Texte intégral
(Déclaration à Paris le 2 janvier 2005) :
Le raz de marée qui s'est produit le 26 décembre sur tout le pourtour de l'Océan indien est sans précédent. Les dernières estimations font état de plus de 150.000 victimes et tout laisse à penser que ce bilan devrait malheureusement encore s'aggraver.
Face à cette catastrophe, les autorités françaises, sous la conduite du président de la République et du Premier ministre, se sont mobilisées sans délais et ont fourni un effort exceptionnel, à l'image du très large élan de solidarité que l'on observe de la part de toute la population française.
Une semaine après cette tragédie, je souhaite faire ici un état des lieux de l'action menée par notre pays sous la coordination du ministère des Affaires étrangères et en étroite concertation avec les administrations les plus directement concernées telles que les ministères de l'Intérieur, de la Défense, de la Justice, de la Santé publique, de l'Environnement ou encore des Transports.
Notre action s'est développée sur deux volets : l'assistance aux Français en difficulté et l'aide d'urgence aux populations locales frappées par cette catastrophe.
1 - Les secours apportés aux Français :
- La cellule de crise du ministère des Affaires étrangères fonctionne 24 heures sur 24 depuis le dimanche 26 décembre à 8h30. 360 fonctionnaires volontaires de tout grade y tournent en permanence pour répondre aux appels qui se montent actuellement à plus de 85.000, dont un certain nombre de courriels.
- Nos postes les plus concernés à l'étranger (Bangkok, Colombo, Djakarta) se sont également et immédiatement mobilisés. Ils ont été renforcés par une trentaine d'agents du ministère spécialisés dans les affaires consulaires, la protection des personnes et la gestion des crises.
- Nous avons envoyé, dès le premier jour, des équipes de secouristes provenant notamment de la sécurité civile, du Samu et de la Croix Rouge à la fois au Sri Lanka (96 personnes) et en Thaïlande (24 personnes). Nous avons très rapidement ajouté à ce premier envoi 7 équipes de spécialistes médicaux représentant plus d'une vingtaine de personnes, ainsi que de médecins légistes (au nombre de 19 en Thaïlande et 4 au Sri Lanka) pour procéder à l'identification des corps.
- Nous avons, par ailleurs, affrété en liaison avec le ministère de la Défense plusieurs avions pour procéder à la fois au retour des Français indemnes ou blessés (1 avion à Colombo et aux Maldives, 1 avion à Phuket et Bangkok) et également au rapatriement des premiers corps identifiés de victimes (1 avion à Bangkok). Dans le même temps, la Défense a mobilisé un avion patrouilleur pour aider les autorités thaïlandaises dans la recherche des corps et envoie sur place un hélicoptère pour appuyer ces recherches et faciliter les transports logistiques.
A l'heure actuelle, le bilan, en ce qui concerne les Français touchés par cette catastrophe, s'établit de la manière suivante : 22 décès et environ une centaine de disparus. Mais nous devons manier ces chiffres avec prudence car il reste encore plusieurs centaines de Français dont nous sommes sans nouvelles et pour lesquels le ministère des Affaires étrangères poursuit ses recherches en liaison étroite avec le ministère de l'Intérieur.
2 - Aide d'urgence humanitaire
La France a immédiatement mis en place une aide humanitaire bilatérale de près de 2 millions d'euros.
- Au Sri Lanka, un premier envoi de fret humanitaire de 36 tonnes a été acheminé par 4 vols successifs. Un nouveau fret de 15 tonnes partira ce soir avec des médicaments et du matériel médical ainsi que des équipements de potabilisation de l'eau. Les équipes de secouristes envoyées sur la zone pour porter secours à nos compatriotes travaillent également à l'assistance des populations locales ; elles sont par ailleurs chargées de la coordination de l'ensemble de l'aide européenne.
- Aux îles Maldives, une aide humanitaire ciblée sur les demandes des autorités locales a été acheminée pour un montant de 5 tonnes de fret.
- En Indonésie, une mission d'évaluation, composée de 5 personnes, est partie dès vendredi soir pour ce pays avec, là encore, la mission de coordonner l'assistance européenne. Sur la base des informations recueillies par elle, notre pays envoie dès aujourd'hui un "hôpital de campagne" comprenant 72 personnels de la sécurité civile et 24 tonnes de fret en vue d'une mise en place dans les délais les plus rapides au Nord de l'île de Sumatra.
Dans le même temps, le porte-hélicoptères "Jeanne d'Arc" accompagné de la frégate "Georges Leygues" appareille pour se rendre sur zone et apporter ainsi sa contribution à l'assistance médicale de l'Indonésie et aux transports logistiques qui font actuellement défaut dans ce pays.
Je rappelle, enfin, que la contribution financière de l'Etat s'élève, tous ministères confondus, à près de 45 millions d'euros. Il faut y ajouter naturellement les généreuses contributions volontaires des collectivités locales, des entreprises et des particuliers.
Les autorités françaises restent et resteront bien entendu mobilisées pour adapter en permanence notre dispositif d'aide à l'évolution sur le terrain, en concertation avec les ONG, la Commission de Bruxelles et nos partenaires européens
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2005
(Propos de Michel Barnier lors de sa participation à une émission spéciale sur TF1, à Paris, le 3 janvier 2005) :
Q - Est-ce que c'est possible, comme vient de le suggérer Soeur Emmanuelle, de favoriser, de faciliter en tout cas, des adoptions dans les pays touchés par la catastrophe ?
R - Pour autant que l'Indonésie, la Thaïlande soient respectés dans leurs prérogatives Ce sont des pays organisés. Il y a un Etat de droit, il y a des procédures. Oui, je pense qu'on doit s'occuper des enfants. J'ai été touché par ce que vient de dire Soeur Emmanuelle, parce que ce matin même, au Conseil des ministres, lorsque nous avons très longuement parlé avec le président de la République de cette tragédie, le Premier ministre rendant compte de tout ce que nous faisions les uns, les autres, et avec vous et avec d'autres, a parlé des enfants, en disant que la dimension supplémentaire de cette tragédie, était justement celle-là. Oui, nous pouvons mettre en place un dispositif particulier dans le cadre de mon ministère, qui est chargé de l'adoption internationale, mais je veux, pour être honnête, dire qu'il faut tenir compte de ce que veulent, de ce voudront les pays dont sont originaires ces enfants.
Q - (Sur les actions à entreprendre)
R - Dans une telle tragédie, on a trois défis à relever presque en même temps qui sont autant de devoirs. Le premier, on en parlera peut-être tout à l'heure, c'est le devoir de solidarité à l'égard de nos compatriotes, de personnes qui étaient là pour un séjour touristique et dont beaucoup de familles ont été brisées, j'en ai vu plusieurs sur place.
Q - Peut-on en parler dès maintenant, combien y a-t-il eu de victimes ?
R - Parmi les 140.000 victimes, il y a beaucoup d'Européens, beaucoup de Français. Au moment où je vous parle, je peux dire que 22 Français sont décédés, dont le décès a été constaté. Nous voulons rapatrier, quand ce n'est pas encore fait, les corps vers leurs proches. Il y a un peu moins de 90 personnes disparues, ce chiffre évolue, il baisse plutôt, parce que des gens sont retrouvés.
Q - Précisément, les disparus, cela veut dire quoi, qu'ils manquent à l'appel, que ce ne sont pas des gens dont on présume la mort ?
