Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à France 2 le 4 février 2005, sur l'assouplissement des 35 heures et sur le projet de constitution européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

- Nous allons parler à la fois de l'actualité du Parti communiste, des 35 heures et aussi du référendum pour l'Europe, parce que vous faites campagne en faveur du "non". Vous étiez encore hier soir à Tulle, pour cette campagne. Et puis, au même moment, on voit qu'à la CGT, il y a une prise de position en faveur du "non". Est-ce que c'est en effet "formidable", pour reprendre votre expression, que ce "non" de la CGT ?
R- Je n'ai pas à commenter la prise de position d'un syndicat. Ce que je trouve formidable, c'est la mobilisation des salariés face à la politique libérale de Raffarin et face à une Constitution elle-même libérale que l'on veut nous imposer. Et partout où je vais, dans les meetings, des syndicalistes prennent la parole pour dire à la fois leur colère, leur lutte, mais aussi pour dire leur opposition à cette Europe libérale.
Q- Cette prise de position de la CGT met quand même B. Thibault dans une position un peu délicate. Cela faisait d'ailleurs très longtemps que la CGT n'avait pas donné de consigne de vote. Est-ce que cela veut dire que la CGT va se rapprocher un peu plus du PC ? C'est ce que vous souhaitez ?
R- C'est vraiment du passé complètement révolu. Nous avons un rapport avec la CGT, comme avec les autres organisations syndicales, tout à fait normal. Vous savez, c'est fini le temps de l'instrumentalisation des syndicats. Ni les syndicats ni le Parti communiste ne le souhaitent. Donc cela est vraiment terminé.
Q- Et pensez-vous, s'il est désavoué ou mis en minorité, doit quitter la direction de la CGT ?
R- Mais c'est vraiment une affaire interne à la CGT ! Je respecte les décisions de cette organisation syndicale. Je n'aimerais pas que l'on se mêle des décisions du Parti communiste, je ne vais pas faire l'inverse !
Q- Considérez-vous aujourd'hui qu'une dynamique du "non" se met en place ? On se rappelle que le dernier référendum, c'étaient les militants socialistes qui ont voté "oui". Est-ce que les choses sont en train de se renverser aujourd'hui ?
R- Oui, je sens une véritable dynamique. De plus en plus, il y a un rassemblement très divers qui se constitue, avec des hommes et des femmes de gauche, quelle que soient leurs sensibilité, des gens engagés dans les mouvements sociaux, dans les mouvements associatifs. Et petit à petit, les gens découvrent le contenu même de la Constitution, le fait que cette Constitution donne pour but à l'Europe la libre concurrence, et non pas le progrès social, et non pas la liberté et la démocratie. Les gens s'inquiètent de voir que cette Constitution va constituer demain une camisole libérale, qui les empêchera de choisir la politique dans leur pays.
Q- Mais on peut dire que la "camisole libérale" existe déjà. Quand on voit par exemple la directive que le commissaire Bolkestein voulait mettre en place, qui consiste en gros à dire que c'est le droit social de l'entreprise, si elle est turque...
R- Oui, c'est le pavillon de complaisance, comme pour la marine du commerce !
Q- Cette dérive libérale est déjà dans les faits. La Constitution ne risque donc pas de l'aggraver...
R- C'est au nom de l'Europe libérale que l'on a détruit les services publics en France, c'est au nom de l'Europe libérale que l'on a fait travailler les femmes la nuit etc. Mais aujourd'hui, on veut nous inscrire cette politique libérale dans un traité constitutionnel, que l'on ne pourra pas faire évoluer dans les décennies à venir, puisqu'il faudra le consensus des 25, et demain peut-être des 28 pays, pour changer un article de cette Constitution. C'est comme si on mettait dans la Constitution française la politique Raffarin ! On dirait : "Mais ce n'est pas possible, laissez les Français choisir leur politique au moment des votes etc. !". Ce sera pareil au niveau de l'Europe. On veut rentrer dans le marbre constitutionnelle et on veut une politique économique et sociale libérale. C'est pourquoi il faut se rassembler pour dire "non".
Q- Ce "oui" ou ce "non" au référendum va forcément peser sur les relations à gauche. De quel il regardez-vous la mise en place du projet socialiste et les tensions qui peuvent exister au sein de ce parti, si ce n'est frère, du moins voisin ?
