Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, à "RFI" le 2 février 2004, sur la nécessité d'accélerer le rythme des constructions de logements sociaux neufs pour passer à 80 000 en 2004, sur l'annulation de vols en direction des Etats-Unis suite à des informations relatives au terrorisme, sur les élections régionales en Picardie.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


Q- N. Velly-. "Malheur à nous gens heureux", 50 ans après son fameux appel à la bonté, l'Abbé Pierre a donc relancé, hier, le combat contre l'exclusion. Pour éloigner le spectre de la pauvreté, il appelle les Français à la solidarité mais aussi à l'action auprès des pouvoirs publics. Selon le diagnostic de la Fondation Abbé Pierre-Emmaüs, 3 millions de personnes sont concernées par "le mal logement" et il manque 600 000 logements en France. Vous êtes au premier chef concerné, en tant que ministre du Logement, par cet appel, partagez-vous ce constat ?
R- "Tout à fait, c'est un diagnostic qui est réel, qui s'accumule depuis des décennies, on va dire que, même depuis le premier appel de l'Abbé Pierre, il y a 50 ans, la crise du logement est continue, parce qu'il y a un rythme de constructions de logements insuffisant par rapport aux besoins, par rapport à la démographie, par rapport au nombre de foyers monoparentaux, par rapport aux accueils. Il y a beaucoup de savoir faire en France pour la construction du logement, mais à un rythme qui n'est pas satisfaisant. Donc mon défi, c'est de passer d'un rythme de logements sociaux de l'ordre de 50 000 dans les années passées à 80 000 en 2004."
Q-Pourtant, selon le Conseil économique et social, c'est 120 000 logements sociaux qu'il faudrait construire par an, et jusqu'en 2014. On est loin du compte.
R- "Oui, mais on ne serait pas, dès l'année 2004, passé de 50 000 à 120 000. Pourquoi ? Parce que, la construction de logements, c'est quelque chose de lourd, c'est un peu comme un grand paquebot dont il faut changer l'orientation. Il faut certainement un an, deux ans, ou trois ans pour le faire changer de route. Il faut trouver du foncier, quand on a trouvé du foncier... [coupure son]".
Q-[A la reprise....] On en était à se dire qu'il va falloir mettre les bouchées doubles pour arriver à 120 000 logements sociaux par an.
R- "Absolument, et donc pour changer ce rythme, il faut y aller non pas progressivement mais le plus rapidement possible et passer en 2004 de 50 000 logements à 80 000 logements, ça sera déjà un exploit, et je suis sûr que les partenaires sociaux, les bailleurs sociaux vont être mobilisés - c'est d'ailleurs pour cela que je les rencontre en ce moment. Et puis, dans les années qui viennent, ce rythme doit être évidemment au moins maintenu sinon accentué. Et, en même temps, donner des nouvelles pistes, de nouveaux moyens. On voit que les moyens classiques ont limité la construction de logements à un trop faible nombre. Il faut faire preuve d'innovation pour trouver de nouveaux partenaires et construire encore plus de logements."
Q- Ne faut-il pas aussi parallèlement relever les subventions et les aides au logement, et puis, peut-être, faire respecter la loi qui prévoit que les communes urbaines comportent 20 % de logements sociaux ?
R- "On s'aperçoit qu'en 2003, pour la première fois, on va dépasser les 20 000 logements sociaux en mixité sociale, c'est-à-dire le fameux article 55 de la loi SCRU [phon], pardonnez-moi d'être un peu technique. Mais jusque-là, on plafonnait. En 2003, on va enfin dépasser les 20 000. Donc, je ne dis pas que c'est un exploit, on est sur la bonne vente, la pente vertueuse. Mais il faut aller encore évidemment beaucoup plus loin. Et je vous assure que l'innovation en matière de construction de logements pour arriver à des coûts raisonnables, vont être mobilisés. Et en 2004, il faut sortir des moyens classiques parce qu'on voit que les moyens classiques n'ont pas suivi. Et je pense que ça sera une très grande année logement que cette année 2004."
Q- L'appel de l'Abbé Pierre devrait aussi, peut-être, vous aider à obtenir un budget plus conséquent, car je crois qu'il es en diminution ?