R - Il s'agit de gens que des témoins auraient vu disparaître dans les flots. Pour certains, quelque temps après, on les retrouve. Ce chiffre évolue donc plutôt à la baisse mais il y a encore plusieurs centaines de personnes dont nous n'avons pas de nouvelles. C'est peut-être l'occasion pour moi de dire à ceux qui sont revenus, par leurs propres moyens, et pas seulement en France et en Europe, ceux qui sont revenus là où ils habitent, là où ils travaillent, à Tokyo, à Pékin, qu'ils nous le disent, qu'ils téléphonent à la cellule de crise du Quai d'Orsay, au 0 800 174 174. Depuis dimanche dernier, nous avons reçu des dizaines de milliers d'appels de gens qui nous demandaient des nouvelles de leurs proches. S'ils ont eu des nouvelles, directement, qu'ils nous le disent aussi, nous avons besoin de savoir et de travailler sur des chiffres plus précis.
Q - Et êtes-vous armés pour recevoir tous ces appels ?
R - Nous avons reçu 90 000 appels, je veux d'ailleurs dire un mot de remerciements aux 350 bénévoles qui ont travaillé à la cellule de crise, parmi d'autres bénévoles des associations, des collectivités, des agents de l'Etat qui ont fait un formidable travail pour répondre à ces appels, répondre de manière humaine et précise. Nous sommes prêts à répondre à tous ces appels, nous avons besoin de savoir où sont ces gens.
Q - Votre collègue des Affaires étrangères britannique disait que le chiffre des Britanniques morts serait sans doute autour de 200, pouvez-vous en dire quelque chose, le souhaitez-vous ?
R - Non, soyons prudents ! Il y a 22 personnes dont les décès sont confirmés, 90 personnes qui sont disparues mais, encore une fois, ce chiffre évolue et nous avons besoin de savoir ce que sont devenues les autres, qu'ils nous le disent, lorsqu'ils sont revenus chez eux.
Il y a un deuxième devoir qui est celui de la solidarité avec toutes ces personnes dans ces pays qui sont, je le rappelle, parmi les plus peuplés et les plus pauvres du monde. C'est une catastrophe dont on a découvert l'ampleur progressivement. Quand j'étais mardi soir au Sri Lanka, la présidente du Sri Lanka me disait, catastrophée mais très volontaire, sans doute aurons-nous 10 000 morts chez nous. Aujourd'hui, c'est 3 fois plus au Sri Lanka ! Nous avons découvert progressivement l'ampleur de cette catastrophe, nous avons donc besoin d'agir contre les épidémies, pour nourrir, pour trouver de l'eau, c'est ce que fait M. Douste-Blazy avec d'autres, c'est ce que font toutes les associations.
A ce propos-là, puisqu'il s'agit de transporter, je veux dire que, même si nous n'étions pas sur la zone, nous avons envoyé la "Jeanne-d'Arc" qui part vers la zone avec 8 hélicoptères. D'autres moyens sont apportés par les Américains ou d'autres puissances.
Et puis il y a un autre devoir, que Bernard Kouchner évoquait, auquel il faut réfléchir dès maintenant : c'est celui de la reconstruction, d'une reconstruction différente car il y a des leçons à tirer en termes d'aménagement ou de "ménagement" du territoire, de protection, de tourisme durable.
Il y a aussi des leçons à tirer pour mieux agir ensemble. Lorsqu'il y a eu des catastrophes en Turquie ou en Grèce, des tremblements de terre, en 1999, j'étais commissaire européen depuis quelques jours et j'ai été frappé de voir que l'Europe n'était pas capable, non pas de ne pas avoir de bonne volonté, il y en a beaucoup en Europe, mais d'agir ensemble. Nous avons créé un fonds de solidarité pour les régions européennes qui sont touchées, et malheureusement cela arrive assez souvent, on l'a vu avec les inondations, la tempête en France. Parce que nous avons la mémoire courte, il faut maintenant, tirer des leçons tout de suite, en créant une force européenne de protection civile, il faut mutualiser nos moyens d'actions, que les Européens, lorsqu'ils partent au Sri Lanka ou en Indonésie, au Mexique, en Turquie, en Europe même, partent sous leur drapeau européen et avec leur propre drapeau. On peut mutualiser, on peut être plus efficace, c'est l'une des leçons qu'il faut tirer maintenant.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 205)
(Entretien avec Europe 1, à Paris le 4 janvier 2005) :
Q - Pour l'Europe, c'est en effet une tragédie, un deuil européen, on dit que maintenant, nous ne sommes pas loin de 10 000 morts. Maintenant, vous savez vous-même, pouvez-vous révéler le nombre des victimes françaises ?
R - C'est un deuil pour l'Europe, c'est un deuil pour le monde, parce que jamais on n'a connu, de mémoire d'homme, une catastrophe planétaire qui touche autant de pays à la fois qui sont parmi les plus pauvres et, en même temps, les plus peuplés.
Je vais être prudent sur les chiffres car derrière eux, il y a des hommes, des femmes, des familles inquiètes ou brisées. Aujourd'hui, ce que je peux dire sûrement, c'est que 22 Français sont morts dans cette catastrophe, moins de 100 personnes disparues, des personnes dont on nous a dit qu'elles avaient disparu, mais il faut vérifier et on voit qu'en vérifiant, quelquefois, les choses ne se sont pas passées exactement comme on nous les avait dites. Des personnes ont été emportées par les flots, ce sont des personnes disparues, mais on en retrouve certaines, donc ce chiffre évolue.
Q - On les retrouve vivantes ?
R - On en a retrouvé quelques-unes vivantes.
Donc il y a moins de 100 personnes disparues pour lesquelles on peut être inquiet mais il faut des vérifications.
Et enfin, il y a plusieurs centaines de personnes, et là aussi les chiffres évoluent, dont nous n'avons pas de nouvelles : des gens qui étaient en vacances dans cette région, qui ne venaient pas forcément de France, qui habitent Tokyo, Pékin.
Q - On disait 500 ou 600, combien de ces 500 ou 600 reviendront ?
R - Comment voulez-vous que je vous le dise ? Je le saurai précisément quand ces gens, s'ils sont revenus, nous le diront. Voilà pourquoi ici, à "Europe 1", et partout, je demande à ceux qui sont revenus par leurs propres moyens là où ils habitent, dans la région parfois, en Europe ou chez nous, en France, de nous le dire. Nous avons besoin de le savoir et pour le savoir, il faut que ces gens qui sont revenus, ou ceux qui nous ont appelés à la cellule d'urgence du Quai d'Orsay pour nous demander des nouvelles de leurs proches et qui depuis en ont eu directement, qui ont été rassurés, que ces personnes nous appellent pour nous dire ce qu'ils savent en téléphonant au 0 800 174 174. Nous avons besoin de savoir !
Q - Nous répéterons bien sûr ce numéro, mais, quel type d'espoir, Michel Barnier, gardez-vous ce matin ?
R - Je garde l'espoir que des gens qui ont disparu ou qui n'ont pas donné de nouvelles nous en donnent. Je ne dirai rien de plus car, encore une fois, derrière tous ces chiffres qu'il faut manier avec prudence et précaution, il y a des hommes, des femmes et des familles brisées.
Q - D'autant plus que vous êtes allé sur place, l'un des premiers, sinon le premier, vous les avez vus, entendus.
