Texte intégral
H. Lauret-. Bonjour J. Barrot.
- "Bonjour."
Q- Le rouge est mis, hein, l'actualité est chinoise à Paris.
R- "C'est une belle couleur le rouge."
Q- Une belle couleur, la Tour Eiffel, notamment, c'est vrai. M. Jintao aujourd'hui prononce un discours à la tribune de l'Assemblée nationale. C'est tout de même un adoubement spectaculaire au moment où la Chine, c'est vrai, est une puissance économique majeure, et tout le monde n'apprécie pas à l'Assemblée nationale, J. Lang par exemple, qui vous rappelle qui invoque la pression chinoise au Tibet, qui invoque les droits de l'homme Vous n'avez pas de cas de conscience, vous, J. Barrot ?
R - "Mais j'ai notamment un de nos parlementaires qui préside le groupe d'amitié avec le Tibet. Il a à mon avis pris la bonne attitude, il sera dans l'hémicycle, mais à la sortie, évidemment"
Q- Hervé Mariton ?
R- "Non, c'est Lionel Luca... mais à la sortie il va demander à J.-L. Debré, le Président de l'Assemblée nationale, de lui permettre de remettre une requête au Président chinois. Je crois qu'il faut maintenant s'habituer, dans le monde d'aujourd'hui, avec la mondialisation, à avoir des relations qui soient vraies mais directes. On ne peut pas jouer dans son coin avec des pancartes. Bon, il peut y avoir des manifestations mais il faut que ces manifestations soient relayées par une parole directe, de puissance à puissance. Nous devons dans ce domaine jouer notre rôle. Il ne s'agit pas que la France, en effet, ferme les yeux sur les droits de l'homme, mais elle le dit dans un discours qui est global, qui permet de dire aussi : nous reconnaissons que la Chine est un grand pays avec lequel il faut compter désormais."
Q- Oui, mais ça c'est de la Realpolitik, parce qu'il y a des centrales nucléaires, il y a des Airbus
R- "C'est de la réal politique qui n'exclut pas la protestation morale mais qui l'inclut dans un dialogue de puissance à puissance sans complexe."
Q-Vous n'êtes pas tout de même étonné que l'on puisse aller jusqu'à demander la levée de l'embargo européen sur les armes à destination de la Chine ?
R- "Un certain nombre d'experts font remarquer que déjà la Chine a accès à des nouveaux process comme Galileo et qu'effectivement il s'agit d'être aussi réaliste. Pour autant, je crois en effet que les 15 ont voulu encore se concerter avant de prendre cette décision. C'est bien, il faut de la prudence, de la vigilance et il faut aussi du réalisme. Il ne s'agit pas non plus de camper sur des positions idéologiques et qui n'auraient aucun sens avec ce qui se passe dans les faits. Donc il faut là aussi montrer aux Chinois que nous sommes très vigilants et que nous voyons bien les choses mais qu'en même temps nous n'avons pas d'a priori. "
Q- Juste un petit mot, J. Barrot, vous êtes allé, vous, à Davos. On n'a pas eu beaucoup de grands dirigeants politiques français à Davos. Pourquoi, ça ne se fait pas, ce n'est pas bien Davos ?
R- "Je crois que l'opinion française a encore sur Davos un regard qui n'est pas tout à fait conforme à la réalité. Qu'est-ce que c'est Davos, maintenant ? Ce n'est pas uniquement quelques hommes d'affaires américains avec une présence, toute puissance, de l'imperium américain. C'est en fait une véritable plate-forme où cette année, notamment les Asiatiques, Chinois et Indiens étaient en force. Il y avait aussi des Africains. Il y a des gens de toutes les origines, y compris ceux qui étaient là pour faire promouvoir les fonds éthiques. Donc je pense que l'Europe mériterait une présence plus active, plus forte à Davos, j'en suis convaincu."
Q-La France, particulièrement, non ?
R- "Et la France, bien sûr, aussi."