R- "Non, le budget 2004, ne vous attardez pas à l'effet optique, il n'y aura jamais au moins autant de moyens financiers sur le budget logement. Quand on rajoute les 500 millions d'euros qui sont la manne providentielle de la baisse des taux d'intérêt, il y a une hausse globale des moyens pour construire des logements. Ce que redoute, ce que je crains, mais j'espère que l'on va dépasser cela, c'est que les acteurs, tous ensemble, habitués à un rythme de 50 000 logements par an, puissent, comme cela, en un an de temps, passer de 50 à 80 000. Il y a des moyens financiers, il faut derrière des moyens humains et techniques."
Q-On parle d'un grand débat national sur le logement, comme celui sur l'école. Est-ce que vous en prendriez l'initiative ?
R- "Mais d'abord, déjà, aujourd'hui, il y a un débat sur le logement et je m'y rends avec plaisir. Après-demain, je fais un débat sur l'accession sociale à la propriété. L'un des moyens justement innovants, qu'on n'a jamais suffisamment essayé en France, c'est de savoir comment ne pas condamner des gens qui ont besoin de logement, des gens modestes, à faire la queue des HLM uniquement pour être locataires mais les encourager aussi à devenir propriétaires à un coût raisonnable, conforme à leurs moyens financiers, de façon à ce que tout simplement les HLM locatifs soient vraiment réservés à ceux qui veulent devenir locataires. Je pense que c'est un beau projet que d'encourager tout le monde à devenir un jour propriétaire, s'il le souhaite."
Q-C'est un pari courageux. G. De Robien, si vous le permettez, je voudrais maintenant m'adresser au ministre des Transports, puisque ce week-end et encore aujourd'hui, Air France a annulé une demi-douzaine de vols transatlantiques vers les Etats-Unis. Comme à Noël, les services secrets américains vous ont prévenu de nouvelles menaces d'Al-Qaïda contre ces vols. Avez-vous des précisions sur ces menaces ?
R- "Non. Enfin, quand il s'agit de menaces et de terrorisme il n'y a pas de précisions à donner à la radio. Mais par simple principe de précaution, et lorsqu'il y a des signaux - et nous travaillons très bien avec les Américains - ils nous envoient ces signaux-là. Je pense qu'il est tout à fait normal que l'on "se phase", et que l'on travaille avec eux en une complète coordination contre le terrorisme international."

Q-Est-ce que cela voudrait dire que les terroristes sont sur le sol français ?
R- "Cela veut dire tout simplement qu'ils pourraient, le cas échéant, utiliser les lignes aériennes, notamment entre l'Europe et l'Amérique. Nous avons donc, au nom du principe de précaution, annulé certains vols de façon à ce que toute la sécurité soit évidemment maintenue."
Q- Est-ce qu'il y a désormais des agents de sécurité armés à bord des avions transatlantiques ?
R- "Il y a des agents de sécurité dans les vols transatlantiques."
Q-Les régionales approchent, c'est le 21 mars en France, l'UMP vous presse d'être candidat en Picardie. Quand prendrez-vous votre décision et en fonction de quoi ?
R- "Je n'ai qu'une réponse à donner : c'est aux citoyens de la Picardie, et donc ce n'est pas un parti politique, quel qu'il soit d'ailleurs, qui va me presser de ceci ou de cela. C'est un contrat à passer avec les Picards. C'est vrai que la Picardie attend une présidence, mais pas seulement une présidence, une équipe qui soit à la fois picarde, motivée et qui ait un bon programme. Je crois que le programme est plus important que les personnes. Et donc, le moment venu, je donnerai la décision que j'estime la plus raisonnable en conscience à l'ensemble des Picards."
Q-Pensez-vous que les turbulences au sein de l'UMP dues à la condamnation d'A. Juppé pourraient être favorables à l'UDF ?
R- "Surtout pas. Si on compte vraiment sur les difficultés qu'éprouve actuellement A. Juppé, et auxquelles, bien sûr, je compatis vraiment très amicalement, et les difficultés peut-être, engendrées à l'UMP, ce n'est pas cela qui fait la beauté d'une politique et la grandeur d'un parti qui peut être concurrent. Donc, ne comptons pas là-dessus, comptons sur nous-mêmes, sur les projets, sur les hommes, sur ce que l'on offre aux Français. Et cela me paraît beaucoup plus important et plus digne."
(Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 février 2004)