Texte intégral
Je suis heureux de vous retrouver ici pour ce point de presse - auquel je souhaite conserver jusqu'au mois de décembre un rythme bimensuel - consacré au suivi de la présidence française de l'Union européenne.
Un mot, d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet, sur un événement important qui s'est tenu hier : je veux parler des élections en Serbie. Il n'y a pas de résultat officiel, les uns et les autres réclament la victoire. Certains la réclament de façon plus ample que d'autres, ce qui indique peut-être une tendance. Vous savez, comme moi, que les uns revendiquent une victoire par 44 contre 41 % et les autres par 57 contre 33 %. En tout cas, il est en train de se passer quelque chose. L'Union européenne, lors du Conseil Affaires générales de la semaine dernière, avait appelé à un changement démocratique en Serbie et dit aussi que ce changement aurait des conséquences au regard des relations entre l'Europe et la Serbie et aussi la levée des sanctions. Attendons maintenant les résultats.
J'avais eu l'occasion, lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a une quinzaine de jours, d'évoquer avec vous l'état des travaux concernant les grands dossiers de la Présidence française au sortir de la pause estivale.
Mon sentiment, même s'il va un peu à l'encontre de ce que je lis et de ce que j'entends, c'est que le déroulement de cette Présidence est à la fois sérieux et méthodique, serein mais volontariste. J'y insiste devant vous, même s'il est évident que d'autres événements trouvent un écho important dans l'actualité européenne et viennent parfois un peu occulter le déroulement de nos travaux : je pense naturellement à la flambée des cours du pétrole, face à laquelle les ministres de l'Economie et des Finances du G7 ont répondu de façon vigoureuse, et aux fluctuations du cours de l'euro, par rapport auxquelles il y a maintenant une réaction internationale des banques centrales.
Ce que je veux donc vous dire aujourd'hui, c'est qu'il est certes encore trop tôt pour faire un bilan à mi-parcours de notre Présidence. Il faut attendre pour cela que le Conseil européen de Biarritz se soit tenu. Mais, pour moi qui ai eu à travailler effectivement avec sept présidences européennes tournantes avant la nôtre, les choses se présentent assez bien, en tout cas beaucoup mieux qu'on ne le dit parfois.
Et je dis cela en ayant naturellement à l'esprit que, comme vous le savez, l'agenda de la Présidence française est particulièrement chargé et que, comme le Premier ministre l'avait indiqué à l'Assemblée nationale, le 9 mai dernier, notre attention se porte tout autant sur les dossiers sociaux ou "sociétaux" que nous avons ouverts et qui intéressent de près les citoyens européens, que sur les grands dossiers politiques - la réforme des institutions, l'élargissement de l'Union, la Défense européenne.
1. Quelques mots sur la Défense, pour commencer. Je crois pouvoir dire sans me tromper que c'est le domaine dans lequel les travaux connaissent les progrès les plus rapides et les plus visibles. Comme vous le savez - je vous l'avais d'ailleurs indiqué ici même - les ministres de la Défense des Quinze se sont retrouvés à Ecouen vendredi dernier pour faire le point sur les travaux qui ont été engagés à Helsinki, et la Présidence française organisera, le 20 novembre prochain, une Conférence d'engagement de capacités.
Mais je crois pouvoir dire, dès à présent, comme Alain Richard, que le travail a très bien progressé, et que les résultats que nous aurons à Nice seront franchement substantiels (sans qu'il soit donc nécessaire qu'un rapport d'étape soit fait à l'occasion du Conseil européen de Biarritz).
2. J'évoque d'ailleurs cette réunion informelle du Conseil européen, les 13 et 14 octobre prochain, à Biarritz. Elle constitue désormais notre horizon pour l'examen d'un certain nombre de dossiers importants. Biarritz sera en effet un Sommet important par son contenu, non pas par l'ampleur de son menu, non pas parce que des conclusions y seront adoptées - ce sera, et c'est un choix délibéré, une réunion informelle -, mais parce qu'il s'agira de la première rencontre des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur les grands dossiers politiques de notre Présidence.
Premier dossier : la Charte européenne des droits fondamentaux. Si tout se passe bien dans les jours qui viennent - je pense à la réunion, qui se tient aujourd'hui et demain - de la "Convention" - le texte qui sera soumis au Conseil européen sera, et je le dis avec beaucoup de clarté, un très bon texte.
Je veux insister sur la qualité des travaux qui ont été accomplis depuis juin dernier. Il est vrai qu'à cette date, nous avions encore des interrogations sur le contenu, et nous avions émis de fortes réserves sur le risque que les droits économiques, sociaux, voire culturels soient ramenés à la portion congrue.
J'invite donc à présent chacun à regarder de près la nouvelle version de ce texte, qui non seulement donne satisfaction sur les points que je viens d'évoquer, - elle inclut maintenant des droits économiques, sociaux, culturels, de la personne - mais qui est, à mon sens, un très bon texte, à la fois parce qu'il est court, donc lisible par tous, mais aussi parce que son contenu est riche et équilibré.
Je mentionne néanmoins une ultime difficulté, qui porte sur le projet de référence, dans le préambule de ce texte, à l'héritage "religieux" de la construction européenne. Les autorités françaises ont fait valoir auprès du président de la Convention, Roman Herzog, leur totale opposition à cet amendement qui nous pose de multiples problèmes philosophiques - nous vivons dans une Europe de la diversité, culturelle et des opinions - des problèmes politiques - nous sommes une république, je le rappelle, laïque - et des problèmes également, puisqu'on voit mal comment on pourrait introduire dans notre propre constitution un héritage religieux qui n'y a jamais figurer, alors même qu'il est dit explicitement que la Convention doit s'inspirer des traditions constitutionnelles nationales. Or, rien de tel n'existe dans notre constitution.
J'espère donc que cette ultime difficulté sera réglée cette semaine, de sorte que l'adoption de cette Charte par les Chefs d'Etat et de gouvernement pourra constituer un moment très important du Conseil européen de Biarritz. Nous souhaitons rester le plus possible prêt du texte de la convention. Il serait dommage que le maintien de cette référence, qui nous paraît malheureux, oblige à rouvrir tout le paquet. Vous savez en effet l'importance que nous attachons à ce texte, qui consacrera les valeurs politiques, philosophiques, sociales mais aussi culturelles sur lesquelles se fonde l'Union européenne, et auxquelles nous sommes profondément attachés.