Q- En tout cas, pour rester en France, F. Fillon a donné le coup d'envoi des consultations pour la loi sur l'emploi que veut le Président de la République. Résultat de cette initiative : tous les ex partenaires de la gauche plurielle, J. Barrot, se ressoudent, ils vous attaquent en règle ; ils vous disent, grosso modo : stop ! halte au démantèlement du système social, halte au démantèlement tout court, halte à la régression, Fabius en tête. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
R- "Je réponds d'abord que c'est absurde parce que c'est faux, n'est-ce pas, quand, par exemple, on caricature ce contrat de mission dont le rapport Virville parle uniquement pour certaines tâches qui exigent une main d'uvre très qualifiée et qu'il vaut mieux traiter par des contrats de mission que par une sous-traitance."
Q- Ce que l'on appelle le super CDD.
R- " mais oui, mais c'est en plus, le rapport Virville prend toutes les précautions : encadré dans un accord de branches, pour un certain nombre de missions qui exigent, encore une fois, un travail très qualifié et qu'il vaut mieux traiter les travailleurs qualifiés ainsi que par des contrats de sous-traitance. Bon. Mais, passons, moi je veux aller au fond des choses. Je ne comprends pas et j'interpelle un peu un L. Fabius : qu'est-ce que c'est que cette idée d'une opposition frontale dans un pays qui doit s'adapter et pour lequel il est nécessaire à un moment donné que majorité et opposition puissent faire quelques pas ensemble quand il s'agit d'adapter ce pays, de sauver sa Sécurité sociale."
Q- Pas sur le social.
R- "Qu'est-ce que c'est que ce slogan de privatisation de Sécurité sociale ? Qu'est-ce que c'est que ce slogan sur la précarisation de la politique de l'emploi au moment où nous le savons, un certain nombre d'adaptations sont nécessaires, tous les experts de gauche et de droite Je vais vous dire, en prônant cette opposition frontale, les socialistes vont à coup sûr faciliter encore la montée des extrêmes et notamment de l'extrême gauche dans ce pays."
Q-Ah ben dites donc, vous n'y allez pas de main morte.
R- "Je n'y vais pas de main morte parce que c'est tout mon attachement au dialogue républicain qui est en cause. J'ai toujours été, quand j'étais en fonction gouvernementale, soucieux des droits de l'opposition, soucieux de nouer un dialogue, parce que nous n'avons pas la vérité absolue, ni les uns ni les autres. Mais cette idée d'une opposition frontale quotidienne, où ça conduit ? Ca conduit à replier les Français sur leurs peurs. On leur fait peur, on leur fait peur, on leur dit que l'adversaire va leur enlever tous leurs acquis sociaux, détruire le modèle social français, alors que précisément, quels que soient les désaccords sur les méthodes et les moyens employés, il s'agit simplement d'adapter pour mieux consolider ce modèle social à la française."
Q- Oui, mais J. Barrot, vous leur déniez le droit de critique de l'opposition.
R- "Ce que je dénie c'est cette opposition qualifiée de frontale. Qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui dans une société qui est plongée dans la mondialisation, où les uns et les autres, Français de gauche, Français de droite, nous devons chercher ensemble les meilleurs chemins pour sauver notre modèle social. Qu'est-ce que ça veut dire ? Un choc frontal, quotidien ? Est-ce que c'est comme ça que nous ferons évoluer ce pays ? Non. Ce n'est pas un dialogue sans concession de part et d'autre mais ce n'est sûrement pas par le choc frontal."
Q-J. Barrot, il y a au moins quelque chose qui n'a pas dû vous rassurer, de ce point de vue-là, c'est que ce Haut comité qui a travaillé par exemple sur la réforme de l'assurance maladie. Manifestement, ça s'est très bien passé avec la gauche, avec les syndicats avec les syndicats, et le diagnostic est clair pour tout le monde. Est-ce qu'il n'y a pas matière, là, sur un sujet aussi sérieux, aussi grave, disent certains - vous avez été ministre de la Santé, vous connaissez le sujet parfaitement - est-ce qu'il n'y a pas matière, là, à faire quelque chose de consensuel ?