R - D'abord, au Sri Lanka et à Phuket, j'ai vu beaucoup de gens de ces pays qui ont 140 000 morts au moins et qui ont été eux aussi touchés dans leurs familles. C'est un drame mondial et qui touche encore une fois, des pays très pauvres. Au Sri Lanka, j'ai vu des Français, des touristes, me dire la leçon d'humilité, la leçon de générosité qu'ils ont reçue des habitants du pays.
Q - On l'oublie trop souvent cela !
R - On l'oublie en effet trop souvent, ces gens qui ont tout perdu, qui n'ont pas grand chose, partagent le peu qu'ils ont. Quand ils n'avaient pas d'essence pour ramener les Français vers l'ambassade à Colombo, ils en trouvaient quand même ! Ces gens ont été formidables et je veux dire que cela justifie, non seulement l'élan de solidarité que nous devons faire maintenant envers eux, mais aussi, plus tard, l'aide à la reconstruction de ces pays.
Q - Comment vous êtes-vous senti lorsque vous étiez sur place ? Que peuvent les gouvernements, les diplomaties face à une tragédie aussi gigantesque qu'instantanée et brutale comme celle-là ?
R - Il y a tout à faire ! Dans l'urgence, nous amenons du matériel - des dizaines et des dizaines de tonnes de fret humanitaire ont été apportées par la France -, nous envoyons des bateaux, Michèle Alliot-Marie a décidé d'envoyer la "Jeanne-d'Arc" avec des hélicoptères, elle sera sur zone la semaine prochaine pour aider au transport, nous envoyons des médecins. Au Sri Lanka, qui est l'un des pays les plus touchés avec l'Indonésie, nous avons envoyé le lendemain, un avion spécial militaire avec 100 sauveteurs secouristes qui travaillent sur place et cet avion est revenu avec des Français blessés.
Q - Et lorsque l'on reproche en France ici ou là, de ne pas agir assez vite, de ne pas en faire assez ?
R - Nous n'en faisons jamais assez face à un tel drame et je ne prétends pas que tout a été parfait, mais ce que je peux dire, c'est que nous avons fait de notre mieux, immédiatement, à Paris au Quai d'Orsay où jusqu'à aujourd'hui, 350 volontaires se sont relayés au téléphone pour répondre - nous avons reçu 90 000 appels auxquels nous avons répondu - et sur place, les ONG, les envoyés des collectivités locales, les services de l'Etat ont tous fait leur travail.
Q - Mais, souvent en ordre dispersé alors, la France ne peut-elle pas proposer aux Nations unies un coordonnateur par exemple, Claude Malhuret, Jean-Christophe Rufin, Jean-François Matteï ou Bernard Kouchner qui en a l'envergure et la dimension.
R - Il y a en effet, parmi les gens que vous citez, des responsables qui ont l'envergure et l'expérience. Nous verrons avec le Secrétaire général, Kofi Annan, comment organiser le travail au mieux.
Q -Mais, vous n'excluez pas l'idée ?
R - Je n'exclus pas l'idée, encore une fois, il y a beaucoup de bonne volonté et, en effet parfois, au niveau européen notamment, nous manquons de coordination. Je pense que nous pouvons tirer des leçons de cette tragédie pour l'avenir, notamment s'agissant de l'aide au développement, d'une aide durable pour un développement durable dans ces pays pour procurer davantage de moyens et d'argent pour le développement de ces pays pauvres. Une catastrophe comme celle-là est encore plus terrible dans les pays pauvres, il ne faut jamais oublier cela.
Q - Si je vous cite une phrase, vous souvenez-vous de son auteur ?
"Les cataclysmes de cette nature sont amplifiés par la caractéristique du pays, surpopulation, revenu par habitant extrêmement faible, atteinte au milieu naturel, autant de causes qui entretiennent le cycle infernal, pauvreté, effets des catastrophes naturelles".
J'ai retrouvé cela dans ma bibliothèque, "Atlas des risques majeurs" chez Plon, Michel Barnier, c'était il y a 16 ans, avec de très belles cartes.
R - Je vous dis la même chose aujourd'hui, je me suis toujours intéressé, - vous le rappelez en décrivant ce livre écrit il y a maintenant 16 ans, sur les risques majeurs dans le monde - comme ministre de l'Environnement, à cette problématique des risques, en pensant que la prévention coûtait moins cher que la réparation.
Q - Et ce sera le cas.
Il y a l'idée d'une force internationale d'urgence, peut-être mondiale ou européenne, qui progresse. Pensez-vous que c'est aux hommes politiques de décider de faire appliquer la notion de cette force ? A quoi ressemblerait-elle Michel Barnier ?
R - Les hommes politiques sont responsables des budgets publics, c'est à eux d'avoir des idées et de les mettre en oeuvre, en évitant de créer des "usines à gaz", comme le disait Jean-Christophe Rufin, à juste titre. Moi, j'ai une idée très précise que j'ai mesurée lorsque, commissaire européen, j'ai du être confronté à des tremblements de terre en Grèce ou en Turquie, à des inondations en Allemagne et en France.
Q - Et comment fait-on ?
R - Il y a des moyens partout, des moyens de protection civile et ce que je suggère, c'est simplement, non pas une "usine à gaz", mais un petit état-major commun qui mobiliserait, et mutualiserait des moyens existants, des moyens de protection : des pompiers, des techniciens, des médecins, des vaccinateurs, des hôpitaux transportables, tous les moyens dont on a besoin, face à l'urgence humanitaire. Ces professionnels auraient l'habitude de travailler ensemble, ces gens seraient formés ensemble, mais il s'agirait d'unités nationales, voire d'unités régionales, - en Allemagne, la protection civile est une compétence des Länder - qui, en cas d'urgence et selon la nature des catastrophes, partiraient ensemble en Europe ou en dehors de l'Europe.
Q - Mais qui, dans l'intervalle, s'entraîneraient ensemble.
R - En effet et aussi ils feraient le travail, chacun chez eux, qu'il y a à faire lorsqu'il y a des problèmes de protection civile dans chacun de nos pays.
Q - Mais, il faudrait un état-major commun, qui le nommera ?
R - Il faudrait un état-major que le Conseil européen, les chefs d'Etat et de gouvernements, la Commission européenne, peuvent mettre en place. Ce sont des idées que nous avons avancées il y a 5 ou 6 ans, j'avais également proposé un fonds de solidarité pour les Européens.
Q - Mais, pour aujourd'hui et demain, il y a la prévention, il y aura, pour demain, le développement durable et la reconstruction de ces pays. La France aidera-t-elle sur le long terme ces pays ou, dans quelques temps, passera-t-elle à d'autres sujets ?
R - Ma réponse est oui et personnellement, je retournerai dans ces pays pour voir ce que nous faisons dans le moyen et le long termes. Il y a le devoir de solidarité envers nos compatriotes, il y a le devoir dans l'urgence envers les pays et leurs populations qui ont besoin d'eau potable, de nourriture et de soins. Et puis, il y a la reconstruction et pour cela, nous avons besoin de davantage d'argent, de moyens publics pour le développement, pour la lutte contre la pauvreté, la fameuse coalition contre la pauvreté qu'il faut créer, ces moyens ne sont pas suffisants.
Voilà pourquoi, permettez-moi de le dire, Jacques Chirac défend ces idées aux Nations unies : une fiscalité sur les ventes d'armes ou sur les échanges boursiers...
Q - Ou ce que proposait hier aussi Bernard Kouchner, une "tsunami-contribution".
