Déclaration de M. Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA, sur les enjeux de la réforme foncière, la participation des agriculteurs à l'aménagement du territoire et la nécessité d'un outil de régulation, Versailles le 25 novembre 2004.

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Circonstance : Congrès de la FNSafer à Versailles le 25 novembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je vous remercie de m'avoir invité et de me donner la parole en cette fin de matinée. Et vous prie de m'excuser de ne pas rester avec vous cet après-midi : il est souvent difficile de concilier tous les agendas !
Je suis très heureux de participer à votre congrès. Je le suis d'autant plus cette année que vous consacrez vos travaux au paysage.
Je suis breton, un homme de la mer et de la terre et vous me permettrez une image.
Comme le marin ne se lasse pas du spectacle de la mer, le paysan que je suis s'émerveille toujours des paysages façonnés, colorés par l'agriculture. Si la France est si belle, c'est qu'elle est cultivée.
Vous décrivez d'ailleurs très bien les relations entre l'agriculture et l'histoire des paysages dans votre Livre blanc.
Et je voudrais, très sincèrement, vous féliciter pour la très grande qualité de ce travail, que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt et qui a l'avantage de bien poser les problèmes fonciers et de susciter la réflexion.
Sur le paysage et l'agriculture, je veux bien admettre que jusqu'à récemment, l'exigence paysagère n'était pas une préoccupation agricole. Ce n'est plus le cas aujourd'hui où, quand on implante un élevage, on mène préalablement une étude du paysage.
Les questions foncières m'inspirent trois grandes réflexions que je voudrais partager avec vous.
- les enjeux pour le foncier des bouleversements législatifs en cours,
- la participation des agriculteurs à l'aménagement du territoire,
- et enfin la nécessité d'un outil de régulation.
[Un contexte législatif en plein bouleversement]
La réforme de la PAC décidée à Luxembourg l'an dernier, va se mettre progressivement en place. Nous sommes en attente d'un certain nombre de règlements et de mesures d'adaptations nationales, que devrait traduire la loi de modernisation agricole actuellement en préparation.
Et nous devons absolument nous faire entendre avant que ne soit écrite cette loi.
En instaurant les droits à paiement unique, les D.P.U., et en donnant une très large définition de l'exploitant, la réforme de la PAC pourrait déstabiliser la gestion foncière agricole.
Les droits à paiement, qui peuvent s'ajouter sur une même exploitation, aux droits à prime et aux droits à produire, nous montrent d'abord que la maîtrise du foncier n'est plus la condition principale de la rentabilité et de la pérennité d'une exploitation. Ensuite, ces droits, marchands et déliés du foncier, font craindre une spéculation sans aucun rapport avec l'outil de travail des agriculteurs.
Enfin, une définition trop large de l'exploitant risque de semer le trouble dans les campagnes et d'ajouter des conflits entre les exploitants et les agriculteurs du dimanche.
A la FNSEA, nous avons mis en place des groupes de travail qui feront des propositions sur la loi de modernisation. Le groupe sur les questions foncières s'est réuni à plusieurs reprises, la FNSafer y a participé.
Je peux vous dire que les discussions y sont toniques et que tous les problèmes fonciers y sont abordés avec une grande franchise.
Il est essentiel de continuer ce travail de réflexion et de proposition. On pourra faire toutes les réformes qu'on voudra, il n'empêche que les agriculteurs ont toujours besoin de la terre pour produire. Et que leur métier, c'est un métier de production.
Alors il faut préserver notre outil de travail.

[Trouver les conditions de l'équilibre foncier]
Mais je reconnais que les agriculteurs ne sont plus les seuls utilisateurs du foncier.
Sur l'ensemble du territoire, les conflits se développent entre les différents utilisateurs du sol : agriculteurs, industriels, résidents secondaires, urbanistes et, de plus en plus, les collectivités locales.
Les collectivités locales sont devenues des arbitres fonciers dont le rôle est aujourd'hui dominant dans l'espace rural ou périurbain.
Les élus locaux assument sur ce sujet un rôle de plus en plus difficile, soumis à une pression croissante.
Sur une même surface, il leur faut choisir entre autoriser l'implantation d'une usine, protéger un écosystème, élargir une route, ou encore construire des logements.
Et c'est vrai que les intérêts économiques, écologiques ou sociaux peuvent avoir chacun leur légitimité.
Toutefois, il ne faut pas privilégier un intérêt par rapport à un autre. Il faut dans la mesure du possible conserver un équilibre pour préserver l'harmonie du territoire.
Prendre en compte les différents intérêts qui s'expriment c'est mettre en uvre une gestion durable des territoires.
Or là, nous avons encore des efforts à faire pour bien faire comprendre que la terre agricole est un élément de cette gestion durable, que ce n'est pas uniquement une réserve foncière pour les appétits urbains. C'est le support de production d'une activité économique essentielle à notre pays.
Les décideurs locaux doivent comprendre que l'agriculture est une activité qui génère de l'emploi en milieu rural.
Et là, les Safer ont un rôle essentiel à jouer non seulement pour mettre en place les outils qui pourront garantir la pérennité du foncier agricole mais aussi pour assurer l'interface avec les collectivités locales.
[La dérégulation n'est pas la solution]
Je sais combien les Safer sont aujourd'hui attaquées. Au même titre que la politique des structures. Notamment par ceux qui prônent un libéralisme débridé.
Pourtant le libéralisme ne garantit pas l'obtention d'un meilleur résultat, bien au contraire. L'agrandissement est loin d'être la solution pour améliorer le revenu.
La dérégulation entraînera inévitablement une course effrénée au foncier qui alourdira nos charges et qui portera gravement atteinte à l'économie agricole.
En réalité, cette politique libérale aura l'effet inverse que certains beaux esprits voudraient lui attribuer.
Une libéralisation signifierait la mort de milliers d'exploitations, la fin de produits du terroir, l'abandon d'une grande partie du territoire.
Si nos campagnes ne ressemblent pas aux espaces australiens, américains ou néo-zélandais, nous le devons en grande partie à la cohérence de notre politique des structures et à une gestion foncière professionnelle efficace dont vous êtes largement les acteurs.
Les outils de régulation que nous faisons fonctionner avec vous sont tout le contraire d'outils de blocage.
La politique des structures n'est pas une politique d'interdiction, c'est une politique de priorité.
Cette politique il faut sans doute la revoir, l'améliorer, la simplifier, pour que l'aménagement foncier s'articule avec l'aménagement du territoire et ne soit pas en opposition avec les exigences des collectivités locales.
Si nous gagnons en cohérence, nous gagnerons aussi en efficacité.
[Conclusion]
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Vous pouvez compter sur le soutien plein et entier de la FNSEA pour que les SAFER restent les défenseurs convaincus d'un développement des territoires ruraux harmonieux où l'agriculture prend toute sa place.
" Pays
Paysans
Paysages ",
N'oublions pas que ces mots ont la même racine.
Votre Livre Blanc posait la question de la fin des paysages.
Je peux vous assurer que nous nous battrons toujours pour qu'il y ait toujours des paysans au pays.
Je vous remercie.
(Source http://www.fnsea.fr, le 26 novembre 2004)