Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, à France Info le 6 octobre et à RTL le 27 octobre 2004, sur la création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité et les dispositions du projet de loi de cohésion sociale.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - France Info - RTL

Texte intégral

France Info
Le 6 octobre 2004
Q- Vous êtes ministre de la Cohésion sociale. L'Assemblée nationale a commencé à débattre de votre loi créant une Haute autorité de lutte contre les discriminations. Honnêtement...
R- Et pour l'Egalité.
Q- Et pour l'Egalité... Et, honnêtement, vous pensez vraiment que c'est la panacée à ce type de problèmes ?
R- Vous dire que l'outil - la Haute autorité indépendante, qui pourrait être saisie par tout concitoyen français victime d'une discrimination quelle qu'elle soit, liée à l'opinion politique, religieuse, à un handicap -, bref dire que cela va régler les problèmes de la société française, évidemment pas. Simplement, toutes les grandes démocraties se dotent d'une Haute autorité indépendante. Le fond de cette affaire, c'est quoi ? C'est que lorsque vous êtes victime d'une discrimination, il est extrêmement difficile d'établir les faits, parce que c'est insidieux, parce que c'est compliqué, parce que... saisir la justice c'est difficile. Alors, vous avez des associations qui sont extrêmement mobilisées depuis de nombreuses années dans ces domaines-là, mais elles-mêmes n'ont pas les outils pour pouvoir assister et aider à la détermination de ces faits. Donc, cette haute autorité, indépendante, qui va avoir des pouvoirs d'investigation, est là pour les aider.
Q- Justement, quels pouvoirs aura-t-elle précisément, cette Haute autorité ?
R- Cette Haute autorité pourra entendre, recevoir, aller voir, se faire communiquer tout élément, y compris de la part de personnes privées. A partir du moment où elle a ça, elle peut faire des recommandations privées et ou publiques, faire une médiation, le communiquer à la justice ou au Parquet, instance judiciaire ou pénal qui détermine... Actuellement, on a les lois pour le réprimer, mais on n'a pas les éléments qui permettent d'établir les faits. C'est rééquilibrer, au profit de la personne victime, faire un rééquilibrage de capacité. C'est cela le fond de cette autorité. C'est un pas en avant, c'est une avancée majeure. Cette Haute autorité va s'organiser, elle va être présidée par un collège de onze membres, elle va s'organiser, elle va avoir des délégués territoriaux, elle va avoir un certain nombre de moyens...
Q- Justement, sur cette composition de onze membres - pardon de vous couper - il y a des critiques qui sont émises de la part des associations. Sur onze membres, huit seront nommés par le pouvoir politique. Certains milieux associatifs regrettent d'être un peu considérés comme étant un peu à l'écart ?
R- Il est normal que dans un Etat de droit, ce soit les représentants des assemblées, le Chef de l'Etat par ailleurs responsable de la magistrature, qui nomment les dirigeants ou le collège - c'est collégial, je rappelle - d'une telle instance. Les associations, qui sont cruciales dans cette affaires, absolument cruciales, sont dans des organismes consultatifs. Ils ne peuvent pas être à la fois les passionnés, ceux qui défendent les gens, et être en même temps dans l'instance indépendante de régulation. On voit bien que cela les gênerait elles-mêmes. Mais je vais vous dire une chose, on va le mettre en place, là. Mais si, par extraordinaire, il fallait évoluer, car on a un grand pays qui est capable ... Regardez, on démarre une instance, on la met en place, l'Assemblée et le Sénat, je l'espère, vont le voter extrêmement vite, et on est capable, si sur tel ou tel point, il fallait évoluer, la faire évoluer. C'est quand même, cette instance indépendante, une avancée tout à fait majeure.
Q- Vous disiez que cela allait être voté par l'Assemblée. Vous imaginiez peut-être que vous alliez faire l'unanimité autour de vous. Or, le PS a décidé de s'abstenir. Vous le regrettez ?