R - Oui, j'en ai parlé à M. Kouchner, il a eu une bonne idée qui est de mobiliser les banques, la micro-finance, pour apporter concrètement, pour la reconstruction des logements, des moyens aux gens qui en ont besoin, en évitant les circuits internationaux.
Q - Et cette force, vous pensez qu'elle peut être créée au niveau européen, à partir de moyens qui existent déjà et avec un Etat-major commun qui serait européen ?
R - Il y a le besoin d'une force européenne de protection civile, mutualisant des moyens nationaux existants. Il y a le besoin, au niveau européen et mondial, de davantage d'engagements publics, d'argent pour un développement durable. Nous n'allons pas reconstruire à Phuket par exemple, ou au Sri Lanka ou en Inde, les hôtels comme on les avait construits alors qu'ils ont été détruits. Il faut tenir compte de cette catastrophe, il y a des leçons à en tirer. N'ayons pas la mémoire courte !
Q - Hier soir, vous avez participé à une émission de TF1 avec Soeur Emmanuelle qui parlait d'adoption, et vous avez laissé entendre, c'est ce qui ressort un peu des dépêches d'agences, que la France allait faciliter l'adoption d'orphelins pour éviter le jeu malsain des mafias.
R - J'ai répondu à une interpellation de Soeur Emmanuelle dont on sait la capacité d'amour qui est la sienne, notamment pour les enfants, et nous sommes très touchés par cette dimension particulière de la tragédie d'Asie car elle touche beaucoup d'enfants qui sont aujourd'hui orphelins dans cette région et aussi d'enfants orphelins en Europe. Gardons-nous de nous précipiter. L'adoption est un sujet sensible, il faut respecter des règles et probablement, s'il y a une demande supplémentaire et dans ces pays et chez nous, nous devrons y faire face. Mais respectons ces pays : il y a des lois et des règles. Il faut faire attention, s'agissant des enfants, à tous les trafics. Les responsables de l'UNICEF nous mettent en garde contre les enfants qui sont seuls et qui peuvent être exilés chez nous.
Q - Je n'oublie pas que vous êtes ministre des Affaires étrangères : le président de la République vient de le réaffirmer, 2005 sera une grande année pour l'Europe. Les forces politiques, peuvent-elles être assurées ce matin que la question qui sera posée sur l'Europe sera simple, sans piège et non partisane ?
R - Ma réponse est oui. Cette question sera simple, sans piège, non partisane. Il ne s'agit pas de dire "oui" à Chirac ou "non" à Hollande, oui ou non au gouvernement. Il ne s'agit pas de cela, il s'agit de dire "oui" à un projet de Constitution européenne dont nous avons besoin pour que l'Europe soit plus efficace, plus solidaire et pour que la France puisse jouer son rôle dans le projet européen. Le "oui" sera pluriel, il doit être un "oui" pour l'Europe.
Q - L'Europe est aussi attendue sur l'Ukraine, quel type de relations, en peu de mots, la France peut-elle, veut-elle pour l'Ukraine "orange" avec l'Europe ?
R -Nous voulons, avec la nouvelle Ukraine démocratique, une relation de voisinage très forte, dans le cadre européen. Et dans ce cadre, nous avons proposé cette politique de voisinage, de partenariat avec l'Ukraine.
Q - 2005 peut être une bonne année entre Israéliens et Palestiniens pour qu'il y ait des discussions de paix, y a-t-il des chances ?
R - Dans le nouveau contexte du Proche-Orient, avec une nouvelle Autorité palestinienne, un nouveau gouvernement dirigé par M. Sharon plus ouvert, avec un président américain réélu, avec une disponibilité des Européens, oui ! L'année 2005 doit être, peut être l'année de la paix au Proche-Orient, et je vais travailler à cela sous l'autorité du président de la République.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 2005)
(Tribune intitulée "Fraternité planétaire" dans l'hebdomadaire VSD, à Paris le 6 janvier 2005) :
Cette catastrophe naturelle - de mémoire d'homme sans doute la plus effroyable - doit réveiller et forger, j'en suis convaincu, une conscience planétaire commune. Exceptionnel, ce cataclysme l'est par sa nature. Il l'est également par son ampleur : il touche plusieurs pays d'une même région. Le nombre des victimes avoisine, selon les chiffres actuels, cent cinquante mille, celui des réfugiés et des déplacés, plusieurs millions. Enfin, ce raz-de-marée bouleverse la planète parce qu'un nombre exceptionnel de nations déplore des victimes.
Dès les premières heures, la France a décidé d'apporter son aide et son soutien à l'ensemble des populations sinistrées. Je suis allé au Sri Lanka, l'un des pays les plus pauvres du monde, où cette catastrophe revêt un caractère plus dramatique encore. J'y ai rencontré certains de nos compatriotes, blessés ou choqués, qui m'ont tous dit avoir reçu une grande leçon d'humilité. Dans sa détresse et son désespoir, le peuple sri-lankais a trouvé les ressources nécessaires pour aider ses hôtes étrangers à surmonter cette terrible épreuve. En Thaïlande, je me suis rendu à Phuket et j'ai survolé le site dévasté de Khao Lak. Ces endroits ont été balayés par le tsunami, les hôtels emportés comme des châteaux de cartes. Cette impression d'apocalypse est encore amplifiée par les témoignages des rescapés : des parents, des pères et des mères m'ont raconté comment cette vague avait littéralement happé leurs enfants, qu'ils serraient pourtant dans leurs bras.
Je pense que nous devons tirer une triple leçon de cette catastrophe. Il faut d'abord continuer de parer à l'urgence afin de tenter de réparer au mieux et au plus vite les dégâts considérables laissés par le raz-de-marée. Et de ce point de vue, la volonté et les efforts de l'Europe sont indéniables. Mais je crois que nous gagnerions tous en efficacité si, très vite, les Vinq-cinq se dotent d'une Force européenne de protection civile, qui serait non seulement la mise en commun de moyens techniques mais surtout l'addition de compétences humaines, propres à chaque nation. Il faudrait aussi créer un fonds d'indemnisation pour les victimes de catastrophes naturelles, à l'image de celui qui a été créé, au niveau européen, après les inondations meurtrières de 2002, notamment en Autriche et en Allemagne.
Deuxième leçon : il me paraît indispensable de fonder rapidement, avant deux ans, un centre d'études et de prévention des risques sismiques, spécialement affecté à cette région de l'océan Indien comme il en existe ailleurs dans le monde, par exemple dans le Pacifique. La communauté internationale doit, bien entendu, faire l'effort nécessaire à la mise en place d'un tel centre.
Enfin, cette tragédie rend plus urgent encore notre devoir de solidarité envers les plus démunis. Ce type de catastrophe est tellement plus insoutenable pour ceux qui n'ont déjà pas grand-chose. La France souhaite que la mondialisation favorise aussi l'accroissement de l'aide globale au développement. Au mois de septembre dernier, la France, l'Espagne, le Chili et le Brésil ont défendu, à la tribune des Nations unies à New York, l'idée d'une taxe mondiale afin de lutter contre la faim et la pauvreté. La présente tragédie asiatique rend ce projet indispensable.
