Interview de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, dans "La Tribune" le 8 septembre 2000, sur la politique communautaire en faveur du sport, les mineurs, les transferts, les droits de télévision et la fiscalité des clubs.

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Média : La Tribune

Texte intégral

Q - Quel jugement portez-vous sur la politique communautaire sur le sport ?
R - Il y a encore trois ans, la Commission considérait le sport comme un secteur économique comme un autre, soumis à ce titre à la réglementation communautaire sur la concurrence et la libre circulation des personnes. Cette politique a beaucoup évolué ces dernières années. Il y eut d'abord à Amsterdam une première déclaration sur le sport, son rôle social et citoyen. Ensuite, à Helsinki, la Commission a présenté un rapport important introduisant l'idée qu'il fallait avoir un regard particulier sur le sport. Enfin, la déclaration de Feira au Conseil de Lisbonne, en juin, recommande que l'Union européenne reconnaisse la spécificité du sport et qu'elle en tienne compte dans l'application des règles communautaires. La France a joué un grand rôle dans cette évolution.
Q - Le sport est l'un des dossiers prioritaires de la présidence française de l'Union européenne. Quels résultats concrets peut-on attendre ?
R - J'attends de cette présidence que l'on puisse caractériser les spécificités du sport. Il faut que les Etats membres définissent très concrètement dans quels domaines on ne doit pas appliquer à la pratique sportive de façon automatique les règles communautaires comme la libre concurrence. J'espère que l'Union va reconnaître le rôle particulier et unique des fédérations sportives pour organiser les compétitions et édicter les règles sportives. Ne laissons pas partir les règles du sport à vau-l'eau en donnant à n'importe quel groupe privé le droit de franchiser cinq clubs de foot et six clubs de basket et d'organiser une compétition qui sera peut-être plus médiatique, au détriment de toutes les règles. Il faut que sous présidence française, l'Union européenne reconnaisse aux mouvements sportifs un certain monopole pour organiser les compétitions. A partir du moment où l'on donne ce monopole au mouvement sportif, on lui reconnaît aussi des devoirs, notamment celui de redistribuer vers tous les niveaux de pratiques. Redistribution vers le sport de haut niveau mais aussi vers le sport amateur, le sport a besoin de solidarité. La Commission est tout à fait ouverte à cette idée.
Q - Les pays européens sont-ils tous sur cette ligne ?
R - Je pense que l'ensemble des pays européens sont d'accord aujourd'hui pour reconnaître la spécificité de la pratique sportive. Certains pays, dont la Grande-Bretagne, ne souhaitent pas par contre que soit rajoutée une clause au traité.
Q - Plaidez-vous pour l'introduction d'un nouvel article sur le sport dans le traité de l'UE ?
R - Ce n'est pas ce que propose la France pour l'instant. Nous n'obtiendrons pas le consensus pour le faire. La France veut simplement que soit adoptée au Conseil de Nice, en décembre, une résolution qui donnera une assise communautaire à l'exception sportive. Il faut préciser, avec la Commission, les champs de spécificité. Afin qu'une fédération puisse protéger ses centres de formation, ses championnats nationaux, sa sélection nationale, ses jeunes sportifs sans se faire attaquer au nom de la libre concurrence ou de la libre circulation devant la Cour de justice.
Q - Que pensez-vous de l'arrêt Bosman ?
R - A l'origine, l'arrêt Bosman visait à faire respecter la liberté du travail et la libre circulation, ce que je ne remets pas en cause. Le problème est que cet arrêt a ensuite été utilisé de façon abusive et détournée de son objectif. Il faut aujourd'hui corriger les dérives liées à l'arrêt Bosman. La présidence française a des propositions, notamment que l'on ne puisse plus effectuer des transactions commerciales sur des jeunes sportifs mineurs, que l'on protège les jeunes en formation et que les clubs qui les ont formés aient droit au premier contrat et soient dédommagés par rapport à leur effort de formation.
Q - Faut-il modifier la législation communautaire ?
R - Il faut obtenir des résolutions engageant l'Union européenne de telle sorte que, si, par exemple, la législation française décide qu'un jeune en formation dans un club a l'obligation de signer son premier contrat dans le club, elle ne soit pas ensuite sanctionnée par la Commission ou la Cour de justice, au nom de la libre concurrence ou de la libre circulation. Je plaide pour que l'on respecte le mouvement sportif et les Etats lorsqu'ils prennent des décisions pour défendre le sport.
Q - 400 millions de francs pour le transfert de Figo au Real, 200 millions pour celui d'Anelka au PSG... Comment réagissez-vous ?
R - Il faut prendre des mesures. Certaines sont très simples. Le mouvement sportif international peut décider qu'un club ne pourra pas acheter un joueur s'il n'a pas une situation financière saine, comme c'est le cas en France. Cela éliminera déjà beaucoup de transferts. On peut aussi interdire les transactions commerciales sur mineurs au niveau européen. On peut aussi donner aux transferts des bases réelles en fixant des barèmes. Par exemple prévoir que, lorsqu'un joueur formé pendant quatre ans au club X passe au club Y, son club d'origine touche un montant défini. On peut aussi décider qu'un joueur est dédommagé lorsque son club se sépare de lui en cours de contrat. Il faut prévoir différentes situations et arrêter des sommes sur des bases objectives. Le mouvement sportif et la plupart des pays européens souhaitent que l'on aille dans cette direction. C'est aussi le souhait de la Commission.
Q - Sur les droits de retransmission, quelle réforme préconisez-vous ?
R - Compte tenu de la diversité des situations d'un pays à l'autre, on ne pourra trouver une solution unique. Autant il serait dangereux pour la solidarité dans le sport que des clubs puissent chacun négocier leurs droits, autant il est possible d'autoriser une fédération à détenir le monopole de la signature des contrats de télévision à partir du moment où elle assure la redistribution. C'est une avancée que l'Union européenne peut faire, en tenant compte de la situation de chaque pays.
Q - L'introduction des clubs en Bourse est permise en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne mais interdite en France. Pourquoi ?
R - Le sport et son éthique ne sont pas compatibles avec le jeu de la Bourse. On a autorisé par la loi la constitution de sociétés anonymes avec redistribution des dividendes. Il ne faut pas aller au-delà.
Q - Sur le plan fiscal, la France est défavorisée par rapport à ses partenaires. Ne faut-il pas faire évoluer la fiscalité sur les clubs sociétés anonymes soumises à la fiscalité de droit commun, et celle de joueurs, soumis à 1'impôt sur le revenu ?
R - Personne ne comprendrait en France qu'une activité professionnelle, avec des transactions et des salaires aussi élevés, ne supporte pas la fiscalité de droit commun. Des aménagements sont certes possibles. Florence Parly, la secrétaire d'Etat au Budget, a mis plusieurs pistes à l'étude, comme la fiscalité pesant sur la billetterie des clubs ou encore un projet d'épargne salariale ou d'intéressement spécifiques pour les sportifs professionnels. Cela leur permettrait de construire leurs revenus sur l'ensemble de leur vie et non pas simplement sur la courte durée de leur carrière sportive et de préparer ainsi leur réinsertion. Une première réunion doit se tenir en septembre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 septembre 2000).