R- Oui. On en a parlé hier soir. Je trouve que, franchement, qu'on critique tel ou tel point, qu'on dise "on aurait faire comme plutôt que comme ça, un peu plus, un peu moins", mais franchement, sur un sujet comme cela, ne pas saluer cette avancée, cette Haute autorité qui est réclamée, demandée par tous depuis si longtemps, je dois dire que je trouve cela un peu décevant. Cela dit, ils ne votent pas contre. On est quand même sur des sujets où tout le monde se retrouve. Mais il est évident que quel que soit l'outil mis, en fonction des passions des uns et des autres, le rêve que chacun peut en avoir est forcément un peu différent. En tous les cas, c'est une avancée. Cela fait dix ou quinze ans qu'on attendait cette Haute autorité indépendante. La France est un pays qui souffre de discriminations, il n'y a pas de doute là-dessus, mais c'est souvent, vous savez, de la discrimination un peu insidieuse, un peu pernicieuse, difficile à déceler et à détecter. Quand même aussi une bonne nouvelle : on voit bien que ce pays bouge. On voit, depuis un mois et demi, des grandes entreprises signer des chartes de la diversité, c'est-à-dire une organisation interne telle qu'il ne puisse plus y avoir de discriminations à l'embauche, qui est un sujet majeur.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 octobre 2004)
RTL
le 27/10/04
Jean-Michel APHATIE : Bonjour Jean-Louis Borloo. Le Sénat examine à partir d'aujourd'hui votre projet de loi sur la Cohésion Sociale, où figurent des mesures pour l'emploi, le logement, l'égalité des chances Et ce n'est pas l'enthousiasme Jean-Louis Borloo: "le nom des dispositifs d'aides changent, mais c'est la même chose", dit Louis de Brossia dans Le Figaro de ce matin, c'est un sénateur UMP. Et un autre sénateur dit: "ça, c'est un texte fourre-tout". Ca ne va pas vous mettre de bonne humeur Jean-Louis Borloo.
Jean-Louis BORLOO : Eh bien ça me rend de très bonne humeur parce que imaginez-vous que ce n'est pas exactement pour un journaliste du Figaro que j'ai écrit et qu'on a fait ce texte.
Q - Mais là ce sont des sénateurs UMP qui sont cités vous savez, c'est pas le journaliste du Figaro.
R - On choisit qui on veut. Soyons, si vous voulez bien, sérieux.
Q - Sérieux ? C'est-à-dire ?
R - De quoi s'agit-il ? Il s'agit de réconcilier les Français qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas. Il s'agit de faire un énorme plan de rattrapage social. La situation de ce pays n'est pas digne d'une démocratie moderne. Comme ça, un chiffre qui a changé vous voyez, en moins de quinze ans on avait un peu moins de 400.000 personnes au RMI, on en a 1.200.000 aujourd'hui qui n'en sortent pas. On a près de 400.000 personnes à l'ASS, ce joli mot de solidarité, c'est-à-dire en gros un RMI de plus, et on a à peu près autant de jeunes qui n'ont pas d'activité, qui ne sont pas dans les statistiques du chômage français. En gros, on a deux millions de chômeurs, dits de niveau un. Et ce sont ceux-là en plus qui sont dans des logements insalubres, indécents, qui ne peuvent pas en changer quand ils ont trois enfants de plus, tout d'un coup. Ce sont les mêmes qui sont dans des écoles qui connaissent d'énormes difficultés. Et la vocation de ce plan, c'est de tirer les leçons de l'expérience. En quoi le RMI, qui était une bonne idée il y a quinze ans, n'est plus une bonne idée aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on fait sur le logement ? Que fait-on pour les écoles ? Alors c'est un plan à la fois très pratique, qui engage des sommes importantes. C'est un plan qui est fait sur cinq ans. C'est un plan qui est fait avec les partenaires, et imaginez-vous que le 1% qui gère les logements sociaux, on signe la convention dès ce matin.
Q - Quand on entend un ministre parler de "rattrapage social", deux ans et demi après que le gouvernement Raffarin soit en action, ça sonne aussi comme une critique Jean-Louis Borloo.
R - Non, parce que c'est 25 ans ! Excusez-moi, c'est pas en deux ans que le RMI est passé de 380.000 à un million deux cents, avec personne qui en sort. Je vais vous dire Monsieur, la politique c'est prendre des décisions en sachant très bien que les effets, pratiquement vous n'en profitez pas.
Q - Mais vous êtes à mi-quinquennat aujourd'hui, pourquoi les prendre maintenant, pourquoi n'ont-elles pas été prises un an, deux ans plus tôt ?
R - Et voilà.
Q - Pourquoi ? Vous le savez ?
R - ... Et si mon oncle en avait, on appellerait ma tante...
Q - ... il parait, oui...
R - Et pourquoi depuis vingt-cinq ans on n'a pas fait ces choses-là ? Ce n'est pas très important ça, ce qui est important c'est...
Q... de commencer maintenant...
R - ... de commencer... la publicité juste avant qu'on parle, c'était quoi ? Le contrat de professionnalisation qu'on a lancé la semaine dernière pour 200.000 personnes. C'est les mêmes contrats de professionnalisation qu'on va développer pour les jeunes. Alors je dis à ceux qui n'ont pas de travail aujourd'hui: allez à l'ANPE, demandez les contrats de professionnalisation pour être électricien, pour être peintre, pour être carrossier, ou pour faire tout autre métier.
