Interview de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, à LCI le 14 septembre 2004, sur la position de la FNSEA sur le traité constitutionnel de l'Europe, les pratiques commerciales de la grande distribution et le marché viticole.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- P.-L. Séguillon Les agriculteurs sont sans doute concernés au premier chef par le devenir de l'Europe, avec la PAC. Est-ce que vous dites "oui" au traité constitutionnel ? Allez-vous appelé aux mandants à dire "oui" ?
R- Vous savez bien que la FNSEA ne donne jamais de consigne de vote lorsqu'il s'agit d'un vote politique. Ceci étant, nous avons besoin d'une Europe qui fonctionne, d'une Europe qui a des règles et notamment qui clarifie le rôle des différentes instances. Je pense en particulier au rôle de la Commission européenne, par rapport aux rôles des chefs d'Etat et de gouvernement et des ministres de l'Agriculture, et aussi des parlementaires que nous venons d'élire il y a quelques semaines. L'Europe avait quelques difficultés à fonctionner à Quinze. Maintenant, à Vingt-cinq, je crois qu'il est urgent de clarifier la situation et qu'elle puisse fonctionner sur des bases plus solides et plus claires pour tout le monde.
Q- Et par conséquent, sans donner de consigne de vote, votre réponse sera "oui" ?
R- Le citoyen Lemétayer prendra ses responsabilités de citoyen et je laisserai évidemment libre de leur vote l'ensemble des paysans français.
Q- Mais avez-vous le sentiment que les paysans français sont, comme le dit L. Fabius pour beaucoup dans la population, inquiets de la situation et du devenir de l'Europe, et donc seront peuvent être tentés de dire "non" ?
R- Oui, mais il faudra - je l'espère en tout cas - que le débat ne soit pas seulement un débat sur la conjoncture ou les conditions de vie des uns ou des autres au sein de l'Europe. Les agriculteurs connaissent l'Europe. Simplement, ils ont fait l'Europe. La politique agricole européenne, depuis plus de quarante ans maintenant, a été à la base même de cette construction européenne. Alors, cela n'empêche pas les agriculteurs d'être très inquiets, y compris d'ailleurs sur un sujet qui est d'actualité, celui des délocalisations et celui de l'emploi. Regardons la crise, cet été, des fruits et légumes. Et nos producteurs de fruits, nos producteurs de légumes sont effectivement très inquiets d'un risque de délocalisation vers certains des dix pays qui viennent d'entrer dans l'Union. Les agriculteurs sont effectivement interrogatifs. Quand je prends cet exemple des fruits et légumes, ils voudraient rapidement que l'on règle l'aspect de l'harmonisation sociale au sein de l'Europe par exemple. Il y a des crises à répétition. On sort d'une crise porcine - je suis au Salon professionnel de l'élevage. Nous venons de vivre - et nous n'en sommes pas sortis - une crise dans le secteur laitier. Vous voyez qu'il y a des tas de questions, dont nous pensons qu'il faut les résoudre entre Européens, avec les collègues européens au sein des Vingt-Cinq.
Q- Il y a des questions à régler à résoudre avec vos collègues européens, mais il y a aussi des questions avec les instances françaises, et notamment, je voudrais où vous en êtes et si vous étiez partie prenante de l'accord avec la grande distribution. Avez-vous le sentiment que cet accord a été respecté ? Avez-vous l'impression qu'il a été largement vérifié par les services de Bercy dans son application ?
R- La première chose, c'est que nous avons participé à cet accord pour éviter que cette baisse des prix que sont en droit d'attendre les consommateurs ne se répercute pas sur les producteurs que nous sommes. Les prix agricoles payés aux agriculteurs français ne supporteraient pas une baisse des prix à la production. Et puis il y avait le secteur des fruits et légumes : il est clair que nous ne sommes pas allés au bout de cet accord signé le 17 juin. Il fallait notamment obtenir - et cela reste à obtenir - la suppression de ce que nous appelons les remises, rabais, ristournes en fruits et légumes. Je ne vois pas pourquoi il y aurait des ristournes plusieurs semaines, plusieurs mois après la vente de nos produits. Ce ne serait en tout cas sûrement pas le consommateur qui en bénéficierait. On est donc loin de l'application de l'accord Sarkozy pour le secteur de l'agriculture.
Q- Est-ce que cela veut dire que vous reprochez aux services de Bercy de ne pas avoir été suffisamment vigilants dans l'application de cet accord ?
R- Il faut qu'ils montrent encore plus de détermination à l'égard de la grande distribution. Toute la valeur ajoutée est captée par les différentes enseignes de la distribution française. Et si nous voulons que les producteurs que nous sommes, mais aussi nos entreprises qui transforment nos produits, puissent continuer d'innover, puissent continuer d'investir, il faut une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Et je pense que cela est possible sans que nos consommateurs paient plus cher leurs produits alimentaires, voire même peuvent les payer moins cher.
Q- Allons plus loin : est-ce que vous accusez aujourd'hui la grande distribution de ne pas jouer le jeu ou de tricher ?
R- Oui, ils montrent quelques façades d'efforts, mais la réalité, c'est que ce que j'appelle les "vieux démons" de la grande distribution demeurent toujours. Ils sont en permanence à la recherche du prix toujours le plus bas. Et notre politique agricole, qu'elle soit en France ou en Europe, ne peut pas être une politique agricole qui aligne les prix à la production sur ce qui se fait de moins cher, soit en Europe soit à travers le monde.
Q- Sur le problème de la rage, le ministère de la santé, P. Douste-Blazy, a exprimé son opinion. Quel est votre sentiment ? Souhaitez-vous qu'H. Gaymard, qui est en charge de ce problème, décide une vaccination obligatoire pour les animaux, et notamment pour les chiens ?
R- Je ne voudrais pas jouer les arbitres entre les deux ministres, qui visiblement ne sont pas d'accord sur la méthode. En revanche, je soutiens l'idée de solliciter l'Afssa, puisque je crois que nous avons là des scientifiques. Et s'il doit être pris des mesures, c'est sur des avis scientifiques qu'il faut le faire. Et à partir de cet avis scientifique, nos politiques, le Gouvernement doit pouvoir décider.
Q- Puisque vous vous trouvez quelques fois en situation d'arbitrage entre des ministres, entre S. Lepeltier et H. Gaymard, quel est votre position sur le problème des loups ? Faut-il en retirer davantage ?
R- Je pense que nos éleveurs de moutons ont raison d'exiger du Gouvernement de protéger leurs troupeaux. J'entends bien les réactions des citoyens, de certains consommateurs ou de certaines associations. Mais sincèrement, les brebis, le troupeau de nos éleveurs de moutons valent bien quelques loups.
Q- Dernière question : on a beaucoup parlé de vin en cette rentrée ; c'est la période des vendanges ; est-vous partisan d'une modification ou non de la loi Evin ?
R- Ce qui est jeu, c'est la défense de notre marché, sur le plan français comme sur l'exportation. Il y a diminution de la consommation des vins en France ; je pense que l'on peut revenir à des possibilités des promotions de nos vins en France sans pour cela encourager à la consommation d'alcool. Il y a un bon équilibre à trouver. Et puis il faut apporter des réponses aux campagnes de promotion à l'exportation, parce que l'on est fortement attaqué sur ces marchés par nos concurrents Chiliens, Afrique du Sud, Australie, Nouvelle-Zélande. Il est quand même indispensable de défendre ce qui fait partie de notre patrimoine culturel - on va aussi parler de patrimoine au cours du week-end prochain - qu'est le secteur des vins France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 septembre 2004)