R- "Mais bien sûr que si. Sans aller chercher vraiment du consensuel pour le consensuel, il y a sûrement la possibilité de prendre de la part des uns et des autres, un certain nombre de propositions et le Haut Conseil pour l'assurance maladie vient bien de montrer dans ses travaux, qu'il y avait un dialogue possible entre toutes les parties en présence, qu'il s'agisse des professionnels soignants, qu'il s'agisse des syndicats. J'ajoute que je suis d'autant plus étonné de voir L. Fabius prendre cette direction, que même sur le projet de loi sur l'emploi, les syndicats acceptent, heureusement d'ailleurs"
Q- Pas le super CDD tout de même.
R- "... de dialoguer avec le Gouvernement. Dans une démocratie, il ne faut refuser aucun dialogue. Sur l'assurance maladie, c'est une tâche très difficile, à laquelle sont d'ailleurs confrontés les autres pays européens. On doit pouvoir sauver le meilleur du système, en demandant un peu à tous les acteurs de se montrer plus responsables. Ce n'est pas impossible."
Q-Oui, mais J. Barrot, ce n'est pas impossible, ça fait dix ans que l'on connaît le diagnostic et puis on n'a pas trouvé la méthode. C'est quoi la méthode ? Vous, par exemple, vous dites : réformons par ordonnance.
R- "On n'a pas trouvé la méthode parce que, quand on a essayé des méthodes - vous permettrez, puisque j'ai rédigé avec A . Juppé les ordonnances de 96 - de dire que malheureusement nous n'avons pas pris le temps d'appliquer tous les moyens, d'utiliser tous les moyens que ces ordonnances avaient donnés. Les agences régionales d'hospitalisation, certes, commencent maintenant à jouer leur rôle, mais on aurait pu activer beaucoup plus leur action et ainsi de suite. Mais la France est un peu capricieuse et dès lors qu'une réforme est engagée, elle ne va pas jusqu'au bout et c'est un peu de ça que l'assurance maladie a souffert. Alors, gageons maintenant que cette réforme à venir sera une réforme qui sera appliquée pendant plusieurs années pour arriver, progressivement, à donner à l'assurance maladie sa vitesse de croisière, raisonnable et suffisamment généreuse pour continuer à assurer les Français comme ils le sont."
Q-J. Barrot, il faut oui ou non s'attaquer à la dérive de la dépense de santé ? Il faut oui ou non réformer l'hôpital ? Il faut oui ou non réformer la médecine de ville ? Est-ce qu'il faut dérembourser, est-ce qu'il faut augmenter la CSG ?
R- "Il faut d'abord mieux gérer le système. Pour mieux gérer il faut que tout le monde, tous les acteurs sachent bien quels sont leurs rôles, parce qu'effectivement, aujourd'hui, il y a des chevauchements. Regardez la liaison hôpital/médecine de ville, elle n'est pas satisfaisante. Vous n'allez pas aux urgences quand le généraliste peut lui-même vous soigner. Vous avez aussi une errance médicale qu'il faut dénoncer, qui n'apporte rien de plus aux soins et qui coûte cher. Et puis vous avez à réfléchir sur une meilleure complémentarité de l'assurance maladie obligatoire et des assurances complémentaires. Il faut en quelques sortes à un certain moment que pour le maintien en santé, c'est-à-dire pour tout ce qui contribue à nous maintenir en santé sans qu'il y ait des soins très lourds, il y ait une véritable cogestion entre l'Assurance maladie et les complémentaires. Et enfin, si vraiment il le faut, pour boucler le dispositif, il faudra demander un petit effort supplémentaire, mais cet effort supplémentaire, ne peut être demandé qu'après avoir mis de l'ordre."
Q-Qu'après préalablement avoir mis de l'ordre.
R- "Eh, oui."
