide. Nous n'avons, nous, aucune information ; en avez-vous ? Lorsqu'il s'agissait de Chesnot et Malbrunot, vous aviez félicité vivement les services secrets français ; est-ce que ceux-ci peuvent intervenir aussi dans les cas que nous venons de citer ?
R - Les services ont été immédiatement remobilisés. Ils ont eu d'ailleurs peu de temps pour se reposer entre la libération heureuse de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot. Ils sont repartis et toujours avec la même motivation. Les circonstances semblent différentes. Pour autant, vous comprendrez, et pour les mêmes raisons qui sont celles pour lesquelles je me suis tue pendant toute la période où nous avons agi pour la libération de vos deux confrères, que je continuerai à me taire sur ce sujet.
Jean-Pierre Elkabbach - Mais vous confirmez que vos hommes, les hommes de la France, sont sur place au travail et qu'ils ont des contacts peut-être ?
R - Ils sont sur place et aussi à Paris puisque deux cellules sont en place.
Jean-Pierre Elkabbach - Autre chose, François d'Orcival, sur ce point ? Non, on comprend que l'on s'en occupe à Paris. Il y a le cas de la consoeur italienne ; on peut dire qu'il y a une solidarité mais que ce sont des cas dissociés, c'est cela ?
R - Cela va de soi.
Jean-Pierre Elkabbach - Alors l'OTAN se réunit à Nice. Cela n'a l'air de rien mais c'est la première fois depuis près de quarante ans si je ne m'abuse...
R - Cela ne s'est jamais fait.
Jean-Pierre Elkabbach - Et alors l'OTAN à Nice mercredi et jeudi. Je ne sais pas s'il faut dire grâce à vous ou à cause de vous, en tout cas il y a des Américains qui vont être là. Condie RICE à Paris, c'est une chose et Donald RUMSFELD que vous connaissez bien, je crois qu'il va venir en France pour la première fois. Et il s'est récemment expliqué sur les projets américains de constitution de bombe nucléaire miniaturisée pour les adapter aux ennemis et aux menaces d'aujourd'hui. Est-ce qu'ils ont une réelle avance en matière de technologie, les Américains, de technologie militaire, ou est-ce que l'on en fait autant nous-mêmes ?
R - Je voudrais d'abord souligner que malgré un statut un peu particulier, l'organisation de cette réunion de l'OTAN en France, c'est d'abord la reconnaissance du travail formidable que font nos militaires sur le terrain. Je pense notamment à ceux qui luttent contre le terrorisme un peu partout dans le monde, et aussi à la présence de nos militaires notamment en Afghanistan et au Kosovo. C'est également la reconnaissance de notre implication dans la transformation de l'OTAN. Au début, l'OTAN était une alliance avec des pays européens, les Etats-Unis et quelques autres pays pour protéger l'Europe en cas de menace venant de l'Union soviétique. Il n'y a plus d'Union soviétique ; la Russie est à la table de l'OTAN même si elle n'en fait pas partie. La menace était donc différente et il fallait regarder si c'était encore utile d'avoir cette alliance. Nous avons répondu 'oui', en ajoutant : " mais alors, l'OTAN peut avoir d'autres missions notamment en Afghanistan ". Bien entendu, il faut pour cela se transformer et la France prend une grande part à cette transformation notamment en étant très présente dans la force d'intervention rapide de l'OTAN et dans les organismes de transformation. Pour l'OTAN, accepter de venir à Nice, c'était la reconnaissance de ce double fait, de l'action des militaires et de ce que nous faisons. Maintenant, on peut aussi se poser la question des rapports entre la France ou l'Europe et les Etats-Unis et sur les technologies. Sur les technologies très clairement et j'en suis convaincue, il n'y a pas de 'fossé technologique', comme je l'entends parfois, entre les Etats-Unis et l'Europe et je dirais même avec la France. Dans beaucoup de domaines, nous sommes au même niveau. Vous pouvez le voir par exemple sur des armements tels que le Rafale. Entre le Rafale et l'avion JSF américain, il n'y a pas de différence technologique. Nous le voyons également en ce qui concerne par exemple nos sous-marins, notre technologie nucléaire puisque vous l'évoquiez également, non, il n'y a pas de fossé. Ceci dit, pour rester au même niveau, cela implique que nous fassions les efforts nécessaires notamment en matière de recherche et de technologie.
