Déclaration de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, sur la lutte contre les pratiques discriminatoires et les missions de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, à l'Assemblée nationale le 5 octobre 2004.

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Circonstance : Première lecture du projet de loi relatif à la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité à l'Assemblée nationale le 5 octobre 2004

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
I- Je suis très heureux de vous présenter, au nom du gouvernement, ce projet de loi relatif à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations.
Il s'agit pour notre pays d'une étape fondamentale.
Ce projet de loi n'est pas l'affaire de quelques-uns qu'ils soient spécialistes, membres d'une minorité, réelle ou supposée, ou militants.
" Nous sommes... tous concernés ".
C'est ce que rappelait avec force Bernard STASI, chargé d'une mission de préfiguration d'une autorité indépendante de lutte contre les discriminations, dans le rapport qu'il a remis au Premier ministre en février dernier : " chacun est susceptible, à un moment ou à un autre, de son existence, d'être victime de pratiques discriminatoires non sanctionnées, par exemple pour l'accès à l'emploi, au logement ou aux loisirs, en raison de son sexe, de son origine ethnique, de ses convictions politiques ou religieuses, de son appartenance syndicale, de son handicap, de son état de santé, de son âge ou de son orientation sexuelle ".
II- Qu'en est-il dans notre communauté nationale ? L'éthique de l'hospitalité qui est au cur de notre contrat social est-elle vivace ? Et l'égalité, inscrite avec la liberté et la fraternité au fronton de nos bâtiments communs ?
Les pratiques discriminatoires, bien qu'illégales, sont extrêmement répandues, parfois socialement admises. Comme ces pratiques sont souvent souterraines, insidieuses, généralement indirectes, rarement écrites, leur ampleur est difficile à apprécier. Elles se manifestent dans tous les domaines : l'emploi, le logement, les loisirs, la représentation politique. Certaines procèdent de l'incurie, de l'ignorance ; d'autres, plus graves, sont de nature idéologique.
N'en évoquons que quelques-unes.
Un million de personnes souffrant d'un handicap éprouvent des difficultés à se loger correctement à cause de l'inadaptation architecturale - sans compter avec la quasi-impossibilité pour des personnes qui sont ou ont été malades d'obtenir un prêt. Bien souvent, elles ne peuvent accéder, malgré de grands efforts, à une activité professionnelle. Et que de cas d'enfants tenus à l'écart d'une scolarité normale quand celle-ci aurait pourtant pu être organisée.
Vous le savez, le projet de loi relatif aux personnes handicapées prévoit que, dans toute la mesure du possible, ces personnes doivent trouver leur place à l'école, dans les transports, au travail. Encore faut-il que cette détermination ne bute pas sur des freins ou des réticences qui ne seraient pas pleinement justifiés.
Dans le monde du travail, les discriminations en raison de l'origine prennent une ampleur aujourd'hui dramatique pour notre cohésion sociale. Ces discriminations sont anciennes, mais, jusqu'à ces dernières années, elles concernaient surtout le déroulement de la carrière, les immigrés ayant été embauchés dans les entreprises pour pallier des déficits de main d'uvre. Mais l'arrivée sur le marché du travail d'une nouvelle génération, les fils et filles de migrants, le plus souvent nés en France et formés par l'école française, a montré les difficultés d'insertion professionnelle des jeunes d'origine étrangère. Différentes enquêtes sociologiques ont mis à jour les pratiques discriminatoires d'un certain nombre d'employeurs, quelle que soit la qualification de ces jeunes.
Tous, vous avez eu connaissance d'inégalités en matière d'emploi et de déroulement de carrière subies par les femmes ou les travailleurs âgés.
Relevons encore qu'en quinze ans, les actes racistes enregistrés sont passés de 189 à 817 chaque année ; que 10 % des faits homophobes seraient accompagnés d'agressions physiques.
Ces faits sont attristants et alarmants. Effectivement, l'égalité de traitement est insuffisamment respectée.
III- On ne peut pas rester les bras croisés devant le racisme, le harcèlement sexuel, l'oppression des femmes, les brutalités familiales ou l'homophobie. Ces maladies humaines existent, elles relèvent de la politique et il faut les combattre.
Les discriminations créent l'exclusion et entretiennent le ressentiment de beaucoup de nos concitoyens. Elles minent la cohésion sociale.