Je voudrais enfin souligner, au-delà de l'extraordinaire mobilisation que l'on peut observer en France, cet immense élan de générosité mondiale. Il me semble que cette catastrophe naturelle aura révélé une conscience mondiale, celle d'une fraternité planétaire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2005)
Le raz de marée qui s'est produit le 26 décembre sur tout le pourtour de l'Océan indien est sans précédent. Les dernières estimations font état de plus de 150.000 victimes et tout laisse à penser que ce bilan devrait malheureusement encore s'aggraver.
Face à cette catastrophe, les autorités françaises, sous la conduite du président de la République et du Premier ministre, se sont mobilisées sans délais et ont fourni un effort exceptionnel, à l'image du très large élan de solidarité que l'on observe de la part de toute la population française.
Une semaine après cette tragédie, je souhaite faire ici un état des lieux de l'action menée par notre pays sous la coordination du ministère des Affaires étrangères et en étroite concertation avec les administrations les plus directement concernées telles que les ministères de l'Intérieur, de la Défense, de la Justice, de la Santé publique, de l'Environnement ou encore des Transports.
Notre action s'est développée sur deux volets : l'assistance aux Français en difficulté et l'aide d'urgence aux populations locales frappées par cette catastrophe.
1 - Les secours apportés aux Français :
- La cellule de crise du ministère des Affaires étrangères fonctionne 24 heures sur 24 depuis le dimanche 26 décembre à 8h30. 360 fonctionnaires volontaires de tout grade y tournent en permanence pour répondre aux appels qui se montent actuellement à plus de 85.000, dont un certain nombre de courriels.
- Nos postes les plus concernés à l'étranger (Bangkok, Colombo, Djakarta) se sont également et immédiatement mobilisés. Ils ont été renforcés par une trentaine d'agents du ministère spécialisés dans les affaires consulaires, la protection des personnes et la gestion des crises.
- Nous avons envoyé, dès le premier jour, des équipes de secouristes provenant notamment de la sécurité civile, du Samu et de la Croix Rouge à la fois au Sri Lanka (96 personnes) et en Thaïlande (24 personnes). Nous avons très rapidement ajouté à ce premier envoi 7 équipes de spécialistes médicaux représentant plus d'une vingtaine de personnes, ainsi que de médecins légistes (au nombre de 19 en Thaïlande et 4 au Sri Lanka) pour procéder à l'identification des corps.
- Nous avons, par ailleurs, affrété en liaison avec le ministère de la Défense plusieurs avions pour procéder à la fois au retour des Français indemnes ou blessés (1 avion à Colombo et aux Maldives, 1 avion à Phuket et Bangkok) et également au rapatriement des premiers corps identifiés de victimes (1 avion à Bangkok). Dans le même temps, la Défense a mobilisé un avion patrouilleur pour aider les autorités thaïlandaises dans la recherche des corps et envoie sur place un hélicoptère pour appuyer ces recherches et faciliter les transports logistiques.
A l'heure actuelle, le bilan, en ce qui concerne les Français touchés par cette catastrophe, s'établit de la manière suivante : 22 décès et environ une centaine de disparus. Mais nous devons manier ces chiffres avec prudence car il reste encore plusieurs centaines de Français dont nous sommes sans nouvelles et pour lesquels le ministère des Affaires étrangères poursuit ses recherches en liaison étroite avec le ministère de l'Intérieur.
2 - Aide d'urgence humanitaire
La France a immédiatement mis en place une aide humanitaire bilatérale de près de 2 millions d'euros.
- Au Sri Lanka, un premier envoi de fret humanitaire de 36 tonnes a été acheminé par 4 vols successifs. Un nouveau fret de 15 tonnes partira ce soir avec des médicaments et du matériel médical ainsi que des équipements de potabilisation de l'eau. Les équipes de secouristes envoyées sur la zone pour porter secours à nos compatriotes travaillent également à l'assistance des populations locales ; elles sont par ailleurs chargées de la coordination de l'ensemble de l'aide européenne.
- Aux îles Maldives, une aide humanitaire ciblée sur les demandes des autorités locales a été acheminée pour un montant de 5 tonnes de fret.
- En Indonésie, une mission d'évaluation, composée de 5 personnes, est partie dès vendredi soir pour ce pays avec, là encore, la mission de coordonner l'assistance européenne. Sur la base des informations recueillies par elle, notre pays envoie dès aujourd'hui un "hôpital de campagne" comprenant 72 personnels de la sécurité civile et 24 tonnes de fret en vue d'une mise en place dans les délais les plus rapides au Nord de l'île de Sumatra.
Dans le même temps, le porte-hélicoptères "Jeanne d'Arc" accompagné de la frégate "Georges Leygues" appareille pour se rendre sur zone et apporter ainsi sa contribution à l'assistance médicale de l'Indonésie et aux transports logistiques qui font actuellement défaut dans ce pays.
Je rappelle, enfin, que la contribution financière de l'Etat s'élève, tous ministères confondus, à près de 45 millions d'euros. Il faut y ajouter naturellement les généreuses contributions volontaires des collectivités locales, des entreprises et des particuliers.
Les autorités françaises restent et resteront bien entendu mobilisées pour adapter en permanence notre dispositif d'aide à l'évolution sur le terrain, en concertation avec les ONG, la Commission de Bruxelles et nos partenaires européens
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 janvier 2005
(Propos de Michel Barnier lors de sa participation à une émission spéciale sur TF1, à Paris, le 3 janvier 2005) :
Q - Est-ce que c'est possible, comme vient de le suggérer Soeur Emmanuelle, de favoriser, de faciliter en tout cas, des adoptions dans les pays touchés par la catastrophe ?
R - Pour autant que l'Indonésie, la Thaïlande soient respectés dans leurs prérogatives Ce sont des pays organisés. Il y a un Etat de droit, il y a des procédures. Oui, je pense qu'on doit s'occuper des enfants. J'ai été touché par ce que vient de dire Soeur Emmanuelle, parce que ce matin même, au Conseil des ministres, lorsque nous avons très longuement parlé avec le président de la République de cette tragédie, le Premier ministre rendant compte de tout ce que nous faisions les uns, les autres, et avec vous et avec d'autres, a parlé des enfants, en disant que la dimension supplémentaire de cette tragédie, était justement celle-là. Oui, nous pouvons mettre en place un dispositif particulier dans le cadre de mon ministère, qui est chargé de l'adoption internationale, mais je veux, pour être honnête, dire qu'il faut tenir compte de ce que veulent, de ce voudront les pays dont sont originaires ces enfants.
Q - (Sur les actions à entreprendre)
R - Dans une telle tragédie, on a trois défis à relever presque en même temps qui sont autant de devoirs. Le premier, on en parlera peut-être tout à l'heure, c'est le devoir de solidarité à l'égard de nos compatriotes, de personnes qui étaient là pour un séjour touristique et dont beaucoup de familles ont été brisées, j'en ai vu plusieurs sur place.
Q - Peut-on en parler dès maintenant, combien y a-t-il eu de victimes ?
R - Parmi les 140.000 victimes, il y a beaucoup d'Européens, beaucoup de Français. Au moment où je vous parle, je peux dire que 22 Français sont décédés, dont le décès a été constaté. Nous voulons rapatrier, quand ce n'est pas encore fait, les corps vers leurs proches. Il y a un peu moins de 90 personnes disparues, ce chiffre évolue, il baisse plutôt, parce que des gens sont retrouvés.
Q - Précisément, les disparus, cela veut dire quoi, qu'ils manquent à l'appel, que ce ne sont pas des gens dont on présume la mort ?