Jean-Pierre Elkabbach - C'est-à-dire budgétaires ?
R - Ou, les efforts budgétaires mais même s'agissant des efforts budgétaires, nous ne pouvons pas les faire seuls. Et c'est là où l'Europe est très importante aussi.
Jean-Pierre Elkabbach - C'est pour cela que vous avez créé l'Agence d'armement européen ?
R - Exactement.
Jean-Pierre Elkabbach - Mais vous savez que l'on reproche d'une manière régulière, récurrente, que l'on dépense désormais trop d'argent pour les armements nucléaires alors qu'ils ne sont pas utilisés, comme vous l'avez dit tout à l'heure, que l'ennemi a changé et que le coût est vertigineux. Alors est-ce qu'aujourd'hui, alors que l'on dit que l'heure de l'équilibre de la terreur, de la dissuasion est passée, et que les ennemis sont différents, il n'y a pas sinon à renoncer à la dissuasion et à ce qu'elle implique, du moins à l'adapter en lui donnant moins de place ?
R - La part de la dissuasion nucléaire dans l'ensemble du budget de la défense a énormément baissé. C'est une part qui a représenté jusqu'à près de 40 % ; nous sommes aujourd'hui en-dessous de 20 %. C'est donc une part qui est beaucoup plus limitée. Si nous voulions la limiter encore, il faudrait la supprimer ; un armement nucléaire, c'est un 'tout', un 'tout' qui doit être entretenu et modernisé. Si on ne le fait pas, cela ne sert plus à rien.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous êtes en train de dire que c'est tout ou rien ?
R - Aujourd'hui, c'est effectivement le 'tout ou rien'. Est-ce que cela peut être 'rien' ? Je dis 'non' pour une raison très simple. De nouvelles puissances émergent dont certaines ont des régimes où la règle n'est pas la démocratie, d'autres qui sont en train de se doter de l'armement nucléaire ou qui cherchent à le faire. Je pense par exemple à la Corée du Nord.
Jean-Pierre Elkabbach - Oui, mais on ne lutte pas contre les terroristes et les kamikazes avec des bombes nucléaires même si elles sont miniaturisées, c'est ce que l'on vous dit souvent ?
R - C'est vrai aussi, mais il existe ce risque de la part de pays qui peuvent nous agresser et le nucléaire, c'est finalement le seul moyen qui permet à la France de compter sur ses propres forces pour assurer sa survie et la survie de ses intérêts. Ce que je note d'ailleurs, c'est qu'aucun des grands pays dotés de la force nucléaire, ne songe à l'abandonner. A partir de là, je ne vois pas pour quelle raison la France renoncerait à ce qui fait sa caractéristique d'abord de puissance membre du conseil de sécurité des Nations unies et surtout ce qui fait sa propre protection.
François d'Orcival - Alors vous dites cela au moment où nous sommes appelés à voter sur une Constitution européenne et donc la défense européenne et cette contradiction de voir les Européens commander en plus grand nombre du matériel américain que du matériel français ou européen ?
Jean-Pierre Elkabbach - Il faut leur tirer les oreilles ?