Deuxième dossier pour Biarritz : la réforme des institutions de l'Union.
Il s'agira, sur ce sujet, de la première rencontre des Chefs d'Etat et de gouvernement, depuis Amsterdam, en 1997. Je crois cette prise de contact nécessaire, d'autant que les travaux qui ont été engagés, à marche forcée, depuis le début de notre Présidence, semblent commencer, je le dis avec prudence mais aussi avec conviction, à entrer dans le vif du sujet. C'est en tout cas ce que nous pouvons espérer après les discussions qui se sont tenues à Bruxelles lundi dernier.
Je reviendrai, si vous le souhaitez, dans le détail de ces travaux. Ce que je veux souligner à présent, c'est que, sur les quatre points fondamentaux qui ont été retenus, et que vous connaissez, deux font à présent l'objet de discussions intensives - le champ du vote à la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. La négociation sur la composition de la Commission et sur la repondération des voix est beaucoup plus difficile, pour des raisons évidentes, parce qu'on touche là au poids des nations et au rapport entre les nations et l'Europe. Mais sur tous ces sujets, on commence à en parler sans tabou.
Nous ne sommes certes pas encore dans le coeur de la négociation - chacun sait bien ici que sur des questions aussi importantes que celles-ci, la négociation ne se nouera complètement qu'à Nice - mais je pense que les progrès qui ont été réalisés constituent une bonne base de discussion pour Biarritz.
Nous pouvons donc espérer - en tout cas la Présidence fait tout pour y parvenir - que nous irons au-delà de la longue litanie des positions nationales pour amorcer le travail de fond qui est plus que jamais nécessaire.
Enfin, troisième sujet dont parleront les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Biarritz : la situation économique internationale et notamment des problèmes énergétiques.
3. Quelques mots pour terminer cette présentation sélective de l'actualité :
- je vous rappelle d'abord le prochain séminaire des ministres de l'Education, que Jack Lang organisera à Paris, le 30 septembre prochain ; celui-ci devrait notamment donner le "coup de pouce" politique utile aux travaux qui ont été engagés depuis juillet. Ces travaux - je vous le rappelle - concernent la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs en Europe : c'est un dossier fondamental pour notre Présidence, parce qu'il est l'une des clés de la compétitivité scientifique, technique et industrielle de l'Europe de demain ;
- j'appelle ensuite votre attention sur l'important débat sur les services publics que nous aurons à Bruxelles, le 28 septembre, dans le cadre du Conseil Marché intérieur/Consommation, que je présiderai avec Marilyse Lebranchu.
Vous savez qu'il s'agit, pour notre pays et pour l'Europe, d'un aspect très important, pour lequel le gouvernement français s'était battu lors de la négociation finale du Traité d'Amsterdam. La Commission présentera, à l'occasion de ce débat, une révision de sa communication de 1996 sur les services publics. Nous essaierons de voir comment concilier le fonctionnement du marché unique avec le droit des Etats membres à organiser et gérer des services publics en vue d'assurer le maintien de la cohésion sociale et territoriale.
- Un mot encore sur les autres réunions du Conseil au cours des jours à venir, qui témoignent de l'intensité de l'activité de cette rentrée de septembre :
- le Conseil des ministres de la Culture, demain, où Catherine Tasca essaiera d'avancer sur le montant du programme MEDIA Plus ;
- le Conseil Justice et Affaires intérieures, le 28 septembre, sous la présidence d'Elisabeth Guigou et de Daniel Vaillant, et dont l'ordre du jour comporte plusieurs questions très importantes : la lutte contre le blanchiment d'argent, mais aussi la question des visas avec la Roumanie et la Bulgarie, sur laquelle nous essayons encore de progresser ; enfin, la mise en place d'Eurojust, qui est aussi l'une des priorités de notre Présidence ;
- je signale par ailleurs le Conseil des ministres de l'Economie et des Finances, précédé d'une réunion de l'Euro-groupe, le 29 septembre ;
- j'insiste enfin sur le Conseil des ministres des Transports, le 2 octobre : après sa session spéciale du 20 septembre, qui a permis un vrai débat politique entre les Etats membres après la crise des carburants qu'avaient traversé la plupart d'entre eux, Jean-Claude Gayssot donnera la priorité à l'approfondissement des travaux du Conseil concernant notamment la sécurité des transports maritimes et l'harmonisation sociale dans les transports routiers.
J'en ai terminé avec cette présentation volontairement sélective de l'actualité communautaire. Je ne veux pas vous lasser davantage mais je veux néanmoins vous rappeler la prochaine session plénière du Parlement européen, du 2 au 6 octobre prochain, à Strasbourg, qui sera l'occasion de débats politiques très importants sur la préparation du Conseil européen de Biarritz et la CIG, la Charte des droits fondamentaux et l'état des négociations avec les pays candidats à l'élargissement ; Nicole PERY animera aussi, au nom de la Présidence, un débat sur l'égalité des chances et la parité entre hommes et femmes.
* * *
Q - Sur la Charte, en dehors de la réserve que vous avez émise sur le paragraphe concernant les religions, y a-t-il d'autres problèmes posés par d'autres pays, ou toutes les difficultés sont-elles à peu près levées ?