R - Il s'agit de gens que des témoins auraient vu disparaître dans les flots. Pour certains, quelque temps après, on les retrouve. Ce chiffre évolue donc plutôt à la baisse mais il y a encore plusieurs centaines de personnes dont nous n'avons pas de nouvelles. C'est peut-être l'occasion pour moi de dire à ceux qui sont revenus, par leurs propres moyens, et pas seulement en France et en Europe, ceux qui sont revenus là où ils habitent, là où ils travaillent, à Tokyo, à Pékin, qu'ils nous le disent, qu'ils téléphonent à la cellule de crise du Quai d'Orsay, au 0 800 174 174. Depuis dimanche dernier, nous avons reçu des dizaines de milliers d'appels de gens qui nous demandaient des nouvelles de leurs proches. S'ils ont eu des nouvelles, directement, qu'ils nous le disent aussi, nous avons besoin de savoir et de travailler sur des chiffres plus précis.
Q - Et êtes-vous armés pour recevoir tous ces appels ?
R - Nous avons reçu 90 000 appels, je veux d'ailleurs dire un mot de remerciements aux 350 bénévoles qui ont travaillé à la cellule de crise, parmi d'autres bénévoles des associations, des collectivités, des agents de l'Etat qui ont fait un formidable travail pour répondre à ces appels, répondre de manière humaine et précise. Nous sommes prêts à répondre à tous ces appels, nous avons besoin de savoir où sont ces gens.
Q - Votre collègue des Affaires étrangères britannique disait que le chiffre des Britanniques morts serait sans doute autour de 200, pouvez-vous en dire quelque chose, le souhaitez-vous ?
R - Non, soyons prudents ! Il y a 22 personnes dont les décès sont confirmés, 90 personnes qui sont disparues mais, encore une fois, ce chiffre évolue et nous avons besoin de savoir ce que sont devenues les autres, qu'ils nous le disent, lorsqu'ils sont revenus chez eux.
Il y a un deuxième devoir qui est celui de la solidarité avec toutes ces personnes dans ces pays qui sont, je le rappelle, parmi les plus peuplés et les plus pauvres du monde. C'est une catastrophe dont on a découvert l'ampleur progressivement. Quand j'étais mardi soir au Sri Lanka, la présidente du Sri Lanka me disait, catastrophée mais très volontaire, sans doute aurons-nous 10 000 morts chez nous. Aujourd'hui, c'est 3 fois plus au Sri Lanka ! Nous avons découvert progressivement l'ampleur de cette catastrophe, nous avons donc besoin d'agir contre les épidémies, pour nourrir, pour trouver de l'eau, c'est ce que fait M. Douste-Blazy avec d'autres, c'est ce que font toutes les associations.
A ce propos-là, puisqu'il s'agit de transporter, je veux dire que, même si nous n'étions pas sur la zone, nous avons envoyé la "Jeanne-d'Arc" qui part vers la zone avec 8 hélicoptères. D'autres moyens sont apportés par les Américains ou d'autres puissances.
Et puis il y a un autre devoir, que Bernard Kouchner évoquait, auquel il faut réfléchir dès maintenant : c'est celui de la reconstruction, d'une reconstruction différente car il y a des leçons à tirer en termes d'aménagement ou de "ménagement" du territoire, de protection, de tourisme durable.
Il y a aussi des leçons à tirer pour mieux agir ensemble. Lorsqu'il y a eu des catastrophes en Turquie ou en Grèce, des tremblements de terre, en 1999, j'étais commissaire européen depuis quelques jours et j'ai été frappé de voir que l'Europe n'était pas capable, non pas de ne pas avoir de bonne volonté, il y en a beaucoup en Europe, mais d'agir ensemble. Nous avons créé un fonds de solidarité pour les régions européennes qui sont touchées, et malheureusement cela arrive assez souvent, on l'a vu avec les inondations, la tempête en France. Parce que nous avons la mémoire courte, il faut maintenant, tirer des leçons tout de suite, en créant une force européenne de protection civile, il faut mutualiser nos moyens d'actions, que les Européens, lorsqu'ils partent au Sri Lanka ou en Indonésie, au Mexique, en Turquie, en Europe même, partent sous leur drapeau européen et avec leur propre drapeau. On peut mutualiser, on peut être plus efficace, c'est l'une des leçons qu'il faut tirer maintenant.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 205)
(Entretien avec Europe 1, à Paris le 4 janvier 2005) :
Q - Pour l'Europe, c'est en effet une tragédie, un deuil européen, on dit que maintenant, nous ne sommes pas loin de 10 000 morts. Maintenant, vous savez vous-même, pouvez-vous révéler le nombre des victimes françaises ?
R - C'est un deuil pour l'Europe, c'est un deuil pour le monde, parce que jamais on n'a connu, de mémoire d'homme, une catastrophe planétaire qui touche autant de pays à la fois qui sont parmi les plus pauvres et, en même temps, les plus peuplés.
Je vais être prudent sur les chiffres car derrière eux, il y a des hommes, des femmes, des familles inquiètes ou brisées. Aujourd'hui, ce que je peux dire sûrement, c'est que 22 Français sont morts dans cette catastrophe, moins de 100 personnes disparues, des personnes dont on nous a dit qu'elles avaient disparu, mais il faut vérifier et on voit qu'en vérifiant, quelquefois, les choses ne se sont pas passées exactement comme on nous les avait dites. Des personnes ont été emportées par les flots, ce sont des personnes disparues, mais on en retrouve certaines, donc ce chiffre évolue.
Q - On les retrouve vivantes ?
R - On en a retrouvé quelques-unes vivantes.
Donc il y a moins de 100 personnes disparues pour lesquelles on peut être inquiet mais il faut des vérifications.
Et enfin, il y a plusieurs centaines de personnes, et là aussi les chiffres évoluent, dont nous n'avons pas de nouvelles : des gens qui étaient en vacances dans cette région, qui ne venaient pas forcément de France, qui habitent Tokyo, Pékin.
Q - On disait 500 ou 600, combien de ces 500 ou 600 reviendront ?
R - Comment voulez-vous que je vous le dise ? Je le saurai précisément quand ces gens, s'ils sont revenus, nous le diront. Voilà pourquoi ici, à "Europe 1", et partout, je demande à ceux qui sont revenus par leurs propres moyens là où ils habitent, dans la région parfois, en Europe ou chez nous, en France, de nous le dire. Nous avons besoin de le savoir et pour le savoir, il faut que ces gens qui sont revenus, ou ceux qui nous ont appelés à la cellule d'urgence du Quai d'Orsay pour nous demander des nouvelles de leurs proches et qui depuis en ont eu directement, qui ont été rassurés, que ces personnes nous appellent pour nous dire ce qu'ils savent en téléphonant au 0 800 174 174. Nous avons besoin de savoir !
Q - Nous répéterons bien sûr ce numéro, mais, quel type d'espoir, Michel Barnier, gardez-vous ce matin ?
R - Je garde l'espoir que des gens qui ont disparu ou qui n'ont pas donné de nouvelles nous en donnent. Je ne dirai rien de plus car, encore une fois, derrière tous ces chiffres qu'il faut manier avec prudence et précaution, il y a des hommes, des femmes et des familles brisées.
Q - D'autant plus que vous êtes allé sur place, l'un des premiers, sinon le premier, vous les avez vus, entendus.