R- J'appelle les hommes et les femmes de gauche, les électeur et électrices socialistes, à réfléchir. Si demain, la gauche est de nouveau majoritaire, je pense que les hommes et les femmes de gauche souhaitent par exemple que la gauche reconstitue les services publics, parte à la reconquête des missions publiques de l'Etat. Avec la Constitution Giscard, telle qu'elle est, l'Europe nous empêchera de le faire. Donc si l'on veut, demain, mener une politique pleinement à gauche, il faut dire "stop" à l'Europe libérale, en votant "non". C'est comme cela que l'on pourra construire, parce que je souhaite vraiment que la gauche soit majoritaire demain, je souhaite vraiment qu'elle mène une politique qui réponde aux attentes populaires. Mais pour cela, il y a un premier obstacle à dépasser : c'est la Constitution Giscard.
Q- Est-ce que vous vous sentez aujourd'hui plus proche de L. Fabius que de F. Hollande ?
R- Non, ce n'est pas en ces termes-là que cela se pose. Je me sens proche de ceux et celles qui seront samedi dans les rues, pour défendre leurs salaires et lutter contre la disparition des 35 heures.
Q- Justement, samedi, dans les rues, on attend une mobilisation sans doute importante. Tout dernier appel à la mobilisation : de la part des médecins urgentistes. Et cette nuit, les députés ont travaillé très tard, puisque c'est aux petites heures ce matin, à 6h40, qu'ils ont voté l'article 2 de ce projet, qui consiste en effet à autoriser les heures supplémentaires jusqu'à 48 heures par semaine.
R- Autoriser les heures supplémentaires jusqu'à 48 heures, on passe de cinq semaines de congés payées à 4 semaines de congés payées. Qui cela va-t-il toucher le plus ? Cela va toucher des hommes et des femmes qui ont déjà des petits salaires, qui ne savent pas comment vivre et auxquels les patrons vont dire : "Ne nous demandez plus d'augmentation de salaire, travaillez plus !". C'est ce qu'a dit Raffarin : "Si vous voulez gagner plus, travaillez plus !". Cela va donc frapper les salariés déjà les plus modestes. C'est scandaleux !
Q- Et qui ont déjà fait des efforts d'ailleurs, parce qu'ils ont vu leur salaire gelé pendant plusieurs années...
R- Bien sûr ! Il y a une baisse du pouvoir d'achat en France, il y a une pression terrible sur les salaires. Et maintenant, on va leur faire un chantage : vous voulez vivre dignement ? Vous voulez acheter un peu plus de choses pour vos enfants ? Eh bien, allez jusqu'à 48 heures et vous pourrez vivre dignement ! C'est scandaleux, c'est un retour en arrière de civilisation ! C'est pourquoi, samedi, c'est vraiment important de se mobiliser !
Q- Il pourrait y avoir aussi une extension de ces souplesses dans le secteur public. C'est ce que souhaitent certains, pour qu'en effet, il n'y ait pas cette différence entre les salariés du privé et les salariés du public...
R- C'est le rêve de Sarkozy ! Et Sarkozy, n'importe comment, il veut le tout libéral en France. Il tire donc sur tout ce qui est public, sur tout ce qui est intérêt général, sur tout ce qui est garanties et droits collectifs, c'est vraiment le tout libéral. Mais on voit bien aujourd'hui que privé et public, c'est main dans la main qu'il faut que l'on se batte, parce que l'on est tous visé par les politiques de Raffarin et de Sarkozy.
Q- Combien de personnes pensez-vous qu'il y aura dans la rue, ce week-end ?
R- Je ne sais pas. J'ai parcouru la France ces derniers jours. Partout, on m'annonce de grosses manifestations dans les préfectures. J'espère qu'à Paris, ce sera le cas également. J'espère qu'il y aura plusieurs centaines de milliers de manifestants en France.
Q- Avez-vous mis un seuil ... ?
R- Non, ça, c'est vraiment la responsabilité des organisations syndicales...
Q- Et vous serez évidemment en tête de cortège ?
R- Non, c'est une manifestation syndicale, mais nous serons devant la manifestation, pour apporter notre soutien.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 février 2005)