Texte intégral
Madame le Secrétaire perpétuel,
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai à vous accueillir rue de Valois, au moment où la Commission générale de terminologie et de néologie entame son troisième mandat. Votre Commission dépend du Premier ministre, qui m'a chargé de le représenter à cette séance inaugurale. Sans doute parce que la langue est l'outil de communication par excellence et l'expression privilégiée de la culture, nous entretenons en effet des liens privilégiés et c'est au ministre de la Culture et de la Communication qu'il revient de nommer les membres de votre commission. Notre réunion me donne l'occasion de vous dire d'abord combien je me réjouis que vous ayez accepté d'apporter votre contribution à des travaux dont la portée, me semble-t-il, va bien au-delà de considérations purement linguistiques.
Enjeu culturel depuis toujours, la langue est aujourd'hui, en Europe et dans le monde, un enjeu de civilisation, et puisque son usage fonde le lien qu'entretiennent les hommes dans la cité, un enjeu politique, au sens le plus noble de ce terme. Nous en sommes sans doute conscients en France plus qu'ailleurs. Depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts, l'État n'a cessé de marquer son engagement en faveur de la langue française ; mais, dans un monde caractérisé par des interdépendances accrues, par la contiguïté du français avec d'autres langues et au premier chef avec une langue prétendument globale, il est plus que jamais nécessaire que les forces et les compétences se conjuguent à tous les niveaux des services de l'État, pour préserver et enrichir notre langue, et faire chaque jour la preuve qu'elle reste une langue d'avenir.
Vous aviez souhaité, Madame le Secrétaire perpétuel, faire de la langue française une grande cause nationale. Je crois pouvoir me faire le porte parole de chacun d'entre nous en vous disant que nous sommes tous ici animés de la même conviction et de la même volonté d'agir, pour préserver le dynamisme de notre langue et la diversité des langues du monde : rien ne serait plus dangereux que de prétendre confiner les langues nationales à un usage domestique et de les exclure du monde du travail, de la connaissance, de la culture.
Le risque d'uniformisation linguistique est bien réel. En Europe comme ailleurs, un monolinguisme de fait tend à s'imposer ça et là dans plusieurs secteurs de la vie sociale. C'est pourquoi l'Etat - qui a dans ce domaine un devoir d'exemplarité - est appelé à intervenir : car si la langue évolue de façon spontanée, cette évolution peut être accompagnée et orientée, notamment dans les domaines du langage spécialisé, scientifique, technique et économique, qui jouent un rôle croissant dans notre vie quotidienne.
Sans doute avons-nous mieux à faire, entre le désintérêt et la déploration stérile, que de rejouer une fois de plus la querelle des Anciens et des Modernes. Notre responsabilité est d'agir de manière efficace et résolue, en légiférant ou en réglementant quand il le faut, mais aussi en proposant des références, en disposant des garde-fous, en formulant des recommandations qui peuvent guider l'usage, en favorisant la diffusion et l'échange des " bonnes pratiques ".
Aujourd'hui, la politique de la langue peut s'appuyer sur un double socle : un ensemble de textes légaux, qui traduisent dans notre droit le principe constitutionnel en vertu duquel "la langue de la République est le français" ; et par ailleurs, un dispositif institutionnel original, créé par le décret du 3 juillet 1996 "relatif à l'enrichissement de la langue française", pour combler dans des domaines de spécialité les besoins d'expression que ne satisfait pas l'état actuel de la langue.
La commission générale de terminologie et de néologie est au coeur de ce dispositif. Elle constitue un outil irremplaçable dans le combat que nous avons à mener pour manifester la vitalité et la créativité de notre langue. " Enrichissement de la langue française ": ce seul intitulé, par sa force évocatrice et l'ambition qu'il manifeste, est plus qu'un mandat ; c'est un défi, dont je voudrais faire apparaître en quelques mots les enjeux.
Votre champ d'investigation, avec l'appui des dix-huit commissions spécialisées implantées dans les ministères, rassemble tous les domaines de pointe pour lesquels le besoin d'une terminologie en français est impératif et souvent urgent, qu'il s'agisse par exemple des techniques de l'information et de la communication, de la biologie ou des transports. Votre mission s'inspire du précepte pascalien prescrivant "de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens".
Si la terminologie est à la source une affaire d'experts - experts du domaine et experts de la langue - vous avez à coeur d'apporter à ce travail une vision à la fois plus haute et plus proche de l'usage commun. Vous effectuez ce nécessaire rapprochement entre les spécialistes et le grand public pour faciliter l'introduction dans l'usage d'un vocabulaire contemporain. "Ce n'est pas une mince affaire", comme le fait dire Platon à Socrate dans un dialogue tout entier consacré aux mots (Le Cratyle), "et ses auteurs ne sont pas des premiers venus sans importance"...
Je voudrais d'abord féliciter et remercier particulièrement ceux qui, à commencer par vous, Monsieur le président, ont déjà consacré quatre ans, parfois huit, à cette tâche au sein de votre commission et qui sont prêts à poursuivre les efforts entrepris au service de la langue.
Je souhaite aussi saluer les membres nouvellement nommés : MM. Saint-Geours, Grandazzi, Saint-Raymond, et tout particulièrement Erik Orsenna, qui a bien voulu rejoindre votre commission au titre du ministère de la culture et de la communication ; je ne doute pas qu'il prenne à coeur cette nouvelle activité, lui qui écrit dans La grammaire est une chanson douce : " le premier métier est de désigner les choses ".
Forte de l'expérience partagée des uns et du regard neuf posé par les autres, votre commission, j'en suis sûr, tirant les enseignements de ses mandats précédents, saura accroître encore son activité et son rayonnement. Si votre réussite ne se mesure pas seulement au nombre de termes publiés, elle s'appréciera à la façon dont vous répondrez à la nécessité de nommer, dans les différentes disciplines de l'économie, des sciences et des techniques. Ce travail sera nécessairement précis, rigoureux, mais ne devra pas s'interdire l'invention, l'imagination.
Il devra également s'inscrire dans des délais que je souhaite, pour les termes susceptibles de s'implanter dans l'usage courant, aussi brefs que possible. Sans doute faudra-t-il d'ailleurs, pour les termes qui ne relèvent pas des domaines techniques ou spécialisés, instituer une procédure d'urgence. Je serai attentif, Monsieur le président, aux propositions que vous jugerez utile de formuler en ce sens.
Je tiens à remercier personnellement chacun de vous pour son engagement personnel, parce que je sais ce qu'il suppose de bonne volonté et de désintéressement. Vous savez pouvoir compter sur celui de mon ministère pour vous apporter tout le soutien nécessaire, notamment pour renforcer la diffusion de vos travaux. Nous devrions pouvoir mieux mettre en valeur les termes et les définitions publiés, les faire connaître à un public toujours plus vaste, et en tout état de cause s'assurer de leur emploi dans l'administration. Le progrès des technologies de la langue devrait nous y aider.
La délégation générale à la langue française et aux langues de France est à votre disposition et continuera à tenir son rôle de coordination. Je sais l'importance qu'y attache Xavier North, le délégué général, et je l'en remercie.
Il est temps pour moi de donner la parole à Madame le Secrétaire perpétuel et à votre président.
Je vous remercie.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 24 février 2005)