C'est pourquoi le Président de la République a souhaité, dès le début de son mandat, que la France se dote d'une autorité indépendante chargée de lutter contre toutes les formes de discriminations, à l'instar de celles qui existent chez plusieurs de nos partenaires. La Grande-Bretagne a créé trois organismes compétents en matière d'égalité hommes-femmes, d'égalité raciale et de droits des personnes handicapées. La Belgique dispose, depuis plus de dix ans, du Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme. Au Québec, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse fonctionne depuis 1975. Des organismes collégiaux indépendants chargés de la lutte contre les discriminations existent encore en Irlande, aux Pays-Bas, en Suède.
En créant l'Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, le projet de loi qui vous est soumis comble donc une lacune importante.
Il est vrai que notre législation pénale contre les discriminations, notamment le racisme et l'antisémitisme, est l'une des plus répressives et des plus complètes. Qu'il s'agisse d'actes (agressions, dégradations) ou de paroles, les textes sont adaptés. La volonté politique de les appliquer avec la plus grande rigueur est claire. Les propos très fermes du Président de la République au Chambon-sur-Lignon servent à cet égard de guide : tout acte doit recevoir une réponse pénale.
En revanche, nous n'étions absolument pas armés pour la recherche de solutions non contentieuses, pour favoriser la médiation, la promotion de l'égalité de traitement et de la diversité.
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous avons réaffirmé la laïcité, nous avons refondé notre politique d'intégration, nous avons lancé un très ambitieux plan de cohésion sociale, nous redéfinissons notre approche du handicap, nous cherchons à surmonter les difficultés concrètes que rencontrent encore les femmes, nous combattons le racisme et l'antisémitisme.
Nous avons affermi notre pacte républicain. Mais comme l'a dit avec force le Président de la République dans son discours de Troyes, le 14 octobre 2002, le refus des communautarismes ne se conçoit pas sans une lutte contre les discriminations.
IV- J'en viens, rapidement, à la présentation des dispositions du projet de loi.
Elles reprennent, pour l'essentiel, les préconisations du rapport de M. STASI, qui a été précédé d'une très large concertation. Ce sont en effet plus de 140 associations et personnalités qualifiées qui ont été auditionnées.
1° La Haute autorité est compétente pour lutter contre les discriminations de toute nature prohibées par la loi ou un engagement international. Elle pourra aussi recommander toute modification, notamment législative, pour que soient appréhendées des discriminations aujourd'hui non sanctionnées par le droit positif...
2° Pour faire reculer les pratiques discriminatoires de tous ordres, la HALDE reçoit deux types de missions :
a- Première mission, le traitement des réclamations individuelles dont elle sera directement saisie par les victimes ou dont elle décidera de se saisir, dans le respect des prérogatives de la justice. Bien que le projet renvoie à un décret en Conseil d'Etat pour fixer les conditions de la saisine, je vous indique d'ores et déjà qu'elle sera directe et écrite. Toutes les saisines seront enregistrées et à chacune une réponse sera apportée.
Je vous indique également que le groupe d'études et de lutte contre les discriminations (GIP/GELD) qui, lui aussi, n'avait pour objet que les discriminations raciales, disparaîtra à compter de la création de la Haute Autorité. Le gouvernement vous proposera un amendement permettant l'intégration du personnel du GELD dans la Haute Autorité.
b- Deuxième mission, la promotion de l'égalité par des actions de communication et d'information, des travaux d'études et de recherches, la reconnaissance des bonnes pratiques professionnelles.
Sur ce dernier point, je note avec satisfaction que de grandes entreprises privées comme Peugeot ou des sociétés publiques comme France Télévision se sont engagées dans cette voie pour prendre en compte les inégalités de traitement des femmes ou des jeunes des quartiers sensibles, par exemple.
Au titre de cette mission, la Haute Autorité pourra notamment être chargée de labelliser les chartes de la diversité dont le plan de cohésion sociale promeut le développement.
3° La HALDE dispose de moyens importants : des pouvoirs d'enquête, de signalement aux autorités investies du pouvoir disciplinaire et au parquet, un rôle de médiation, le pouvoir de rendre publics ses avis et recommandations.
Pour établir la réalité des faits portés à sa connaissance, la Haute autorité peut demander des explications à toute personne privée mise en cause devant elle, se faire communiquer par elle tous documents et procéder à des vérifications sur place. Tous les organismes chargés d'une mission de service public sont tenus d'autoriser les agents placés sous leur autorité à répondre à toute demande de la Haute Autorité. A défaut, les uns et les autres peuvent faire l'objet d'une mise en demeure et la Haute Autorité peut demander au juge des référés d'ordonner toute mesure d'instruction.