R - C'est quelque chose qui change. Il y a eu beaucoup d'achats de matériels américain, notamment de la part des nouveaux pays entrant dans l'Europe mais pour des commandes passées avant. Pour quelle raison ? Lorsque ces pays craignaient une menace venant de l'Est, ils regardaient autour d'eux qui pouvait les protéger. Les seuls à pouvoir le faire étaient la structure de l'OTAN et les Etats-Unis. Il était donc normal qu'ils se tournent vers eux. Au fur et à mesure qu'ils se rendent compte que leur protection, c'est l'Europe et une Europe à laquelle ils participent, je constate au contraire qu'ils se tournent vers des matériels européens.
Jean-Pierre Elkabbach - Madame Alliot-Marie, la défense permet d'aborder et de traiter tous les sujets, tous les dossiers, que ce soit le budget de la recherche, les techniques, la technique médicale, la formation, l'économie, la connaissance du monde ; Est-ce que cela fait un projet Alliot-Marie puisque l'on dit et que l'on lit qu'il y a une hypothèse 'Alliot-Marie' pour le jour éventuellement, plus tard, le moment venu, où Jean-Pierre Raffarin pourrait être amené à faire autre chose ? C'est direct, je ne peux pas faire autrement, cela va vite ?
R - Les hypothèses ne sont jamais que des hypothèses. C'est cet ensemble qui rend la tâche au ministère de la Défense tout à fait passionnante. On n'a jamais le temps de s'ennuyer et il y a toujours des choses passionnantes à faire.
François d'Orcival - Au bout de combien de temps maîtrise-t-on toutes les activités de votre ministère ?
R - Dans tous les ministères, il faut rester un certain temps pour maîtriser les choses...
Jean-Pierre Elkabbach - Pour vous, c'est-à-dire ?
R - Il faut surtout, quand on lance des réformes, pouvoir les mener à leur terme. C'est toujours ma philosophie en matière politique. Je crois également que vis-à-vis des Français, c'est normal d'en assumer les responsabilités. A partir de là, c'est peut-être une certaine vision de la politique où ce qui compte, c'est moins la personne que ce que l'on fait.
Jean-Pierre Elkabbach - Oui, oui, vous ne m'avez pas dit : au bout de combien de temps a-t-on les activités en mains ?
R - Cela dépend des sujets. On perçoit souvent la variété et la profondeur des sujets au fur et à mesure et on découvre chaque jour quelque chose.
Jean-Pierre Elkabbach - Et l'avenir pour la défense, cela passe par Matignon ? Quand on est là où vous êtes, vous m'avez compris ?
R - Vous voulez dire que l'avenir de la défense, cela passe parfois par les arbitrages de Matignon ?
François d'Orcival - Il y a le mot projet dans la question de Jean-Pierre Elkabbach et donc il y a une vision qui est la vôtre et qui est une vision politique qui n'est pas simplement du ministre de la Défense ?
R - Cela me paraît tout à fait normal, oui.
Jean-Pierre Elkabbach- Mais simplement pour savoir, deux choses : est-ce que vous croyez avoir désormais la capacité et surtout l'envie et est-ce que vous pourriez, si on vous posait la question, répondre non ?
R - Jean-Pierre Elkabbach, je crois que ce n'est pas ce qui intéresse les Français, c'est ce que nous pouvons faire pour l'emploi à travers la défense et ce que nous pouvons faire pour sa sécurité.
Jean-Pierre Elkabbach - Alors c'est vrai que vous n'avez jamais critiqué le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et que vous le soutenez. Est-ce que vous lui trouvez du mérite et est-ce que vous estimez qu'en dépit des coups, des convoitises parfois même de beaucoup de ses ministres, il tient bien ?
R - Je suis très heureuse de travailler avec Jean-Pierre Raffarin ; il a le sens de l'équipe et nous faisons tous une équipe. Bien entendu, chacun défend les intérêts de son ministère et c'est tout à fait normal. C'est la raison pour laquelle de temps en temps, il y a des accrochages avec le ministre des Finances, les ministres des Finances successifs d'ailleurs, et c'est quelque chose de tout à fait normal. Jean-Pierre Raffarin a été très courageux car il a été parfois injustement attaqué. Il a tenu le cap des réformes voulues par le président de la République et parce que notre pays en avait besoin.