Q- Un autre brûlot, J. Barrot, c'est évidemment le projet de loi sur la laïcité. On a encore entendu une surprenante cacophonie, la semaine dernière, au Gouvernement. Est-ce que la promotion d'Aïssa Dermouche, par exemple, malgré les mérites de l'intéressé qui ne sont pas contestables, est-ce qu'elle n'a pas été perçue comme une affaire purement politique alors que ce sont les origines de M. Dermouche qui ont manifestement influé sur sa promotion au rang de préfet. Or le Haut conseil de l'intégration, qui a remis ce rapport hier, dit exactement le contraire. Il dit qu'il faut encourager le mérite et pas la promotion ethnique.
R- "Bien sûr qu'il faut rester fidèle au principe républicain du mérite, le mérite avant tout. Mais il faut aussi que cet ascenseur social individuel soit un petit peu, comment dirais-je, relayé par un dispositif plus large dans certains quartiers qui sont un peu encore des ghettos. Autrement dit, si"
Q- Faire l'un et l'autre alors.
R - "Il faut faire l'un et l'autre. C'est vrai que le principe républicain c'est la promotion individuelle et il faut reconnaître qu'il y a des groupes qui aujourd'hui souffrent encore de ne pas avoir tout à fait accès à tous ces ascenseurs individuels et il faut donc les aider de manière un peu spécifique. Alors moi je ne rentre pas dans ces problèmes de sémantique, ce que je dis simplement c'est que, après la loi que nous allons voter sur les signes ostensibles religieux, il faudra que nous nous engagions sur un vaste effort d'intégration, disons d'égalité des chances ou de lutte contre les ségrégations. D'ailleurs, la semaine prochaine, tout de suite après le vote, nous aurons le jeudi un débat - c'est l'UMP, c'est mon groupe, c'est moi-même qui le proposons - sur toutes les suites à donner à ce signal que nous tenons contre les intégrismes et qui doit déboucher dans un effort encore une fois de lutte contre toutes les discriminations, vraiment à la mesure des problèmes."
Merci J. Barrot.
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2004)
- "Bonjour."
Q- Le rouge est mis, hein, l'actualité est chinoise à Paris.
R- "C'est une belle couleur le rouge."
Q- Une belle couleur, la Tour Eiffel, notamment, c'est vrai. M. Jintao aujourd'hui prononce un discours à la tribune de l'Assemblée nationale. C'est tout de même un adoubement spectaculaire au moment où la Chine, c'est vrai, est une puissance économique majeure, et tout le monde n'apprécie pas à l'Assemblée nationale, J. Lang par exemple, qui vous rappelle qui invoque la pression chinoise au Tibet, qui invoque les droits de l'homme Vous n'avez pas de cas de conscience, vous, J. Barrot ?
R - "Mais j'ai notamment un de nos parlementaires qui préside le groupe d'amitié avec le Tibet. Il a à mon avis pris la bonne attitude, il sera dans l'hémicycle, mais à la sortie, évidemment"
Q- Hervé Mariton ?
R- "Non, c'est Lionel Luca... mais à la sortie il va demander à J.-L. Debré, le Président de l'Assemblée nationale, de lui permettre de remettre une requête au Président chinois. Je crois qu'il faut maintenant s'habituer, dans le monde d'aujourd'hui, avec la mondialisation, à avoir des relations qui soient vraies mais directes. On ne peut pas jouer dans son coin avec des pancartes. Bon, il peut y avoir des manifestations mais il faut que ces manifestations soient relayées par une parole directe, de puissance à puissance. Nous devons dans ce domaine jouer notre rôle. Il ne s'agit pas que la France, en effet, ferme les yeux sur les droits de l'homme, mais elle le dit dans un discours qui est global, qui permet de dire aussi : nous reconnaissons que la Chine est un grand pays avec lequel il faut compter désormais."
Q- Oui, mais ça c'est de la Realpolitik, parce qu'il y a des centrales nucléaires, il y a des Airbus
R- "C'est de la réal politique qui n'exclut pas la protestation morale mais qui l'inclut dans un dialogue de puissance à puissance sans complexe."