R - C'est extrêmement difficile à savoir puisque, la méthode d'élaboration de cette affaire n'est pas intergouvernementale. C'est au sein de la Convention que les choses se déroulent. En plus, les méthodes de décision de la Convention font appel au consensus. Elles sont extrêmement particulières : on fait circuler un texte et on considère que l'on s'arrête au moment où il n'a plus d'opposition ; on ne vote pas. Il est donc extrêmement difficile de dire quelles sont exactement les réserves des autres. Ce que je constate, si vous voulez, c'est que la cause des droits sociaux a beaucoup progressé, y compris le droit de grève, qui n'est plus contesté par la Grande-Bretagne. Je constate aussi que la mise en place de droits culturels est également reconnue, bref, que sur ce chantier des droits économiques, socio-culturels, on a fortement progressé, sans parvenir encore, pour ce qui nous concerne, à un point qui correspondrait exactement à ce que seraient nos voeux et nos attentes, ni, d'ailleurs, sans parvenir exactement à ce que souhaiteraient un certain nombre de partenaires sociaux. Je rencontrais la semaine dernière M. Gabaglio, le Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats. Il y a encore, de ce côté, des demandes qui pourraient être satisfaites. Mais il n'y a rien dans la Charte aujourd'hui qui suscite de notre part un motif de refus. Je considère au contraire que cette charte, telle qu'elle se présente dans les versions 47 ou 48, est un document de qualité, qui est percutant, clair, lisible, qui est un texte fort. Je serais donc tout prêt à accepter sa valeur. Mais, cette question religieuse, on l'aura compris, est pour nous une question absolument incontournable. J'ai dit que les autorités françaises s'étaient exprimées. Elles l'ont fait. Je veux parler au nom du gouvernement. Je sais ce que Lionel Jospin a dit à M. Herzog : il lui a dit que le gouvernement français ne pourrait pas signer une charte qui comprendrait la mention de cet héritage religieux. C'est donc un point tout à fait nodal à ce stade de la conclusion de cette affaire.
Q - Ma question porte sur un point que vous n'avez pas abordé, le référendum danois. Si le "non" l'emporte, comme on peut le craindre, quelles seraient les conséquences juridiques et politiques ?
R - Ecoutez, nous verrons, je ne fais pas de politique fiction. Je souhaite que le "oui" l'emporte. Vous verrez la réaction que nous aurons dans un cas comme dans l'autre.
Q - Vous avez un "Kriegspiel" dans les deux cas tout de même
R - Comme toujours, nous sommes préparés à réagir à deux types de situation, mais je ne veux pas faire comme si nous étions déjà résignés à ce que le "non" l'emporte. Nous espérons que le "oui" l'emporte, ce serait une bonne nouvelle pour l'euro et pour l'Europe. Ce qui ne signifie pas que le "non" serait forcément une catastrophe pour l'Europe et pour l'euro.
Q - Quels sont les obstacles majeurs à propos de l'héritage religieux ?
A propos de la Serbie et de la Yougoslavie, quel sera le planning de l'Union européenne si l'opposition a gagné ?
R - Sur la Serbie, j'aurais la même réflexion que pour le Danemark. Nous sommes en train d'attendre les résultats, et là encore, bien des situations peuvent survenir. D'abord, les résultats peuvent ne pas être les mêmes à l'élection législative et à l'élection présidentielle. Ensuite, M. Milosevic peut ou peut ne pas reconnaître une défaite. Dans un cas comme dans l'autre, on tombe sur des scénarios qui sont très différents. Nous sommes à quelques heures de la décision. Attendons un peu.
Quant à l'héritage religieux, je voudrais simplement souligner, peut-être une dernière fois, ce que cela représente pour nous. Les fondements de la République française reposent sur des valeurs. Egalité, liberté, fraternité. Cette République, qui est maintenant plus que bicentenaire, est une république laïque, qui considère donc que l'obligation de neutralité s'étend lorsqu'il s'agit de tel type de problèmes. Il n'y a dans notre constitution aucune référence d'aucune sorte à un héritage religieux. Nous considérons donc que cette mention est contraire à l'esprit laïc de nos institutions et va bien au-delà de nos traditions constitutionnelles qu'elle obligerait à modifier. Or, je crois que nous ne sommes pas aujourd'hui sur le point de rouvrir le débat sur le point de savoir si la France est la fille aînée de l'Eglise, ou si elle est profondément une nation laïque. Je redis donc, pour que ce soit extrêmement clair, que de notre côté, il y a des problèmes politique, philosophiques, constitutionnels qui sont extrêmement majeurs. C'est une chose extrêmement simple. Nous ne pouvons pas signer un tel texte. Je ne parle pas au nom du gouvernement. Nous ne pouvons pas signer un tel texte. Nous ne signerons pas un tel texte, mais on trouvera, j'en suis sûr, une transaction. Cette transaction pourrait être, par exemple, c'est ce qu'a suggéré M. Braibant, notre représentant à la Convention, qu'on mentionne un héritage spirituel. Evidemment les consciences ont leur place en Europe, de toutes sortes.
Q - Est-ce que cela ne risque pas de relancer une bagarre entre deux camps, les démocrates-chrétiens et les socialistes ?
R - Je ne sais pas qui aurait lancé la bagarre.
Q - (...) L'héritage religieux existe, qu'on soit pour, qu'on soit contre ou qu'on soit mécréant. L'héritage spirituel, par rapport à la laïcité, c'est peut-être plus profond que de dire il y a eu un héritage religieux, à condition que l'on réaffirme dans le texte le caractère laïque de ce que doit être la charte.
R - On va rentrer dans les vastes débats sur la laïcité qui sont des débats anciens. On peut avoir plusieurs débats sur la laïcité : la laïcité des libres penseurs, qui est l'absence de référence à toute conception, quelle qu'elle soit, d'essence de ce type-là, ou bien une laïcité ouverte, qui considère qu'il faut respecter la diversité des opinions et des convictions. De ce point de vue-là, l'adjectif "spirituel" ne nous gène pas. Très honnêtement, nous considérons que la mention du spirituel ou du religieux dans la Charte n'est pas indispensable, en aucune façon. Je pense néanmoins qu'il vaut mieux "spirituel" que "religieux", puisque le religieux est connoté différemment. Il se réfère à Dieu et pas à n'importe quel dieu, puisqu'un précédant texte mentionnait l'héritage judéo-chrétien. L'arrière-pensée est bien celle-là. Vous mentionniez le rapport de force entre les démocrates-chrétiens et les socialistes, mettons entre les chrétiens et ceux qui ne le sont pas, ce serait plus juste. Je ne suis pas certain qu'il n'y ait que des socialistes qui souhaitent qu'on en revienne à la laïcité. Je ne mettrais pas forcément le président de la République, qui je pense partage ce point de vue, parmi les socialistes.