Le gouvernement a souhaité que les pouvoirs de la Haute Autorité soient ainsi complémentaires de ceux de la justice pénale, civile ou administrative et de ceux des autorités investies du pouvoir disciplinaire. Il a veillé à ce que ce projet de loi ne dessaisisse les pouvoirs publics constitutionnels d'aucune de leur prérogative et de leur responsabilité.
La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité peut aussi favoriser la résolution amiable des différends et formuler des recommandations tendant à remédier à toute pratique discriminatoire ou à en prévenir le renouvellement. Elle peut ainsi procéder elle-même ou faire procéder à des médiations après avoir recueilli l'accord des personnes en cause. Je pense ici tout particulièrement au Médiateur de la République, avec lequel, lorsque le règlement intérieur de l'Autorité sera établi, une convention devrait être passée lorsque la discrimination intervient dans le champ des relations entre les citoyens et l'administration.
Enfin, l'Autorité pourra être invitée à présenter des observations devant les juridictions saisies de faits relatifs à des discriminations.
Certains d'entre vous auront noté que le rapport de M. STASI envisageait, mais avec une extrême prudence, la possibilité pour la Haute autorité de se constituer partie civile. Cette proposition n'a pas été retenue par le gouvernement. En effet, nombre d'associations que nous avons consultées ont indiqué que la principale difficulté rencontrée aujourd'hui est celle de la preuve de la discrimination, ce à quoi s'emploiera la Haute autorité. En revanche, ces mêmes associations se portent sans difficulté partie civile à l'occasion de contentieux sur les discriminations. Aussi aurait-il été excessif d'ouvrir à la Haute Autorité la voie du prétoire.
Enfin, la Haute Autorité peut recommander toute modification législative ou réglementaire et elle remet chaque année un rapport au Président de la République. Sur ce sujet auquel désormais, et c'est heureux, nos concitoyens sont particulièrement sensibles, le droit positif évoluera donc, si c'est nécessaire, à partir d'un éclairage très concret.
4° L'organisation de la HALDE, enfin, garantit son indépendance, la qualité de son articulation avec la justice et la participation de la société civile.
Composée d'un collège de onze membres, nommés par les premières personnalités de l'Etat, la HALDE pourra aussi créer auprès d'elle des organismes consultatifs permettant d'associer à ses travaux des personnalités qualifiées.
Le Gouvernement n'a pas souhaité organiser trop précisément le fonctionnement de la Haute autorité. C'est au collège de l'Autorité qu'il reviendra de définir son organisation, en créant, par exemple, des délégués territoriaux, notamment dans les DOM.
Les moyens financiers et humains dont elle dispose sont gages de son autonomie. Dès 2005, 10,7 M d'euros lui seront affectés par différents ministères dont le mien.
5° Pour conclure, je vous indique que notre projet de loi achève de transposer en droit interne la directive européenne n° 2000/43 du 20 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique.
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Cette réforme s'inscrit dans un ensemble cohérent conforme aux engagements pris par la majorité devant les Français. A côté des exigences liées à l'ordre public et à l'autorité de l'Etat, nous assumons pleinement l'impératif de cohésion sociale.
Cela suppose le respect de l'autre et l'égalité entre tous sur notre territoire.
Nous ne touchons pas là seulement à un grand principe de notre droit, mais bien à la vie quotidienne des Français et des étrangers résidant dans notre pays.
Cette réalité de l'inégalité de traitement ne doit pas être sous-estimée.
Cette réalité de la discrimination est vécue comme blessante, et je pense tout particulièrement aux handicapés, également aux femmes victimes de sexisme, aux jeunes ou moins jeunes subissant le racisme, ou encore à l'homophobie.
Notre projet de loi est une occasion symbolique forte, par delà les clivages politiques, de montrer notre détermination à lutter contre les préjugés. Il donne un sens concret à l'égalité, inscrite au frontispice de notre charte commune : celui de laisser à chacun la possibilité de concevoir pour soi-même le projet d'une vie réussie.
Je crois aussi que la HALDE permettra de déminer les inquiétudes ; qu'elle nous prémunira d'un excès délétère de mauvaise conscience, puisqu'il lui reviendra, en toute indépendance, d'établir la substance des faits et d'organiser autant que possible une réparation non contentieuse.
J'attends donc beaucoup de ce débat parlementaire qui sera un moment fort pour signifier l'engagement de la Nation en faveur de l'affermissement de la cohésion sociale.
Je vous remercie.
(Source http://www.cohesionsociale.gouv.fr, le 3 décembre 2004)