François d'Orcival - Ce qui va scander cette année politique, c'est la campagne pour le référendum, le résultat pour le référendum ?
R - Certainement. Je crois que le référendum est très important. Il est important pour l'Europe et pour la crédibilité de l'Europe. Je vous disais précédemment que nous sommes en train de voir émerger des 'monstres' à la fois démographiques et économiques. Avec 450 millions d'habitants, l'Europe représente aujourd'hui un poids. Il est évident qu'il ne faut pas baisser les bras. Si nous voulons réagir, garder notre avance technologique et notre innovation, cela passe effectivement par l'Europe. L'Europe et le résultat du référendum, c'est essentiel aussi pour la France. Un pays seul, a fortiori, a encore moins de poids par rapport à la Chine, à l'Inde, au Brésil ou aux Etats-Unis. Nous avons besoin de l'Europe à côté de nous, autour de nous et derrière nous ; nous lançons effectivement des initiatives en la matière pour pouvoir peser au plan international et si nous voulons réellement peser, il faut effectivement que nous restions crédibles. C'est vrai que du résultat positif du référendum va dépendre une bonne part de notre crédibilité.
Jean-Pierre Elkabbach - Voyez, il est remarquable que vous répondiez indirectement aux questions qu'avec François d'ORCIVAL, on vous pose.
R - Pourquoi indirectement ?
Jean-Pierre Elkabbach - Sur la politique intérieure ou personnelle et vous répondez sur le fond des dossiers, sur l'Europe.
R - Bien sûr, parce que c'est le fond du dossier.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous êtes à la fois plus retenue, je n'ose pas dire embarrassée, quand il s'agit de problèmes plus personnels, c'est cela ?
R - Je ne suis pas embarrassée ; je pense simplement que les problèmes personnels des politiques n'intéressent pas les Français et que si la politique a une aussi mauvaise image en France, c'est peut-être parce que l'on parle trop des problèmes de personnes. Les Français estiment que nous sommes là pour régler des problèmes et ils ont raison. En ce qui me concerne, ce qui m'intéresse, ce sont d'abord les problèmes de sécurité et comme les missions du ministère de la Défense sont très étendues, il y a aussi les problèmes d'emploi ou les problèmes de nouvelles technologies et d'innovation.
Jean-Pierre Elkabbach - Un mot au-delà des problèmes personnels mais à l'extérieur : Condie Rice, vous la connaissez. Elle sera à Paris tout à l'heure ou demain. D'abord comment vous la trouvez en quelques mots et d'autre part, est-ce que c'est important de voir des femmes dans des fonctions importantes comme le ministère de la Défense ou le secrétariat d'Etat américain ?
R - J'ai beaucoup d'estime pour Condie Rice que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans des circonstances très variées. Nous nous comprenons bien. Vous allez me dire que c'est " parce que nous sommes des femmes ". Peut-être ? Cela peut jouer aussi et je ne vais pas vous dire le contraire. J'estime que c'est très bien qu'il y ait des femmes à certaines fonctions, simplement pour voir que les femmes, exactement comme les hommes, peuvent occuper ces fonctions. Il n'y a donc pas besoin de discrimination en la matière et il ne doit certainement pas y avoir de discrimination négative. Cela prouve aussi qu'il n'y a pas forcément besoin de discrimination positive pour que nous ayons ces emplois et j'espère que nous les remplissons le mieux possible. En tous les cas, je suis sûre de partager cela avec elle, c'est-à-dire à la fois l'amour de notre pays et également la volonté d'agir pour lui. En ce qui me concerne, c'est pour la France et pour les Français.
Jean-Pierre Elkabbach - Michèle Alliot-Marie, merci d'avoir participé à ce " Grand rendez-vous " d'Europe
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 9 février 2005)