Q - Pourriez-vous nous indiquer deux ou trois points qui coincent dans la CIG ? A ma connaissance le ministre des Affaires étrangères danois a plus ou moins menacé d'opposer son veto sur les questions majoritaires dans les domaines fiscaux et sociaux, lors des dernières réunions à Bruxelles.
R - Sur la majorité qualifiée, on travaille maintenant sérieusement. On a commencé d'avancer dans le détail des questions et on arrive maintenant chaque jour à faire passer davantage de questions à la majorité qualifiée. Mais nous savons tous qu'il y a cinq grands ordres de questions qui sont en débat. D'abord, effectivement, la majorité qualifiée en matière fiscale, sur laquelle un certain nombre de pays, je pense à la Grande-Bretagne mais aussi à d'autres, ont manifesté qu'il s'agissait d'un point clé lié à la souveraineté nationale et à la souveraineté des Parlements. Il y a les questions sociales, sur lesquelles nous avons eu le même type de remarque. Il y a les questions liées aux visas, à l'asile et à l'immigration, pour lesquelles vous savez qu'on doit décider au bout de cinq ans si elles passent ou non à la majorité qualifiée. Moi qui ai été le ministre, avec Elisabeth Guigou, qui a eu à piloter la discussion parlementaire sur la ratification du Traité d'Amsterdam, je sais que notre Parlement n'est pas favorable à une anticipation de cela. Là, c'est nous qui avons objectivement un problème. Il y a les problèmes de discrimination et enfin ceux de politique commerciale extérieure, sur lesquels la France, mais d'autres également, estiment que ce sont des problèmes qui réclament le consensus pour avoir une position extérieure de l'Union européenne. Ce sont les points durs. Il est clair que, là-dessus, nous n'avons pas encore trouvé de solution, mais je constate que les uns et les autres, y compris nous-mêmes, cherchons des compromis. Tout le monde doit être dans cet état d'esprit-là, car il est très important, c'est même sans doute le point majeur de la CIG, qu'on sorte de Nice avec beaucoup, beaucoup plus de décisions prises à la majorité qualifiée, y compris dans les sujets majeurs.
Q - Quelle est votre position sur cet article de Tony Blair et de Göran Person, paru il y a quelques jours dans le Financial Times, où ces deux hommes politiques veulent stimuler l'élargissement ?
R - Je ne fais pas commentaires sur les articles de Premiers ministres de pays amis. Je dirai simplement ce qui est la position française. Stimuler l'élargissement, oui. Nous sommes des chauds partisans de l'élargissement. Nous pensons que l'élargissement est beaucoup plus qu'une priorité pour la Présidence française, que c'est réellement la toile de fond de l'ensemble de notre action, que c'est notre projet historique, que c'est la question la plus importante qui se pose aux Européens dans les décennies qui viennent. Mais si, sous couvert de l'élargissement, on souhaite affaiblir l'Europe communautaire, alors je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il est très important de combiner, c'est la problématique de l'Union européenne depuis le début, son élargissement avec le maintien de la méthode communautaire. Je crains que certains, encore une fois je ne parle pas de MM. Blair et Person, aient tendance à considérer que l'élargissement doit être fait le plus vite possible, sans restriction, sans condition, parce qu'au fond, on a peut-être envie de limiter ou d'affaiblir ce qui constitue les politiques communes. Nous, nous n'avons pas exactement cette attitude, nous souhaitons réussir et maîtriser l'élargissement, et donc faire en sorte que cet élargissement se déroule, tout en conservant une logique forte aux politiques communautaires. Encore une fois, ce n'est pas une réponse à l'article que vous citez, bien sûr.
Q - Pour revenir au référendum danois, dans le cas d'un "non", cela donnerait-il politiquement un argument en plus pour les coopérations renforcées ?
R - Encore une fois, je ne commenterai pas le "non" danois avant le référendum danois. Je veux laisser les Danois voter. L'expérience montre qu'il faut éviter de commenter les référendums avant qu'ils aient lieu.
Q - Pour revenir à la situation de M. Haider et de la levée des sanctions, quel a été le suivi des discussions pour effectuer le contrôle du parti de Jörg Haider et les consultations pour instituer un mécanisme de surveillance permanente ?
R - Pour ce qui est de la vigilance, elle doit être constante en fonction de l'événement, donc on ne va pas mettre en place un mécanisme stricto sensu. Pour ce qui est de la surveillance ou de la prévention telle qu'elle doit s'exercer dans le traité, j'ai commencé la semaine dernière, lors de la réunion ministérielle de la CIG, à demander aux uns et autres ce qu'ils pensaient d'un renforcement de l'article 7 dans le cadre du traité. Cela a été un premier tour de table. Nous allons y revenir lors de la prochaine réunion ministérielle qui se tiendra le 8 octobre. Il faut que les uns et les autres disent ce qu'ils en pensent. Vous savez qu'il y sur la table deux propositions, une belge et une autrichienne pour ce qui est des délégations nationales, et une proposition de la Commission. Nous sommes ouverts, je le dis clairement, et le contraire, d'ailleurs, aurait surpris.
Q - Notamment à ce qu'il y ait un commissaire aux Droits de l'Homme ?
R - Attendons de voir. Nous voulons jouer notre rôle d'honnête courtier, et voir un peu ce que sont les positions des uns et des autres. A titre personnel, je ne suis pas certain que cette réforme soit indispensable, mais, si elle venait... Mon avis personnel n'est pas enthousiaste. Mais pas non plus férocement opposé.
Q - Concernant à nouveau la réforme institutionnelle, nous avez évoqué les quatre points fondamentaux, dont deux sont abordés. Qu'en est-il des autres ?