Q - Personne ne doute de votre bonne volonté Jean-Louis Borloo, mais beaucoup doutent que vous aurez les moyens de votre volonté. 13 milliards, dites-vous pendant cinq ans. Mais pour l'instant, vous avez 1 milliard pour l'année prochaine et c'est tout. Qu'est-ce que vous répondez aux sceptiques ?
R - Ce pays est absolument extravagant ! Le plan, c'est trois milliards d'euros, par an. Évidemment que la première année, vous savez quand vous lancez un plan, pas la peine d'avoir trois milliards, je n'en ai pas besoin. J'ai demandé ce dont j'avais besoin. Et je n'ai eu aucun débat avec Bercy pour ce plan. Il est prioritaire. Maintenant les mêmes sceptiques qui m'expliquaient à cette même radio il y a deux ans, que quand je disais qu'il fallait faire un plan Marshall des banlieues, de 25 ou 30 milliards, tout le monde me riait au nez. Tout le monde me disait: mais ça fait vingt ans qu'on entend parler de ce plan Marshall des banlieues, on ne l'a toujours pas fait ! Non on ne l'avait pas fait. A cette heure-ci là, à l'heure à laquelle je vous parle, vous savez combien on a injecté en travaux cette année ? En constructions de maisons.
Q - ... dans les banlieues...
R - ... en services publics...
Q - Non allez-y...
R - Six milliards cette année ! Et non seulement le plan de 30 milliards va être fait, mais on est obligé de monter, on va monter à 40 milliards. Excusez-moi, on s'était juste trompé de 10 milliards. On n'avait prévu assez. Et ça fonctionne.
Q - Et les 13 milliards en cinq ans pour le plan de cohésion sociale, on les aura ?
R - Mais évidemment, ils sont dans une loi de programmation qui est le plus grand engagement possible dans une démocratie !
Q - Mais vous savez, les lois de programmation militaire nous l'ont montré, que l'Etat ne respecte jamais ces lois de programmation. Vous le savez Monsieur Borloo.
R - Mais vous avez tort Monsieur Aphatie.
Q - Ah bon ? Il faut en parler aux militaires.
R - La loi de programmation militaire est respectée. Et je vais vous dire, vous savez quelle est la grande différence ?
Q - Non.
R - Elle est énorme. C'est que la loi de programmation militaire elle est globale. Donc on peut toujours dire: on la fait globalement, mais on décale d'une année. Alors que si vous aviez lu le texte que je soumets, c'est ligne par ligne, et année après année, c'est-à-dire que le moindre dérapage, sur la moindre ligne, se verrait. Troisièmement: personne ne peut arrêter cette mécanique. Le contrat d'avenir, vous allez dire aux Français - le contrat d'avenir c'est pour les gens qui sont au RMI: ils vont avoir plus d'argent, ils vont travailler et ils vont être formés - vous allez dire: excusez-moi Monsieur le Maire, on n'a pas assez de sous, on ne fera pas de contrat d'avenir pour votre RMiste dans le quartier ? Il y a un homme politique qui va pouvoir dire ça ?
Q - Donc les promesses seront respectées.
R - Ce ne sont pas des promesses, c'est une programmation Monsieur.
Q - C'est un engagement.
R - Absolument.
Q - Il y a aussi dans votre projet de loi des mesures qui concernent les restructurations.
R - Oui.
Q - Le Médef voudrait que soit introduit un amendement disant que des licenciements pourraient être accordés "pour sauvegarder la compétitivité des entreprises". Quelle est votre position Jean-Louis Borloo ?
R - Est-ce que je peux d'abord en dire deux mots ?
Q - Rapidement parce qu'il nous reste quarante secondes. Ca va vite à la radio.
R - Il y a 240.000 licenciements économiques en France, entre 220 et 240.000 selon les années... 80 %... Vous savez comment ça se passait ? Je reçois la lettre, je rentre de vacances. Il y a un mois... deux mois de préavis, terminé. Ce plan-là prévoit: dialogue obligatoire, information obligatoire, et pour tous les Français huit mois de congé conversion, ou reclassement, pour me reformer, pour retrouver une activité. Dialogue, anticipation.
Q - Est-ce qu'on réintroduit la notion de compétitivité des entreprises ?
R - Non.
Q - Non. C'est clair.
R - C'est parfaitement clair. Mais ce n'est pas moi qui vote ce sont les sénateurs. Mais en ce qui me concerne, les choses sont claires.
Q - C'est non !
R - C'est non.
Q - Jean-Louis Borloo, un homme qui prend des engagements, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.

(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 27 octobre 2004)