Q-Vous n'êtes pas tout de même étonné que l'on puisse aller jusqu'à demander la levée de l'embargo européen sur les armes à destination de la Chine ?
R- "Un certain nombre d'experts font remarquer que déjà la Chine a accès à des nouveaux process comme Galileo et qu'effectivement il s'agit d'être aussi réaliste. Pour autant, je crois en effet que les 15 ont voulu encore se concerter avant de prendre cette décision. C'est bien, il faut de la prudence, de la vigilance et il faut aussi du réalisme. Il ne s'agit pas non plus de camper sur des positions idéologiques et qui n'auraient aucun sens avec ce qui se passe dans les faits. Donc il faut là aussi montrer aux Chinois que nous sommes très vigilants et que nous voyons bien les choses mais qu'en même temps nous n'avons pas d'a priori. "
Q- Juste un petit mot, J. Barrot, vous êtes allé, vous, à Davos. On n'a pas eu beaucoup de grands dirigeants politiques français à Davos. Pourquoi, ça ne se fait pas, ce n'est pas bien Davos ?
R- "Je crois que l'opinion française a encore sur Davos un regard qui n'est pas tout à fait conforme à la réalité. Qu'est-ce que c'est Davos, maintenant ? Ce n'est pas uniquement quelques hommes d'affaires américains avec une présence, toute puissance, de l'imperium américain. C'est en fait une véritable plate-forme où cette année, notamment les Asiatiques, Chinois et Indiens étaient en force. Il y avait aussi des Africains. Il y a des gens de toutes les origines, y compris ceux qui étaient là pour faire promouvoir les fonds éthiques. Donc je pense que l'Europe mériterait une présence plus active, plus forte à Davos, j'en suis convaincu."
Q-La France, particulièrement, non ?
R- "Et la France, bien sûr, aussi."
Q- En tout cas, pour rester en France, F. Fillon a donné le coup d'envoi des consultations pour la loi sur l'emploi que veut le Président de la République. Résultat de cette initiative : tous les ex partenaires de la gauche plurielle, J. Barrot, se ressoudent, ils vous attaquent en règle ; ils vous disent, grosso modo : stop ! halte au démantèlement du système social, halte au démantèlement tout court, halte à la régression, Fabius en tête. Qu'est-ce que vous leur répondez ?
R- "Je réponds d'abord que c'est absurde parce que c'est faux, n'est-ce pas, quand, par exemple, on caricature ce contrat de mission dont le rapport Virville parle uniquement pour certaines tâches qui exigent une main d'uvre très qualifiée et qu'il vaut mieux traiter par des contrats de mission que par une sous-traitance."
Q- Ce que l'on appelle le super CDD.
R- " mais oui, mais c'est en plus, le rapport Virville prend toutes les précautions : encadré dans un accord de branches, pour un certain nombre de missions qui exigent, encore une fois, un travail très qualifié et qu'il vaut mieux traiter les travailleurs qualifiés ainsi que par des contrats de sous-traitance. Bon. Mais, passons, moi je veux aller au fond des choses. Je ne comprends pas et j'interpelle un peu un L. Fabius : qu'est-ce que c'est que cette idée d'une opposition frontale dans un pays qui doit s'adapter et pour lequel il est nécessaire à un moment donné que majorité et opposition puissent faire quelques pas ensemble quand il s'agit d'adapter ce pays, de sauver sa Sécurité sociale."
Q- Pas sur le social.
R- "Qu'est-ce que c'est que ce slogan de privatisation de Sécurité sociale ? Qu'est-ce que c'est que ce slogan sur la précarisation de la politique de l'emploi au moment où nous le savons, un certain nombre d'adaptations sont nécessaires, tous les experts de gauche et de droite Je vais vous dire, en prônant cette opposition frontale, les socialistes vont à coup sûr faciliter encore la montée des extrêmes et notamment de l'extrême gauche dans ce pays."