R - Non, tous sont abordés. Je disais simplement qu'il y en avait deux qui me semblaient avancer un peu plus vite que les deux autres : la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. Sur la majorité qualifiée et sur la pondération des voix, encore une fois parce qu'on touche au rapport des forces politiques, les choses sont évidemment plus complexes, et je dirais même plus bloquées à ce stade, encore que sur la Commission, on a commencé à avoir un débat qui ressemblait à quelque chose. Heureusement, certains pays ne continuent pas à défendre la position absurde, qu'on aurait à la fois une Commission nombreuse et non hiérarchisée. C'est fromage ou dessert. Le minimum est quand même qu'on ait davantage de hiérarchie dans la Commission.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2000)
Un mot, d'abord, avant d'entrer dans le vif du sujet, sur un événement important qui s'est tenu hier : je veux parler des élections en Serbie. Il n'y a pas de résultat officiel, les uns et les autres réclament la victoire. Certains la réclament de façon plus ample que d'autres, ce qui indique peut-être une tendance. Vous savez, comme moi, que les uns revendiquent une victoire par 44 contre 41 % et les autres par 57 contre 33 %. En tout cas, il est en train de se passer quelque chose. L'Union européenne, lors du Conseil Affaires générales de la semaine dernière, avait appelé à un changement démocratique en Serbie et dit aussi que ce changement aurait des conséquences au regard des relations entre l'Europe et la Serbie et aussi la levée des sanctions. Attendons maintenant les résultats.
J'avais eu l'occasion, lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a une quinzaine de jours, d'évoquer avec vous l'état des travaux concernant les grands dossiers de la Présidence française au sortir de la pause estivale.
Mon sentiment, même s'il va un peu à l'encontre de ce que je lis et de ce que j'entends, c'est que le déroulement de cette Présidence est à la fois sérieux et méthodique, serein mais volontariste. J'y insiste devant vous, même s'il est évident que d'autres événements trouvent un écho important dans l'actualité européenne et viennent parfois un peu occulter le déroulement de nos travaux : je pense naturellement à la flambée des cours du pétrole, face à laquelle les ministres de l'Economie et des Finances du G7 ont répondu de façon vigoureuse, et aux fluctuations du cours de l'euro, par rapport auxquelles il y a maintenant une réaction internationale des banques centrales.
Ce que je veux donc vous dire aujourd'hui, c'est qu'il est certes encore trop tôt pour faire un bilan à mi-parcours de notre Présidence. Il faut attendre pour cela que le Conseil européen de Biarritz se soit tenu. Mais, pour moi qui ai eu à travailler effectivement avec sept présidences européennes tournantes avant la nôtre, les choses se présentent assez bien, en tout cas beaucoup mieux qu'on ne le dit parfois.
Et je dis cela en ayant naturellement à l'esprit que, comme vous le savez, l'agenda de la Présidence française est particulièrement chargé et que, comme le Premier ministre l'avait indiqué à l'Assemblée nationale, le 9 mai dernier, notre attention se porte tout autant sur les dossiers sociaux ou "sociétaux" que nous avons ouverts et qui intéressent de près les citoyens européens, que sur les grands dossiers politiques - la réforme des institutions, l'élargissement de l'Union, la Défense européenne.
1. Quelques mots sur la Défense, pour commencer. Je crois pouvoir dire sans me tromper que c'est le domaine dans lequel les travaux connaissent les progrès les plus rapides et les plus visibles. Comme vous le savez - je vous l'avais d'ailleurs indiqué ici même - les ministres de la Défense des Quinze se sont retrouvés à Ecouen vendredi dernier pour faire le point sur les travaux qui ont été engagés à Helsinki, et la Présidence française organisera, le 20 novembre prochain, une Conférence d'engagement de capacités.
Mais je crois pouvoir dire, dès à présent, comme Alain Richard, que le travail a très bien progressé, et que les résultats que nous aurons à Nice seront franchement substantiels (sans qu'il soit donc nécessaire qu'un rapport d'étape soit fait à l'occasion du Conseil européen de Biarritz).
2. J'évoque d'ailleurs cette réunion informelle du Conseil européen, les 13 et 14 octobre prochain, à Biarritz. Elle constitue désormais notre horizon pour l'examen d'un certain nombre de dossiers importants. Biarritz sera en effet un Sommet important par son contenu, non pas par l'ampleur de son menu, non pas parce que des conclusions y seront adoptées - ce sera, et c'est un choix délibéré, une réunion informelle -, mais parce qu'il s'agira de la première rencontre des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur les grands dossiers politiques de notre Présidence.
Premier dossier : la Charte européenne des droits fondamentaux. Si tout se passe bien dans les jours qui viennent - je pense à la réunion, qui se tient aujourd'hui et demain - de la "Convention" - le texte qui sera soumis au Conseil européen sera, et je le dis avec beaucoup de clarté, un très bon texte.
Je veux insister sur la qualité des travaux qui ont été accomplis depuis juin dernier. Il est vrai qu'à cette date, nous avions encore des interrogations sur le contenu, et nous avions émis de fortes réserves sur le risque que les droits économiques, sociaux, voire culturels soient ramenés à la portion congrue.
J'invite donc à présent chacun à regarder de près la nouvelle version de ce texte, qui non seulement donne satisfaction sur les points que je viens d'évoquer, - elle inclut maintenant des droits économiques, sociaux, culturels, de la personne - mais qui est, à mon sens, un très bon texte, à la fois parce qu'il est court, donc lisible par tous, mais aussi parce que son contenu est riche et équilibré.
Je mentionne néanmoins une ultime difficulté, qui porte sur le projet de référence, dans le préambule de ce texte, à l'héritage "religieux" de la construction européenne. Les autorités françaises ont fait valoir auprès du président de la Convention, Roman Herzog, leur totale opposition à cet amendement qui nous pose de multiples problèmes philosophiques - nous vivons dans une Europe de la diversité, culturelle et des opinions - des problèmes politiques - nous sommes une république, je le rappelle, laïque - et des problèmes également, puisqu'on voit mal comment on pourrait introduire dans notre propre constitution un héritage religieux qui n'y a jamais figurer, alors même qu'il est dit explicitement que la Convention doit s'inspirer des traditions constitutionnelles nationales. Or, rien de tel n'existe dans notre constitution.
J'espère donc que cette ultime difficulté sera réglée cette semaine, de sorte que l'adoption de cette Charte par les Chefs d'Etat et de gouvernement pourra constituer un moment très important du Conseil européen de Biarritz. Nous souhaitons rester le plus possible prêt du texte de la convention. Il serait dommage que le maintien de cette référence, qui nous paraît malheureux, oblige à rouvrir tout le paquet. Vous savez en effet l'importance que nous attachons à ce texte, qui consacrera les valeurs politiques, philosophiques, sociales mais aussi culturelles sur lesquelles se fonde l'Union européenne, et auxquelles nous sommes profondément attachés.