R - D'abord, au Sri Lanka et à Phuket, j'ai vu beaucoup de gens de ces pays qui ont 140 000 morts au moins et qui ont été eux aussi touchés dans leurs familles. C'est un drame mondial et qui touche encore une fois, des pays très pauvres. Au Sri Lanka, j'ai vu des Français, des touristes, me dire la leçon d'humilité, la leçon de générosité qu'ils ont reçue des habitants du pays.
Q - On l'oublie trop souvent cela !
R - On l'oublie en effet trop souvent, ces gens qui ont tout perdu, qui n'ont pas grand chose, partagent le peu qu'ils ont. Quand ils n'avaient pas d'essence pour ramener les Français vers l'ambassade à Colombo, ils en trouvaient quand même ! Ces gens ont été formidables et je veux dire que cela justifie, non seulement l'élan de solidarité que nous devons faire maintenant envers eux, mais aussi, plus tard, l'aide à la reconstruction de ces pays.
Q - Comment vous êtes-vous senti lorsque vous étiez sur place ? Que peuvent les gouvernements, les diplomaties face à une tragédie aussi gigantesque qu'instantanée et brutale comme celle-là ?
R - Il y a tout à faire ! Dans l'urgence, nous amenons du matériel - des dizaines et des dizaines de tonnes de fret humanitaire ont été apportées par la France -, nous envoyons des bateaux, Michèle Alliot-Marie a décidé d'envoyer la "Jeanne-d'Arc" avec des hélicoptères, elle sera sur zone la semaine prochaine pour aider au transport, nous envoyons des médecins. Au Sri Lanka, qui est l'un des pays les plus touchés avec l'Indonésie, nous avons envoyé le lendemain, un avion spécial militaire avec 100 sauveteurs secouristes qui travaillent sur place et cet avion est revenu avec des Français blessés.
Q - Et lorsque l'on reproche en France ici ou là, de ne pas agir assez vite, de ne pas en faire assez ?
R - Nous n'en faisons jamais assez face à un tel drame et je ne prétends pas que tout a été parfait, mais ce que je peux dire, c'est que nous avons fait de notre mieux, immédiatement, à Paris au Quai d'Orsay où jusqu'à aujourd'hui, 350 volontaires se sont relayés au téléphone pour répondre - nous avons reçu 90 000 appels auxquels nous avons répondu - et sur place, les ONG, les envoyés des collectivités locales, les services de l'Etat ont tous fait leur travail.
Q - Mais, souvent en ordre dispersé alors, la France ne peut-elle pas proposer aux Nations unies un coordonnateur par exemple, Claude Malhuret, Jean-Christophe Rufin, Jean-François Matteï ou Bernard Kouchner qui en a l'envergure et la dimension.
R - Il y a en effet, parmi les gens que vous citez, des responsables qui ont l'envergure et l'expérience. Nous verrons avec le Secrétaire général, Kofi Annan, comment organiser le travail au mieux.
Q -Mais, vous n'excluez pas l'idée ?
R - Je n'exclus pas l'idée, encore une fois, il y a beaucoup de bonne volonté et, en effet parfois, au niveau européen notamment, nous manquons de coordination. Je pense que nous pouvons tirer des leçons de cette tragédie pour l'avenir, notamment s'agissant de l'aide au développement, d'une aide durable pour un développement durable dans ces pays pour procurer davantage de moyens et d'argent pour le développement de ces pays pauvres. Une catastrophe comme celle-là est encore plus terrible dans les pays pauvres, il ne faut jamais oublier cela.
Q - Si je vous cite une phrase, vous souvenez-vous de son auteur ?
"Les cataclysmes de cette nature sont amplifiés par la caractéristique du pays, surpopulation, revenu par habitant extrêmement faible, atteinte au milieu naturel, autant de causes qui entretiennent le cycle infernal, pauvreté, effets des catastrophes naturelles".
J'ai retrouvé cela dans ma bibliothèque, "Atlas des risques majeurs" chez Plon, Michel Barnier, c'était il y a 16 ans, avec de très belles cartes.
R - Je vous dis la même chose aujourd'hui, je me suis toujours intéressé, - vous le rappelez en décrivant ce livre écrit il y a maintenant 16 ans, sur les risques majeurs dans le monde - comme ministre de l'Environnement, à cette problématique des risques, en pensant que la prévention coûtait moins cher que la réparation.
Q - Et ce sera le cas.
Il y a l'idée d'une force internationale d'urgence, peut-être mondiale ou européenne, qui progresse. Pensez-vous que c'est aux hommes politiques de décider de faire appliquer la notion de cette force ? A quoi ressemblerait-elle Michel Barnier ?
R - Les hommes politiques sont responsables des budgets publics, c'est à eux d'avoir des idées et de les mettre en oeuvre, en évitant de créer des "usines à gaz", comme le disait Jean-Christophe Rufin, à juste titre. Moi, j'ai une idée très précise que j'ai mesurée lorsque, commissaire européen, j'ai du être confronté à des tremblements de terre en Grèce ou en Turquie, à des inondations en Allemagne et en France.
Q - Et comment fait-on ?
R - Il y a des moyens partout, des moyens de protection civile et ce que je suggère, c'est simplement, non pas une "usine à gaz", mais un petit état-major commun qui mobiliserait, et mutualiserait des moyens existants, des moyens de protection : des pompiers, des techniciens, des médecins, des vaccinateurs, des hôpitaux transportables, tous les moyens dont on a besoin, face à l'urgence humanitaire. Ces professionnels auraient l'habitude de travailler ensemble, ces gens seraient formés ensemble, mais il s'agirait d'unités nationales, voire d'unités régionales, - en Allemagne, la protection civile est une compétence des Länder - qui, en cas d'urgence et selon la nature des catastrophes, partiraient ensemble en Europe ou en dehors de l'Europe.
Q - Mais qui, dans l'intervalle, s'entraîneraient ensemble.
R - En effet et aussi ils feraient le travail, chacun chez eux, qu'il y a à faire lorsqu'il y a des problèmes de protection civile dans chacun de nos pays.
Q - Mais, il faudrait un état-major commun, qui le nommera ?
R - Il faudrait un état-major que le Conseil européen, les chefs d'Etat et de gouvernements, la Commission européenne, peuvent mettre en place. Ce sont des idées que nous avons avancées il y a 5 ou 6 ans, j'avais également proposé un fonds de solidarité pour les Européens.
Q - Mais, pour aujourd'hui et demain, il y a la prévention, il y aura, pour demain, le développement durable et la reconstruction de ces pays. La France aidera-t-elle sur le long terme ces pays ou, dans quelques temps, passera-t-elle à d'autres sujets ?
R - Ma réponse est oui et personnellement, je retournerai dans ces pays pour voir ce que nous faisons dans le moyen et le long termes. Il y a le devoir de solidarité envers nos compatriotes, il y a le devoir dans l'urgence envers les pays et leurs populations qui ont besoin d'eau potable, de nourriture et de soins. Et puis, il y a la reconstruction et pour cela, nous avons besoin de davantage d'argent, de moyens publics pour le développement, pour la lutte contre la pauvreté, la fameuse coalition contre la pauvreté qu'il faut créer, ces moyens ne sont pas suffisants.
Voilà pourquoi, permettez-moi de le dire, Jacques Chirac défend ces idées aux Nations unies : une fiscalité sur les ventes d'armes ou sur les échanges boursiers...
Q - Ou ce que proposait hier aussi Bernard Kouchner, une "tsunami-contribution".