Q-Ah ben dites donc, vous n'y allez pas de main morte.
R- "Je n'y vais pas de main morte parce que c'est tout mon attachement au dialogue républicain qui est en cause. J'ai toujours été, quand j'étais en fonction gouvernementale, soucieux des droits de l'opposition, soucieux de nouer un dialogue, parce que nous n'avons pas la vérité absolue, ni les uns ni les autres. Mais cette idée d'une opposition frontale quotidienne, où ça conduit ? Ca conduit à replier les Français sur leurs peurs. On leur fait peur, on leur fait peur, on leur dit que l'adversaire va leur enlever tous leurs acquis sociaux, détruire le modèle social français, alors que précisément, quels que soient les désaccords sur les méthodes et les moyens employés, il s'agit simplement d'adapter pour mieux consolider ce modèle social à la française."
Q- Oui, mais J. Barrot, vous leur déniez le droit de critique de l'opposition.
R- "Ce que je dénie c'est cette opposition qualifiée de frontale. Qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui dans une société qui est plongée dans la mondialisation, où les uns et les autres, Français de gauche, Français de droite, nous devons chercher ensemble les meilleurs chemins pour sauver notre modèle social. Qu'est-ce que ça veut dire ? Un choc frontal, quotidien ? Est-ce que c'est comme ça que nous ferons évoluer ce pays ? Non. Ce n'est pas un dialogue sans concession de part et d'autre mais ce n'est sûrement pas par le choc frontal."
Q-J. Barrot, il y a au moins quelque chose qui n'a pas dû vous rassurer, de ce point de vue-là, c'est que ce Haut comité qui a travaillé par exemple sur la réforme de l'assurance maladie. Manifestement, ça s'est très bien passé avec la gauche, avec les syndicats avec les syndicats, et le diagnostic est clair pour tout le monde. Est-ce qu'il n'y a pas matière, là, sur un sujet aussi sérieux, aussi grave, disent certains - vous avez été ministre de la Santé, vous connaissez le sujet parfaitement - est-ce qu'il n'y a pas matière, là, à faire quelque chose de consensuel ?
R- "Mais bien sûr que si. Sans aller chercher vraiment du consensuel pour le consensuel, il y a sûrement la possibilité de prendre de la part des uns et des autres, un certain nombre de propositions et le Haut Conseil pour l'assurance maladie vient bien de montrer dans ses travaux, qu'il y avait un dialogue possible entre toutes les parties en présence, qu'il s'agisse des professionnels soignants, qu'il s'agisse des syndicats. J'ajoute que je suis d'autant plus étonné de voir L. Fabius prendre cette direction, que même sur le projet de loi sur l'emploi, les syndicats acceptent, heureusement d'ailleurs"
Q- Pas le super CDD tout de même.
R- "... de dialoguer avec le Gouvernement. Dans une démocratie, il ne faut refuser aucun dialogue. Sur l'assurance maladie, c'est une tâche très difficile, à laquelle sont d'ailleurs confrontés les autres pays européens. On doit pouvoir sauver le meilleur du système, en demandant un peu à tous les acteurs de se montrer plus responsables. Ce n'est pas impossible."
Q-Oui, mais J. Barrot, ce n'est pas impossible, ça fait dix ans que l'on connaît le diagnostic et puis on n'a pas trouvé la méthode. C'est quoi la méthode ? Vous, par exemple, vous dites : réformons par ordonnance.
R- "On n'a pas trouvé la méthode parce que, quand on a essayé des méthodes - vous permettrez, puisque j'ai rédigé avec A . Juppé les ordonnances de 96 - de dire que malheureusement nous n'avons pas pris le temps d'appliquer tous les moyens, d'utiliser tous les moyens que ces ordonnances avaient donnés. Les agences régionales d'hospitalisation, certes, commencent maintenant à jouer leur rôle, mais on aurait pu activer beaucoup plus leur action et ainsi de suite. Mais la France est un peu capricieuse et dès lors qu'une réforme est engagée, elle ne va pas jusqu'au bout et c'est un peu de ça que l'assurance maladie a souffert. Alors, gageons maintenant que cette réforme à venir sera une réforme qui sera appliquée pendant plusieurs années pour arriver, progressivement, à donner à l'assurance maladie sa vitesse de croisière, raisonnable et suffisamment généreuse pour continuer à assurer les Français comme ils le sont."