Deuxième dossier pour Biarritz : la réforme des institutions de l'Union.
Il s'agira, sur ce sujet, de la première rencontre des Chefs d'Etat et de gouvernement, depuis Amsterdam, en 1997. Je crois cette prise de contact nécessaire, d'autant que les travaux qui ont été engagés, à marche forcée, depuis le début de notre Présidence, semblent commencer, je le dis avec prudence mais aussi avec conviction, à entrer dans le vif du sujet. C'est en tout cas ce que nous pouvons espérer après les discussions qui se sont tenues à Bruxelles lundi dernier.
Je reviendrai, si vous le souhaitez, dans le détail de ces travaux. Ce que je veux souligner à présent, c'est que, sur les quatre points fondamentaux qui ont été retenus, et que vous connaissez, deux font à présent l'objet de discussions intensives - le champ du vote à la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. La négociation sur la composition de la Commission et sur la repondération des voix est beaucoup plus difficile, pour des raisons évidentes, parce qu'on touche là au poids des nations et au rapport entre les nations et l'Europe. Mais sur tous ces sujets, on commence à en parler sans tabou.
Nous ne sommes certes pas encore dans le coeur de la négociation - chacun sait bien ici que sur des questions aussi importantes que celles-ci, la négociation ne se nouera complètement qu'à Nice - mais je pense que les progrès qui ont été réalisés constituent une bonne base de discussion pour Biarritz.
Nous pouvons donc espérer - en tout cas la Présidence fait tout pour y parvenir - que nous irons au-delà de la longue litanie des positions nationales pour amorcer le travail de fond qui est plus que jamais nécessaire.
Enfin, troisième sujet dont parleront les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Biarritz : la situation économique internationale et notamment des problèmes énergétiques.
3. Quelques mots pour terminer cette présentation sélective de l'actualité :
- je vous rappelle d'abord le prochain séminaire des ministres de l'Education, que Jack Lang organisera à Paris, le 30 septembre prochain ; celui-ci devrait notamment donner le "coup de pouce" politique utile aux travaux qui ont été engagés depuis juillet. Ces travaux - je vous le rappelle - concernent la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs en Europe : c'est un dossier fondamental pour notre Présidence, parce qu'il est l'une des clés de la compétitivité scientifique, technique et industrielle de l'Europe de demain ;
- j'appelle ensuite votre attention sur l'important débat sur les services publics que nous aurons à Bruxelles, le 28 septembre, dans le cadre du Conseil Marché intérieur/Consommation, que je présiderai avec Marilyse Lebranchu.
Vous savez qu'il s'agit, pour notre pays et pour l'Europe, d'un aspect très important, pour lequel le gouvernement français s'était battu lors de la négociation finale du Traité d'Amsterdam. La Commission présentera, à l'occasion de ce débat, une révision de sa communication de 1996 sur les services publics. Nous essaierons de voir comment concilier le fonctionnement du marché unique avec le droit des Etats membres à organiser et gérer des services publics en vue d'assurer le maintien de la cohésion sociale et territoriale.
- Un mot encore sur les autres réunions du Conseil au cours des jours à venir, qui témoignent de l'intensité de l'activité de cette rentrée de septembre :
- le Conseil des ministres de la Culture, demain, où Catherine Tasca essaiera d'avancer sur le montant du programme MEDIA Plus ;
- le Conseil Justice et Affaires intérieures, le 28 septembre, sous la présidence d'Elisabeth Guigou et de Daniel Vaillant, et dont l'ordre du jour comporte plusieurs questions très importantes : la lutte contre le blanchiment d'argent, mais aussi la question des visas avec la Roumanie et la Bulgarie, sur laquelle nous essayons encore de progresser ; enfin, la mise en place d'Eurojust, qui est aussi l'une des priorités de notre Présidence ;
- je signale par ailleurs le Conseil des ministres de l'Economie et des Finances, précédé d'une réunion de l'Euro-groupe, le 29 septembre ;
- j'insiste enfin sur le Conseil des ministres des Transports, le 2 octobre : après sa session spéciale du 20 septembre, qui a permis un vrai débat politique entre les Etats membres après la crise des carburants qu'avaient traversé la plupart d'entre eux, Jean-Claude Gayssot donnera la priorité à l'approfondissement des travaux du Conseil concernant notamment la sécurité des transports maritimes et l'harmonisation sociale dans les transports routiers.
J'en ai terminé avec cette présentation volontairement sélective de l'actualité communautaire. Je ne veux pas vous lasser davantage mais je veux néanmoins vous rappeler la prochaine session plénière du Parlement européen, du 2 au 6 octobre prochain, à Strasbourg, qui sera l'occasion de débats politiques très importants sur la préparation du Conseil européen de Biarritz et la CIG, la Charte des droits fondamentaux et l'état des négociations avec les pays candidats à l'élargissement ; Nicole PERY animera aussi, au nom de la Présidence, un débat sur l'égalité des chances et la parité entre hommes et femmes.
* * *
Q - Sur la Charte, en dehors de la réserve que vous avez émise sur le paragraphe concernant les religions, y a-t-il d'autres problèmes posés par d'autres pays, ou toutes les difficultés sont-elles à peu près levées ?