R - Oui, j'en ai parlé à M. Kouchner, il a eu une bonne idée qui est de mobiliser les banques, la micro-finance, pour apporter concrètement, pour la reconstruction des logements, des moyens aux gens qui en ont besoin, en évitant les circuits internationaux.
Q - Et cette force, vous pensez qu'elle peut être créée au niveau européen, à partir de moyens qui existent déjà et avec un Etat-major commun qui serait européen ?
R - Il y a le besoin d'une force européenne de protection civile, mutualisant des moyens nationaux existants. Il y a le besoin, au niveau européen et mondial, de davantage d'engagements publics, d'argent pour un développement durable. Nous n'allons pas reconstruire à Phuket par exemple, ou au Sri Lanka ou en Inde, les hôtels comme on les avait construits alors qu'ils ont été détruits. Il faut tenir compte de cette catastrophe, il y a des leçons à en tirer. N'ayons pas la mémoire courte !
Q - Hier soir, vous avez participé à une émission de TF1 avec Soeur Emmanuelle qui parlait d'adoption, et vous avez laissé entendre, c'est ce qui ressort un peu des dépêches d'agences, que la France allait faciliter l'adoption d'orphelins pour éviter le jeu malsain des mafias.
R - J'ai répondu à une interpellation de Soeur Emmanuelle dont on sait la capacité d'amour qui est la sienne, notamment pour les enfants, et nous sommes très touchés par cette dimension particulière de la tragédie d'Asie car elle touche beaucoup d'enfants qui sont aujourd'hui orphelins dans cette région et aussi d'enfants orphelins en Europe. Gardons-nous de nous précipiter. L'adoption est un sujet sensible, il faut respecter des règles et probablement, s'il y a une demande supplémentaire et dans ces pays et chez nous, nous devrons y faire face. Mais respectons ces pays : il y a des lois et des règles. Il faut faire attention, s'agissant des enfants, à tous les trafics. Les responsables de l'UNICEF nous mettent en garde contre les enfants qui sont seuls et qui peuvent être exilés chez nous.
Q - Je n'oublie pas que vous êtes ministre des Affaires étrangères : le président de la République vient de le réaffirmer, 2005 sera une grande année pour l'Europe. Les forces politiques, peuvent-elles être assurées ce matin que la question qui sera posée sur l'Europe sera simple, sans piège et non partisane ?
R - Ma réponse est oui. Cette question sera simple, sans piège, non partisane. Il ne s'agit pas de dire "oui" à Chirac ou "non" à Hollande, oui ou non au gouvernement. Il ne s'agit pas de cela, il s'agit de dire "oui" à un projet de Constitution européenne dont nous avons besoin pour que l'Europe soit plus efficace, plus solidaire et pour que la France puisse jouer son rôle dans le projet européen. Le "oui" sera pluriel, il doit être un "oui" pour l'Europe.
Q - L'Europe est aussi attendue sur l'Ukraine, quel type de relations, en peu de mots, la France peut-elle, veut-elle pour l'Ukraine "orange" avec l'Europe ?
R -Nous voulons, avec la nouvelle Ukraine démocratique, une relation de voisinage très forte, dans le cadre européen. Et dans ce cadre, nous avons proposé cette politique de voisinage, de partenariat avec l'Ukraine.
Q - 2005 peut être une bonne année entre Israéliens et Palestiniens pour qu'il y ait des discussions de paix, y a-t-il des chances ?
R - Dans le nouveau contexte du Proche-Orient, avec une nouvelle Autorité palestinienne, un nouveau gouvernement dirigé par M. Sharon plus ouvert, avec un président américain réélu, avec une disponibilité des Européens, oui ! L'année 2005 doit être, peut être l'année de la paix au Proche-Orient, et je vais travailler à cela sous l'autorité du président de la République.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 janvier 2005)
(Tribune intitulée "Fraternité planétaire" dans l'hebdomadaire VSD, à Paris le 6 janvier 2005) :
Cette catastrophe naturelle - de mémoire d'homme sans doute la plus effroyable - doit réveiller et forger, j'en suis convaincu, une conscience planétaire commune. Exceptionnel, ce cataclysme l'est par sa nature. Il l'est également par son ampleur : il touche plusieurs pays d'une même région. Le nombre des victimes avoisine, selon les chiffres actuels, cent cinquante mille, celui des réfugiés et des déplacés, plusieurs millions. Enfin, ce raz-de-marée bouleverse la planète parce qu'un nombre exceptionnel de nations déplore des victimes.
Dès les premières heures, la France a décidé d'apporter son aide et son soutien à l'ensemble des populations sinistrées. Je suis allé au Sri Lanka, l'un des pays les plus pauvres du monde, où cette catastrophe revêt un caractère plus dramatique encore. J'y ai rencontré certains de nos compatriotes, blessés ou choqués, qui m'ont tous dit avoir reçu une grande leçon d'humilité. Dans sa détresse et son désespoir, le peuple sri-lankais a trouvé les ressources nécessaires pour aider ses hôtes étrangers à surmonter cette terrible épreuve. En Thaïlande, je me suis rendu à Phuket et j'ai survolé le site dévasté de Khao Lak. Ces endroits ont été balayés par le tsunami, les hôtels emportés comme des châteaux de cartes. Cette impression d'apocalypse est encore amplifiée par les témoignages des rescapés : des parents, des pères et des mères m'ont raconté comment cette vague avait littéralement happé leurs enfants, qu'ils serraient pourtant dans leurs bras.
Je pense que nous devons tirer une triple leçon de cette catastrophe. Il faut d'abord continuer de parer à l'urgence afin de tenter de réparer au mieux et au plus vite les dégâts considérables laissés par le raz-de-marée. Et de ce point de vue, la volonté et les efforts de l'Europe sont indéniables. Mais je crois que nous gagnerions tous en efficacité si, très vite, les Vinq-cinq se dotent d'une Force européenne de protection civile, qui serait non seulement la mise en commun de moyens techniques mais surtout l'addition de compétences humaines, propres à chaque nation. Il faudrait aussi créer un fonds d'indemnisation pour les victimes de catastrophes naturelles, à l'image de celui qui a été créé, au niveau européen, après les inondations meurtrières de 2002, notamment en Autriche et en Allemagne.
Deuxième leçon : il me paraît indispensable de fonder rapidement, avant deux ans, un centre d'études et de prévention des risques sismiques, spécialement affecté à cette région de l'océan Indien comme il en existe ailleurs dans le monde, par exemple dans le Pacifique. La communauté internationale doit, bien entendu, faire l'effort nécessaire à la mise en place d'un tel centre.
Enfin, cette tragédie rend plus urgent encore notre devoir de solidarité envers les plus démunis. Ce type de catastrophe est tellement plus insoutenable pour ceux qui n'ont déjà pas grand-chose. La France souhaite que la mondialisation favorise aussi l'accroissement de l'aide globale au développement. Au mois de septembre dernier, la France, l'Espagne, le Chili et le Brésil ont défendu, à la tribune des Nations unies à New York, l'idée d'une taxe mondiale afin de lutter contre la faim et la pauvreté. La présente tragédie asiatique rend ce projet indispensable.
Je voudrais enfin souligner, au-delà de l'extraordinaire mobilisation que l'on peut observer en France, cet immense élan de générosité mondiale. Il me semble que cette catastrophe naturelle aura révélé une conscience mondiale, celle d'une fraternité planétaire.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 janvier 2005)