Déclaration de Mme Nicole guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, sur la protection des victimes des sectes, à Paris le 25 juin 2004.

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Circonstance : Colloque organisé par la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et le CNB (Conseil national des Barreaux) sur "L'avocat face aux dérives sectaires"

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Député,
Mesdames et messieurs les avocats,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de me donner aujourd'hui la parole sur un sujet éminemment douloureux: celui de la sujétion sectaire.
Je voudrais, dans le cadre de cette introduction, me placer résolument du côté des victimes. C'est ma mission.
La MIVILUDES, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, rappelle dans son premier rapport la dangerosité de certains agissements sectaires. Ceux qui entraînent déstabilisation mentale, rupture avec l'environnement d'origine, notamment familial, abus de faiblesse résultant d'une sujétion physique ou psychologique, embrigadement des enfants ou enfermement de ces derniers dans des principes éducatifs désocialisants.
Je pense en effet particulièrement aux enfants, entraînés par leurs parents, et qui sont victimes de mouvements qui "prônent le retour à des modes de vie déstructurants et de nature à compromettre durablement leurs chances d'insertion dans le monde".
Il me semble essentiel de rappeler que le gouvernement s'est engagé, au-delà des clivages politiques, sur la voie du combat contre ces dérives.
L'arsenal juridique en place, je pense bien évidemment à la loi du 12 juin 2001, mais aussi à toute la législation répressive en matière d'atteinte aux personnes, à la santé, aux biens ou concernant les abus sexuels, nous permet d'agir judiciairement contre les auteurs des crimes ou délits perpétrés dans le cadre d'un groupement sectaire.
Permettez-moi en quelques mots de rappeler les deux dispositions emblématiques de la loi de 2001. Elles tendant l'une et l'autre à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Il s'agit d'une part de la dissolution civile de ces mouvements sous certaines conditions et, d'autre part, de l'amélioration du délit d'abus frauduleux de l'état de faiblesse.
A ce jour, diverses procédures ont été engagées sur le fondement de cette nouvelle incrimination. Certaines ont fait l'objet d'un classement sans suite; pour d'autres, une information judiciaire est en cours.
Il est donc prématuré de dégager des critères jurisprudentiels.
Cependant, le nouveau délit réprimé par l'article 223-15-2 du code pénal, permet d'appréhender diverses dérives, notamment: "l'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse, soit d'un mineur, soit d'une personne particulièrement vulnérable, () d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique, résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement ()".
La création d'un secrétariat d'État dédié à la cause des victimes, comme ma présence ici, parmi vous, témoignent également de la volonté résolue de l'État de mieux prendre en compte la situation des victimes, et bien évidemment de celles de dérives sectaires, pour reconnaître, établir et préserver durablement leurs droits.
Si ces victimes sont des victimes comme les autres, en ce sens qu'elles doivent avoir les même droits, il n'en reste pas moins qu'elles relèvent de pathologies délicates à traiter et qui nécessitent un entourage et des soins particuliers.
Il faut ainsi trouver une réponse spécifique qui soit adaptée aux victimes de sectes, qui ont souvent cette particularité de ne pas se considérer comme des victimes, car elles sont généralement consentantes.
Je sais, à cet égard, que le Ministère de la Santé avance dans sa réflexion concernant une prise en charge au sein des centres médico-psychologiques du service public, des personnes touchées par ces pratiques particulièrement déstructurantes.
Pour ma part, j'ai bien pris note des différentes propositions de la MIVILUDES, concernant notamment la possibilité pour les professionnels de santé de signaler à la Justice les personnes en état de faiblesse, et qui seraient l'objet de sujétion psychologique ou physique.
Cela impliquerait naturellement de créer une nouvelle possibilité de dérogation au secret médical, mais je crois, en dépit des difficultés ou des obstacles à lever, que ce serait un véritable service à rendre aux victimes qui, bien souvent, n'ont pas la force de faire elles-mêmes cette démarche.
La sensibilisation des professionnels qui sont en contact direct avec les personnes touchées est à cet égard particulièrement importante.
Professionnels du monde médical, bien évidemment, mais aussi professionnels du monde juridique et judiciaire: magistrats, gendarmes, policiers, notaires, huissiers ou avocats
Leur formation en la matière doit leur permettre de repérer l'existence d'une emprise sectaire et de subordonner conséquemment l'aide qu'ils peuvent être en mesure d'apporter.
On peut ainsi rappeler que des actions de formation sont entreprises par la MIVILUDES et par les départements ministériels, notamment le ministère de la Justice par le biais de l'École Nationale de la Magistraure. Six sessions annuelles, co-animées par le chargé de mission sectes de la Chancellerie et son homologue des Affaires Sociales, accueillent environ 140 participants : magistrats, personnels de la protection judiciaire de la jeunesse, de l'administration pénitentiaire, de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, de la Gendarmerie Nationale, de la Police, ainsi que des personnalités étrangères.
Parallèlement des sessions de formation déconcentrées sont organisées au sein de chaque parquet général.
Cette action doit se poursuivre et être complétée par une action de sensibilisation auprès des auxiliaires de justice.
L'appréhension par l'avocat de la problématique sectaire est nécessaire afin d'assurer au mieux la défense des intérêts de son client.
Il est ainsi notoirement insuffisant de dire qu'un responsable ou que le conjoint ou le parent est membre d'un mouvement sectaire. Il faut justifier des conséquences de cette appartenance au regard d'un certain nombre de considérations fondamentales. On pourra ainsi faire référence au danger pour l'enfant ou encore à l'état de sujétion du majeur qui a perdu son libre arbitre et qui n'est plus en mesure de donner son consentement.
Il faudra le faire, en tous cas, en respectant les principes garantis par la constitution, relatifs à la liberté de pensée et à la liberté de croyance.
Un travail conséquent est donc demandé à l'avocat face à cette problématique sectaire.
Je vois pour ma part en l'avocat, sur ce point précis, un partenaire de l'autorité judiciaire.
Il doit pouvoir bénéficier au même titre que les autres acteurs de la vie judiciaire d'une sensibilisation dans ce domaine, voire même d'une formation qui pourrait être organisée par les centres de formation professionnelle, avec le concours des partenaires administratifs concernés et de la MIVILUDES.
Ce colloque n'est que le premier, j'en suis persuadée, d'une longue série qui devrait être itinérante, pour que tous les avocats de France soient sensibilisés aux dérives et aux abus sectaires.
Je vous souhaite des débats constructifs et fructueux.
Soyez assurés que je me montrerai particulièrement attentive aux résultats de vos travaux.
Je vous remercie.

(Source http://www.justice.gouv.fr, le 28 juin 2004)