R - C'est extrêmement difficile à savoir puisque, la méthode d'élaboration de cette affaire n'est pas intergouvernementale. C'est au sein de la Convention que les choses se déroulent. En plus, les méthodes de décision de la Convention font appel au consensus. Elles sont extrêmement particulières : on fait circuler un texte et on considère que l'on s'arrête au moment où il n'a plus d'opposition ; on ne vote pas. Il est donc extrêmement difficile de dire quelles sont exactement les réserves des autres. Ce que je constate, si vous voulez, c'est que la cause des droits sociaux a beaucoup progressé, y compris le droit de grève, qui n'est plus contesté par la Grande-Bretagne. Je constate aussi que la mise en place de droits culturels est également reconnue, bref, que sur ce chantier des droits économiques, socio-culturels, on a fortement progressé, sans parvenir encore, pour ce qui nous concerne, à un point qui correspondrait exactement à ce que seraient nos voeux et nos attentes, ni, d'ailleurs, sans parvenir exactement à ce que souhaiteraient un certain nombre de partenaires sociaux. Je rencontrais la semaine dernière M. Gabaglio, le Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats. Il y a encore, de ce côté, des demandes qui pourraient être satisfaites. Mais il n'y a rien dans la Charte aujourd'hui qui suscite de notre part un motif de refus. Je considère au contraire que cette charte, telle qu'elle se présente dans les versions 47 ou 48, est un document de qualité, qui est percutant, clair, lisible, qui est un texte fort. Je serais donc tout prêt à accepter sa valeur. Mais, cette question religieuse, on l'aura compris, est pour nous une question absolument incontournable. J'ai dit que les autorités françaises s'étaient exprimées. Elles l'ont fait. Je veux parler au nom du gouvernement. Je sais ce que Lionel Jospin a dit à M. Herzog : il lui a dit que le gouvernement français ne pourrait pas signer une charte qui comprendrait la mention de cet héritage religieux. C'est donc un point tout à fait nodal à ce stade de la conclusion de cette affaire.
Q - Ma question porte sur un point que vous n'avez pas abordé, le référendum danois. Si le "non" l'emporte, comme on peut le craindre, quelles seraient les conséquences juridiques et politiques ?
R - Ecoutez, nous verrons, je ne fais pas de politique fiction. Je souhaite que le "oui" l'emporte. Vous verrez la réaction que nous aurons dans un cas comme dans l'autre.
Q - Vous avez un "Kriegspiel" dans les deux cas tout de même
R - Comme toujours, nous sommes préparés à réagir à deux types de situation, mais je ne veux pas faire comme si nous étions déjà résignés à ce que le "non" l'emporte. Nous espérons que le "oui" l'emporte, ce serait une bonne nouvelle pour l'euro et pour l'Europe. Ce qui ne signifie pas que le "non" serait forcément une catastrophe pour l'Europe et pour l'euro.
Q - Quels sont les obstacles majeurs à propos de l'héritage religieux ?
A propos de la Serbie et de la Yougoslavie, quel sera le planning de l'Union européenne si l'opposition a gagné ?
R - Sur la Serbie, j'aurais la même réflexion que pour le Danemark. Nous sommes en train d'attendre les résultats, et là encore, bien des situations peuvent survenir. D'abord, les résultats peuvent ne pas être les mêmes à l'élection législative et à l'élection présidentielle. Ensuite, M. Milosevic peut ou peut ne pas reconnaître une défaite. Dans un cas comme dans l'autre, on tombe sur des scénarios qui sont très différents. Nous sommes à quelques heures de la décision. Attendons un peu.
Quant à l'héritage religieux, je voudrais simplement souligner, peut-être une dernière fois, ce que cela représente pour nous. Les fondements de la République française reposent sur des valeurs. Egalité, liberté, fraternité. Cette République, qui est maintenant plus que bicentenaire, est une république laïque, qui considère donc que l'obligation de neutralité s'étend lorsqu'il s'agit de tel type de problèmes. Il n'y a dans notre constitution aucune référence d'aucune sorte à un héritage religieux. Nous considérons donc que cette mention est contraire à l'esprit laïc de nos institutions et va bien au-delà de nos traditions constitutionnelles qu'elle obligerait à modifier. Or, je crois que nous ne sommes pas aujourd'hui sur le point de rouvrir le débat sur le point de savoir si la France est la fille aînée de l'Eglise, ou si elle est profondément une nation laïque. Je redis donc, pour que ce soit extrêmement clair, que de notre côté, il y a des problèmes politique, philosophiques, constitutionnels qui sont extrêmement majeurs. C'est une chose extrêmement simple. Nous ne pouvons pas signer un tel texte. Je ne parle pas au nom du gouvernement. Nous ne pouvons pas signer un tel texte. Nous ne signerons pas un tel texte, mais on trouvera, j'en suis sûr, une transaction. Cette transaction pourrait être, par exemple, c'est ce qu'a suggéré M. Braibant, notre représentant à la Convention, qu'on mentionne un héritage spirituel. Evidemment les consciences ont leur place en Europe, de toutes sortes.
Q - Est-ce que cela ne risque pas de relancer une bagarre entre deux camps, les démocrates-chrétiens et les socialistes ?
R - Je ne sais pas qui aurait lancé la bagarre.
Q - (...) L'héritage religieux existe, qu'on soit pour, qu'on soit contre ou qu'on soit mécréant. L'héritage spirituel, par rapport à la laïcité, c'est peut-être plus profond que de dire il y a eu un héritage religieux, à condition que l'on réaffirme dans le texte le caractère laïque de ce que doit être la charte.
R - On va rentrer dans les vastes débats sur la laïcité qui sont des débats anciens. On peut avoir plusieurs débats sur la laïcité : la laïcité des libres penseurs, qui est l'absence de référence à toute conception, quelle qu'elle soit, d'essence de ce type-là, ou bien une laïcité ouverte, qui considère qu'il faut respecter la diversité des opinions et des convictions. De ce point de vue-là, l'adjectif "spirituel" ne nous gène pas. Très honnêtement, nous considérons que la mention du spirituel ou du religieux dans la Charte n'est pas indispensable, en aucune façon. Je pense néanmoins qu'il vaut mieux "spirituel" que "religieux", puisque le religieux est connoté différemment. Il se réfère à Dieu et pas à n'importe quel dieu, puisqu'un précédant texte mentionnait l'héritage judéo-chrétien. L'arrière-pensée est bien celle-là. Vous mentionniez le rapport de force entre les démocrates-chrétiens et les socialistes, mettons entre les chrétiens et ceux qui ne le sont pas, ce serait plus juste. Je ne suis pas certain qu'il n'y ait que des socialistes qui souhaitent qu'on en revienne à la laïcité. Je ne mettrais pas forcément le président de la République, qui je pense partage ce point de vue, parmi les socialistes.
Q - Pourriez-vous nous indiquer deux ou trois points qui coincent dans la CIG ? A ma connaissance le ministre des Affaires étrangères danois a plus ou moins menacé d'opposer son veto sur les questions majoritaires dans les domaines fiscaux et sociaux, lors des dernières réunions à Bruxelles.
