Interview de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, sur LCI le 4 janvier 2005, sur les thèmes abordés par le Président de la République lors de la cérémonie des voeux : l'égalité salariale homme-femme, la constitution d'une politique industrielle et la taxation des mouvements sur les capitaux en bourse.

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Circonstance : Présentation des voeux de M. Jacques Chirac, Président de la République, aux forces vives de la Nation le 4 janvier 2005 au Palais de l'Elysée

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Eric Revel : Jacques Chirac lors de ses vux aux forces vives, c'est-à-dire patrons et syndicats, s'est montré ce matin offensif en matière économique et sociale. Quelle impression vous a-t-il donné ? Une sorte de programme économique et social pour après 2007 ?
Jean-Luc Cazettes : C'était un vrai discours construit et très dense, c'est-à-dire que ce n'est pas une traditionnelle allocution pour les vux. On avait là-dedans de l'économique, du social, d'une façon conséquente avec un certain nombre de mesures. C'est vrai que ça peut apparaître comme l'embryon d'un projet pour 2007.
ER : Sur les mesures elles-mêmes, on parle beaucoup d'une égalité salariale entre hommes et femmes a dit le chef de l'Etat sous forme d'un projet de loi d'ici 2005. Quelles sont d'après vous les chances qu'un tel texte puisse aboutir dans nos entreprises ?
JLC : Je veux bien mais on a signé un accord, le MEDEF et les 5 organisations syndicales, sur le sujet. Aller plus loin, je veux bien aller plus loin, le problème c'est que dans les entreprises maintenant, on est parvenu à une telle individualisation des rémunérations que ça veut dire quoi, l'égalité hommes - femmes, alors qu'on n'est pas en mesure d'avoir déjà une égalité entre hommes et hommes ou entre femmes et femmes. Aller plus loin - ou alors ça nécessite de revenir à des négociations uniformes pour tout le monde au niveau des branches professionnelles et là on peut rééquilibrer. Mais dans la mesure où les rémunérations sont individuelles, vous ne pouvez pas plaider pour une égalité entre les rémunérations.
ER : Vous pensez que ce projet de loi sur l'égalité, l'égalitarisme entre hommes et femmes d'un point de vue salarial est quoi ? Un leurre politique ?
JLC : C'est un peu un leurre. Ce qu'il convient à mon sens de regarder plus précisément, c'est l'accès des femmes aux postes de haute responsabilité. On s'aperçoit que plus l'on grimpe dans l'entreprise et moins il y a de femmes. Donc c'est l'accès des femmes aux grandes responsabilités de l'entreprise qui doit être privilégié et engagé avec éventuellement des mesures prises par l'Etat. Pourquoi pas ?
ER : Autre dossier ouvert par le chef de l'Etat ce matin à l'Elysée, c'est une ambition nationale a-t-il dit : une politique industrielle pour la France. C'est la meilleure réponse que l'on peut apporter d'après vous, aux délocalisations dont on parle tant ?
JLC : Ca fait un moment qu'on essaye de le répéter : un pays tel que la France, un pays moderne, ne peut pas se passer d'une politique industrielle et d'un grand domaine industriel. Nous ne pouvons pas être simplement un pays de tourisme, de parcs de loisirs, de restaurants et de services. Il nous faut une politique industrielle pour conserver des emplois industriels qui sont garants de tous les autres et il a cité un certain nombre de pistes sur lesquelles le gouvernement doit pouvoir inciter les entreprises à s'engager sur des projets innovants pour, je dirais, les 10 ou 15 années à venir et ne pas rester renfermé sur les progrès qui étaient derrière nous.
ER : Mais pour vous, la fiscalité n'est pas " désincitative " en France ? Ce n'est pas elle qui peut expliquer les délocalisations plutôt que le manque d'une politique industrielle ?
JLC : Non, je crois qu'il ne faut pas confondre les choses. On nous fait "un fromage" avec l'attractivité, le manque d'attractivité de la France. La France est quand même le pays du monde, ce sont les sources de l'OCDE, à attirer les capitaux étrangers juste après la Chine. On n'est pas de ce côté-là en plus mauvaise position que nos voisins européens. Il n'y a pas un vrai problème au niveau de la fiscalité, il y a un problème par contre au niveau de l'investissement productif parce qu'on a, obsédés par le rendement immédiat, on a de plus en plus de difficultés à ce que nos entreprises investissent à long terme.
ER : On va parler du rendement immédiat, notamment en bourse, mais avant juste une vérification : l'augmentation du SMIC de 5 % au 1er juillet qu'annonce Jacques Chirac, en fait c'était déjà connu ou pas ? C'est la fameuse harmonisation plus l'inflation ou c'est davantage ?
JLC : A priori, c'est l'harmonisation plus l'inflation, ça ne constitue donc pas pour les entreprises une charge supplémentaire.
ER : Côté rendement justement, en bourse on en parle également beaucoup, le chef de l'Etat a donné l'impression de vouloir imposer une taxe supplémentaire aux mouvements sur les capitaux en bourse. Le syndicaliste que vous êtes pense que là aussi c'est une mesure qui est faisable et applicable ?
JLC : Moi dans la mesure où on va privilégier l'investissement et donc l'emploi par rapport au profit boursier, forcément je serai d'accord. Un certain nombre de chefs d'entreprises nous le disent, et dans le reportage on voyait bien Pierre Bellon, le président de la SODEXHO, les entreprises ont besoin d'avoir des garanties sur le long terme. Elles ont donc besoin d'avoir une visibilité sur la gestion de l'argent qui vient de chez eux pour pouvoir investir.
ER : Mais puisque l'emploi intéresse un syndicat comme le vôtre, est-ce que si demain la place de Paris est trop taxée et que les transactions vont se faire ailleurs, est-ce qu'il n'y a pas une perte d'emploi potentielle pour la bourse de Paris au détriment de ses concurrents de Francfort ou de Londres ?
JLC : Je ne pense pas. On a toujours fait planer un certain nombre de menaces. Si on écoutait toutes ces menaces, il n'y a qu'une solution et c'est de payer tous les Français au tarif du Bangladesh, de supprimer la protection sociale, l'assurance maladie, les retraites et à ce moment-là, effectivement, on sera très compétitif, tout le monde viendra investir en France. Ce n'est pas le cas, il faut trouver des équilibres et je pense que la démarche initiée par le chef de l'Etat représente un équilibre qui sera certainement très difficile à atteindre, j'en suis d'accord.
(Source http://www.cfecgc.org, le 10 janvier 2005)