Q-J. Barrot, il faut oui ou non s'attaquer à la dérive de la dépense de santé ? Il faut oui ou non réformer l'hôpital ? Il faut oui ou non réformer la médecine de ville ? Est-ce qu'il faut dérembourser, est-ce qu'il faut augmenter la CSG ?
R- "Il faut d'abord mieux gérer le système. Pour mieux gérer il faut que tout le monde, tous les acteurs sachent bien quels sont leurs rôles, parce qu'effectivement, aujourd'hui, il y a des chevauchements. Regardez la liaison hôpital/médecine de ville, elle n'est pas satisfaisante. Vous n'allez pas aux urgences quand le généraliste peut lui-même vous soigner. Vous avez aussi une errance médicale qu'il faut dénoncer, qui n'apporte rien de plus aux soins et qui coûte cher. Et puis vous avez à réfléchir sur une meilleure complémentarité de l'assurance maladie obligatoire et des assurances complémentaires. Il faut en quelques sortes à un certain moment que pour le maintien en santé, c'est-à-dire pour tout ce qui contribue à nous maintenir en santé sans qu'il y ait des soins très lourds, il y ait une véritable cogestion entre l'Assurance maladie et les complémentaires. Et enfin, si vraiment il le faut, pour boucler le dispositif, il faudra demander un petit effort supplémentaire, mais cet effort supplémentaire, ne peut être demandé qu'après avoir mis de l'ordre."
Q-Qu'après préalablement avoir mis de l'ordre.
R- "Eh, oui."
Q- Un autre brûlot, J. Barrot, c'est évidemment le projet de loi sur la laïcité. On a encore entendu une surprenante cacophonie, la semaine dernière, au Gouvernement. Est-ce que la promotion d'Aïssa Dermouche, par exemple, malgré les mérites de l'intéressé qui ne sont pas contestables, est-ce qu'elle n'a pas été perçue comme une affaire purement politique alors que ce sont les origines de M. Dermouche qui ont manifestement influé sur sa promotion au rang de préfet. Or le Haut conseil de l'intégration, qui a remis ce rapport hier, dit exactement le contraire. Il dit qu'il faut encourager le mérite et pas la promotion ethnique.
R- "Bien sûr qu'il faut rester fidèle au principe républicain du mérite, le mérite avant tout. Mais il faut aussi que cet ascenseur social individuel soit un petit peu, comment dirais-je, relayé par un dispositif plus large dans certains quartiers qui sont un peu encore des ghettos. Autrement dit, si"
Q- Faire l'un et l'autre alors.
R - "Il faut faire l'un et l'autre. C'est vrai que le principe républicain c'est la promotion individuelle et il faut reconnaître qu'il y a des groupes qui aujourd'hui souffrent encore de ne pas avoir tout à fait accès à tous ces ascenseurs individuels et il faut donc les aider de manière un peu spécifique. Alors moi je ne rentre pas dans ces problèmes de sémantique, ce que je dis simplement c'est que, après la loi que nous allons voter sur les signes ostensibles religieux, il faudra que nous nous engagions sur un vaste effort d'intégration, disons d'égalité des chances ou de lutte contre les ségrégations. D'ailleurs, la semaine prochaine, tout de suite après le vote, nous aurons le jeudi un débat - c'est l'UMP, c'est mon groupe, c'est moi-même qui le proposons - sur toutes les suites à donner à ce signal que nous tenons contre les intégrismes et qui doit déboucher dans un effort encore une fois de lutte contre toutes les discriminations, vraiment à la mesure des problèmes."
Merci J. Barrot.
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 janvier 2004)