R - Sur la majorité qualifiée, on travaille maintenant sérieusement. On a commencé d'avancer dans le détail des questions et on arrive maintenant chaque jour à faire passer davantage de questions à la majorité qualifiée. Mais nous savons tous qu'il y a cinq grands ordres de questions qui sont en débat. D'abord, effectivement, la majorité qualifiée en matière fiscale, sur laquelle un certain nombre de pays, je pense à la Grande-Bretagne mais aussi à d'autres, ont manifesté qu'il s'agissait d'un point clé lié à la souveraineté nationale et à la souveraineté des Parlements. Il y a les questions sociales, sur lesquelles nous avons eu le même type de remarque. Il y a les questions liées aux visas, à l'asile et à l'immigration, pour lesquelles vous savez qu'on doit décider au bout de cinq ans si elles passent ou non à la majorité qualifiée. Moi qui ai été le ministre, avec Elisabeth Guigou, qui a eu à piloter la discussion parlementaire sur la ratification du Traité d'Amsterdam, je sais que notre Parlement n'est pas favorable à une anticipation de cela. Là, c'est nous qui avons objectivement un problème. Il y a les problèmes de discrimination et enfin ceux de politique commerciale extérieure, sur lesquels la France, mais d'autres également, estiment que ce sont des problèmes qui réclament le consensus pour avoir une position extérieure de l'Union européenne. Ce sont les points durs. Il est clair que, là-dessus, nous n'avons pas encore trouvé de solution, mais je constate que les uns et les autres, y compris nous-mêmes, cherchons des compromis. Tout le monde doit être dans cet état d'esprit-là, car il est très important, c'est même sans doute le point majeur de la CIG, qu'on sorte de Nice avec beaucoup, beaucoup plus de décisions prises à la majorité qualifiée, y compris dans les sujets majeurs.
Q - Quelle est votre position sur cet article de Tony Blair et de Göran Person, paru il y a quelques jours dans le Financial Times, où ces deux hommes politiques veulent stimuler l'élargissement ?
R - Je ne fais pas commentaires sur les articles de Premiers ministres de pays amis. Je dirai simplement ce qui est la position française. Stimuler l'élargissement, oui. Nous sommes des chauds partisans de l'élargissement. Nous pensons que l'élargissement est beaucoup plus qu'une priorité pour la Présidence française, que c'est réellement la toile de fond de l'ensemble de notre action, que c'est notre projet historique, que c'est la question la plus importante qui se pose aux Européens dans les décennies qui viennent. Mais si, sous couvert de l'élargissement, on souhaite affaiblir l'Europe communautaire, alors je ne suis pas d'accord. Je pense qu'il est très important de combiner, c'est la problématique de l'Union européenne depuis le début, son élargissement avec le maintien de la méthode communautaire. Je crains que certains, encore une fois je ne parle pas de MM. Blair et Person, aient tendance à considérer que l'élargissement doit être fait le plus vite possible, sans restriction, sans condition, parce qu'au fond, on a peut-être envie de limiter ou d'affaiblir ce qui constitue les politiques communes. Nous, nous n'avons pas exactement cette attitude, nous souhaitons réussir et maîtriser l'élargissement, et donc faire en sorte que cet élargissement se déroule, tout en conservant une logique forte aux politiques communautaires. Encore une fois, ce n'est pas une réponse à l'article que vous citez, bien sûr.
Q - Pour revenir au référendum danois, dans le cas d'un "non", cela donnerait-il politiquement un argument en plus pour les coopérations renforcées ?
R - Encore une fois, je ne commenterai pas le "non" danois avant le référendum danois. Je veux laisser les Danois voter. L'expérience montre qu'il faut éviter de commenter les référendums avant qu'ils aient lieu.
Q - Pour revenir à la situation de M. Haider et de la levée des sanctions, quel a été le suivi des discussions pour effectuer le contrôle du parti de Jörg Haider et les consultations pour instituer un mécanisme de surveillance permanente ?
R - Pour ce qui est de la vigilance, elle doit être constante en fonction de l'événement, donc on ne va pas mettre en place un mécanisme stricto sensu. Pour ce qui est de la surveillance ou de la prévention telle qu'elle doit s'exercer dans le traité, j'ai commencé la semaine dernière, lors de la réunion ministérielle de la CIG, à demander aux uns et autres ce qu'ils pensaient d'un renforcement de l'article 7 dans le cadre du traité. Cela a été un premier tour de table. Nous allons y revenir lors de la prochaine réunion ministérielle qui se tiendra le 8 octobre. Il faut que les uns et les autres disent ce qu'ils en pensent. Vous savez qu'il y sur la table deux propositions, une belge et une autrichienne pour ce qui est des délégations nationales, et une proposition de la Commission. Nous sommes ouverts, je le dis clairement, et le contraire, d'ailleurs, aurait surpris.
Q - Notamment à ce qu'il y ait un commissaire aux Droits de l'Homme ?
R - Attendons de voir. Nous voulons jouer notre rôle d'honnête courtier, et voir un peu ce que sont les positions des uns et des autres. A titre personnel, je ne suis pas certain que cette réforme soit indispensable, mais, si elle venait... Mon avis personnel n'est pas enthousiaste. Mais pas non plus férocement opposé.
Q - Concernant à nouveau la réforme institutionnelle, nous avez évoqué les quatre points fondamentaux, dont deux sont abordés. Qu'en est-il des autres ?
R - Non, tous sont abordés. Je disais simplement qu'il y en avait deux qui me semblaient avancer un peu plus vite que les deux autres : la majorité qualifiée et les coopérations renforcées. Sur la majorité qualifiée et sur la pondération des voix, encore une fois parce qu'on touche au rapport des forces politiques, les choses sont évidemment plus complexes, et je dirais même plus bloquées à ce stade, encore que sur la Commission, on a commencé à avoir un débat qui ressemblait à quelque chose. Heureusement, certains pays ne continuent pas à défendre la position absurde, qu'on aurait à la fois une Commission nombreuse et non hiérarchisée. C'est fromage ou dessert. Le minimum est quand même qu'on ait davantage de hiérarchie dans la Commission.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2000)