Déclaration de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur sa démission du gouvernement à la suite de l'échec du projet de réforme de l'administration fiscale, Paris, le 27 mars 2000.

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Texte intégral

Il y a une semaine, j'ai remis au Premier ministre ma démission de mes fonctions de ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.
Cette décision, je veux l'expliquer à mon petit-fils qui est né le jour où j'ai remplacé Dominique Strauss-Kahn, à ma belle équipe, à mes amis, à tous mes concitoyens. Il y a près d'un an, a été ouvert le chantier d'une grande réforme de ce ministère, dont le principe était simple : mettre le service public au service du public. Chaque citoyen pourrait effectuer en un seul lieu et en une seule fois toutes les démarches courantes relatives au calcul ou au paiement de ses impôts. Tous les métiers fiscaux seraient regroupés au même endroit sous la même autorité, à proximité et à la disposition des usagers, comme cela se pratique dans d'autres services publics et dans tous les autres pays européens.
Je suis allé sur le terrain au printemps 1999 pour discuter avec les cadres, les agents et les organisations syndicales, j'ai été convaincu de la qualité de l'encadrement et de l'aptitude au changement des agents, particulièrement des femmes et des jeunes. J'ai cru qu'il était possible de moderniser ce grand ministère afin qu'il assure un service public de qualité, de proximité et au meilleur coût.
J'avais sous-estimé le conservatisme des organisations syndicales. Les installations informatiques ont été faciles à bloquer par une minorité, qui pouvaient ainsi paralyser les fonctions vitales de l'État. Au terme de seize heures consécutives de négociations, je n'ai pas trouvé de compromis acceptable avec les représentants du personnel. J'ai été obligé de retirer la réforme et j'ai aussitôt rédigé ma lettre de démission.
Je pense aujourd'hui avec tristesse aux élèves des écoles des Impôts, du Trésor et des Douanes que j'ai rencontrés en 1998. C'est aussi pour eux que j'ai tenté une réforme audacieuse, afin de prévenir le risque d'une révolution conservatrice, qui détruirait les statuts et les emplois, comme cela s'est produit dans tant de pays voisins. Un service public immobile est un service public en péril.
Je pense aujourd'hui avec fierté à tous ceux qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour que ce projet réussisse : mes proches collaborateurs, les directeurs généraux, les responsables territoriaux de ce ministère. L'intérêt général les a inspirés.
J'ai été heureux et fier de conduire, avec Dominique Strauss-Kahn et après lui, une politique budgétaire rigoureuse et dynamique qui a contribué à ce que notre pays retrouve confiance dans l'avenir et fasse désormais la course de la croissance en tête des grands pays européens. La maîtrise des dépenses de l'État n'a pas empêché de financer les priorités de l'emploi et de l'éducation, de la sécurité et de la justice, de la ville et de l'environnement. Les effectifs civils de l'État ont été stabilisés. Les déficits élevés de 1997 ont été diminués de moitié en deux ans. En 1999 la dette publique a, pour la première fois depuis vingt ans, reculé en pourcentage de la richesse nationale. Des baisses d'impôts à la fois justes et utiles pour l'emploi ont été mises en uvre dans les budgets 1999 et 2000.
J'ai été heureux et fier d'ouvrir de nouveaux chantiers, à commencer par le projet de loi sur les " nouvelles régulations économiques ". La globalisation du capitalisme accentue la concentration du pouvoir économique et creuse les inégalités entre salariés et actionnaires, entre petits producteurs et grands distributeurs. Quand la circulation devient plus rapide et les véhicules plus puissants, il faut faire évoluer le code de la route pour que la liberté et l'initiative ne cèdent pas à la loi du plus fort.
J'ai préparé avec mes collègues européens les conditions pour que notre continent bénéficie pleinement de la nouvelle révolution des technologies de l'information. Une meilleure coordination des politiques budgétaire et monétaire, au sein du conseil de l'Euro 11, devrait assurer la stabilité des prix et une croissance durable. D'indispensables réformes de structure devraient rehausser le potentiel de croissance et de création d'emplois de chacun de nos pays.
Je quitte le gouvernement. Je quitterai aussi ce ministère, auquel j'ai consacré la majeure partie d'une vie professionnelle heureuse. Je refuse les huit années de sécurité que m'offre l'inspection générale des Finances. L'époque n'est plus à écrire des rapports. Mon avenir se situe du côté des militants associatifs, des élus locaux, des créateurs d'entreprises, de cette France de la création et de la solidarité qui ramènera notre beau pays au plein emploi de ses immenses talents.
(Source http://www.finances.gouv.fr, le 28 mars 2000)